L’Europe: un terrain de jeux de guerre pour la stratégie américano-otanienne
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En 2020, la mobilité terrestre des personnes dans l’Union européenne a été paralysée par les verrouillages, principalement à la suite du blocus du tourisme. La même chose s’est produite dans la mobilité aérienne: selon une étude du Parlement européen (mars 2021), elle a subi une perte nette de 56 milliards d’euros et 191 000 emplois directs, plus d’un million dans les industries connexes. En 2021, la reprise s’annonce très problématique. Un seul secteur a fortement accru sa mobilité en allant à l’encontre de la tendance: le secteur militaire.
En ce moment, environ 28 000 soldats passent d’un pays à l’autre en Europe avec des chars et des avions: ils sont engagés dans Defender-Europe 21, le grand exercice de l’armée américaine (et non de l’OTAN) en Europe impliquant 25 alliés et partenaires européens. L’Italie y participe non seulement avec ses forces armées, mais en tant que pays hôte. Dans le même temps, l’exercice Steadfast Defender de l’OTAN est sur le point de commencer, mobilisant plus de 9 000 soldats américains et européens, dont des soldats italiens. Il constitue le premier test à grande échelle des deux nouveaux commandements de l’OTAN: le Joint Force Command, avec son quartier général à Norfolk (USA), et le Joint Support Command avec son quartier général à Ulm (Allemagne). La «mission» du Norfolk Command est de «protéger les routes atlantiques entre l’Amérique du Nord et l’Europe» qui, selon l’OTAN serait menacée par les sous-marins russes; la «mission» du commandement d’Ulm est «d’assurer la mobilité des troupes à travers les frontières européennes pour permettre un renforcement rapide de l’Alliance sur le front de l’Est», menacée par les forces russes d’après l’OTAN.
Pour cette seconde «mission» l’Union européenne joue un rôle important, car l’armée américaine a demandé la création d’un «espace Schengen militaire». Le plan d’action sur la mobilité militaire, présenté par la Commission européenne en 2018, envisage de modifier «les infrastructures (ponts, voies ferrées et routes) qui ne sont pas adaptées au poids ou à la taille des véhicules militaires lourds». Par exemple, si un pont ne peut pas supporter le poids d’une colonne de réservoir de 70 tonnes, il doit être renforcé ou reconstruit. Après avoir alloué une dotation initiale d’environ 2 milliards d’euros à cet effet, en deniers publics soustraits des dépenses sociales, les ministres de la Défense de l’UE (Lorenzo Guerini pour l’Italie) ont décidé le 8 mai d’impliquer les Etats-Unis, le Canada et la Norvège sur le Plan de mobilité militaire de l’UE. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, présent à la réunion, a souligné le fait que «les Alliés non membres de l’UE jouent un rôle essentiel dans la protection et la défense de l’Europe». Ainsi, l’OTAN (21 pays de l’UE sur 27 sont membres de l’OTAN), après avoir chargé l’UE de mener et de financer la restructuration des infrastructures européennes à des fins militaires, prend en fait la gestion de la «Espace Schengen militaire».
Dans la région européenne transformée en terrain de parade, l’adaptation des infrastructures à la mobilité des forces US / OTAN est testée dans des essais de guerre incluant «le déploiement de forces terrestres et navales d’Amérique du Nord vers la région de la mer Noire». Ils servent – selon les propos de M. Stoltenberg – à «démontrer la capacité et la volonté de l’Otan à protéger tous ses alliés de toute menace». Le type de «menace» a également été déclaré par les ministres des Affaires étrangères du G7 (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie et Japon), qui se sont réunis le 5 mai à Londres. Les sept ministres (Luigi Di Maio pour l’Italie), renversant les faits, ont accusé la Russie de «comportement irresponsable et déstabilisateur, annexion illégale de la Crimée, regroupement des forces militaires à la frontière ukrainienne, utilisation d’armes chimiques pour empoisonner les opposants, activités malveillantes visant à saper le système démocratique d’autres pays, menacent l’ordre international fondé sur des règles». Le fait que le G7 ait formulé ces accusations avec les mêmes mots utilisés par le Pentagone et répétés par l’OTAN, confirme l’existence de la même matrice dans la stratégie de tension poussant l’Europe dans une situation de plus en plus dangereuse.
Manlio Dinucci (Italie)
Les services secrets allemands perscutent la maison d’édition Antaios et la Nouvelle droite.
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Fahrenheit 451 est le titre d’un roman de l’écrivain américain Ray Bradbury publié en 1953. Au sein de cet ouvrage, qui est à l’origine du film de science-fiction britannique éponyme sorti en 1966 et réalisé par le cinéaste français François Truffaut, les pompiers ne sont plus chargés d’éteindre les incendies, mais de détruire les livres, car ces derniers sont considérés comme un danger pour le système politique en place qui prétend, afin de les interdire, que les livres nuisent au bonheur et engendrent des inégalités sociales et des conflits entre citoyens.
451 degrés Fahrenheit, soit 232,78 degrés Celsius, est la température à partir de laquelle le papier s’enflamme spontanément, sans devoir rencontrer une flamme externe.
Le scénario du livre et du film relève désormais de moins en moins de la science-fiction. En effet, la répression judiciaire et sociale frappant à travers l’Europe occidentale les écrivains dissidents s’étend sans cesse. Désormais, les éditions Antaios, de l’éditeur allemand de la « Nouvelle droite » Götz Kubitschek, sont déclarées « cas suspect » par les services secrets allemands.
Ce mardi 15 juin 2021, le ministre fédéral allemand de l’Intérieur, des Travaux publics et de la Patrie, le social-chrétien bavarois Horst Seehofer (CSU), et le président de l’Office fédéral de protection de la Constitution Thomas Haldenwang ont présenté le rapport annuel 2020 de cette officine.
La tendance intellectuelle dénommée « Nouvelle droite » fait, cette année, son entrée dans le rapport de l’Office de protection de la Constitution, en tant que catégorie. Horst Seehofer déclare que la « Nouvelle droite » vise à « introduire ses idées dans le discours politique avec un revêtement pseudo-intellectuel et à repousser les limites de ce qui peut être dit ». Sont repris au sein de cette catégorie : le mouvement identitaire, le magazine Compact dirigé par Jürgen Elsässer, l’Institut pour la politique d’État (Institut für Staatpolitik – IfS) qui se trouve dans l’orbite de Götz Kubitschek, l’agence de propagande nationaliste EinProzent et le blog anti-islamisation PI-News.
