Dugain couc

 

La littérature présente l’immense avantage d’envisager des avenirs proches envisageables sans aussitôt tomber dans ce que le système médiatique d’occupation mentale désigne avec fiel et mauvaise foi le « complotisme ». En 2015, Jean Rolin publiait Les Événements (1), un roman qui se passe en pleine guerre civile en France. Écrivain renommé depuis plus d’un quart de siècle, Marc Dugain se lance à son tour dans l’anticipation politique avec Tsunami.

On lit le cahier intime d’Alexandre qui a accédé cinq mois auparavant d’une manière inattendue pour les experts politiques à la présidence de la République. Ses commentaires témoignent d’un réel désenchantement et même d’une profonde déception. Chef de l’État de 1995 à 2007, deux fois Premier ministre (1974 – 1976 et 1986 – 1988) et dix-huit ans maire de Paris, Jacques Chirac (1932 – 2019) avait l’habitude de dire que « les emmerdes volent en escadrille » pour signifier que l’exercice quotidien du pouvoir attire les ennuis tel un puissant aimant.

 

Contre lui-même et… Poutine

Grâce à son vieil ami d’adolescence Hugo, un surdoué en sciences, Alexandre fait fortune dans un projet ambitieux : le ralentissement du processus de vieillissement humain. Presque par jeu et sur la pression de son entourage professionnel, il se porte candidat à la magistrature suprême et sollicite l’appui des entreprises de la High Tech. Le président voit tomber sur lui une multitude de problèmes. Son épouse Vanessa, stérile, le quitte et prend Hugo pour amant. Avant cette séparation, le couple s’était tourné vers une mère porteuse qui a donné naissance à Alma, la fille biologique d’Alexandre. Quand il a vendu sa société de recherche génétique cofondée avec Hugo, une partie de l’argent se dépose sur un compte bancaire discret d’un paradis fiscal. L’exécution sur le sol national d’une terroriste islamiste qu’il vient d’autoriser s’ébruite. Il apprend que son propre conseiller à l’industrie travaille pour les Chinois. Enfin, Vladimir Poutine est prêt à semer le chaos en France.

L’intrigue semble assez convenue si on n’ausculte pas avec attention ce roman entre les lignes. De cette herméneutique se dégagent deux points déterminants : un bref éclairage de l’arrière-scène de la vie politique d’une part, une inquiétante tendance à la surveillance numérique d’autre part. L’auteur ne craint pas d’être classé parmi les « conspirationnistes ». En 2015, il avait émis l’hypothèse qu’un missile sol – air tiré depuis une base étatsunienne de l’océan Indien aurait abattu le vol Malaysia Airlines 370 en mars 2014. Il n’hésite cependant pas à se montrer complaisant auprès des suppôts médiatiques de l’hyper-classe cosmopolite. Il fait dire à Sénéchal, le secrétaire général de l’Élysée, que « le problème avec les Russes, c’est que l’idée est bonne mais l’exécution, souvent hasardeux ». L’auteur dépeint volontiers un Vladimir Poutine « atteint de la maladie de Parkinson et d’un cancer récurrent à la thyroïde ». Il est toutefois paradoxal qu’aucun journaliste ou romancier occidental n’ose évoquer la décrépitude physique et intellectuelle de Joe Biden. Son attitude contraste avec celle d’un Donald Trump impétueux et énergique.

Le président Alexandre rêve d’« une Europe fortement militarisée, en tout cas au point d’être respectée par tout le monde, bénéficiant de sa propre force de frappe nucléaire et à la pointe de la cyberwar, cette guerre d’un autre type qui permet de paralyser non seulement le système défensif mais aussi l’économie d’un pays. Cette force serait pour moi le préalable à un non-alignement pour sortir de la tutelle des Américains en conservant l’OTAN jusqu’à ce que nous n’en ayons plus l’utilité ». Que des vœux pieux ! Les États européens n’ont aucune envie, ni la moindre volonté d’armer l’actuelle Union dite européenne ou même de la rendre plus souveraine, ce qui impliquerait par ailleurs de nouveaux transferts de souveraineté stato-nationale vers un néant politique. Les crises covidienne et ukrainienne ont permis à la Commission supposée européenne de contourner, voire de violer, les traités européens. Cela n’empêche pas que cette entité continentale impolitique ne soit pas toujours souveraine. Et puis, la souveraineté politique est-elle encore possible à l’heure de la dépolitisation des masses et de leur intense neutralisation ? Surtout si la « démocratie, c’est le règne de toutes les minorités décadentes qui représentent cinq pour cent des gens et quatre-vingts pour cent du temps des médias ! L’Occident est une civilisation qui s’effondre » ?

