Le niveau scolaire des élèves français est en baisse : comment inverser la tendance ? Enjeux et perspectives de l’Éducation nationale.
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L’Éducation nationale est là pour faire progresser les élèves. Mais c’est tellement évident qu’elle l’oublie et fait passer l’objectif de « la mixité sociale » avant la progression du niveau. Bref elle court deux lièvres à la fois et n’en n’attrape aucun : le niveau baisse et la ségrégation sociale augmente.
Alors pourquoi le niveau scolaire des jeunes Français baisse et surtout comment le faire remonter ?
Analysons l’organisation de l’éducation nationale, le Mammouth dénoncé par l’ancien ministre Claude Allègre, au lieu de blâmer les parents d’élèves de vouloir le meilleur pour l’éducation de leurs enfants.
Un constat d’échec : le niveau baisse
Le niveau baisse ! Longtemps considéré comme une réflexion nostalgique de seniors ayant oublié leur propre scolarité, ou par des modernes résignés à ce que les connaissances des jeunes portent désormais sur bien d’autres choses que celles de leurs parents, c’est maintenant un fait établi.
Les comparaisons internationales et les constatations des employeurs l’illustrent. Les entreprises sont de plus souvent plus souvent obligées de faire appel à des professionnels pour perfectionner le français et les mathématiques des nouveaux embauchés.
Selon le rapport « L’Europe de l’éducation en chiffres », en France « environ 21 % des élèves âgés de 15 ans n’ont pas un niveau suffisant de compétences en compréhension de l’écrit, culture mathématique et culture scientifique… ».
De son côté, dans son étude publiée en décembre 2021 « Une école plus efficacement organisée au service des élèves », la Cour des comptes constate que la France dépense plus pour l’éducation que la moyenne des pays de l’OCDE.
Et pourtant, nos enseignants sont mal payés, les résultats des élèves ont tendance à se dégrader et plus seulement pour les jeunes issus des milieux défavorisés. Alors que l’éducation reste le premier poste de dépense de l’État, « 40 % des élèves en fin de primaire ne possèdent pas les connaissances fondamentales en lecture et en maths qui leur permettraient de suivre une scolarité au collège dans les bonnes conditions » (Source : France stratégie, quelles priorités éducatives ?)
Enfin, la compilation des classements PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) montre une dégradation continue.
Les élèves français seraient-ils moins doués que leurs camarades dans le monde ? Leurs enseignants seraient-ils moins performants ?
Ou est-ce le système éducatif français et son organisation actuelle qui peinent à former la jeunesse française ?
Nous allons examiner ce dernier point.
Un enseignement français centralisé
L’enseignement public français a été conçu centralisé et uniforme. Pour matérialiser l’égalité de traitement, les programmes scolaires sont identiques et soumis aux mêmes règles quels que soient les établissements, le profil des élèves qui les fréquentent ou la région dans laquelle ils sont implantés.
Les enseignants sont recrutés par un concours national, débutent dans les zones et les établissements les plus difficiles, progressent à l’ancienneté avant de se retrouver, une fois expérimentés, dans les meilleurs établissements.
Lors de l’établissement de la scolarité obligatoire en 1882, les gouvernements de la Troisième République insistaient sur la nécessité d’unifier une France encore fortement rurale composée d’éléments isolés et d’imposer le français comme langue nationale au détriment des parlers locaux.
Ce n’est qu’au début des années 1980 que l’État, rompant avec cette tradition, engage la décentralisation qui renforce le poids des collectivités locales. Ces dernières ont depuis la responsabilité du fonctionnement matériel, hors dépenses de personnel, et de l’investissement, pour répondre aux besoins locaux.
Cependant, l’État conserve la responsabilité de la pédagogie, de la fixation des programmes nationaux, de l’organisation et du contenu des enseignements.
L’école de la République se rêve l’école de l’égalité des chances et de la méritocratie. En y entrant, s’il se montre capable et travaille, un petit élève français est censé disposer des mêmes chances de réussite, où qu’il se trouve sur le territoire et quels que soient les établissements qu’il fréquente.
