Aux racines de l'idéologie migratoire avec Vincent Coussedière, essayiste.
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- Catégorie : IMMIGRATION
Alors qu'une idéologie cherche à faire de l'homme non plus un animal social mais un animal migrant, il est urgent de repenser le fait migratoire, avertit l'essayiste Vincent Coussedière. Il revient sur la pensée de l'idéologie migratoire de Sartre et explique l'échec de l'assimilation en France. Entretien réalisée avec Charlotte d'Ornellas
Notes sur le symbolisme du feu dans la tradition Celtique
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- Catégorie : Fêtes Païennes
Le symbolisme du Feu est fondamental dans toutes les traditions et notamment dans le monda indo-européen. Dans la plupart des traditions du monde « aryen », on distingue trois feux : Le Soleil, le feu du sacrifice et le feu domestique. Le dernier n'est pas moins sacré que le second, auquel il est d'ailleurs analogue, car traditionnellement le père de famille est prêtre et roi dans sa maison : ce que le Druide, le Brahmane ou le Flamine font Iors du sacrifice public. Le tigâkos (tieg, chef de famille) le fait chez lui ; il entretient dans l'âtre, temple de la maison, un feu permanent, image du Dieu toujours présent au foyer (1).
Dans la tradition hindoue, le feu sacrifiel est personnifié par le dieu Agni qui comme tous les « dieux » est un aspect de Brahma, le Principe suprême, en tant qu'il est présent dans le bûcher sacré. Le « véhicule » d'Agni, c'est-à-dire l'animal dont l'espèce incarne la Force divine qui se manifeste d'autre part dans le Feu sacré, est le bélier (2). Or; pour en revenir aux choses celtiques, on a découvert de nombreux landiers ou chenets gaulois ornés d'une tête de bélier, plusieurs spécimens ont été trouvés dans le lit de la Loire, nous retrouvons l'association traditionnelle de cet animal avec le feu, Mais d'autre part, le fameux serpent à tête de bélier figure fréquemment, on le sait dans les mains du dieu Kernunnos, qui, a pu par conséquent être l'un des dieux familiers (ou même familiaux) des Celtes.
Un nouveau rapprochement avec la tradition hindoue est d'ailleurs possible. Kernunnos est souvent représenté accroupi, dans la posture des yogis. Or ces derniers décrivent l'énergie psychique (Kundalini) comme un serpent de feu enroulé sur lui-même au bas de la colonne vertébrale, que les exercices du yoga ont précisément pour but de dérouler et de faire monter le long de la colonne vertébrale, jusqu'à ce que sa tête atteigne le « troisième œil » par où se fait la communication avec les états supra-humains (3). Cette description imagée symbolise en réalité la transmutation de l'énergie psychique ou « feu vital » en énergie spirituelle (telle est aussi, la signification en symbolisme alchimique), ce qui est le but même de l'ascèse yogique. Etant donné la valeur « ignée » du bélier, on peut penser que le serpent criocéphale a le même sens que Kundalini, et Kernunnos, qui paraît son maître, serait le dieu des ascètes gaulois, le Maître du Feu spirituel; sur certains monuments, il paraît nourrir ce serpent ; c'est l'image de la Force divine source de l'énergie psychique du prana.
Dans un précédent numéro d'Ogam on a exposé le symbolisme du feu par opposition à l'eau, dualité figurant l'Essentiel et le Substantiel (4) et qui résume toute la doctrine druidique. Chaque fête du calendrier celtique, par sa date et par son rituel, doit être elle aussi un compendium doctrinal ; or, si nous nous référons aux grandes dates du festiaire irlandais au sujet duquel nous reviendrons dans une autre étude, que constatons-nous ? Que l'Eau et le Feu figurent toujours dans les associations mythiques et historiques de chacune d'elles.
Ainsi, lors de la fête de Samain (Heven), tous les feux sont éteints et rallumés, pour marquer le passage d'une année à l'autre c'est-à-dire analogiquement d'un cycle à l'autre (c'est à Samain, après Mag Tured, que la Bodb prédit la « fin du Monde », qui ne peut être en fait que la fin d'«un» monde ou d'un cycle cosmique de manifestation, c'est à Samain également que le roi Muiccetach Mac erca se noya comme Flann dans un tonneau, pendant que le feu détruisait son palais. D'autre part, le folklore, tant irlandais que breton (5), recommande formellement de ne garder dans les maisons, la nuit de Samain (ou de la Toussaint), aucun vase contenant de l'eau sale. Cette prescription peut paraître étrange, mais l'eau sale est ici un symbole des « possibilités inférieures » qui doivent être « épuisées » afin que naisse un monde nouveau.
Imbolc (Brec'hed), fête de la « Purification », est marqué par le feu qu'entretenait à Cill Dara (Kildare) neuf vierges qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher des « druidesses » de Sena (les «génisses» du Barzhaz Breizh) et les neuf pucelles dont le souffle fait bouillir le chaudron de Pwll pen Annwfn (6). On sait que ce feu, allumé en l'honneur de la déesse Brigit (Brigantia), continua de brûler, après la christianisation de l'Irlande en l'honneur de « Sainte-Brigite de Kildare » jusqu'à son extinction définitive par les hordes sataniques de Cromwell. Quant à l'eau son rôle purificateur l'associe tout naturellement à la fête d'Imbolc.
A Beltene (Kenteven), les Tûatha De Danann arrivèrent en Irlande par la mer et mirent le feu à leurs vaisseaux pour s'ôter toute velléité de retraite. C'est à Beltene que le roi Diarmaid mac Cerbhail assièga Flann dans sa maison, qui se noya dans une cuve pendant que la maison brûlait. Et la fête point culminant du cycle annuel est marquée par le « feu de Belos » allumé auprès de la source rappelant encore la dualité fondamentale qui se résorbe dans l'Unité principielle lorsque l'énergie du feu et la vapeur de l'eau se sont dissipées dans l'atmosphère — image ici de l'Ether principe du monde matériel.
La célébration de Lugnasad (Eured Lew) (qui aurait été institué pour commémorer les noces de Lug et de Tailtiu, c'est à cette date que meurt Carman la sorcière et Macha) comporte entre autres, le feu allumé au sommet du tertre entouré d'eau : nous retrouvons le symbolisme très important de « l'Ile Verte » émergeant de l'océan et couronnée par le soleil ou par un bûcher sacré : l'eau et le feu étant comme toujours la Substance et l'Essence, le tertre symbole « axial » et la Manifestation qui unit les deux pôles du Principe.
Les tribus celtiques se plaçaient volontiers sous le patronage d'un dieu ou d'une déesse. Ainsi les Eduens, en celtique Aedui, l'une des plus puissantes peuplades galoises tirent leur nom de aedius «feu» (irl. aed). Aedus, Dieu du Feu, était sans doute l'Agni celtique et l'une des principales divinités des Gaulois et des Celtes en général.
VISSVRIX
Notes :
(1) Quelques années avant la guerre, l'écrivain bourguignon Johannès Thomasset, commentant les énormes changements survenus dans notre mode d'existence à une époque comparativement toute récente, mettait particulièrement en relief la disparition du « foyer » au sens strict du terme, et ajoutait : « Cette rupture avec la plus ancienne habitude humaine est énorme de conséquences morales ». En fait il s'agit de quelque chose de plus grave encore : le signe que la Présence divine s'est véritablement retirée de nous. Et que dirions-nous du remplacement, dans tant d'églises, de la veilleuse d'autel par une lampe électrique du plus beau rouge ? La tradition bretonne (A. Le BRAZ Légende de la Mort, 1,80) prétend que l'extinction d'une seule des lampes sacrées sera l'« intersigne » de la fin du monde...
(2) On sait qu'il y a un rapport « niruktique » entre Agni (linguistiquement identique au latin ignis) et agnus ; le bélier ou l'agneau apparaissent d'ailleurs dans la tradition judéo-chrétienne comme des symboles « polaires » et « ignés » (le bélier d'Abraham, Gen, XXII, 13 ; l'Agneau « lampe » de la Jérusalem céleste, Apoc. XXI, 23).
(3) Cf. R. GUENON, L'homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XX.
(4) NATROVISSVS, Le Feu et l'Eau, dualité primordiale OGAM N°13 p.
119.
(5) LE BRAZ, loc. cit. introd. p. XIX-XX.
(6) Poème de Taliesin ; cf SKENE, Four ancient books of Wales II, 181 sqq.
