Nous avons demandé à Adriano Scianca, essayiste et directeur de Primato Nazionale – le quotidien souverainiste proche de Casapound – de nous fournir son analyse sur la politique menée par l’exécutif formé après la victoire de Giorgia Meloni aux dernières élections parlementaires italiennes.
Breizh-info.com : Nous venons de dépasser les cents jours de l’installation du nouveau gouvernement. Cent jours, qui sont traditionnellement le délai pour juger si les premières mesures engagées sont à la hauteur des promesses électorales. Quel en est votre bilan ?
Adriano Scianca : La confrontation avec les promesses électorales est toujours impitoyable pour un gouvernement, mais cela ne concerne pas seulement celui de Meloni, je crois que c’est un mécanisme inhérent à la démocratie elle-même. En tout cas, le bilan des cent premiers jours du gouvernement Meloni est interlocutoire : c’est un gouvernement qui s’est retrouvé à devoir agir dans un moment de crise énergétique et économique, dans un contexte d’urgence internationale liée à la guerre, avec des partenaires européens souvent peu disposés à coopérer et soumis à l’habituel bombardement médiatique. Il eut donc été difficile être plus incisif. Je crois que Meloni avance assez bien. Par contre, on ressent parfois une certaine inexpérience au sein de la coalition.
Breizh-info.com : La lutte à l’immigration clandestine passait pour une priorité de la campagne du nouvel exécutif. Mais les débarquements semblent une fois de plus déferler sur les côtes italiennes. Quelle lecture peut-on avoir de l’action – ou de l’inaction – du gouvernement ?
Adriano Scianca : En matière de lutte contre l’immigration, les résultats sont certainement décevants. Mais je crois que la stratégie de Meloni est de ne pas entreprendre d’actions unilatérales maintenant pour arriver à une solution systémique au niveau européen. En effet, au sein de l’Europe, on a commencé depuis un certain temps à parler de protection des frontières, de barrières, de révision du droit d’asile, de rendre effectifs les retours. Évidemment, la stratégie de Meloni est risquée, car le risque que cette disponibilité diplomatique ne mène à aucun résultat concret est bien réel. Mais, d’autre part, si elle parvient à donner un tournant aux politiques européennes en matière d’immigration, elle aura accompli un chef-d’œuvre politique.
Breizh-info.com : Quelles sont les relations avec les différents partenaires européens ? Est-il correct de percevoir un sentiment de soumission à l’Union Européenne, aux antipodes de l’euroscepticisme initial ?
Adriano Scianca : Il y a certainement eu un changement radical d’attitude, mais, comme je l’ai écrit plus haut, je pense que c’est en partie physiologique. N’étant pas, personnellement, un eurosceptique, je vois mal ce changement en termes négatifs et je ne parlerais pas de soumission. Je crois que l’UE ne doit pas être vue comme un sujet monolithique auquel s’opposer frontalement, mais comme un champ de bataille où disputer des territoires à l’ennemi. C’est un instrument, certes imparfait, mais qu’il faut essayer d’utiliser. En ce sens, je crois que l’évolution de Meloni est intelligente. Mais je ne veux pas donner l’impression d’être trop optimiste : la possibilité qu’elle ne nous ramène aucun résultat est élevée. Je crois cependant que cette modalité est préférable à celle de Salvini qui a toujours critiqué l’UE mais n’a jamais vraiment lutté pour porter ses requêtes à Bruxelles. Le mécanisme par lequel on déserte les tables où sont prises les décisions pour ensuite aller pleurer parce que ces décisions prises sont contraires à l’intérêt de l’Italie, me semble démagogique et immature.
Breizh-info.com : Giorgia Meloni a ouvertement affiché son atlantisme jusqu’à en paraître belliqueuse. Comment cette prise de position est-elle perçue par les différents mouvements souverainistes ou patriotes italiens ?
Adriano Scianca : Je ne peux pas parler au nom de tous les patriotes italiens, mais il y a en effet une partie de l’univers souverainiste qui, nourri de sympathies acritiques envers la Russie, voit très négativement les positions en matière de politique étrangère de Meloni. Personnellement, je préfère me concentrer sur les perspectives d’avenir. Le véritable taux d’atlantisme du gouvernement actuel devra être mesuré à la fin de cette guerre : l’Union européenne sera-t-elle capable de jouer de manière autonome la partie diplomatique d’après-guerre ? La dynamique, certes ambiguë et contradictoire, mais non moins réelle, de l’émancipation progressive de l’UE des États-Unis, reprendra-t-elle après la guerre ? Et, dans ce cas, comment Meloni va-t-elle se comporter ? Je pense que c’est là le plus important. N’oublions pas que Steve Bannon, l’ancien conseiller de Trump, avait expressément théorisé d’utiliser le souverainisme, notamment italien, pour saboter tout plan d’indépendance européenne. Et beaucoup de souverainistes étaient tombés dans le panneau, se comportant ensuite comme les champions de l’anti-atlantisme.
Propos recueillis par Audrey D’Aguanno
Source : Breizh-info.com - 15 février 2023