Mais l’école n’est pas le seul vecteur d’apprentissage et c’est encore plus vrai aujourd’hui à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. Les origines familiales, le lieu de résidence, le niveau d’éducation des parents, le niveau de revenus ou encore le niveau culturel conditionnent fortement la réussite scolaire.
Cela a poussé certains groupes, des partis politiques puis les gouvernants à vouloir réagir contre cette tendance naturelle. Décrivons d’abord cette réaction avant de voir comment elle interfère avec le niveau de formation des élèves.
L’égalitarisme veut gommer cette diversité
Ce que j’appelle « cette tendance naturelle » expliquant la diversité des élèves est difficile à mesurer du fait des nombreux facteurs en jeu. Mais au lieu de se borner à cette constatation on préfère dire que notre système éducatif reproduit les inégalités sociales et les inégalités sont mesurées par les revenus.
Bref, on fait l’amalgame entre le niveau des élèves et le niveau de revenus des parents. Or les élèves de moins bon niveau ne sont pas nécessairement issus des milieux sociaux à faibles revenus.
Pourquoi ce passage de la constatation d’un état de fait humainement naturel à une dénonciation idéologique ?
D’abord une raison pratique : on sait (en gros) mesurer les différences de revenus mais on ne sait pas mesurer la culture des parents ni les autres déterminants. Il est fréquent en sciences humaines de mesurer ce qui est mesurable en oubliant que ce qui est mesurable n’est pas l’objet de l’étude !
Ensuite une raison idéologique, au sens neutre : pour beaucoup il s’agit de « justice sociale » voire pour certains, de « nécessité révolutionnaire ». Bref cela devient une inégalité à dénoncer et on tombe dans la politique.
En conférence de presse le 26 août 2022 le ministre de l’Éducation nationale a une fois de plus déclaré que l’égalité était sa priorité.
À ce stade, on pourrait penser que nous sommes dans « une revendication de gauche ». Mais en fait cette idée a imprégné l’ensemble du champ politique, en général sincèrement, mais parfois aussi hypocritement lorsque l’on voit les enfants de certains élus des partis de gauche être discrètement dirigés chaque matin vers « un bon établissement », parfois avec voiture et chauffeur de fonction.
La recherche de l’égalité par l’école
C’est dans ce contexte que l’État proclame rechercher davantage de mixité sociale au nom du principe d’égalité : la mise en place de la carte scolaire, l’introduction en 2015 de l’indice de position sociale (IPS) ou encore d’Affelnet.
Ce dernier est l’algorithme qui gère l’affectation dans les lycées de l’ensemble des collégiens de troisième. Il prend en compte notamment le statut de boursier et l’IPS des établissements. Sa réforme à Paris en 2021 aurait fait reculer la ségrégation sociale dans les lycées publics de près de 40 % en deux ans. Bref, c’est une sorte de perfectionnement de la carte scolaire.
De même la création par Science Po Paris d’une filière dédiée aux élèves issus de milieux défavorisés. S’il est excellent de faire découvrir Sciences Po à des milieux où elle n’est pas connue, voire d’aider à la préparation à la sélection d’entrée, il est plus discutable d’assouplir les critères d’entrée pour certaines catégories de la population. On s’approche de la discrimination positive, qui reste une discrimination et pose tant de problèmes aux États-Unis, par exemple en barrant l’accès aux Asiatiques qui ont de « trop bons » dossiers.
Autre initiative : l’attribution des places dans les lycées de manière à y diversifier l’origine sociale des élèves. On peut citer par exemple l’expérimentation menée à Toulouse où 1200 élèves de quartiers difficiles étudient dans des établissements du centre-ville.
Toutes ces initiatives ont en commun d’imposer d’en haut des règles de répartition afin d’atténuer la ségrégation sociale en perdant de vue l’objectif principal qui est la progression des connaissances et du raisonnement.
Or ce qui est imposé d’en haut est mal adapté à certains cas, fait donc ensuite l’objet de correctifs, qui eux-mêmes ne sont pas adaptés partout et de plus compliquent évidemment la procédure.
Mais pourquoi ce désir de mixité sociale qui va à contre-courant des vœux d’une partie importante de la population ?
Mixité sociale et égalité : les arguments en présence
Il y a en premier lieu un argument idéologique : l’égalité est un impératif catégorique. Souvent la discussion ne va pas plus loin et l’on évite de comparer égalité et uniformité ou de réfléchir aux conséquences sur le niveau scolaire.