Thomas Haldenwang a confirmé la surveillance des éditions Antaios. Une des raisons de celle-ci est constituée par les liens existants entre la maison d’édition et l’aile nationaliste de parti patriotique allemand Alternative pour l’Allemagne (AfD), désormais autodissoute. Le numéro un de cette aile, Björn Höcke, lecteur d’ouvrages des éditions Antaios, a déclaré que ceux-ci constituent pour lui une « manne spirituelle ».
Ironie de l’histoire, les éditions Antaios ont publié en 2020 un ouvrage collectif intitulé Das Buch im Haus nebenan (Le livre dans la maison d’à côté). Les auteurs présentent chacun divers ouvrages célèbres dont la lecture les a marqués. Dans l’introduction, Götz Kubitschek et sa femme Ellen Kositza se réfèrent à l’ouvrage Fahrenheit 451 au sein duquel Ray Bradbury fait dire lors d’une conversation-clé au capitaine des pompiers Beatty : « Le livre dans la maison d’à côté est comme une arme lourdement chargée. »
Parmi les auteurs publiés par les éditions Antaios figurent le « Pape » de la Nouvelle droite française Alain de Benoist, ainsi que Jean Raspail, l’auteur du Camp des Saints.
Lionel Baland
Ouvrage :
Götz Kubitschek et Ellen Kositza (sous la direction de), Das Buch im Haus nebenan, Antaios, Schnellroda, 2020.
Autres articles sur le sujet :
https://www.breizh-info.com/2020/09/28/151142/gotz-kubitschek-nouvelle-droite-allemagne/
https://www.breizh-info.com/2020/10/03/151519/les-services-de-renseignement-allemands-persecutent-les-nationalistes-et-leurs-structures-tant-politiques-quintellectuelles/
https://www.breizh-info.com/2021/03/17/160771/allemagne-recul-de-lafd-lors-de-deux-elections-regionales-jurgen-elsasser-estime-que-le-seul-espoir-reside-dans-la-resistance-extraparlementaire/
https://www.breizh-info.com/2021/05/11/164060/les-services-secrets-allemands-accentuent-leur-pression-sur-les-patriotes/
Sources : Breizh-info.com
Rites et légendes de la chasse médiévale
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Jadis unique moyen de survie, la chasse est devenue, au fil du temps, un substitut de la guerre, avant d'être ravalée au rang de passe-temps. Au Moyen Age, elle est tout cela à la fois : elle est omniprésente, elle hante les esprits et la vie quotidienne, elle s'impose en images violentes, ineffaçables et profondément symboliques.
En un temps où les terres d’Europe étaient couvertes de forêts immenses où pullulaient loups, cerfs et sangliers, alors que les champs étaient avares et les troupeaux fragiles, la chasse était partout une nécessité vitale. Elle assurait souvent la survie du paysan de cette époque et constituait toujours un appoint de nourriture important. Elle était indispensable pour détruire les écureuils, les lapins ou les oiseaux qui menaçaient les cultures. Pièges, trappes, filets et lacets fournissaient aux pauvres les moyens de leur chasse, celle du gros gibier leur étant rapidement interdite, avec une exception pour les loups, véritable fléau pour la sécurité des troupeaux.
Nous connaissons les premiers éléments de la réglementation cynégétique par l'ordonnance établie en 648 par Dagobert à propos de la forêt royale des Ardennes ; celle-ci devint alors un territoire réservé aux chasses de la Cour, et ce privilège s'étendit ensuite à d'autres forêts, toujours plus vastes et plus nombreuses, les seigneurs s'arrogeant au fil des siècles les mêmes prérogatives sur leurs terres. Le menu peuple se vit progressivement privé du droit de chasse mais se vit cependant reconnaître la liberté de détruire le petit gibier, nuisible aux cultures. Tout au long du Moyen Age, la noblesse chercha à se réserver le privilège de la chasse, comme elle l'avait fait de l'art de la guerre, au détriment des vilains. Elle n'y parvint pas tout à fait dans la mesure où la chasse demeura toujours nécessaire aux manants. Seule la noblesse de Bigorre parvint à priver les « rustres » du droit de chasse dès le XIIe siècle.
La tentative d'accaparement fut cependant générale, rois, princes et barons se réservant des territoires de plus en plus grands pour l'exercice de leur activité favorite. Le droit de chasse devint ainsi le privilège de quelques-uns, dans les « forêts » et les « garennes » de l'Occident médiéval. Cette situation était le résultat de la loi du plus fort ; la conquête normande fut ainsi suivie, en Angleterre, d'une extension considérable des domaines de chasse, parfois même aux dépens des cultures et des terres arables. Le braconnage y fut puni de mort alors que de lourdes amendes le sanctionnaient partout ailleurs. L'obligation imposée aux tenanciers d'héberger et de nourrir la meute royale procédait du même esprit.
Pour la noblesse, la chasse était beaucoup plus qu'un moyen de se procurer de la nourriture ; elle participait au mode d'existence définie par l'idéal chevaleresque et constituait la « rude école » qui préparait les corps et les volontés aux épreuves de la guerre, domaine réservé de la noblesse médiévale. Plus que les festins de gibier qui les rassemblaient, le soir venu, dans les salles des châteaux, seigneurs et chevaliers aimaient les courses en forêt, l'effort, le risque et l'affrontement victorieux avec les animaux nobles du monde sylvestre.
La place considérable réservée aux scènes de chasse dans la littérature et l'iconographie médiévales atteste l'importance de cette activité dans la mentalité de la noblesse féodale. On connaît l'admirable Livre de la chasse du comte de Foix, Gaston III Phébus, qui, en 1387, à l'âge de cinquante-six ans, avoue n'avoir eu que trois passions dans sa vie : la guerre, l'amour et la chasse, à laquelle il entend consacrer les dernières années de sa tumultueuse existence. Ennemi juré du pape, croisé excommunié et l'un des plus troublants personnages de la première moitié du XIIIe siècle, l'empereur germano-sicilien Frédéric II de Hohenstaufen fut aussi l'auteur d'un admirable traité de fauconnerie. De plus d'un chevalier on eût pu dire ce qu'écrivit un chroniqueur à propos du comte de Guines : « D'un autour frappant l'air de son aile, il faisait plus de cas que de prêtre prêchant », ou répéter-ce joli vers d'un trouvère : « Gentilhomme fut : moult l'aimaient ses chiens. » Cet engouement s'explique sans doute par la parfaite conformité qu'il est aisé d'établir entre la pratique de la chasse et les valeurs auxquelles était attachée la chevalerie du temps.