Sources : OGAM – septembre 1951
Religion cosmique et folklore: l'Europe de Mircea Eliade
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- Catégorie : PHILOSOPHIE
« Tant de gens ont reproché à Eliade de ne pas être resté en Inde. Nous devons nous réjouir, au contraire, parce qu'il a accepté de se compromettre lui aussi, ici avec nous, et voir en cela un renoncement plus important que le renoncement contemplatif. Accepter l'histoire me semble être le plus grand héroïsme. »
(E. Cioran, Mircea Eliade et ses illusions, 1936)
Mircea Eliade (1907-1986) est connu, même du grand public, comme l'un des plus importants historiens des religions du 20ème siècle. Pour certains, il est le plus important. Ce titre, obtenu en vertu de la richesse et de la profondeur de ses interminables recherches et productions scientifiques, doit cependant être associé, pour se faire une idée organique de l'auteur, à son activité culturelle « non académique » si particulière et si débordante. C'est précisément dans cette partie de son opus, qui se compose de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre, d'articles de journaux, de pages de journaux intimes et de lettres (pensons à la splendide anthologie épistolaire avec Emil Cioran), qu'Eliade exprime tous les « non-dits » - pour reprendre une expression efficace de Marcello de Martino - de sa spéculation. La « sphère diurne » de son génie est ainsi flanquée d'une « sphère nocturne ». Au cœur de cette prose, à la fois intime et métaphysique, Eliade se révèle un intellectuel curieux et passionné, un enquêteur sismographique, au sens jüngerien - et ce n'est pas un hasard si, avec le « Contemplateur solitaire », il a dirigé pendant une dizaine d'années l’excellente revue Antaios -, un rhapsodiste des interférences entre le visible et l'invisible.
Dans l’ensemble de ce type d'écrits sont également inclus les entretiens accordés par l'auteur à plusieurs grands intellectuels de son temps. L'un des plus célèbres est celui avec l'écrivain français Claude-Henri Rocquet, qui est devenu un livre avec le titre La prova del labirinto (1978). Les dialogues contenus dans Mythes des origines et Rythmes cosmiques sont également importants. Il y a aussi Conversations (1973-1984), un texte récemment publié par Bietti et édité par Andrea Scarabelli et Horia Corneliu Cicortaş, dont s'inspire le présent article. Le volume rassemble également quatre entretiens avec Eliade, réalisés entre les années 1970 et 1980 par Alain de Benoist, Jean Varenne, Alfredo Cattabiani et Fausto Gianfranceschi. Avec une approche fluide et populaire, Eliade aborde certains des points fondamentaux de sa doctrine: la méthodologie herméneutique morphologique et comparative appliquée à l'histoire des religions, la dialectique hiérophanique, l'essence ontologique et cosmogonique du mythe, la fuite de l'histoire, la démythologisation à l'ère de la sécularisation, les « nouveaux mythes » modernes, le « camouflage du sacré dans le profane ».
Il en ressort également une question sur laquelle les critiques d'Eliade se sont rarement attardés, mais sur laquelle Eliade lui-même a développé des intuitions brillantes - même si elles n'étaient pas du tout systématiques: la recherche et la problématisation des racines et des perspectives métaphysiques de la tradition européenne. Déjà dans le Traité d'histoire des religions (1948), Eliade, dans sa construction de l'architecture universelle, avait attribué une importance particulière à l'étude comparative du folklore européen. Un aspect toujours présent dans les spéculations d'Eliade, et présenté de façon pionnière dans l'essai Folklorul ca instrument de cunoaștere, publié dans Revista Fundațiilor Regale (4, 1937). Parmi les rituels les plus fascinants mentionnés dans le traité, il y a certainement ceux typiques des sociétés paysannes, qui se déroulent aussi bien au printemps que pendant la récolte des cultures. En ces occasions, de manière cyclique, la « puissance », ou l'« esprit », est représentée directement par un arbre, ou une gerbe d'épis, et un couple humain, et les deux cérémonies ont une influence fertilisante sur la végétation, le bétail et les femmes. C'est toujours le même besoin, ressenti par l'homme archaïque, de faire les choses « en commun », « d'être ensemble ». Le couple qui personnifie la puissance ou le génie de la végétation est lui-même un centre d'énergie, capable d'accroître les forces de l'agent qu'il représente. La force magique de la végétation est accrue par le simple fait qu'elle est représentée par un jeune couple, riche au plus haut degré de possibilités - voire de réalisations - érotiques. Ce couple, « le marié » et « la mariée », n'est qu'un simulacre allégorique de ce qui s'est réellement passé autrefois: la répétition du geste primordial, la hiérogamie.
Dans l'entretien de 1973 avec Jean Varenne, Eliade propose une intuition fondamentale: l'Europe contemporaine, malgré l'avancée inéluctable de la modernité culturelle et socio-politique, paradigmatiquement associée à la sécularisation ou, tout au plus, à des formes de « seconde religiosité » (l'expression est d'Oswald Spengler), continuerait à conserver des traces significatives de son passé archaïque, celui où la dimension supra-historique de l'Origine - le temps de l'Éternel, l'illud tempus - s'incarnait dans le substrat germinal de l'histoire. En particulier, souligne Eliade dans un excursus typologique sur l'identité européenne, la culture néolithique « est encore bien vivante en Europe orientale, au sein de ce que nous avons l'habitude d'appeler le folklore ». Selon l'historien des religions, cet horizon de civilisation est particulièrement évident dans les « cultes agraires » déjà mentionnés, qui présentent une phénoménologie similaire sur tout le continent européen. De tels paradigmes cultuels témoignent « toujours de la même structure : c'est ce que j'appelle la religion (ou religiosité) cosmique, c'est-à-dire que le sacré s'y manifeste à travers le sens humain des rythmes cosmiques ».
Il existe, en somme, une unité spirituelle qui se manifeste dans un corpus mythico-symbolique, cultuel et rituel riche et multiple, dont l'origine remonte à l'aube de l'histoire. En ce point où l'Ineffable informe la réalité, selon un vecteur émanationniste, descendant au cœur de l'immanence et lui donnant une structure phénoménale. Les paradigmes religieux institutionnalisés, ainsi que, à différents niveaux, les voies ésotériques et initiatiques, viseraient notamment à rétablir la connexion subtile et intérieure entre l'individu, avec ses limites biologiques et égoïques, et cette Origine extratemporelle vers laquelle les civilisations, aussi modernes ou postmodernes soient-elles, ne cessent de tendre avec nostalgie. Le mythe cosmogonique assume alors en Europe une déclinaison archétypale spécifique en direction d'une religiosité cosmique qui est sa forme spécifique de sacralité. Eliade, faisant allusion à la notion de religiosité cosmique, semble se référer à une époque véritablement ancienne, qui fait apparemment abstraction du débat historique sur le rapport entre l'invasion des peuples indo-européens et les civilisations antérieures (de structure matrilinéaire et gilanique, selon les études de Gimbutas), pour rappeler une dimension encore plus archaïque, dans laquelle l'éternel rayonne hors du temps.
Ce qui est certain, c'est que la culture sécularisée de l'Occident vise depuis plusieurs siècles à éradiquer cette tradition. Selon les mots de Drieu la Rochelle, « l'Europe en est réduite à porter ses églises sans Dieu, ses palais sans rois comme des bijoux étincelants sur un sein défait ». Pourtant, rien ne nous empêche de supposer, logiquement et face à la puissance mythopoétique de l'histoire, que l'avenir peut révéler des manifestations nouvelles et plus claires de l'unité spirituelle archaïque et éternelle. Citant une conversation avec Teilhard de Chardin, Eliade note : « Si le dogme est éternel, les expressions dogmatiques sont transitoires ». C'est précisément dans ce passage que se révèle l'optimisme cosmique et métaphysique d'Eliade, ancré dans la conviction que les formes du sacré sont destinées à revenir dans le futur, dans ce côté lumineux du post-modernisme qui est resté jusqu'à présent occulté dans l'obscurité de son double négatif. La « fuite des dieux » et la « pauvreté du monde » (Friedrich Hölderlin), caractéristiques de l'ère de la démythologisation, sont des phénomènes transitoires, auxquels l'Occident devra remédier en se tournant tout autant vers l'Orient - et Eliade fait ici écho à Simone Weil : « L'Europe n'a peut-être pas d'autre moyen pour éviter d'être décomposée par l'influence américaine qu'un nouveau contact, vrai, profond, avec l'Orient » (Une constituante pour l'Europe) - autant que, et surtout ajouterions-nous, en elle-même, dans ses propres profondeurs et abîmes, dans cette suppression de la verticalité anthropologique (de l'homo religiosus, dirait Eliade, repris plus tard par Julien Ries) qui est l'héritage le plus funeste du réductionnisme moderne. Pour conquérir l'avenir, il est nécessaire de récupérer le passé, dans sa dimension métaphysique-symbolique plus que dans sa dimension chronologique. Un passé, pour ainsi dire, qui est toujours contemporain de tous les âges ou pas du tout: « Nous nous libérons de l'œuvre du Temps - explique Eliade dans Mythe et réalité - avec la mémoire, avec l'anâmnèsis. L'essentiel est de se souvenir de tous les événements ». La connaissance ne passe pas par l'invention, en somme, mais plutôt par le souvenir.