Il est difficile de s’attaquer à un impératif catégorique. Je vais me borner aux autres arguments parmi lesquels une inégalité d’information, l’existence de codes bloquants ou le manque de formation générale dans certaines filières.
L’inégalité d’information
L’inégalité d’information est un problème réel que j’ai expérimenté personnellement du fait de parents très loin du monde enseignant : je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était l’enseignement supérieur et c’est au moment des résultats du bac de terminale que mon professeur de maths, ravi d’avoir enfin une très belle mention pour sa dernière année de carrière, m’a dirigé vers une bonne classe préparatoire.
J’y ai rencontré des enfants d’enseignants déjà familiers du « concours général ». Ils étaient tellement imprégnés par leur connaissance du système qu’ils supposaient que je l’étais aussi. Ils ne m’ont donc ne rien dit et j’ai dû grappiller des indices. Idem pour le professeur principal qui n’a pas compris ma question « où tout cela mène-t-il ? » et s’est borné à répondre « apprenez votre cours ». Remarquez bien que je parle des enfants d’enseignants et non pas « des riches ». Donc le revenu n’est pas tout.
Mais ce problème d’information est maintenant bien connu, et tant l’administration que de multiples autres organisations veillent à le limiter.
La méconnaissance des codes
Passons à la question des « codes ». Je n’ai jamais vraiment compris ce que ça voulait dire. Certes, Bourdieu et ses disciples s’en sont gargarisés mais ils ne m’ont pas convaincu : si le code c’est savoir placer une bonne citation littéraire, je savais le faire pour l’avoir appris en classe sans être enfant d’enseignant ou de polytechnicien.
Alors quel code ? l’orthographe ? mais ça me paraît justifié et à la portée de tous.
Le poids de la formation dite générale
Quant à l’importance relative de la formation générale, citons l’indignation de Vincent Peillon ancien ministre de l’Éducation nationale sur France Culture : « il y a les 600 000 élèves des lycées professionnels auxquels on a retiré 70 heures d’enseignement général sans que personne n’en parle ».
C’est présenté politiquement comme scandaleux, sans regarder les exemples chez nos voisins suisses ou allemands où loin d’être une voie de garage la voie professionnelle peut mener à la présidence d’une grande entreprise sans passer par l’équivalent de nos grandes écoles dans ces pays.
La vraie question est donc de savoir pourquoi nos lycées professionnels ne font pas de même. C’est en train de changer avec le succès de l’apprentissage qui me paraît être une des réformes récentes les plus importantes.
Enfin, faut-il forcer les élèves à ingurgiter des connaissances dont ils ne comprennent pas l’usage ? L’art d’un enseignant est de motiver, et on cite telle école de Gennevilliers dont les élèves sont devenus fanas de l’apprentissage du latin.
Mais on ne peut exiger un tel don de tous les enseignants. À part les fondamentaux que sont le français et les maths, obliger des élèves à avaler ce dont ils ne voient pas l’intérêt me parait discutable.
Remarquons pour l’instant que des lycées professionnels sont dans le même moule centralisé que le reste de l’enseignement alors qu’en Suisse leur programme est ajusté en permanence et localement par concertation avec les pouvoirs publics et les employeurs.
La mixité sociale semble être devenue l’objectif numéro un
Quel que soit leur camp politique, c’est ce qui ressort des propos des responsables sous la pression intellectuelle et morale des partisans de cette mixité qui trouvent que l’on n’en fait jamais assez.
Je prends l’exemple du mariage de deux collèges voisins, l’un « favorisé », l’autre « difficile ». Une première expérience a été faite pour le XVIIIe arrondissement en 2017 par la ministre socialiste Najat Vaillaud Belkacem, que le ministre actuel Pap Ndiaye veut étendre à 200 collèges.
J’espère que cette expérience sera positive mais en tous cas elle confirme bien cette priorité donnée à la mixité sociale.
Parmi ceux qui trouvent que l’on n’en fait jamais assez, il y a Pierre Merle professeur émérite de sociologie, auteur de Parlons école à qui Le Monde a offert une tribune dans son édition du 20 mars 2023, où il dénonce l’insuffisance de cette action et propose des mesures encore plus vigoureuses de mixité.