Plusieurs siècles avant l'éclosion de la civilisation médiévale, Tacite notait déjà que, « quand les Germains ne font pas la guerre, ils chassent » et nous retrouvons chez nos chevaliers du XIIIe ou XIVe siècle cette puissante nostalgie des forêts originelles où se forgèrent les peuples de l'ancienne Europe. Plus que le tournoi, la poursuite exaltante de la « bête singulière » (le sanglier) ou du cerf orgueilleux — la plus noble des proies — permettait aux preux de s'initier et de s'entraîner à la guerre. La force, l'endurance et l'audace déployées dans la forêt n'étaient qu'une préparation aux épreuves du champ de bataille.
Privilège de la noblesse, la chasse retenait aussi l'intérêt des ecclésiastiques qui en venaient à négliger, pour pouvoir s'y consacrer, les obligations inhérentes à leurs charges. On se donnait bonne conscience en expliquant doctement qu'« en chassant on évite le péché d'oysiveté, or, qui fuyt les sept péchés mortels selon notre foi devait être sauvé, donc bon veneur sera sauvé » ; quant aux autres, moins heureux en matière de prouesses cynégétiques, « tout au moins seront logés es faubourg ou basse-cour du paradis ». Devant les excès auxquels on était parvenu, des ordonnances royales et épiscopales défendaient « aux évêques et même aux abbesses de courir les forêts, d'entretenir clients et faucons et de les introduire au pied de l'autel ». Ces interdictions étaient en fait aisément tournées.
Les moines de Saint-Denis et de Saint-Bertin avaient extorqué à Charlemagne l'autorisation de chasser cerfs et chevreuils dans les bois avoisinant leurs abbayes ; on justifiait ces libertés en faisant valoir que « la chair de ces animaux servirait de nourriture aux frères infirmes pour rétablir leur santé et que les peaux seraient employées à couvrir les livres et à faire des ceintures et des gants pour les religieux ». Confirmant le privilège accordé par Charlemagne, une charte de Philippe-Auguste octroya en 1207 aux chanoines de l'église Saint-Germain-des-Prés « le droit de chasse à courre, à tir et à la haie... ».
Comme il est dit dans le fameux Livre de chasse du roy Modus, « tous les hommes n'ont pas les mêmes désirs ni les mêmes goûts, c'est pourquoi notre Seigneur Dieu a ordonné plusieurs chasses différentes pour que chacun puisse choisir celle qui convient le mieux à son goût et à son état ».
Les chasseurs étaient ainsi spécialisés : les bersarii poursuivaient le gros gibier, les veltrarii utilisaient des lévriers, les beverarici capturaient loutres et castors, et chaque gibier faisait l'objet d'une chasse spécifique avec ses techniques et ses rituels précis.
La vénerie, qui correspond à une ritualisation systématique de la chasse, apparaît avec Saint-Louis, à partir du XIIIe siècle ; elle va s'enrichir et se compliquer tout au long du Moyen Age et bon nombre des éléments qui la caractérisaient alors ont perduré jusqu'à aujourd'hui.
La courre du cerf s'effectuait essentiellement du 3 mai au 14 septembre. Et pour le servir, la règle voulait qu'on accoue l'animal de l'épée à l'époque de ses velours, mais qu'on le serve à coups de flèche lorsqu'il avait frayé. Dans certaines circonstances, les biches étaient sujettes à un laisser-courre. La vénerie du renard se pratiquait de janvier à mars, celle de la loutre de mars à septembre, celle du sanglier du 9 mai au 11 novembre et celle du lièvre, de mars à avril. Cette dernière permettait d'entraîner et de dresser les chiens pour le gros gibier. Tout au long de la chasse, la pratique du relais permettait la poursuite de l'animal, dût-elle se forlonger plusieurs jours.
L'épée était l'inséparable compagne du chasseur, mais d'autres armes adaptées à l'animal poursuivi pouvaient être utilisées : l'arc ; l'épieu, qui, muni d'une pointe de fer, était surtout employé contre le sanglier ; la fourche à longue hampe, avec laquelle on tuait les loutres au sortir de leur terrier. On pratiquait en certains cas la chasse au filet qui consistait à rabattre les animaux avec la meute, les chasseurs et leurs lévriers attendant l'animal, sanglier ou loup, aux deux extrémités du filet.
La chasse à l'arc pouvait prendre diverses formes. Une battue ramenait le gibier vers une haie de chasseurs. L'archer pouvait tirer à pied ou à cheval ou bien encore prendre le guet. De la mi-octobre à la fin novembre, il était possible de tirer les sangliers à la souille, où ils se regroupaient, dans les endroits les plus humides de la forêt, près d'un ruisseau, ou d'un marécage, ou encore dans une grosse mare. On dressait aux environs un observatoire sur quatre fourches de bois et assez élevé pour que le sanglier ne puisse éventer l'odeur du chasseur qui s'y juche, bien avant le lever du jour. Vautré et le groin dégoulinant de boue, l'animal se sent à l'aise et s'offre sans défense à la flèche de l'archer.
On pouvait également pratiquer le tir à l'affût, ainsi que le tir du lièvre dans les blés au moment du printemps.
Contrairement aux autres gros gibiers, le loup n'était chassé ni pour sa chair ni pour sa fourrure ; il constituait une menace permanente contre les troupeaux et il arrivait même qu'il menaçât les hommes quand il se trouvait poussé par la faim, à l'issue des hivers difficiles.
Dès 813, Charlemagne ordonna que soient désignés dans chaque comté deux officiers chargés de la destruction de cette espèce. Ces chasseurs bénéficiaient de privilèges et recevaient une mesure de grains sur chaque levée faite au nom de l'empereur. Par la suite, des primes leur seront versées par les communautés rurales grâce à une imposition spéciale levée sur les habitants. La louveterie, on le voit, se trouvait constituée dès avant l'an mil. En 1114, le synode de Saint-Jacques-de-Compostelle émet une réglementation promulguée dans tous les pays de la Chrétienté occidentale et selon laquelle « tous les samedis, sauf à la veille de Pâques et de la Pentecôte, prêtres, chevaliers et paysans qui ne travaillent pas sont requis, sous peine d'amende, pour la destruction des loups et la pose des pièges ».