« Je crois », déclarait Eliade avec confiance à Fausto Gianfranceschi en 1983, « qu'en Occident aussi, nous commençons à réapprendre le langage symbolique qui enrichit le sens de la réalité ».
Au niveau diachronique, nous pouvons voir comment la religiosité cosmique archaïque a été intégrée de manière métamorphique dans les polythéismes antiques, pour être rejetée par le monothéisme juif et finalement réabsorbée par le christianisme: au niveau historique, rappelle Eliade dans un entretien avec Alain de Benoist en 1979, également contenu dans le livre dont nous parlons, « il s'agissait d'homologuer des univers religieux différents, afin d'uniformiser culturellement l'écoumène ». Ainsi, par exemple, les nombreux héros et dieux tueurs de dragons de la tradition indo-européenne étaient identifiés à saint Georges. De même, en Grèce, après l'incendie du sanctuaire d'Éleusis en 396, événement symbolisant la fin du paganisme, un saint Démétrius, patron sacré de l'agriculture, est suspendu de manière tout à fait naturelle à la place de la déesse Déméter... ». C'est le christianisme cosmique d'Origène, de Denys, de Saint Bonaventure et de Nicolas de Cues, dans lequel le domaine de l'histoire et celui de la méta-histoire sont toujours entrelacés.
On ne peut comprendre l'identité européenne, dans ses manifestations historiques et religieuses différentes et parfois antagonistes, sans considérer son expérience du sacré, qui est « l'expérience d'une réalité absolue, transcendante, [...] à travers laquelle le monde prend un sens organique », sous la forme d'une religiosité cosmique. C'est une sensibilité, celle d'Elias, vers une sophia prisca, de matrice universelle, presque dans un sens pérénnaliste, mais déclinée dans un sens proprement européen. Elle a trouvé l'une de ses manifestations les plus marquantes dans l'histoire récente au sein de la Renaissance italienne et de sa redécouverte, dans le sillage de l'hermétisme et du néoplatonisme, de l'Orient symbolique qui a toujours été situé au cœur de l'Eurasie. Et l'Europe dont parle Eliade, dans une perspective qui a dépassé de manière critique tout provincialisme et revanchisme, a sans aucun doute une dimension eurasienne, en étant un pont et, en même temps, une singulière conjonction polaire de l'Est et de l'Ouest, un horizon de voies alternatives mais syntoniques par rapport à « l'instinct fondamental touché par le destin à la nature humaine : Sortir de soi, se fondre dans l'autre, échapper à une solitude limitée, tendre vers une liberté parfaite dans la liberté de l'autre » (Eliade, La bibliothèque et les soliloques du Mahārājah). Dans une tension destinale entre la subordination amère et passive au divin (subordination à la loi, la Voie de la Main Droite) et la joie extatique qui naît de la perception de notre pouvoir magique-démiurgique (victoire sur la loi, la Voie de la Main Gauche). Ainsi, lorsque le jeune Eliade révèle dans une lettre à son ami Cioran, en novembre 1935, qu'il éprouve du dégoût pour l'Europe et souhaite l'indépendance de sa chère Roumanie vis-à-vis de « ce continent qui a découvert les sciences profanes, philosophie et égalité sociale », il comprenait déjà que la vérité traditionnelle s'était éteinte dans l'Europe moderne, et pourtant, peut-être, accompagnant un certain pessimisme tragique et fataliste de sa jeunesse, il n'avait pas encore saisi les signes que, dans sa maturité, il apprendrait à lire comme les signes d'une possible renaissance du sacré. De plus, nous ne faisons que mentionner ici, les études ethnologiques les plus récentes révèlent comment l'Europe de l'Est (y compris, évidemment, la Roumanie d'Héliades) a été une zone centrale dans la formation du substrat rural, historique et symbolique du continent (A. Douguine note à cet égard, dans son récent Noomachìa, que « l'Europe de l'Est, communément considérée comme périphérique et marginale par la civilisation gréco-romaine et plus tard par la civilisation occidentale, devrait être considérée au contraire comme un pôle central de la civilisation européenne. C'est en Europe orientale qu'a eu lieu l'événement clé de l'histoire ontologique et sémantique européenne - la rencontre entre les deux horizons existentiels paléo-européen [gynocratique] et indo-européen ».
Quoi qu'il en soit, c'est précisément dans le rapport complexe entre l'Un et le multiple, l'univocité et la pluralité, que se construit l'identité européenne, dans le rapport dialectique entre deux niveaux de complexité que le philosophe Massimo Cacciari a bien exposé dans sa Géo-philosophie de l'Europe, avec l'image suivante: « D'une part, elle [l'Europe] ne peut pas se concevoir sans l'idée d'une commune originalité de toutes choses. Si la différenciation était originale, comment l'ordre harmonique pourrait-il se déterminer sinon comme une simple contingence, un simple hasard? D'autre part, elle est le produit d'un concours entre les multiples, d'où naît cette connexion, cette harmonie visible, composée d'éléments différents. Cette harmonie visible coïncide avec la direction, avec le sens de la dispute ». L'accord, en somme, naît de la discorde. L'harmonie est, pour citer à nouveau Cacciari, « l'âme insaisissable, la psyché de la contention, le "coup de foudre" qui guide tous ses mouvements ». C'est la particularité, la Gestalt du mythe européen, un horizon culturel et géographique qui se définit, avant tout, en termes métaphysiques et anthropologiques. C'est ce que révèle son mythe fondateur, le viol d'Europe (épiphanie de la Mère) par Zeus (le dieu Père par excellence): ici, la hiérophanie solaire et ouranique se heurte à l'archétype féminin, dans une polarité de rencontre-choc où la médiation s'opère symboliquement dans la même figure de Zeus, qui, pour conquérir la fascinante Europe, doit devenir un taureau, une figure féconde et créatrice (virile-solaire) et en même temps tellurique-lunaire.
Sur les chemins d'un « nouvel humanisme », intégral, holistique, multidimensionnel, Eliade a ainsi élaboré une interprétation raffinée et inhabituelle du rapport entre mythe et réalité. Une herméneutique à matrice universelle, dont les lentilles interprétatives offrent des clés particulièrement fécondes pour comprendre et repenser l'identité européenne.
Luca Siniscalco
Ex:https://www.grece-it.com/2021/03/28/religiosita-cosmica-e-folklore-leuropa-di-mircea-eliade/
La fille d'Egtved
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- Catégorie : ARCHEOLOGIE
La momie de la « fille d'Egtved », baptisée du nom du village de la péninsule danoise du Jutland, où elle a été découverte en 1921, offre un aperçu de la vie quotidienne des habitants d'Europe du Nord aux alentours de 1370 avant J.-C. à l'âge de bronze. Les restes (ongles, dents et longs cheveux) ont été passés au crible des technologies modernes. L'état de conservation de ses vêtements ainsi que de bijoux en bronze est remarquable et donne des éléments précieux aux chercheurs.
Lire Carl Schmitt pour affronter le 21ème siècle
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- Catégorie : PHILOSOPHIE
Depuis des décennies, les spécialistes des relations internationales confondent le terme « Nouvel ordre mondial » avec les sphères sociales, politiques ou économiques. Aujourd'hui encore, peu d'entre eux confondent ce terme avec l'ère de l'information, Internet, l'universalisme, la mondialisation et l'impérialisme américain. Contrairement à la catégorisation complexe du Nouvel Ordre Mondial, le concept de l'Ancien Ordre Mondial était un phénomène purement juridique. Cependant, du point de vue de la modernité, le terme de Nouvel Ordre Mondial est un phénomène purement idéologique et politique, qui incarne diverses manifestations telles que la démocratie libérale, le capitalisme financier et l'impérialisme technologique.