Il suggère notamment de localiser les sections spécialisées (internationales, artistiques…) dans les lycées défavorisés et d’obliger le secteur privé à augmenter son pourcentage de boursiers.
Que l’on me comprenne bien : je ne suis pas opposé la mixité sociale, j’ai connu trop de snobs méprisants et (en réaction ?) beaucoup de personnes « défavorisées » faisant preuve de racisme social chargeant « les riches » de tous les défauts. C’est navrant, et tout ce qui va dans le sens d’un décloisonnement de la société est positif.
Mais la mixité sociale ne devrait pas être l’objectif numéro un de l’Éducation nationale qui est d’abord de donner à l’ensemble des Français des outils intellectuels et professionnels.
Résultat de cette priorité au social : une ruée des parents vers le privé
Cette politique se heurte au fait que tout le monde est favorable à la mixité sociale… pour les autres.
Lorsqu’il s’agit de ses propres enfants, la logique individualiste prime.
Tout parent – et c’est un cas de conscience pour les électeurs de gauche – souhaite le meilleur pour son enfant : le meilleur collège puis le meilleur lycée qui lui offrira les meilleures chances d’entrer par exemple dans la meilleure classes prépa et d’intégrer les meilleures écoles. Car tout parent craint que lorsqu’il y a dans une classe des élèves de moins bon niveau, ce dernier soit tiré vers le bas aux dépens des progrès de son enfant.
Or ce que nous avons vu va en sens inverse des vœux des parents qui craignent que les classes hétérogènes nuisent au niveau de l’enseignement de leurs enfants.
Ils sont confortés dans cette conviction par la constatation de la différence de notation lorsque leur enfant passe d’un établissement à classes hétérogènes à un autre de meilleure réputation : tel qui était le premier de sa classe avec de bonnes notes se révèle alors d’un moins bon niveau que ses nouveaux camarades et voit son dossier alourdi par de mauvaises notes. Son propre niveau est donc inférieur à ce qu’il aurait été s’il avait été scolarisé dans ce « bon » lycée.
Pour y échapper, les parents qui élaboraient hier des stratégies de contournement de la carte scolaire se ruent aujourd’hui vers les établissements privés qui concentrent de plus en plus les meilleurs élèves, entretenant le cercle vicieux : davantage de bons élèves et donc de meilleurs taux de réussite à l’examen et davantage de mentions au baccalauréat qui attirent à leur tour les meilleurs élèves chaque année après parution des palmarès des « meilleurs lycées »…
En réaction, les appels à la mixité sociale dans l’enseignement public se doublent souvent de critiques de l’enseignement privé sous contrat, en général catholique, accusé de ne pas en faire sa priorité. Alors qu’il est précisément choisi par de nombreux parents qui n’ont rien de spécialement catholiques pour éviter de voir leurs enfants tirés vers le bas par de moins bons élèves.
Le même genre de querelle explique le développement de l’enseignement privé « hors contrat », relativement cher puisque ne recevant pas d’aide de l’État. Cela illustre l’aspect souvent contre-productif de la priorité à la mixité sociale.
Le secrétaire général du SNUEP-FSU dénonce ces stratégies de contournement des parents : sur les 50 meilleurs collèges d’enseignement professionnel, 45 sont aujourd’hui privés.
Jean-Claude Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire regrette ce qu’il appelle « un séparatisme » qu’il décrit comme « un système par ordre avec d’un côté la noblesse dans l’enseignement général, le tiers état dans les lycées professionnels et même un clergé dans le privé sous contrat. »
Pourtant la baisse du niveau de l’enseignement en France est non seulement dommageable à tous, mais accroît probablement toutes les inégalités en privant les meilleurs des « défavorisés » d’une chance de percer.
Tout cela nous mène à chercher le moyen de redonner la priorité à la progression de chacun, ce qui, en prime, limiterait l’influence des différences sociales.
Ce moyen existe et est analysé depuis longtemps : l’autonomie.
Décentralisation et autonomie ?
