ÉDITORIAL LA GUERRE CULTURELLE
Il m'est souvent reproché de mettre côte à côte, de jumeler un mot noble ("culture") et un mot sale ("guerre"). Ceux qui me font ce reproche ont en commun, quelles que soient par ailleurs leurs appartenances diverses, cet esprit bourgeois (au sens où Werner Sombart entend ce terme) qui n'est pas lié à une appartenance sociale mais reflète une mentalité - la soumission au conformisme ambiant et à l'idéologie dominante.
Donc, je persiste et signe. Car les sociétés sont façonnées, aujourd'hui comme il y a deux mille ans, par la guerre culturelle. Autrement dit par l'affrontement de conceptions du monde antagonistes, qui se livrent un combat violent ou feutré, selon les circonstances, en utilisant les armes les plus diverses, du programme enseigné en maternelle aux feuilletons télévisés chargés de diffuser un message politiquement correct, en passant par cette entreprise d'ahurissement, de destruction du goût et de l'intelligence que les cultureux appellent art contemporain.
Conceptions du monde antagonistes, qu'est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que le combat décisif se déroule entre le camp identitaire et le camp cosmopolite. Il y a longtemps, l'empereur Titus a fait dresser sur le forum un arc pour célébrer sa victoire : la victoire de l'Occident sur l'Orient. Depuis, l'Orient veut prendre sa revanche. En voulant plier les peuples de la forêt aux lois des peuples du désert - pour reprendre une référence mise en avant par Renan. Le processus semble aujourd'hui en bonne voie. Par médias interposés, les peuples européens sont soumis en permanence au chantage de professeurs de morale autoproclamés : que l'Europe se repente enfin de son péché d'orgueil, ce péché insupportable qu'elle commet depuis des millénaires en affichant une identité culturelle qui fait injure aux autres continents et doit aujourd'hui se dissoudre - enfin ! - dans un mondialisme bienfaisant, puisque destructeur des différences. Endormez-vous, peuples d'Europe, ne pensez plus à rien... Big Brother veille et pense pour vous. Et il est tellement plus reposant de ne plus décider, de ne plus être responsable, de ne plus avoir à porter le fardeau de l'homme blanc.
A ce conditionnement mental des populations, le monde politicien collabore activement. Droite et gauche confondues, bien entendu. Ainsi, dans un livre apologétique opportunément sorti au lendemain de son élection comme maire de Lyon, le socialiste Gérard Collomb "s'y pose en chantre du changement culturel synonyme de métissage et de multiculturalité", ainsi que s'en réjouit l'hebdomadaire de gauche Prospective Rhône-Alpes. Collomb avait pour lui, outre le soutien à peine discret de Raymond Barre, les décideurs culturels et économiques de la région lyonnaise, acquis au mondialisme - certains par conviction, d'autres par intérêt, d'autres encore pour avoir l'air intelligent et être bien notés dans les médias. Cette coalition de lobbies culturels et de lobbies économiques est révélatrice : mondialisme culturel et mondialisme économique font bon ménage, chacun apportant son pouvoir d'influence spécifique.
Bien entendu, la droite fournit sa pierre : exemplaire est un Madelin, ancien militant d'Occident, aujourd'hui ardent thuriféraire d'une France "plurielle", multiculturelle. Il a fait, comme tous les autres, repentance. Seuls les naïfs s'en étonneront.
Mais cessons de faire du nombrilisme franco-français, qui a quelque chose de dérisoire et de choquant au moment où des tragédies sont révélées en direct chaque soir sur les écrans de télévision, entre les résultats du loto et ceux du tiercé.
En réponse aux jets de pierres, les gosses palestiniens sont hachés par les mitrailleuses, les obus et les bombes israéliens. Le peuple berbère se bat pour son identité, comme il l'a fait depuis deux mille ans contre les occupants successifs de sa terre. Et là aussi le sang coule. En Afghanistan, les fous d'Allah ont détruit des chefs d’œuvre de l'art bouddhique et exigent que les infidèles - en l'occurrence les hindouistes - portent une marque jaune, signe de leur sous-humanité au regard des sectateurs de Mahomet. Les Occidentaux manifestent une vertueuse indignation. Et ne lèvent pas le petit doigt. Où est donc le droit d'ingérence, si cher à Kouchner ? Le droit d'ingérence, c'est juste bon à servir de prétexte pour flinguer du Serbe, avec la bénédiction de la conscience universelle...
Pendant ce temps-là, en France, les minables sont agglutinés devant Loft Story. Cela fait beaucoup de monde... Est-ce cela, la France ? Sans doute une certaine France. Mais alors ce pays-là n'est pas le nôtre.
Et voilà peut-être la conclusion à laquelle il nous faut arriver, lorsque nous parlons de guerre culturelle. Cette guerre met en évidence une réalité sans doute pénible à admettre mais qu'il faut regarder en face, lucidement. Il y a désormais, sur le sol français, deux types de populations : celles, très majoritaires, qui se soumettent au modèle de société imposé par le système en place, que ce soit sur le plan politique, économique, culturel, philosophique ; et les autres, constituées de ces gens que le dernier numéro de la revue Éléments (àlire absolument) appelle "les rebelles". Le mot est beau, tel que le définit Robert de Herte dans un éditorial lumineux : "Le rebelle est celui qui ne cède pas, dédaignant ce qu'on lui fait miroiter : honneurs, intérêts, privilèges, reconnaissance. A la table de jeu, il est celui qui ne joue pas le jeu : l'esprit du temps glisse sur lui comme l'eau sur les canards". Dans le même esprit, Jean Mabire a coutume de résumer ainsi sa vision des choses qui est, bien sûr, aussi la nôtre : "Nous ne savons pas si nous changerons le monde, mais nous savons qu'il ne nous changera pas".
Tout est dit, magnifiquement. Nous connaissons donc la voie à suivre. En son temps, Maurras opposait pays légal et pays réel. Le constat est plus valable que jamais : il y a, sur notre sol, cohabitation de deux mondes qui n'ont rien en commun : la société institutionnelle et les communautés charnelles. A nous de faire vivre celles-ci, en faisant naître et agir des réseaux de partisans. Car la guerre culturelle est une guerre de partisans. Une guerre qu'il s'agit de faire avec sérieux, efficacité, lucidité, en refusant le pathos incantatoire, irresponsable, qui tient lieu trop souvent de réflexion. Être des activistes, oui. Des agités, non.
C'est pourquoi, pour célébrer les noces de l'imaginaire et de l'action, nous chantons dans ce numéro l'âme de l'Europe celte. Sans oublier qu'en faisant monter la flamme du solstice nous sommes aussi en communion avec Delphes, Héligoland et les forêts de l'Oural.
P. VIAL