Dans son ouvrage principal La notion du politique, Carl Schmitt émet une critique sévère à l'encontre de l'idéologie libérale et lui préfère le décisionnisme compétitif. C'est pourquoi, selon les critiques de Schmitt, l'ensemble du texte de la Notion du politique est rempli de connotations autoritaires. Néanmoins, on ne peut nier que c'est la philosophie politique radicale de Carl Schmitt qui a ouvert la voie à la révolution conservatrice en Europe. Aujourd'hui encore, ses écrits sont considérés comme l'une des principales contributions du 20ème siècle à la philosophie politique.
Dans ses œuvres majeures telles que Le Nomos de la terre, Parlementarisme et démocratie, La notion du politique et La dictature, Carl Schmitt utilise fréquemment des termes simples tels que « actuel », « concret », « réel » et « spécifique » pour exprimer ses idées politiques. Cependant, il avance la plupart des idées politiques fondamentales en utilisant le cadre métaphysique. Par exemple, dans le domaine politique au sens large, Carl Schmitt a anticipé la dimension existentielle de la « politique actuelle » dans le monde d'aujourd'hui.
Au contraire, dans son célèbre ouvrage La Notion du politique, les lecteurs sont confrontés à l'interaction entre les aspects abstraits et idéaux et les aspects concrets et réels de la politique. La compréhension des distinctions discursives de Schmitt est peut-être nécessaire lorsqu'il s'agit de déconstruire le discours intellectuel promu par les libéraux. Cependant, il faut garder à l'esprit que pour Schmitt, le concept de politique ne se réfère pas nécessairement à un sujet concret tel que l'« État » ou la « souveraineté ». À cet égard, son concept du politique fait simplement référence à la dialectique ou à la distinction ami-ennemi. Pour être plus précis, la catégorisation du terme « politique » définit le degré d'intensité d'une association et d'une dissociation.
En outre, la fameuse dialectique ami-ennemi est également le thème central de son célèbre ouvrage La Notion du politique. De même, la fameuse distinction ami-ennemi dans le célèbre ouvrage de Schmitt a une signification à la fois concrète et existentielle. Ici, le mot « ennemi » fait référence à la lutte contre la « totalité humaine », qui dépend des circonstances. À cet égard, tout au long de son œuvre, l'un des principaux centres d'intérêt de Carl Schmitt a été le sujet de la « politique réelle ». Selon Schmitt, l'ami, l'ennemi et la bataille ont une signification réelle. C'est pourquoi, tout au long de son œuvre, Carl Schmitt est resté très préoccupé par la théorie de l'État et de la souveraineté. Comme l'écrit Schmitt :
« Je ne dis pas la théorie générale de l'État ; car la catégorie, la théorie générale de l'État... est une préoccupation typique du 19ème siècle libéral. Cette catégorie découle de l'effort normatif visant à dissoudre l'État concret et le Volk concret dans des généralités (éducation générale, théorie générale du droit, et enfin théorie générale de la connaissance ; et de cette manière à détruire leur ordre politique » [1].
En effet, pour Schmitt, la vraie politique se termine toujours en bataille, comme il le dit, « La normale ne prouve rien, mais l'exception prouve tout ». Ici, Schmitt utilise le concept d'« exceptionnalité » pour surmonter le pragmatisme du libéralisme. Bien que, dans ses écrits ultérieurs, Carl Schmitt ait tenté de dissocier le concept de « politique » des sphères de contrôle et de limitation, il a délibérément échoué. L'une des principales raisons pour lesquelles Schmitt a isolé le concept de politique est qu'il voulait limiter la catégorisation de la distinction ami-ennemi. Un autre objectif majeur de Schmitt était de purifier le concept de « Politique » en le dissociant de la dualité sujet-objet. Selon Schmitt, le concept du politique n'est pas un sujet et n'a aucune limite. C'est peut-être la raison pour laquelle Schmitt préconisait de regarder au-delà de la conception et de la définition ordinaires de la politique dans les manuels scolaires.
Pour Schmitt, c'est le libéralisme qui a introduit la conception absolutiste de la politique en détruisant sa signification réelle. À cet égard, il a développé son idée même du « Politique » sur fond de « totalité humaine » (Gesamtheit von Menschen). L'Europe d'aujourd'hui devrait se souvenir de l'année révolutionnaire sanglante de 1848, car la soi-disant prospérité économique, le progrès technologique et le positivisme sûr de soi du siècle dernier se sont conjugués pour produire une longue et profonde amnésie. Néanmoins, on ne peut nier que les événements révolutionnaires de 1848 ont suscité une anxiété et une peur profondes chez les Européens ordinaires. Par exemple, la célèbre phrase de l'année 1848 se lit comme suit :
« C'est pourquoi la peur s'empare du génie à un moment différent de celui des gens normaux. Ces derniers reconnaissent le danger au moment du danger ; jusque-là, ils ne sont pas en sécurité, et si le danger est passé, alors ils sont en sécurité. Le génie est le plus fort précisément au moment du danger ».
Malheureusement, c'est la situation intellectuelle difficile de la scène européenne en 1848 qui a provoqué une anxiété et une détresse révolutionnaires chez les Européens ordinaires. Aujourd'hui, les Européens ordinaires sont confrontés à des situations similaires dans les sphères sociale, politique et idéologique. L'anxiété croissante de la conscience publique européenne ne peut être appréhendée sans tenir compte de la critique de la démocratie libérale par Carl Schmitt. Il y a un siècle et demi, en adoptant la démocratie libérale sous les auspices du capitalisme de marché, les Européens ont joué un rôle central dans l'autodestruction de l'esprit européen.
Le vicieux élan technologique du capitalisme libéral a conduit la civilisation européenne vers le centralisme de connivence, l'industrialisme, la mécanisation, et surtout la singularité. Aujourd'hui, le capitalisme néolibéral a transformé le monde en une usine mécanisée à la gloire du consommateur, dans laquelle l'humanité apparaît comme le sous-produit de sa propre création artificielle. La mécanisation déstructurée de l'humanité au cours du siècle dernier a amené la civilisation humaine à un carrefour technologique. Ainsi, le dynamisme technologique du capitalisme démocratique libéral représente une menace énorme pour l'identité civilisationnelle humaine.
Shahzada Rahim
Note:
(1) Wolin, Richard, Carl Schmitt, Political Existentialism, and the Total State, Theory and Society, volume no. 19, no. 4, 1990 (pp. 389-416). Schmitt considère la dialectique ami-ennemi comme la pierre angulaire de sa critique du libéralisme et de l'universalisme.
Un raider sudiste: John Hunt Morgan par A. Sanders
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- Catégorie : HISTOIRE
Général sudiste et officier de cavalerie, John Hunt Morgan (1825-1864) est né à Huntsville, Kentucky (mais selon d’autres sources il serait né en Alabama). C’est l’aîné d’une fratrie de dix enfants.
Ses grands-parents paternels sont Luther et Anna (née Cameron) Morgan. Luther Morgan, comme son fils Calvin (le père de John Hunt) plus tard, connaîtra des revers de fortune. La famille quittera alors Huntsville pour s’installer à Lexington et se reconvertir dans l’agriculture.
Pendant deux ans, John Hunt suivra les cours du Transylvania College. Il en sera exclu pour s’être battu en duel avec un de ses condisciples. Ce qui ne l’empêchera pas – et tout au contraire – de se préparer à une carrière militaire.
En 1846, avec son frère, Calvin, il s’engage dans la cavalerie US et participe à la guerre américano-mexicaine. Nommé sous-lieutenant, puis promu lieutenant, il reçoit le baptême du feu à la bataille de Buena Vista. De retour au Kentucky, il s’occupe d’une manufacture de chanvre. En 1848, il épouse la sœur de son associé, Rebecca Gretz Rice, âgée de 18 ans.
En 1853, sa femme donne naissance à un enfant mort-né. Avec de graves conséquences pour elle-même : une phlébite qui nécessitera qu’on l’ampute. John Hunt, qui mène une vie un peu dissolue (le jeu et les femmes), n’a pas abandonné sa vocation militaire. En 1852, il lève une milice (une compagnie d’artillerie) qui sera dissoute deux ans plus tard par les autorités de l’État. En 1857, il met sur pied une compagnie d’infanterie connue sous le nom de Lexington Rifles.