En 1413, Charles VI promulguera des ordonnances afin de permettre que toute personne puisse « prendre, tuer et chasser sans fraude tous loups et loutres... pourvu que ce ne soient pas gens de labour ou de métier, qui s'y pourraient occuper en délaissant labourages et métiers... » Tous les moyens étaient utilisés pour venir à bout de ces malheureux animaux : les battues collectives, l'affût, l'empoisonnement, la destruction des jeunes louveteaux... Le Livre de la chasse de Gaston Phébus nous montre que l'on n'hésitait pas à utiliser la ruse. Pour prendre le loup « aux aiguilles », on farcit des morceaux de viande d'aiguilles recourbées ou d'hameçons liés deux à deux en plusieurs rangées. Une fois le loup démasqué, on traîne longuement les quartiers sur le sol de la forêt pour en répandre l'odeur et on les abandonne à l'endroit choisi. Les loups affamés et alléchés vont les engloutir sans même les mâcher et, le temps de digestion passé, les chasseurs n'auront plus qu'à recueillir les cadavres aux estomacs et intestins perforés. Pour prendre le loup vivant, on construit deux enceintes circulaires disposées l'une dans l'autre, hautes de près de deux mètres et épaisses. Sur l'enceinte extérieure, on ouvre une porte munie d'un cliquet. Après avoir traîné, depuis la forêt jusqu'aux enclos, des morceaux de viande avariée pour attirer la bête, on place au centre de l'enceinte intérieure un mouton ou une chèvre en guise d'appât. Le loup, alléché par l'odeur, pénétrera dans l'enceinte extérieure, en fera le tour dans l'espoir d'y trouver une entrée pour se saisir de l'animal. La porte s'étant refermée sur lui, il se trouvera privé à tout jamais de sa liberté.
Venue d'Orient, la chasse au vol — au faucon, à l'épervier ou à l'autour — connut au Moyen Age une vogue exceptionnelle. De juillet à septembre, on chassait ainsi l'alouette, la caille et parfois la perdrix. En hiver, la pie, le geai, la chouette, la sarcelle, le vanneau, la bécasse, le merle et le pigeon étaient les proies recherchées.
Plus que toute autre forme de chasse, la fauconnerie était un plaisir raffiné d'aristocrate, à tel point que l'empereur Frédéric II blâmait fort ceux qui pratiquaient la chasse à l'oiseau pour garnir leur table, d'abord parce que cela risquait de dépeupler les domaines giboyeux, et surtout parce que cette occupation était considérée comme trop noble pour souffrir une finalité utilitaire. Les Grands rivalisaient de prestige en exhibant leurs équipages de faucons et l'importance de ceux-ci ne cessa d'augmenter au fil des siècles : Charles VII avait trente oiseaux, Louis XI plus de cent. L'engouement pour les faucons était tel qu'il était de bon ton de se montrer en compagnie avec l'oiseau sur le poing. Seigneurs et dames prétendirent même avoir le droit de se présenter ainsi jusque dans les églises. Certains évêques allèrent jusqu'à placer leurs oiseaux, insignes de leur rang, à côté de l'Evangile.
Omniprésente dans la vie quotidienne de la société féodale, la chasse constitue un élément essentiel de la tradition littéraire médiévale.
Marie de France, Bertrand de Born, Chrétien de Troyes ou Béroul ont puisé dans l'univers de la chasse le cadre et la symbolique d'une bonne partie de leurs œuvres.
Nul mieux que Tristan n'incarne l'idéal du chasseur médiéval. Le roman de Tristan et Iseult, de l'enfance du héros à l'épilogue dramatique, évoque constamment le monde de la chasse et de la forêt. Tristan de Léonnois, orphelin ravi par les pirates, est débarqué sur la terre de Cornouailles où règne son oncle Marc. Il voit débusquer un cerf poursuivi par une meute ; l'animal se jette à l'eau, puis remonte sur la berge ; harcelé, il bat encore les eaux et reprend de nouveau terre. Les chiens le forcent et il rend les abois. Accourent les veneurs, et Tristan entre en scène : alors que les Cornouaillais s'apprêtent à trancher le cerf en quartiers comme un porc, il s'exclame : « Arrêtez ! Que faites-vous ? Vit-on jamais découper un cerf en telle guise », et il leur enseigne la manière noble de dépouiller l'animal : il découpe les daintiers, les cuissots, retire les entrailles, lève les filets, tranche la tête avec le cimier, puis prépare la fourchiée : il prend une fourche et y fixe le foie, les nombles et la fraise ; lorsque la fourchiée est confiée à un valet, il organise la curée : les entrailles de la bête sont disposées sur le cuir avec un morceau de chacune des meilleures pièces, et les chiens se mettent à l'œuvre. Cela fait, Tristan prépare le présent : sur une branche, il accroche la fourchiée, puis la tête du cerf, qui sera ainsi courtoisement offerte au roi, tandis que les veneurs iront sonnant leur trompe.
La chasse demeure une réserve inépuisable d'allégories tout au long du roman. Poursuivi après qu'eut été découvert l'adultère, Tristan ne survit au cœur de la forêt que grâce à ses talents de chasseur.
Les descriptions interminables, les récits longs et minutieux de courses, d'affûts et de dépeçages, pour nous rapidement fastidieuses, laissent deviner quel plaisir devaient prendre à les écouter seigneurs et dames assemblés autour du trouvère. Ils y retrouvaient les joies et les fatigues de leur journée, des impressions physiques familières, ils pouvaient apprécier les mille et une nuances du vocabulaire et l'habileté des métaphores. Comme le poète, ils pouvaient voir dans la chasse la plus belle et la plus évidente image des relations entre hommes et entre sexes, entre les individus et la nature sauvage perçue comme amie et non comme ennemie. Ils y trouvaient également des évocations de l'amour, ainsi que nous le révèle cet admirable passage de Chrétien de Troyes selon lequel « Cerf chassé qui de soif halète ne désire tant la fontaine, ni l'épervier qui a grand faim ne revient au réclain plus volontiers que les amants ne souhaitent de se trouver nu à nue... ».