 

Le crime organisé, paradigme démocratique fondamental

Il faut y ajouter l’emprise considérable de la drogue dans des sociétés occidentales à la spiritualité écartée. « La drogue, c’est un peu la réalité virtuelle de l’ancien monde. Sans elle, Wall Street n’existerait plus, alors tout le monde se satisfait de ce jeu où l’on dépense énormément d’argent et de moyens pour maintenir le trafic à un niveau plus ou moins acceptable. » Les stupéfiants et la toxicomanie sont des instruments efficaces des « révolutions de couleur » à venir. L’ampleur de leur hégémonie, à l’origine encouragée par certains cénacles de l’État profond, « latino-américanise » la partie occidentale du continent européen. Aux Pays-Bas et au Belgique, cartels de narco-trafiquants et maras issus de l’immigration non européenne affrontent déjà des institutions brinquebalantes.

Rejetant toute répression véritable dont le rétablissement de la peine capitale, les régimes dits démocratiques – libéraux sont perméables à l’influence des narcos. « Dans tous les grands pays démocratiques, explique Maurice Bardèche, le système électif, quelles que soient les précautions qu’on prenne, exige énormément d’argent. Les vainqueurs sont presque toujours ceux qui sont appuyés par un appareil efficace et complet comprenant une presse, des permanences, des fonds électoraux abondants, des hommes de main, un affichage présent partout. Les gangs qui procurent aux candidats ces moyens qui leur sont indispensables deviennent leurs maîtres ou leurs complices, quand leurs candidats ont accédé à la position qu’ils briguent (2). »

Maurice Bardèche examine au scalpel la réalité politico-électorale de la France pompidolienne qui s’est aggravée aujourd’hui. « Les empires que la maffia des jeux, celle de la drogue, celle des syndicats, celle des boîtes de nuit, des bars et de la prostitution ont fondés aux États-Unis ont pour équivalent en France les maffias d’affaires, du reste ramifiées elles aussi, touchant à tout et couvrant d’une sorte de réseau aussi fin et aussi complexe qu’une toile d’araignée les milieux les plus divers et qui en paraissent d’abord les plus éloignés, mais dont l’étrange impunité dont elles jouissent pendant des années ne s’explique que par les protections politiques qui les couvrent (3). »

Laissant la pègre dominée des quartiers, voire des villes, les ploutocraties démo-libérales préfèrent surveiller leurs populations au moyen de la dématérialisation des actes de la vie courante. « L’essence de la révolution numérique est d’échanger la liberté contre la sécurité, dit le président. On met des caméras dans les rues, on écoute ton téléphone, on rend intelligents les appareils domestiques, l’idée est bien d’étendre une toile d’araignée sur les individus en leur promettant la quiétude absolue. » Cela signifie susciter de nouveaux confinements sur divers prétextes. Soutiens du président Alexandre pendant sa campagne électorale, les industries de la High Tech cherchent à « pousser les individus à moins de mobilité pour augmenter leur temps de consommation digitale ». Favorable à la voiture autonome ultra-connectée, le président Alexandre favorise en outre « l’enseignement à distance. La distance évite le chahut, l’irrespect et la violence qui ne font que croître dans le système scolaire, ce qui crée une grave pénurie de professeurs ». Il a pu « convaincre les géants du numérique de rémunérer une partie des données émises par les jeunes en leur promettant toujours plus de big data… » si bien qu’il a maintenant l’intention d’instaurer « un revenu digital universel minimum pour les jeunes ». On devine toutefois que « dans notre modèle ultra-libéral, ce n’est pas [le président] qui [commande], ce n’est pas le peuple non plus, ce sont les grandes multinationales qui méprisent l’État ».

 

Le motif environnemental

À partir de ces considérations qui relativisent son autorité et sa personne, le président Alexandre sait que l’avenir « n’est pas au libre arbitre, ni à l’esprit critique structuré par la connaissance : il est à la servilité croissante de l’individu, au mieux dans l’illusion de sa liberté, et le métavers est la consécration de tout ça. Il donne à chacun l’opportunité de vivre une autre vie que la sienne dans la sphère digitale, ce qui présente l’énorme avantage de le faire doucement renoncer à changer le vrai monde ». C’est dans cette perspective qu’il dépose un projet de loi très vite surnommé « Prison verte ».