A l’origine, John Hunt n’est pas un partisan de la sécession qui s’annonce. Après l’élection de Lincoln, en 1860, il écrit à son frère Thomas : « J’espère que notre État ne va pas faire sécession. Je ne doute pas que Lincoln sera un bon président, on doit au moins lui laisser une chance et si, par la suite, il dérive, alors le Sud devra s’unir ».
Au printemps suivant, ce même frère, Thomas, choisit de soutenir la sécession. Le 4 juillet (date symbolique) 1860, il s’engage dans la Kentucky State Guard. John Hunt, lui, s’occupe de sa femme dont l’état ne cesse de s’aggraver. Elle meurt le 21 juillet 1861.
Cette même année, il passe au Tennessee avec ses Lexington Rifles pour se mettre au service de la Confédération. Il crée le 2nd Kentucky Cavalry Regiment dont il devient le colonel le 4 avril 1862. A la tête de son régiment, il sera de la bataille de Shiloh et milite pour que le Kentucky fasse sécession.
Le 4 juillet 1862, il quitte Lexington avec 900 hommes et mène un raid audacieux loin à l’intérieur du Kentucky, sur les arrières de l’armée nordiste du major général Don Carlos Buell. Il capture 1200 Yankees (il les libérera sur parole), récupère plusieurs centaines de chevaux et cause de lourds dommages matériels à l’armée ennemie.
Promu brigadier général le 11 décembre 1862, il reçoit les félicitations du Congrès confédéré pour ses raids répétés et toujours dévastateurs, notamment contre le général nordiste William S. Rosecrans. Il participera à la bataille de Hartsville le 7 décembre 1863.
Le 14 décembre de la même année, il épouse Martha « Mattie » Ready, fille du représentant des Tennessee United States, Charles Ready, et cousine d’un autre ancien représentant des États-Unis au Tennessee, William T. Haskell.
Espérant pouvoir tailler des croupières aux forces yankees mobilisées par les combats de Vicksburg et de Gettysburg, il monte un raid passé à la postérité sous le nom de Morgan’s Raid (le raid de Morgan). Il traverse la rivière Ohio et fonce droit devant à travers le sud de l’Indiana et de l’Ohio. A Corydon, il est accroché par 450 hommes de la Home Guard.
Au cours de nombreuses escarmouches qui lui permettront de capturer des centaines de Nordistes (toujours libérés sur parole, il ne peut s’encombrer de prisonniers), le Morgan’s Raid prend fin le 19 juillet 1863 à Buffington Island, Ohio, où près de 700 de ses hommes sont capturés alors qu’ils tentaient de passer en Virginie occidentale. Ils connaîtront les horreurs du camp de concentration de Camp Douglas à Chicago (on y comptera des centaines de morts). Le 26 juillet, Morgan et ses hommes, traqués, épuisés, affamés, sont contraints de se rendre.
Le 27 novembre, avec six de ses officiers (dont Thomas Hines, un combattant de légende), il s’échappe du pénitencier de l’Ohio en creusant un tunnel sous les baraquements. Morgan et trois officiers grimpent dans un train près de Columbus et en descendent en marche à Cincinnati. Sur un radeau, ils vont descendre la rivière Ohio et, grâce à la complicité de sympathisants de la Cause, réussir à regagner les lignes sudistes.
Malgré les succès des Raiders, les Nordistes ont regroupé des milices – près de 110 000 hommes – dans l’Illinois, l’Indiana et l’Ohio. Des douzaines de canonnières yankees croisent sur l’Ohio et des forces de cavalerie mènent la vie dure aux francs-tireurs sudistes.
Ce n’est pas pour faire peur à Morgan qui organise de nouveaux raids au Kentucky. Mais la donne à changer : les Nordistes tiennent désormais la plus grande partie de l’État. Son dernier raid a lieu en juin 1864, avec un pic, la seconde bataille de Cynthiana. Ayant dispersé les Yankees à Keller’s Bridge, sur la rivière Licking, près de Cynthiana, Morgan commet l’erreur d’affronter une force de cavalerie supérieure en nombre. Un désastre. Ses hommes sont laminés et seule une petite partie d’entre eux réussiront à sortir de la nasse.
Cet échec lui fait perdre la confiance du général sudiste Braxton Bragg (qui n’a jamais vraiment apprécié ces électrons libres rétifs à la discipline militaire). Il n’empêche que, le 22 août 1864, il prend le commandement du Trans-Alleghany Department engagé dans l’est du Tennessee et le sud-ouest de la Virginie.
Mais la chance a tourné. Le raid du 4 septembre 1864 sur Knoxville, Tennessee, lui est fatal. Il est tué par des cavaliers nordistes près de Greenville.
Il sera enterré au cimetière de Lexington, peu de jours avant la naissance de sa seconde fille.
Une tombe toujours très visitée car Morgan n’est pas oublié :
- la Morgan High School de McConnelsville, Ohio, qui porte son nom, a nommé sa mascotte « The Raiders » en hommage aux exploits de John Hunt dans le sud-est de l’État
- la South Ripley High School de Versailles, Indiana, a également nommé sa mascotte « The Raiders » en souvenir d’un des raids victorieux de Morgan dans la région
- la Hart Country High School de Munfordville, Kentucky, site d’une bataille remportée par les Sudistes, a aussi une mascotte « The Raiders » .
- une fresque, sur un mur de la ville, rappelle les exploits de Morgan
- la Trimble Country High School de Bedford, Kentucky, a elle aussi sa mascotte « The Raiders »
- à Lexington, John Hunt a sa statue au John Hunt Morgan Memorial
- on peut visiter la Hunt-Morgan House, sa maison à Lexington
- le pont sur East Main Street/ US Route 11 d’Abingdon, Virginie, s’appelle le John Hunt Morgan Bridge
- le pont sur South Main Street/ US Route 27 à Cynthiana, Kentucky, s’appelle aussi le John Hunt Morgan Bridge
- à Greenville, Tennessee, où il fut tué, il y a une General Morgan Inn
- le bataillon de la Kentucky Army National Guard Field Artillery est connue sous le nom de Morgan’s Men (« Les hommes de Morgan »)
- il y a des statues de Morgan à Pomeroy, Ohio, et à Lexington, Virginie.
Pour aller plus loin :
- Duke, Basil W., Morgan’s Cavalry, New York, 1906
- Gorin-Smith, Betty Jane, « Morgan Is Coming ! » : Confederate Raiders in the Heartland of Kentucky, Harmony House Publishers, 2006
- Johnson, Robert Underwood, and Buel, Clarence C., Battles and Leaders of the Civil War, Century Co., 1884-1888
- Mowery, David L., Morgan’s Great Raid : The Remarkable Expedition from Kentucky to Ohio, History Press, 2013
- Rue, George Washington, Maj. (1828-1911), Celebration of the Surrender of General John H. Morgan, Ohio Archaelogical and Historical Publications, Volume 20 (1911).
Alain Sanders
Vieux futhark, futhorc, futhark récents ...Mais pourquoi tant de runes ! par Halfdan Rekkirsson
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- Catégorie : Traditions
Etudier les runes, c'est bien. Mais encore faut-il savoir QUELLES RUNES ? Car il a existé, durant toute la période pré-chrétienne de la Germanie, plusieurs systèmes runiques, issus du vieux futhark, et dont la création a suivi les évolutions linguistiques des peuples qui les ont utilisés. Cette vidéo est l'occasion d'y voir plus clair, et de découvrir, de nouveau, une part de l'histoire aussi riche que complexe des différents peuples germaniques, histoire dont l'étude est inhérente à celle des runes.
Les relations entre Joris Van Severen et Pierre Nothomb
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- Catégorie : HISTOIRE
Le numéro 24 (année 2020) de la publication annuelle en néerlandais du Centre d’étude Joris Van Severen (1) consacre un article aux relations entretenues par Pierre Nothomb (1887-1966), fer de lance du nationalisme belge, et Joris Van Severen (1894-1940), au départ nationaliste flamand mais qui a évolué de l’idée d’une union entre les Pays Bas et la Flandre vers celle du regroupement, au sein d’un nouvel État, des Pays Bas, de l’ensemble de la Belgique, du Luxembourg et de la Flandre française, sous la direction du Roi Léopold III.
L’auteur de cette production intellectuelle, Ruud Bruijns, habitant à Lelystad, le chef-lieu de la province néerlandaise de Flevoland, base ses recherches sur les archives de Pierre Nothomb déposées au CEGESOMA (2), (3), (4) à Bruxelles en Belgique.