Composante essentiel de l'idéal de vie chevaleresque, la chasse médiévale plonge ses racines au plus profond de la tradition européenne. Il apparaît aujourd'hui que c'est chez les Gaulois qu'il convient de rechercher l'origine de la chasse à courre et la place prise par le cerf dans la mythique de la chasse nous rappelle le rôle joué dans l'Antiquité gauloise par le dieu Cernunnos, reconnaissable aux bois qui ornent son front. Chasse à courre et poursuite de la lumière, de la « connaissance » au sens le plus profond du terme sont étroitement liées par la médiation d'un rituel complexe, inspiré de la guerre chevaleresque. L'animal sera pris par ruse et bravoure mais non par traîtrise, et les hommes de qualité abandonneront aux « gens viels et gras » la chasse aux filets, aux pièges et aux panneaux. Adversaire respecté, le cerf conserve sa chance et trouve dans la chasse l'occasion de pousser au maximum ses possibilités de puissance et de ruse pour échapper à ses poursuivants. Art profondément aristocratique, résumé de la guerre courtoise, la chasse médiévale telle que la pratiquait un Gaston Phébus, nous apparait aujourd'hui comme l'une des plus hautes manifestations de la civilisation de ce Moyen Age dont nous ne cessons de redécouvrir la richesse.
Guy d'Entrevaux
Sources : Histoire Magazine N°35 – 1982.
Pierre Gillieth, dédicace.
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- Catégorie : POLITIQUE
Notre camarade Pierre Gillieth dédicacera
son nouveau roman,
Western électrique,
ainsi que ses anciens livres
à la Librairie Vincent
115 avenue de la Bourdonnais 75009 Paris
(métro Ecole Militaire)
samedi 19 juin de 14h30 à 18h
Aux racines de l'idéologie migratoire avec Vincent Coussedière, essayiste.
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- Catégorie : IMMIGRATION
Alors qu'une idéologie cherche à faire de l'homme non plus un animal social mais un animal migrant, il est urgent de repenser le fait migratoire, avertit l'essayiste Vincent Coussedière. Il revient sur la pensée de l'idéologie migratoire de Sartre et explique l'échec de l'assimilation en France. Entretien réalisée avec Charlotte d'Ornellas
Notes sur le symbolisme du feu dans la tradition Celtique
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- Catégorie : Fêtes Païennes
Le symbolisme du Feu est fondamental dans toutes les traditions et notamment dans le monda indo-européen. Dans la plupart des traditions du monde « aryen », on distingue trois feux : Le Soleil, le feu du sacrifice et le feu domestique. Le dernier n'est pas moins sacré que le second, auquel il est d'ailleurs analogue, car traditionnellement le père de famille est prêtre et roi dans sa maison : ce que le Druide, le Brahmane ou le Flamine font Iors du sacrifice public. Le tigâkos (tieg, chef de famille) le fait chez lui ; il entretient dans l'âtre, temple de la maison, un feu permanent, image du Dieu toujours présent au foyer (1).
Dans la tradition hindoue, le feu sacrifiel est personnifié par le dieu Agni qui comme tous les « dieux » est un aspect de Brahma, le Principe suprême, en tant qu'il est présent dans le bûcher sacré. Le « véhicule » d'Agni, c'est-à-dire l'animal dont l'espèce incarne la Force divine qui se manifeste d'autre part dans le Feu sacré, est le bélier (2). Or; pour en revenir aux choses celtiques, on a découvert de nombreux landiers ou chenets gaulois ornés d'une tête de bélier, plusieurs spécimens ont été trouvés dans le lit de la Loire, nous retrouvons l'association traditionnelle de cet animal avec le feu, Mais d'autre part, le fameux serpent à tête de bélier figure fréquemment, on le sait dans les mains du dieu Kernunnos, qui, a pu par conséquent être l'un des dieux familiers (ou même familiaux) des Celtes.
Un nouveau rapprochement avec la tradition hindoue est d'ailleurs possible. Kernunnos est souvent représenté accroupi, dans la posture des yogis. Or ces derniers décrivent l'énergie psychique (Kundalini) comme un serpent de feu enroulé sur lui-même au bas de la colonne vertébrale, que les exercices du yoga ont précisément pour but de dérouler et de faire monter le long de la colonne vertébrale, jusqu'à ce que sa tête atteigne le « troisième œil » par où se fait la communication avec les états supra-humains (3). Cette description imagée symbolise en réalité la transmutation de l'énergie psychique ou « feu vital » en énergie spirituelle (telle est aussi, la signification en symbolisme alchimique), ce qui est le but même de l'ascèse yogique. Etant donné la valeur « ignée » du bélier, on peut penser que le serpent criocéphale a le même sens que Kundalini, et Kernunnos, qui paraît son maître, serait le dieu des ascètes gaulois, le Maître du Feu spirituel; sur certains monuments, il paraît nourrir ce serpent ; c'est l'image de la Force divine source de l'énergie psychique du prana.
Dans un précédent numéro d'Ogam on a exposé le symbolisme du feu par opposition à l'eau, dualité figurant l'Essentiel et le Substantiel (4) et qui résume toute la doctrine druidique. Chaque fête du calendrier celtique, par sa date et par son rituel, doit être elle aussi un compendium doctrinal ; or, si nous nous référons aux grandes dates du festiaire irlandais au sujet duquel nous reviendrons dans une autre étude, que constatons-nous ? Que l'Eau et le Feu figurent toujours dans les associations mythiques et historiques de chacune d'elles.
Ainsi, lors de la fête de Samain (Heven), tous les feux sont éteints et rallumés, pour marquer le passage d'une année à l'autre c'est-à-dire analogiquement d'un cycle à l'autre (c'est à Samain, après Mag Tured, que la Bodb prédit la « fin du Monde », qui ne peut être en fait que la fin d'«un» monde ou d'un cycle cosmique de manifestation, c'est à Samain également que le roi Muiccetach Mac erca se noya comme Flann dans un tonneau, pendant que le feu détruisait son palais. D'autre part, le folklore, tant irlandais que breton (5), recommande formellement de ne garder dans les maisons, la nuit de Samain (ou de la Toussaint), aucun vase contenant de l'eau sale. Cette prescription peut paraître étrange, mais l'eau sale est ici un symbole des « possibilités inférieures » qui doivent être « épuisées » afin que naisse un monde nouveau.
Imbolc (Brec'hed), fête de la « Purification », est marqué par le feu qu'entretenait à Cill Dara (Kildare) neuf vierges qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher des « druidesses » de Sena (les «génisses» du Barzhaz Breizh) et les neuf pucelles dont le souffle fait bouillir le chaudron de Pwll pen Annwfn (6). On sait que ce feu, allumé en l'honneur de la déesse Brigit (Brigantia), continua de brûler, après la christianisation de l'Irlande en l'honneur de « Sainte-Brigite de Kildare » jusqu'à son extinction définitive par les hordes sataniques de Cromwell. Quant à l'eau son rôle purificateur l'associe tout naturellement à la fête d'Imbolc.
