LE VENT SE LEVE A L'EST
Un aveu est toujours intéressant, car révélateur d'une mentalité profonde, d'un univers mental, d'une identité. C'est le cas lorsque Alexandre Adler écrit dans Courrier international(n°483, 3 février 2000), au sujet de Jörg Haider : "Juif germano-danubien, toute l'activité réflexe de mon cerveau inférieur, reptilien, est concentrée sur les moyens d'identifier, de cerner et d'éliminer physiquement si possible le type humain que représente ce monsieur". Vous avez bien lu . "d'éliminer physiquement si possible le type humain..." Il faut s'appeler Adler pour pouvoir se permettre, aujourd'hui, en France, ce genre de déclaration.
La chasse est donc ouverte, par décret d'un "aigle" (cela ne s'invente pas : Adler signifie "aigle" en allemand!) qui se définit lui-même - et nous lui laissons la responsabilité d'un tel référent ethnique - comme un "juif germano-danubien", ce qui lui donne évidemment, en soi, toute légitimité pour dire où est le Bien, où est le Mal. Ce qui suppose une relecture de l'histoire récente, afin de mettre en perspective l'abomination de la désolation, c'est-à-dire Haider. Ainsi Adler évoque-t-il avec nostalgie le bon temps des années 60 : un peu partout en Europe centrale, après l'écroulement du stalinisme, "un même vent de libéralisation, et bien entendu de philosémitisme habsbourgeois, embrassait alors Vienne, Prague, Budapest et Zagreb". Brève, trop brève éclaircie, hélas... Car, se lamente Adler, depuis le début des années 90 tout va mal. N'a-t-on pas vu, en effet, se produire une révoltante montée en puissance du réflexe identitaire - ce qu’Adler appelle "la poussée de nationalismes minuscules et meurtriers en Croatie et en Bosnie, stupides en Slovaquie, bureaucratiques en République tchèque et parfois hautains et abrupts à Budapest". Adler n'a bien sûr que mépris pour "cette avalanche de bêtise identitaire".
Prétentieux comme peut l'être un besogneux qui a réussi par son entregent et ses alliances familiales à se faire passer pour un éminent spécialiste, Adler se drape dans le rôle de l'intellectuel engagé, distribuant bons et mauvais points. Avec consternation, quand il faut fustiger l'électorat populaire autrichien qui a tourné le dos aux socialistes : "Venons au plus douloureux : les ouvriers de Vienne qui ont voté Haider contre ces fils d'ouvriers enrichis, passés sans transition à la gauche caviar, que sont les Vranitzky, Klima, Rudas, qui ne leur ressemblent plus, ont ainsi tué le père austro-marxiste, qui les avait élevés, le père juif évidemment, Bruno Kreisky".
Il y a ainsi quelque chose d'obsessionnel dans la prose d'Adler et nous lui laissons la lourde et dangereuse responsabilité de donner à une question purement politique une telle connotation ethnique. Ce que l'on retrouve d'ailleurs chez d'autres censeurs de l'actualité autrichienne. Le cas de Nicole Bacharan, qui enseigne à l'Institut d'Études Politiques de Paris, est ainsi exemplaire. Dans une tribune publiée par Le Monde du 15 février, elle pourfend "l'Autriche névrosée par ses mensonges".
Une Autriche où, à l'en croire, l’antisémitisme est endémique. Alors que, affirme-t-elle, "la Vienne que nous aimions, celle de Freud, Klimt, Schönberg, Schnitzler, Roth, Musil et Zweig (qui s'est suicidé en 1942, désespéré de voir son monde anéanti) est essentiellement juive". Il y a quelque chose de raciste dans ce manichéisme qui consiste à distinguer d'une part une bonne Autriche, "essentiellement juive", et d'autre part une mauvaise Autriche, celle d'un peuple obligatoirement marqué par une culpabilité collective remontant à une époque dont on veut à toute force ressusciter les fantômes. En parlant d'une "Autriche névrosée", Madame Bacharan souffre à l’évidence, comme Monsieur Adler, d'une névrose apparentée à un délire monomaniaque. Cela se soigne.
A vrai dire, les Autrichiens se soucient de ces élucubrations de pseudo-intellos parisiens comme de leur première culotte de cuir. Quant à nous, il ne s'agit pas de manifester une admiration béate, inconditionnelle et irraisonnée à l’égard du phénomène Haider, qu'il faudra juger à ses actes. Mais certains aspects du phénomène sont d'ores et déjà très positifs : l’appui populaire, la dimension identitaire, la volonté manifestée par Haider de lier combat politique et combat culturel, en promouvant une culture populaire comme il le fait déjà depuis plusieurs années en Carinthie (ce qui suscite - c'est bon signe - la fureur, en France, des cultureux déracinés style DRAC).
Pendant ce temps, au cœur de notre grande patrie eurosibérienne, la Russie affirme sans complexe sa volonté de faire barrage à l’invasion islamique en réduisant l’abcès tchétchène. Au grand dam des grandes consciences occidentales, toujours prêtes à bénir les rasoirs qui les égorgeront un jour (ce qui, disons le tout net, ne nous tirera aucune larme). Menacés par le poison de l’occidentalisation, les peuples slaves gardent peut-être suffisamment de grande santé pour avoir un réflexe de survie, en envoyant paître les professeurs de morale et les prédicateurs de renoncement et de repentance.
Notre espoir, c'est que le soleil se lève à l’Est. Comme le rêvait Drieu La Rochelle, avant de faire un dernier bras d'honneur aux inquisiteurs. Ce soleil, il peut être l’étendard des armées de partisans, des armées de libération qui sont prêtes aujourd'hui à se mobiliser - même s'il ne s'agit encore que de quelques groupes de femmes et d'hommes, n'ayant pour armes que leur foi et leur détermination. Que les puissants du jour prennent garde. Aussi vrai que la foi peut déplacer des montagnes, la volonté de quelques-uns peut être l’étincelle qui met le feu à la plaine.
De l’Autriche à l’Andalousie (n'est-ce pas, José ?), de la Bavière à la Padanie, de la Bretagne à l’Alsace, de l'Irlande à la Russie se lèvent les partisans identitaires. Courage, camarades. On les aura.
Pierre VIAL