L’étude porte sur le fait de savoir qui a influencé l’autre, Nothomb ou Van Severen ? Il apparaît désormais que chacun des deux a eu plus besoin de l’autre pour ses actions politiques respectives, que ce qui était jusqu’à présent établi : Nothomb désirait des contacts néerlandophones et Van Severen voulait utiliser les relations de Nothomb avec les autorités.
Bruijns met en avant que Joris Van Severen était conscient du fait que, depuis l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale début septembre 1939, il devait éviter de se trouver dans le viseur des autorités belges, comme il l’avait été en 1933-1934. Cela peut expliquer pourquoi à l’automne 1939 Van Severen a agi de manière si prudente et si proche de la politique de neutralité officielle belge.
Le Verdinaso devient fréquentable
Alors que l’idée, prônée par Pierre Nothomb, de réalisation d’une Grande Belgique n’est pas prise au sérieux par l’establishment belge, Nothomb est utilisé par les nationalistes flamands en tant que caricature de l’hypernationalisme belge.
Le Verdinaso, le mouvement dirigé par Joris Van Severen, est, quant à lui, brouillé, dès sa création en 1931, avec les autorités belges et est ouvertement séparatiste, tout en érigeant une milice afin de réaliser son programme révolutionnaire visant au renversement du système politique et administratif belge.
Cette situation conduit le Verdinaso à rencontrer des problèmes. Ainsi, les autorités mettent en place des mesures visant à interdire les milices privées et les uniformes en ciblant ouvertement la milice du Verdinaso. Joris Van Severen lance alors, en 1934, sa nouvelle direction de marche (Nieuwe Marsrichting), mais cela prend encore des années avant que l’image radicale des débuts du mouvement ne soit atténuée.
Le 1er février 1937, le Conseil des ministres belge lève l’interdiction de vente dans les gares de l’organe de presse Hier Dinaso !. Lors du sixième congrès du Verdinaso, le 29 août 1937 à Anvers, la perspective d’une union entre les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg est pour la première fois mise en avant : les drapeaux belges et néerlandais sont hissés et Joris Van Severen parle en français aux Wallons (et Luxembourgeois).
Le pays thiois n’est plus mis en avant, mais désormais l’empire thiois est prôné, réunissant la Belgique, les Pays Bas et leurs colonies respectives. Lorsque le Roi Léopold III visite Tielt le 7 novembre 1937, la section locale du Verdinaso se trouve devant son local sur la façade duquel est fixé un panneau portant les mots : « Majesté, le Verdinaso vous salue plein d’espoir ».
Ces éléments signifient une réconciliation entre le Verdinaso et l’ordre établi et ainsi une fréquentabilité grandissante du Verdinaso.
Au sein des cercles nationalistes belges francophones, le Verdinaso est perçu en tant que force anti-séparatiste défendant l’unité du pays et visant à la réunification des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Cette dernière idée constitue en 1939 le principal thème mis en avant par le Verdinaso. Le 25 février 1939, Joris Van Severen parle, au sein du théâtre de la ville d’Ypres (Ieper), du Benelux. En mars 1939 sort un organe de presse portant le nom Pays Bas Belgique. Organe mensuel du Verdinaso, titre plaidant pour l’unité belgo-néerlandaise.
Le 28 mars 1939, Joris Van Severen tient à Bruxelles un discours en français au sein duquel il considère que la Révolution belge de 1830 est un incident et réclame la réunification des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg. En juillet 1939, la constitution de l’association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg, préparée depuis plusieurs mois, est officiellement annoncée.
C’est le prélude au congrès prévu le 10 septembre 1939, organisé par un jeune impliqué dans l’association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg sous la devise « Belgique, Pays Bas et Luxembourg ». Le 30 août 1939, Joris Van Severen décide de déclarer à la presse que le congrès est ajourné en attendant la prise de position des autorités.
IIe Guerre mondiale
L’éclatement de la IIe Guerre mondiale lors de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande le 1er septembre 1939 et la déclaration de la neutralité belge qui suit rétrécit encore plus les marges de manœuvre. Le 2 septembre, Joris Van Severen déclare dans l’organe de presse Hier Dinaso ! : « … que le Verdinaso place toutes ses forces au service de la défense de la patrie et dans le maintien de l’indépendance de la Belgique et de sa stricte neutralité, sous la haute direction du Roi Léopold III ».
Le 2 novembre 1939, Pierre Nothomb lance un appel en faveur de la Ligue de l’indépendance nationale dans lequel il estime que la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg doivent former un phare de la civilisation dans l’œil de la tempête. Le 10 novembre, le Conseil des ministres en arrive à la conclusion que dans le cas où seuls les Pays Bas seraient attaqués, la Belgique n’interviendrait pas mais les alliés (France et Grande-Bretagne) devraient être appelés à la rescousse et la Belgique abandonnerait ainsi sa neutralité. À l’automne 1939, il n’est donc pas question d’un rapprochement entre les Pays Bas et la Belgique.
Action commune de Nothomb et Van Severen
D’après le biographe de Joris Van Severen, Arthur de Bruyne, Pierre Nothomb cherche à entrer en contact avec Van Severen. Le 29 décembre 1939, Pierre Nothomb prend contact avec Joris Van Severen à propos du texte néerlandophone de la Ligue de l’Indépendance nationale qui est paru dans Hier Dinaso !
Malgré l’approche nationale belge exprimée au sein du manifeste de la Ligue nationale de l’Indépendance, Pierre Nothomb est fin 1939 clairement sous l’influence de Van Severen, comme l’indique une lettre du 29 décembre 1939 : « Je me suis rendu compte de tout ce que notre collaboration pouvait apporter à la grandeur des Pays Bas. »
Pierre Nothomb, qui au début des années 1920 est considéré comme un chauviniste belge en raison de son plan d’annexion de territoires néerlandais, est visiblement devenu compréhensif envers les opinions de Van Severen à propos des Pays Bas. En d’autres mots, Van Severen ne s’est pas déplacé en direction du belgicisme, comme il est souvent supposé, mais a gagné des belgicistes à son combat pour la réunification des Pays Bas.
Nothomb ne désire pas seulement une traduction de son manifeste en néerlandais, mais veut également un accès au carnet d’adresses de Van Severen. La liste de Nothomb consiste avant tout en noms francophones de l’establishment belge. Il demande pour cette raison à Van Severen un nombre de noms de personnes importantes en Flandre. Dans d’une lettre du 3 janvier 1940, il apparaît que Van Severen est d’accord mais exige une place de premier ordre sur la liste des signataires, directement après les noms des premiers d’entre eux ou même à côté de celui de Pierre Nothomb.
Plus de deux semaines plus tard, Van Severen envoie le texte en néerlandais à Nothomb en précisant qu’en plus du nom de Van Severen, il demande que soit indiqué qu’il est le dirigeant du Verdinaso.
Dernière étape pour le tandem Nothomb-Van Severen
Au début du mois de mars 1940, le manifeste néerlandophone sort et Van Severen commande 50 exemplaires à Nothomb. Ce manifeste n’est pas seulement soutenu par Van Severen, mais aussi par le Verdinaso en tant qu’organisation.
Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg. Joris Van Severen est arrêté par les autorités belges car il est considéré par celles-ci comme un danger, alors que Van Severen ne s’attend pas à cela et pense encore, après son arrestation, être bientôt de retour à la maison. Pierre Nothomb intervient auprès des autorités en faveur de la libération de Van Severen et écrit au domicile de Van Severen, Ce dernier n’est pas relâché, mais transféré vers la France où il est assassiné, le 20 mai 1940, à Abbeville par des soldats français.
BRUIJNS Ruud
Notes :
(1) http://www.jorisvanseveren.org
(2) Le CegeSoma, quatrième direction opérationnelle des Archives de l’État, est le centre d’expertise belge de l’histoire des conflits du XXe siècle.
(3) https://www.cegesoma.be/fr/le-cegesoma
(4) https://www.cegesoma.be/fr/archives-de-pierre-nothomb
Source : BRUIJNS Ruud, « Joris van Severen en Pierre Nothomb », in Jaarboek Joris Van Severen 24, Ieper, 2020, p. 71 à 94.