Les remarques ci-dessus, les comparaisons avec les systèmes d’éducation des autres pays occidentaux et mon expérience en entreprise conduisent à parler décentralisation et autonomie.
Deux mots tout d’abord sur cette référence à l’entreprise.
Je sais qu’elle sera très mal vue par mes collègues enseignants. Je rappelle que j’étais chef d’entreprise dans la journée et enseignant le soir. Mais quand on a eu l’occasion d’expérimenter quelque chose qui marche, autant témoigner pour en faire profiter les autres !
Décentraliser et autonomiser signifie en l’occurrence laisser aux directeurs d’établissements une marge de manœuvre suffisante pour éventuellement adapter les programmes à leur public et surtout pour recruter des enseignants qui leur soient adaptés.
C’est loin de l’uniformité théorique actuelle mais surtout la question de l’égalité entre les élèves des établissements ne se pose pas puisque chaque établissement est différent.
L’autonomie est notamment une liberté pour faciliter la capacité d’innovation des équipes pédagogiques et éducatives et pouvoir ainsi mieux contribuer à la réussite scolaire de leurs élèves.
L’expérience du privé sous contrat comme hors contrat est justement celle de l’autonomie. Et il y en a de tous les types, des plus élitistes aux plus attentifs à la promotion sociale : La Cordée, exemple d’une école privée hors contrat : ça marche !
La ferme opposition des enseignants
Les syndicats d’enseignants sont opposés à donner de tels pouvoirs aux directeurs d’établissement.
On peut citer l’appel au boycott des équipes de 40 écoles marseillaises, relayé par le SNUipp-FSU13, suite au projet d’Emmanuel Macron et du maire socialiste de Marseille sur « l’école du futur » en septembre 2021.
Ce projet offrait la possibilité aux chefs d’établissement concernés de choisir leurs enseignants : « cela impliquerait la fin d’un mouvement des personnels fondé sur des critères communs […] et inféoderait tout au long de leur carrière les enseignants à des entretiens d’embauche ». (Le Point septembre 2021).
Remarquons qu’il n’est pas question de l’intérêt des élèves qui était pourtant la motivation d’Emmanuel Macron et du maire de Marseille.
Cette opposition ne viendrait-elle pas de la crainte d’avoir un patron, voire que leur carrière soit impactée en cas de conflit ?
Mon expérience de la fonction publique à la direction d’une grande école publique de 200 personnes me fait craindre que cette opposition soit celle des moins motivés par leur travail. Et de toute façon, on se soucie d’éventuels inconvénients pour les enseignants et non de l’amélioration du niveau.
De même encore la réaction à la mesure prévue par le gouvernement de porter à 50 % le temps passé en stage en entreprise : « on ne pourra plus jouer notre rôle social ».
Là aussi aucune considération sur l’adéquation avec un emploi et l’absence de comparaison avec les systèmes suisse et allemand.
L’autonomie, une idée ancienne et largement pratiquée dans l’OCDE
Cette autonomie n’est pas une idée fantaisiste de ma part, comme en témoigne Éric Charbonnier, analyste et expert en éducation à l’OCDE :
« L’autonomie, couplée à une évaluation des établissements, est une pratique de nombreux pays de l’OCDE. Les pays qui réussissent le mieux sont ceux […] où les collèges et lycées disposent d’une part d’autonomie, outil de pilotage ». (Le Monde du 7 décembre 2010).
« S’il y a des inégalités, c’est parce qu’on ne sait pas suffisamment personnaliser les parcours, parce que chaque enfant est différent. Il faut emmener chaque enfant au meilleur de lui-même » expliquait Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale au micro de RTL en mai 2019.
Cette autonomie a été expérimentée depuis 30 ans avec des Charter Schools aux États-Unis, les Academies au Royaume-Uni, ou des Fristående Skolor en Suède.
Ces écoles sont financées par le public mais bénéficient d’une large autonomie en termes d’allocation de budget, de projet pédagogique, de recrutement, etc., un peu sur le modèle de l’enseignement « privé sous contrat » français.
Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire dans un article d’Administration & Éducation (2015) rappelle :
« En France, l’autonomie n’est pas une idée récente. Une relecture des textes officiels de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle montre qu’il y a plus d’un siècle une réflexion très poussée a été conduite, non seulement sur l’intérêt d’accorder une autonomie aux établissements scolaires mais aussi sur les conditions dans lesquelles devait s’exercer cette autonomie ».