A Beltene (Kenteven), les Tûatha De Danann arrivèrent en Irlande par la mer et mirent le feu à leurs vaisseaux pour s'ôter toute velléité de retraite. C'est à Beltene que le roi Diarmaid mac Cerbhail assièga Flann dans sa maison, qui se noya dans une cuve pendant que la maison brûlait. Et la fête point culminant du cycle annuel est marquée par le « feu de Belos » allumé auprès de la source rappelant encore la dualité fondamentale qui se résorbe dans l'Unité principielle lorsque l'énergie du feu et la vapeur de l'eau se sont dissipées dans l'atmosphère — image ici de l'Ether principe du monde matériel.
La célébration de Lugnasad (Eured Lew) (qui aurait été institué pour commémorer les noces de Lug et de Tailtiu, c'est à cette date que meurt Carman la sorcière et Macha) comporte entre autres, le feu allumé au sommet du tertre entouré d'eau : nous retrouvons le symbolisme très important de « l'Ile Verte » émergeant de l'océan et couronnée par le soleil ou par un bûcher sacré : l'eau et le feu étant comme toujours la Substance et l'Essence, le tertre symbole « axial » et la Manifestation qui unit les deux pôles du Principe.
Les tribus celtiques se plaçaient volontiers sous le patronage d'un dieu ou d'une déesse. Ainsi les Eduens, en celtique Aedui, l'une des plus puissantes peuplades galoises tirent leur nom de aedius «feu» (irl. aed). Aedus, Dieu du Feu, était sans doute l'Agni celtique et l'une des principales divinités des Gaulois et des Celtes en général.
VISSVRIX
Notes :
(1) Quelques années avant la guerre, l'écrivain bourguignon Johannès Thomasset, commentant les énormes changements survenus dans notre mode d'existence à une époque comparativement toute récente, mettait particulièrement en relief la disparition du « foyer » au sens strict du terme, et ajoutait : « Cette rupture avec la plus ancienne habitude humaine est énorme de conséquences morales ». En fait il s'agit de quelque chose de plus grave encore : le signe que la Présence divine s'est véritablement retirée de nous. Et que dirions-nous du remplacement, dans tant d'églises, de la veilleuse d'autel par une lampe électrique du plus beau rouge ? La tradition bretonne (A. Le BRAZ Légende de la Mort, 1,80) prétend que l'extinction d'une seule des lampes sacrées sera l'« intersigne » de la fin du monde...
(2) On sait qu'il y a un rapport « niruktique » entre Agni (linguistiquement identique au latin ignis) et agnus ; le bélier ou l'agneau apparaissent d'ailleurs dans la tradition judéo-chrétienne comme des symboles « polaires » et « ignés » (le bélier d'Abraham, Gen, XXII, 13 ; l'Agneau « lampe » de la Jérusalem céleste, Apoc. XXI, 23).
(3) Cf. R. GUENON, L'homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XX.
(4) NATROVISSVS, Le Feu et l'Eau, dualité primordiale OGAM N°13 p.
119.
(5) LE BRAZ, loc. cit. introd. p. XIX-XX.
(6) Poème de Taliesin ; cf SKENE, Four ancient books of Wales II, 181 sqq.
Sources : OGAM – septembre 1951
Religion cosmique et folklore: l'Europe de Mircea Eliade
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- Catégorie : PHILOSOPHIE
« Tant de gens ont reproché à Eliade de ne pas être resté en Inde. Nous devons nous réjouir, au contraire, parce qu'il a accepté de se compromettre lui aussi, ici avec nous, et voir en cela un renoncement plus important que le renoncement contemplatif. Accepter l'histoire me semble être le plus grand héroïsme. »
(E. Cioran, Mircea Eliade et ses illusions, 1936)
Mircea Eliade (1907-1986) est connu, même du grand public, comme l'un des plus importants historiens des religions du 20ème siècle. Pour certains, il est le plus important. Ce titre, obtenu en vertu de la richesse et de la profondeur de ses interminables recherches et productions scientifiques, doit cependant être associé, pour se faire une idée organique de l'auteur, à son activité culturelle « non académique » si particulière et si débordante. C'est précisément dans cette partie de son opus, qui se compose de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre, d'articles de journaux, de pages de journaux intimes et de lettres (pensons à la splendide anthologie épistolaire avec Emil Cioran), qu'Eliade exprime tous les « non-dits » - pour reprendre une expression efficace de Marcello de Martino - de sa spéculation. La « sphère diurne » de son génie est ainsi flanquée d'une « sphère nocturne ». Au cœur de cette prose, à la fois intime et métaphysique, Eliade se révèle un intellectuel curieux et passionné, un enquêteur sismographique, au sens jüngerien - et ce n'est pas un hasard si, avec le « Contemplateur solitaire », il a dirigé pendant une dizaine d'années l’excellente revue Antaios -, un rhapsodiste des interférences entre le visible et l'invisible.
Dans l’ensemble de ce type d'écrits sont également inclus les entretiens accordés par l'auteur à plusieurs grands intellectuels de son temps. L'un des plus célèbres est celui avec l'écrivain français Claude-Henri Rocquet, qui est devenu un livre avec le titre La prova del labirinto (1978). Les dialogues contenus dans Mythes des origines et Rythmes cosmiques sont également importants. Il y a aussi Conversations (1973-1984), un texte récemment publié par Bietti et édité par Andrea Scarabelli et Horia Corneliu Cicortaş, dont s'inspire le présent article. Le volume rassemble également quatre entretiens avec Eliade, réalisés entre les années 1970 et 1980 par Alain de Benoist, Jean Varenne, Alfredo Cattabiani et Fausto Gianfranceschi. Avec une approche fluide et populaire, Eliade aborde certains des points fondamentaux de sa doctrine: la méthodologie herméneutique morphologique et comparative appliquée à l'histoire des religions, la dialectique hiérophanique, l'essence ontologique et cosmogonique du mythe, la fuite de l'histoire, la démythologisation à l'ère de la sécularisation, les « nouveaux mythes » modernes, le « camouflage du sacré dans le profane ».