L'islamisation forcée de la Bosnie-Herzégovine pendant la guerre des Balkans
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- Catégorie : Islam
Les Bosniaques, les Serbes et les Croates sont un seul et même peuple de la famille slave qui est arrivé dans les Balkans vers le VIIème siècle de notre ère. Ils parlent la même langue, le serbo-croate, bien que chaque pays l'appelle différemment: serbe, bosniaque ou croate – langue que les Croates et les Bosniaques écrivent avec l'alphabet latin, tandis que les Serbes utilisent le cyrillique. Mais il existe un élément qui les différencie au point de les opposer et de les rendre hostiles les uns aux autres tout au long de l'histoire: la religion. Slaves christianisés, les Serbes ont été convertis entre 867 et 869 par l'empereur byzantin Basile Ier, après qu'ils aient reconnu son autorité, et sont donc devenus des chrétiens orthodoxes, tandis qu'en 879 le pape Jean VIII a reconnu le souverain croate, le duc Branimir, ce qui indique que leur christianisation s’est déroulée dans un contexte catholique-romain.
La situation est restée telle jusqu'à l'impact de la conquête des Balkans par l'Empire turc en 1463, lorsque la Bosnie, qui faisait jusqu'alors partie de la Croatie - la « Croatie rouge » - est passée aux mains des Ottomans et que le gros de sa population s'est convertie à l'Islam, ce qui n'est pas arrivé aux Serbes qui ont conservé leur religion même sous la domination ottomane. La Croatie a toujours été défendue contre les assauts turcs, d'abord par la Sérénissime République de Venise, puis par l'Empire austro-hongrois. C'est l'origine de l'inimitié atavique entre Croates, Serbes et Bosniaques (nom donné aux Slaves du Sud de religion musulmane).
Géographiquement, le pays est divisé en deux zones: la Bosnie, au nord du pays, et l'Herzégovine, qui doit son nom à Stefan Vukcic, qui, dans une lettre adressée à l'empereur Frédéric II peu avant l'invasion turque, signait en tant que Grand-Duc de Bosnie. Le terme « duc » en allemand se dit « Herzog », ce qui explique que la région soit connue sous le nom d'Herzégovine (le duché) dans les documents de l'époque, avant d'être officialisée au milieu du XIXème siècle, lorsque, étant toujours une province turque, elle a été officiellement appelée Bosnie-Herzégovine.
La Bosnie est restée sous domination turque jusqu'en 1878 (bien qu'elle ait été libérée par les Autrichiens entre 1718 et 1739), date à laquelle les Bosniaques se sont révoltés contre le sultan Abdulhamid II, influencés qu’ils étaient à l’époque par la révolution nationaliste de leurs voisins et frères serbes sur le plan ethnique (mais pas sur le plan religieux). Ces révoltes provoquent l'intervention des Austro-Hongrois et des Russes, qui finissent par expulser les Ottomans de la Bosnie, qui se retrouve administrée par l'Empire austro-hongrois, comme la Croatie et, partiellement, la Serbie. Après son démembrement à la suite de la Première Guerre mondiale, la Bosnie a fait partie d'un nouvel État, la Yougoslavie, qui a été divisée pendant la Seconde Guerre mondiale - lorsque la Bosnie a fait partie de l'État indépendant de Croatie – puis, suite à l’effondrement de l’Axe, a été reconstituée après 1945.
Pendant plusieurs siècles, les catholiques (Croates) et les orthodoxes (Serbes) qui vivaient en Bosnie-Herzégovine se définissaient comme des chrétiens, tandis que les musulmans étaient appelés « Turcs », un terme qui n'est pas équivalent à « Osmanli » ou « Turkuse », désignant les Turcs eux-mêmes (1). Si les catholiques bosniaques s’identifiaient pleinement à la Croatie, et les Serbes bosniaques à la Serbie, ils mettaient les musulmans bosniaques dans la position de prendre l'Islam comme principal élément d'identification. C'est ainsi que la question fondamentale se pose. Pour fonder l'existence d'un État bosniaque-herzégovin, il y avait deux possibilités: inclure les catholiques, les orthodoxes et les musulmans dans une seule République unitaire (nationalisme bosniaque), ou prendre l'Islam comme un élément sur lequel construire leur identité nationale (2) laissant (selon un nationalisme islamique) en suspens le cas des « minorités » catholiques et orthodoxes (3) et leur rôle dans un État compris comme musulman.
Sous le titisme, la Bosnie-Herzégovine était la république yougoslave où la plupart des citoyens inscrivaient dans l'espace réservé à la « nationalité » le terme yougoslave (sans autre référence), dans le registre civil. C'est au cours des années 1960, et plus encore au sein de l'émigration bosniaque vers l'Allemagne, que le sentiment identitaire musulman a commencé à se répandre parmi les Bosniaques, sentiment auquel Tito lui-même a fait des clins d'œil, reconnaissant les musulmans comme une « nationalité yougoslave » en 1961, lorsqu'ils sont devenus - en raison de leur taux de natalité élevé - le groupe le plus nombreux en Bosnie-Herzégovine au détriment des Serbes orthodoxes. Ces clins d'œil de Tito peuvent être compris dans le contexte d'une Yougoslavie qui s'était engagée à rejoindre les pays dits « non alignés », qui comprenaient plusieurs États musulmans.
Le début du processus de désintégration de la Yougoslavie avec l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie a ouvert les portes au conflit interne en Bosnie et à la possibilité de créer un État bosniaque indépendant. Pour certains illuminés, c'était le moment de construire leur État musulman dans les Balkans, parmi les plus dangereux de ces illuminés se trouvait un certain Alija Izetbegovic qui allait devenir président de la République de Bosnie-Herzégovine.
De toute évidence, cette définition confessionnelle-nationale était la déclaration d'exclusion pour les Serbes et les Croates de Bosnie d'un projet national commun, d'où leur volonté et leur besoin de se "réunifier" avec les Etats nationaux où ils étaient reconnus comme tels. Croatie et l'ancienne Yougoslavie, respectivement.
L'Islam et les USA du côté bosniaque
Alija Izetbegovic aurait fait partie de l'organisation des « Jeunes musulmans », créée sous l'influence des Frères musulmans égyptiens. En 1970, il publie un texte intitulé Déclaration islamique, réédité à Sarajevo en 1990, dans lequel il explique ses intentions politico-religieuses: « Notre objectif: l'islamisation... tout ce qui, dans l'histoire des peuples musulmans, constitue une mémoire de grandeur et de valeur a été créé sous les auspices de l'Islam. La Turquie, en tant que pays islamique qui a régné sur le monde, en tant que copie européenne, représente un pays du ‘’troisième ordre’’ comme tant d'autres dans le monde. Le mouvement islamique doit et peut prendre le pouvoir dès qu'il aura la force numérique et morale de le faire (...) La conclusion est importante: il ne peut y avoir de coexistence entre les croyances islamiques et les institutions politiques et sociales non-islamiques... ». Au cours de la décennie 70-80, à l'influence importante de l'islamisme égyptien en Bosnie, il faut en ajouter une nouvelle, plus importante encore: l'islamisme iranien. L'islamisme iranien étant plus attractif pour les Bosniaques, l'Iran a profité de cette circonstance pour gagner le soutien des futurs dirigeants du SDA (Parti de l'action démocratique, présidé par Izetbegovic), dont certains ont été arrêtés en 1983 alors qu'ils revenaient d'un congrès à Téhéran pour l'unité des chiites et des sunnites, que le régime iranien, alors en guerre contre l'Irak de Saddam Hussein, avait organisé.
Lorsque le conflit bosniaque a éclaté, l'essentiel de l'aide musulmane aux Bosniaques provenait de l'Iran dont les réseaux de soutien - sanitaires et logistiques - se sont avérés très efficaces, si bien que 86% des musulmans bosniaques ont déclaré avoir une opinion « favorable ou très favorable » de l'Iran. En 1992, les Frères musulmans ont appelé au djihad contre les Serbes ; bien que leur aide ait été moindre que celle de l'Iran, elle a jeté les bases d'une relation dangereuse entre la Bosnie et les aspects les plus radicaux du fondamentalisme islamique.
Les États-Unis font leur apparition dans le conflit de l'ex-Yougoslavie en soutenant le camp musulman et en pariant sur l'unité d'une Bosnie-Herzégovine regroupant Serbes et Croates sous le commandement des musulmans et la présidence d'Alija Izetbegovic, annulant toute possibilité que la minorité croate rejoigne la Croatie (alliée traditionnelle de l'Allemagne) et que les Serbes le fassent avec la Serbie (amie de la Russie). Pour couper l'avantage acquis par l'Allemagne-UE avec l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie, et pour empêcher une puissante Grande Serbie alliée à la Russie, Washington prend le drapeau musulman (comme il le fera plus tard au Kosovo pour des raisons identiques), formalisant une fois de plus une entente islamo-américaine contre tout rapprochement possible entre les deux grandes puissances continentales: l'Allemagne et la Russie.