Cependant, pour éviter toute guerre idéologique il précise que l’autonomie n’est pas un objectif en soi mais un moyen pour plus d’efficacité et donc d’égalité.
En prime, une meilleure insertion professionnelle après la scolarité
Si on en juge par l’expérience suisse et allemande, cette décentralisation et cette autonomie permettent une concertation avec l’administration, la société civile et les employeurs locaux, facilitant leur emploi au pays.
Je ne suis pas le seul à le penser.
Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) affirme :
« Si l’Éducation nationale et les lycées professionnels s’adaptent à la demande des chefs d’entreprise dans les bassins d’emplois, nous ne pouvons que nous en réjouir ».
Souâd Ayada, ancienne présidente du Conseil supérieur des programmes l’approuve également :
« Assurément, notre école ne doit pas détourner les jeunes gens du monde tel qu’il va et elle doit donner le goût du travail et aiguiser la volonté de trouver sa place dans la société. »
De plus, en tant qu’employeur puis directeur d’une école de management, j’ai personnellement constaté que contrairement aux idées reçues les employeurs apprécient la culture générale et l’esprit critique : même dans les emplois peu qualifiés, « un imbécile » pose des problèmes.
Il est dommage que les enseignants que je connais évacuent trop vite le problème en lançant des formules générales du genre « nous ne sommes pas là pour ça », ce qui ne fait qu’accroître la méfiance des élèves et des parents.
Je suis frappé de voir de plus en plus d’enseignants se plaindre des parents et réciproquement.
Il me semblerait pourtant normal que l’enseignant explique régulièrement l’utilité de son enseignement comme par exemple : « comprendre les autres », « savoir s’exprimer » ou résoudre des petits problèmes quotidiens avec les mathématiques, la physique et la chimie. Et plus généralement qu’il soit davantage à l’écoute.
En conclusion
Ne perdons pas de vue que l’objectif de l’Éducation nationale doit être… l’éducation nationale.
C’est-à-dire d’abord la culture de l’esprit critique et les connaissances nécessaires pour l’adaptation au monde tant pour la vie privée que pour la vie professionnelle. Cela commence par l’acquisition des fondamentaux : lire, écrire, compter.
L’égalité des chances ne peut être qu’un objectif second qui ne doit pas sacrifier le premier, d’autant qu’à mon avis, l’amélioration du niveau donnera sa chance à beaucoup de « défavorisés ».
N’oublions pas que le clivage ne correspond que partiellement à une question de revenus et bien davantage à l’engagement des parents.
Un argument supplémentaire est qu’il est de l’intérêt à la fois du pays et des élèves que la scolarité apporte des qualités professionnelles permettant l’intégration dans la société, et de préférence au pays, c’est-à-dire dans l’environnement local.
C’est justement ce qui se passe en Suisse, qui fait participer les employeurs locaux aux objectifs de l’enseignement de leur ville. Malheureusement une partie du corps enseignant français est hostile au fait de travailler pour le patronat. Toutefois je remarque que cet a priori semble s’affaiblir.
Par contre, les élèves qui sont loin des controverses sur « comment développer un esprit critique » trouvent très important que leur scolarité les aide à trouver un emploi.
De toute façon, j’estime personnellement que développer des aptitudes professionnelles et l’esprit critique n’est pas contradictoire : de plus en plus d’employeurs apprécient un œil neuf sur leur activité et la créativité qui l’accompagne.
Finalement, beaucoup d’arguments convergent vers la fin de l’uniformité, qui passe elle-même par une certaine autonomie.
Alors pourquoi ces réticences ?
À mon avis parce que de nombreux cadres supérieurs de l’institution ainsi que de nombreux enseignants ont été formés dans une optique d’uniformité qu’ils confondent avec l’égalité. Or l’égalité est profondément enracinée dans les mentalités françaises et notamment dans l’électorat, ce qui incite les hommes politiques à la prudence, quitte à sacrifier l’avenir des jeunes et celui du pays.
Y. Montenay - 11 avril 2023
Source : Contrepoints