Il en ressort également une question sur laquelle les critiques d'Eliade se sont rarement attardés, mais sur laquelle Eliade lui-même a développé des intuitions brillantes - même si elles n'étaient pas du tout systématiques: la recherche et la problématisation des racines et des perspectives métaphysiques de la tradition européenne. Déjà dans le Traité d'histoire des religions (1948), Eliade, dans sa construction de l'architecture universelle, avait attribué une importance particulière à l'étude comparative du folklore européen. Un aspect toujours présent dans les spéculations d'Eliade, et présenté de façon pionnière dans l'essai Folklorul ca instrument de cunoaștere, publié dans Revista Fundațiilor Regale (4, 1937). Parmi les rituels les plus fascinants mentionnés dans le traité, il y a certainement ceux typiques des sociétés paysannes, qui se déroulent aussi bien au printemps que pendant la récolte des cultures. En ces occasions, de manière cyclique, la « puissance », ou l'« esprit », est représentée directement par un arbre, ou une gerbe d'épis, et un couple humain, et les deux cérémonies ont une influence fertilisante sur la végétation, le bétail et les femmes. C'est toujours le même besoin, ressenti par l'homme archaïque, de faire les choses « en commun », « d'être ensemble ». Le couple qui personnifie la puissance ou le génie de la végétation est lui-même un centre d'énergie, capable d'accroître les forces de l'agent qu'il représente. La force magique de la végétation est accrue par le simple fait qu'elle est représentée par un jeune couple, riche au plus haut degré de possibilités - voire de réalisations - érotiques. Ce couple, « le marié » et « la mariée », n'est qu'un simulacre allégorique de ce qui s'est réellement passé autrefois: la répétition du geste primordial, la hiérogamie.
Dans l'entretien de 1973 avec Jean Varenne, Eliade propose une intuition fondamentale: l'Europe contemporaine, malgré l'avancée inéluctable de la modernité culturelle et socio-politique, paradigmatiquement associée à la sécularisation ou, tout au plus, à des formes de « seconde religiosité » (l'expression est d'Oswald Spengler), continuerait à conserver des traces significatives de son passé archaïque, celui où la dimension supra-historique de l'Origine - le temps de l'Éternel, l'illud tempus - s'incarnait dans le substrat germinal de l'histoire. En particulier, souligne Eliade dans un excursus typologique sur l'identité européenne, la culture néolithique « est encore bien vivante en Europe orientale, au sein de ce que nous avons l'habitude d'appeler le folklore ». Selon l'historien des religions, cet horizon de civilisation est particulièrement évident dans les « cultes agraires » déjà mentionnés, qui présentent une phénoménologie similaire sur tout le continent européen. De tels paradigmes cultuels témoignent « toujours de la même structure : c'est ce que j'appelle la religion (ou religiosité) cosmique, c'est-à-dire que le sacré s'y manifeste à travers le sens humain des rythmes cosmiques ».
Il existe, en somme, une unité spirituelle qui se manifeste dans un corpus mythico-symbolique, cultuel et rituel riche et multiple, dont l'origine remonte à l'aube de l'histoire. En ce point où l'Ineffable informe la réalité, selon un vecteur émanationniste, descendant au cœur de l'immanence et lui donnant une structure phénoménale. Les paradigmes religieux institutionnalisés, ainsi que, à différents niveaux, les voies ésotériques et initiatiques, viseraient notamment à rétablir la connexion subtile et intérieure entre l'individu, avec ses limites biologiques et égoïques, et cette Origine extratemporelle vers laquelle les civilisations, aussi modernes ou postmodernes soient-elles, ne cessent de tendre avec nostalgie. Le mythe cosmogonique assume alors en Europe une déclinaison archétypale spécifique en direction d'une religiosité cosmique qui est sa forme spécifique de sacralité. Eliade, faisant allusion à la notion de religiosité cosmique, semble se référer à une époque véritablement ancienne, qui fait apparemment abstraction du débat historique sur le rapport entre l'invasion des peuples indo-européens et les civilisations antérieures (de structure matrilinéaire et gilanique, selon les études de Gimbutas), pour rappeler une dimension encore plus archaïque, dans laquelle l'éternel rayonne hors du temps.
Ce qui est certain, c'est que la culture sécularisée de l'Occident vise depuis plusieurs siècles à éradiquer cette tradition. Selon les mots de Drieu la Rochelle, « l'Europe en est réduite à porter ses églises sans Dieu, ses palais sans rois comme des bijoux étincelants sur un sein défait ». Pourtant, rien ne nous empêche de supposer, logiquement et face à la puissance mythopoétique de l'histoire, que l'avenir peut révéler des manifestations nouvelles et plus claires de l'unité spirituelle archaïque et éternelle. Citant une conversation avec Teilhard de Chardin, Eliade note : « Si le dogme est éternel, les expressions dogmatiques sont transitoires ». C'est précisément dans ce passage que se révèle l'optimisme cosmique et métaphysique d'Eliade, ancré dans la conviction que les formes du sacré sont destinées à revenir dans le futur, dans ce côté lumineux du post-modernisme qui est resté jusqu'à présent occulté dans l'obscurité de son double négatif. La « fuite des dieux » et la « pauvreté du monde » (Friedrich Hölderlin), caractéristiques de l'ère de la démythologisation, sont des phénomènes transitoires, auxquels l'Occident devra remédier en se tournant tout autant vers l'Orient - et Eliade fait ici écho à Simone Weil : « L'Europe n'a peut-être pas d'autre moyen pour éviter d'être décomposée par l'influence américaine qu'un nouveau contact, vrai, profond, avec l'Orient » (Une constituante pour l'Europe) - autant que, et surtout ajouterions-nous, en elle-même, dans ses propres profondeurs et abîmes, dans cette suppression de la verticalité anthropologique (de l'homo religiosus, dirait Eliade, repris plus tard par Julien Ries) qui est l'héritage le plus funeste du réductionnisme moderne. Pour conquérir l'avenir, il est nécessaire de récupérer le passé, dans sa dimension métaphysique-symbolique plus que dans sa dimension chronologique. Un passé, pour ainsi dire, qui est toujours contemporain de tous les âges ou pas du tout: « Nous nous libérons de l'œuvre du Temps - explique Eliade dans Mythe et réalité - avec la mémoire, avec l'anâmnèsis. L'essentiel est de se souvenir de tous les événements ». La connaissance ne passe pas par l'invention, en somme, mais plutôt par le souvenir.
« Je crois », déclarait Eliade avec confiance à Fausto Gianfranceschi en 1983, « qu'en Occident aussi, nous commençons à réapprendre le langage symbolique qui enrichit le sens de la réalité ».