Ce texte plus que controversé permettrait, « par l’utilisation poussée de la technologie digitale, d’entrer dans une phase décisive de la lutte contre le réchauffement climatique qui […] est une urgence absolue ». De quoi s’agit-il ? « Tout ce qui concerne les actes d’un citoyen peut être recensé, collecté et traité par un algorithme, qu’il s’agisse d’achats de biens de consommation, de dépenses d’énergie, d’eau, de déplacements, et tous ces actes créent des données que l’on peut traiter. Raison pour laquelle il est simple d’établir un bilan carbone individuel et donc une responsabilité tout autant individualisée dans la contribution de chacun au réchauffement climatique et à la dégradation de l’environnement. » Ainsi, « les citoyens seront informés des conséquences de leurs actes […] jusqu’à l’établissement d’un bilan carbone et hydrique de chacun synthétisant l’ensemble de ses consommations. Le comportement du citoyen consommateur sera celui d’une personne informée puisque chaque produit vendu devra afficher son bilan carbone. Cela permettra en fin d’année de comparer ce bilan individuel à une norme que nous allons fixer et qui donnera lieu à un bonus fiscal ou, dans le cas contraire, à un malus fiscal. Il faut viser le consommateur… et le rendre vertueux. Et on appellera ça le passe environnement individualisé ». Il va de soi qu’en raison de l’aide crucial apportée par les entreprises de la nouvelle industrie numérique pendant la campagne électorale, est « exclu du calcul carbone individuel le temps d’utilisation des écrans, de tous les écrans, téléphones, ordinateurs ». Le dessein officiel est donc d’« imposer l’individu en fonction de son impact sur l’environnement [qui] est une véritable réforme ». Dans les faits, comment s’appliquerait ce passe ? On n’en saura rien; l’auteur n’offre aucun détail. On peut imaginer que ce soit avec une puce électronique sous-cutanée, son téléphone intelligent portatif ou bien sa carte bancaire, ce qui suppose au préalable la fin de l’argent liquide.

Le projet de loi « est un pas vers ce que la Chine a mis en place : un crédit social, où le citoyen est noté pour tous ses faits et gestes pour être ensuite récompensé ou réprimandé ». Comment faut-il donc comprendre le modèle chinois ? « C’est l’avènement d’un homo economicus satisfait par le développement économique et qui échange le mirage de la liberté d’expression, cette valeur illusoire, contre la prospérité assurée par le parti. » Un rapport d’information du Sénat français envisage la possibilité d’un contrôle social inspiré de l’exemple chinois (4). Les objets connectés chez soi pourraient devenir d’excellents mouchards. Le 5 juillet dernier,le Parlement français a adopté en première lecture un projet de loi qui autorise les services de sécurité à activer à distance les téléphones et d’autres objets connectés afin de tracer des individus dans le cadre d’enquêtes judiciaires pour les crimes et délits passibles de cinq ans au moins d'emprisonnement. Résultat d’une imagination débordante ? Le 24 août dernier, le gouvernement autrichien de coalition conservatrice - verte a offert une année de gratuité dans les transports publics aux individus à tous ceux qui accepteraient de se faire tatouer « Klimaticket », du nom du programme fédéral de transports publics. L’accoutumance est dès à présent lancée !

Ces quelques éléments extraits de l’actualité montrent que par-delà la fiction – dystopique -, les sociétés ultra-informatisées postmodernistes de la planète se dirigent progressivement vers une période de flicage total et d’hyper-artificialisation des relations humaines tant personnelles que collectives. L’heure de l’homme-machine arrive, mais ce n’est pas celui pensé par René Descartes et La Mettrie.

GF-T

Notes

1 : Jean Rolin, Les Événements, POL, 2015.

2 : Maurice Bardèche, « Maffias et démocraties », Défense de l’Occident, n° 98, août – septembre 1971, dans La mafia des démocraties, Kontre Kulture, 2023, p. 88.

3 : Idem.

4 : Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur les crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés rendu public le 3 juin 2021, en ligne sur https///www.senat.fr/rap/20-673/r20-6731.pdf

  • Marc Dugain, Tsunami, Albin Michel, 2023, 272 p., 21,90 €.
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