De son côté, le gouvernement musulman de Sarajevo (la capitale de la Bosnie), conseillé et armé par le Pentagone, a provoqué une situation irréversible pour les Croates et les Serbes de Bosnie, espérant que ses provocations constantes déclencheraient une vague de violence qui permettrait à la Bosnie musulmane de compter sur la sympathie de l'Europe occidentale, et sur une intervention armée conséquente en sa faveur. Comme l'a reconnu le chef du secrétariat d'État américain aux affaires étrangères en Bosnie: « Ce qui était à l'origine un gouvernement bosniaque multiethnique et légalement élu est devenu une entité musulmane extrémiste et antidémocratique ». Le gouvernement de Sarajevo et son Armija (le nom de son armée) n'ont pas eu trop de scrupules à faire en sorte que les Serbes soient présentés comme des barbares en Occident, permettant ainsi aux Américains de prolonger le conflit dans le but de déstabiliser et d'affaiblir au maximum cette zone vitale pour l'équilibre européen. Ainsi, le 27 mai 1992, une explosion devant une boulangerie a causé la mort de seize Bosniaques. Les images choquantes et horribles sont apparues à la télévision dans le monde entier et ont été reprises ad nauseam par CNN, blâmant sans le moindre doute les paramilitaires serbes pour un crime aussi horrible. Par la suite, les services secrets britanniques et français ont admis qu'il s'agissait d'un auto-assassinat commis par les musulmans dans le seul but de l'attribuer aux Serbes devant l'opinion publique mondiale: ce dernier "détail" n'a pas été rapporté dans les nouvelles mondiales. Le 27 août de la même année, un autre massacre a dévasté un marché de Sarajevo. L'OTAN a répondu au massacre par une action d'envergure: 60 bombardiers ont attaqué les positions serbes. Un mois plus tard, des experts britanniques ont également conclu que le missile lancé contre le marché rempli de civils provenait des rangs musulmans: là encore, le voile du silence médiatique a été étendu.
Le radicalisme islamique, une menace pour la Bosnie-Herzégovine
« La Bosnie était un modèle de tolérance interreligieuse. L'islamisme présent dans cette région était plus laïc qu'on ne pouvait l'imaginer. Les musulmans de Sarajevo étaient à une distance sidérale de ceux du Moyen-Orient. Aujourd'hui, au contraire, après dix ans de turbulences, les musulmans bosniaques sont également entrés dans le jeu international du fondamentalisme » (4).
Entre 1992 et 1995, la Bosnie-Herzégovine est devenue un enjeu majeur pour l'islamisme international. Après 2001, les enquêtes sur les réseaux terroristes islamistes sont toujours passées par le sol bosniaque. Des islamistes d'Afrique et d'Asie ont obtenu la citoyenneté bosniaque avec une étonnante facilité, avec une attitude clairement complice de la part des autorités locales, il semblerait que l'arrivée de ces Africains et Asiatiques réponde à une certaine volonté du gouvernement musulman de Sarajevo. Cette campagne de « nationalisations expresses » répondait à deux motivations: d'une part, reconnaître les mérites guerriers des moudjahidines qui ont pris les armes pour l'Armija; et d'autre part, permettre l'arrivée sur le sol bosniaque d'intégristes reconnus avec lesquels on pouvait « réislamiser » la population locale. Ce deuxième objectif a provoqué et provoque encore aujourd'hui une certaine confrontation entre l'« Islam bosniaque traditionnel d'empreinte modérée » et l’ « Islam fondamentaliste importé » par ces néo-missionnaires wahhabites, qui considèrent la Bosnie comme un territoire à « réislamiser ».
Cette Bosnie présidée par Alija Izetbegovic ne pouvait contenir le désir d'autodétermination des communautés croate et serbe. Le conflit de guerre qui a provoqué cette tension a occupé la première page de tous les journaux internationaux au début des années 90. La paix est venue avec les accords de Dayton de 1995, selon lesquels la Bosnie-Herzégovine a été divisée en deux entités mais toujours au sein du même État. Ces entités sont la Fédération de Bosnie-Herzégovine - qui comprend les musulmans et les Croates - et la Republika Srpska pour les Serbes, cette dernière jouissant d'une grande autonomie et seule la pression internationale l'empêche de rejoindre la Serbie. Avec cette division, l'organe directeur de la République de Bosnie-Herzégovine est collégial : deux représentants de la Fédération (un catholique et un musulman) et un troisième, Serbe de la Republika Srpska, celui qui obtient le plus de voix sur ces trois étant le président nominal de la République. Depuis cette division, la zone serbe n'a plus qu'une relation superficielle et administrative avec le reste du pays. Le problème est que dans la Fédération, nous assistons à un double phénomène: la réislamisation dans un esprit wahhabite des musulmans bosniaques et la marginalisation et le harcèlement des catholiques croates.
Depuis le départ du pouvoir d'Alija en 2000 - il est mort en 2003 - les présidents de la Fédération (parmi lesquels Barik Izetbegovic, fils d'Alija) ont intensifié le processus d'islamisation, particulièrement visible dans la capitale Sarajevo, autrefois connue pour la bonne coexistence entre Serbes, catholiques et musulmans et aujourd'hui avec un paysage plus proche d'Ankara que de la ville européenne qu'elle a toujours été. Selon les mots du Cardinal Franc Rodé : « Sarajevo est devenue pratiquement une ville musulmane ». Après son voyage dans la région en juin 2009, ce Cardinal a déclaré sur Radio Vatican : « Les catholiques ont été les principales victimes de la guerre et beaucoup ont fui le pays, vers la Croatie et aussi vers des pays plus lointains comme l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande (...) A Sarajevo, une ville de 600.000 habitants, il ne reste aujourd'hui que 17.000 catholiques », soulignant également que dans de nombreux villages où il n'y avait jamais eu de mosquées, de nouvelles ont été construites, ce qui indique qu’ « il existe une volonté claire d'islamiser la région de Sarajevo ». Cette même année, le cardinal de Sarajevo, Vinko Puljic, a dénoncé la croissance du fondamentalisme en Bosnie, sans que les autorités ne fassent rien pour l'arrêter. Comme dans de nombreux autres pays européens, la construction de mosquées et de madrasas (écoles coraniques) est financée par les pétrodollars saoudiens.
Les Serbes et les Croates ont été victimes de cette « purification religieuse » faite à coups de kalachnikovs et de demi-lunes, mais nous voulons terminer cet article en soulignant que les principaux perdants sont les Bosniaques eux-mêmes de religion musulmane, un peuple slave européen, islamisé par l'envahisseur turc à l'âge moderne, et maintenant ré-islamisé à coups de pétrodollars et par le fanatisme saoudien. Pour eux, il serait nécessaire de repenser l'idée de la base sur laquelle construire l'Etat bosniaque. Ce sont eux qui devraient combattre cet islamisme fondamentaliste qui menace l'identité de leur peuple et qui fait de la Bosnie une base logistique des islamistes dans leur attaque contre notre Europe.
Enric Ravello
Ex:https://www.enricravellobarber.eu/2021/06/la-islamizacion-forzada-de-bosnia.html#.YLtOD0w6-Uk
NOTES :
(1) Thierry Mudry "Bosnie-Erzégovine. La nascita di una nazione" dans Orion, nº5, mai 1996. Milan
(2) Ce que E.J. Hobsbawn a déjà souligné dans son livre Naciones y nacionalismos desde 1870. Ed. Crítica, Barcelone 1991, p. 79: "sans doute les musulmans bosniaques et les musulmans chinois finiront-ils par se considérer comme une nationalité, puisque leurs gouvernements les traiteront comme s'ils l'étaient".
(3) Relativement "minoritaires". Les Serbes représentent 38 % de la population de la Bosnie, et les Croates 22 %. La somme des deux "minorités" donne 60% de la population contre 40% pour les Bosniaques musulmans.
(4) Aldo dei Lello, L´utopia con la toga. L´ideologia del triunale internazionale e il proceso Milosevic. Ed. Sovera Multimedia. Roma 2002.
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