Au niveau diachronique, nous pouvons voir comment la religiosité cosmique archaïque a été intégrée de manière métamorphique dans les polythéismes antiques, pour être rejetée par le monothéisme juif et finalement réabsorbée par le christianisme: au niveau historique, rappelle Eliade dans un entretien avec Alain de Benoist en 1979, également contenu dans le livre dont nous parlons, « il s'agissait d'homologuer des univers religieux différents, afin d'uniformiser culturellement l'écoumène ». Ainsi, par exemple, les nombreux héros et dieux tueurs de dragons de la tradition indo-européenne étaient identifiés à saint Georges. De même, en Grèce, après l'incendie du sanctuaire d'Éleusis en 396, événement symbolisant la fin du paganisme, un saint Démétrius, patron sacré de l'agriculture, est suspendu de manière tout à fait naturelle à la place de la déesse Déméter... ». C'est le christianisme cosmique d'Origène, de Denys, de Saint Bonaventure et de Nicolas de Cues, dans lequel le domaine de l'histoire et celui de la méta-histoire sont toujours entrelacés.
On ne peut comprendre l'identité européenne, dans ses manifestations historiques et religieuses différentes et parfois antagonistes, sans considérer son expérience du sacré, qui est « l'expérience d'une réalité absolue, transcendante, [...] à travers laquelle le monde prend un sens organique », sous la forme d'une religiosité cosmique. C'est une sensibilité, celle d'Elias, vers une sophia prisca, de matrice universelle, presque dans un sens pérénnaliste, mais déclinée dans un sens proprement européen. Elle a trouvé l'une de ses manifestations les plus marquantes dans l'histoire récente au sein de la Renaissance italienne et de sa redécouverte, dans le sillage de l'hermétisme et du néoplatonisme, de l'Orient symbolique qui a toujours été situé au cœur de l'Eurasie. Et l'Europe dont parle Eliade, dans une perspective qui a dépassé de manière critique tout provincialisme et revanchisme, a sans aucun doute une dimension eurasienne, en étant un pont et, en même temps, une singulière conjonction polaire de l'Est et de l'Ouest, un horizon de voies alternatives mais syntoniques par rapport à « l'instinct fondamental touché par le destin à la nature humaine : Sortir de soi, se fondre dans l'autre, échapper à une solitude limitée, tendre vers une liberté parfaite dans la liberté de l'autre » (Eliade, La bibliothèque et les soliloques du Mahārājah). Dans une tension destinale entre la subordination amère et passive au divin (subordination à la loi, la Voie de la Main Droite) et la joie extatique qui naît de la perception de notre pouvoir magique-démiurgique (victoire sur la loi, la Voie de la Main Gauche). Ainsi, lorsque le jeune Eliade révèle dans une lettre à son ami Cioran, en novembre 1935, qu'il éprouve du dégoût pour l'Europe et souhaite l'indépendance de sa chère Roumanie vis-à-vis de « ce continent qui a découvert les sciences profanes, philosophie et égalité sociale », il comprenait déjà que la vérité traditionnelle s'était éteinte dans l'Europe moderne, et pourtant, peut-être, accompagnant un certain pessimisme tragique et fataliste de sa jeunesse, il n'avait pas encore saisi les signes que, dans sa maturité, il apprendrait à lire comme les signes d'une possible renaissance du sacré. De plus, nous ne faisons que mentionner ici, les études ethnologiques les plus récentes révèlent comment l'Europe de l'Est (y compris, évidemment, la Roumanie d'Héliades) a été une zone centrale dans la formation du substrat rural, historique et symbolique du continent (A. Douguine note à cet égard, dans son récent Noomachìa, que « l'Europe de l'Est, communément considérée comme périphérique et marginale par la civilisation gréco-romaine et plus tard par la civilisation occidentale, devrait être considérée au contraire comme un pôle central de la civilisation européenne. C'est en Europe orientale qu'a eu lieu l'événement clé de l'histoire ontologique et sémantique européenne - la rencontre entre les deux horizons existentiels paléo-européen [gynocratique] et indo-européen ».
Quoi qu'il en soit, c'est précisément dans le rapport complexe entre l'Un et le multiple, l'univocité et la pluralité, que se construit l'identité européenne, dans le rapport dialectique entre deux niveaux de complexité que le philosophe Massimo Cacciari a bien exposé dans sa Géo-philosophie de l'Europe, avec l'image suivante: « D'une part, elle [l'Europe] ne peut pas se concevoir sans l'idée d'une commune originalité de toutes choses. Si la différenciation était originale, comment l'ordre harmonique pourrait-il se déterminer sinon comme une simple contingence, un simple hasard? D'autre part, elle est le produit d'un concours entre les multiples, d'où naît cette connexion, cette harmonie visible, composée d'éléments différents. Cette harmonie visible coïncide avec la direction, avec le sens de la dispute ». L'accord, en somme, naît de la discorde. L'harmonie est, pour citer à nouveau Cacciari, « l'âme insaisissable, la psyché de la contention, le "coup de foudre" qui guide tous ses mouvements ». C'est la particularité, la Gestalt du mythe européen, un horizon culturel et géographique qui se définit, avant tout, en termes métaphysiques et anthropologiques. C'est ce que révèle son mythe fondateur, le viol d'Europe (épiphanie de la Mère) par Zeus (le dieu Père par excellence): ici, la hiérophanie solaire et ouranique se heurte à l'archétype féminin, dans une polarité de rencontre-choc où la médiation s'opère symboliquement dans la même figure de Zeus, qui, pour conquérir la fascinante Europe, doit devenir un taureau, une figure féconde et créatrice (virile-solaire) et en même temps tellurique-lunaire.
Sur les chemins d'un « nouvel humanisme », intégral, holistique, multidimensionnel, Eliade a ainsi élaboré une interprétation raffinée et inhabituelle du rapport entre mythe et réalité. Une herméneutique à matrice universelle, dont les lentilles interprétatives offrent des clés particulièrement fécondes pour comprendre et repenser l'identité européenne.
Luca Siniscalco
Ex:https://www.grece-it.com/2021/03/28/religiosita-cosmica-e-folklore-leuropa-di-mircea-eliade/
La fille d'Egtved
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- Catégorie : ARCHEOLOGIE
La momie de la « fille d'Egtved », baptisée du nom du village de la péninsule danoise du Jutland, où elle a été découverte en 1921, offre un aperçu de la vie quotidienne des habitants d'Europe du Nord aux alentours de 1370 avant J.-C. à l'âge de bronze. Les restes (ongles, dents et longs cheveux) ont été passés au crible des technologies modernes. L'état de conservation de ses vêtements ainsi que de bijoux en bronze est remarquable et donne des éléments précieux aux chercheurs.
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