La diffusion des runes par H. Rekkirsson - 5
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L'histoire du futhark fait partie du bagage nécessaire à la connaissance des runes. Cette étude explique (en partie) pourquoi des inscriptions runiques ont été découvertes dans toute l'Europe. La période de Grandes Migration est constitutive de l'Asatrù, des cultures et des langues germaniques, de la religion et des runes. Cette vidéo est donc une présentation d'une part importante de notre histoire, de notre longue mémoire.
JEAN CAU CONTRE LA DÉCADENCE
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« Que l'on ne compte pas sur moi pour subventionner, avec l'argent du contribuable, les expressions dites artistiques qui n'ont d'autre but que de détruire les assises de notre société. Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans la main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir. »
En prononçant ces mots, début mai, à Paris, M. Maurice Druon, nouveau ministre des Affaires Culturelles, n'énonçait que des vérités d'évidence. L'intelligentsia en a fait un « scandale ». Cela s'est traduit de la façon habituelle : pétitions, défilés.
Une voix s'est alors élevée pour remettre les choses à leur place. En les traitant au passé, et avec beaucoup d'ironie :
« En 1973, M. Maurice Druon mit les pieds dans le plat et déclara à peu près que l’État démocratique en avait ras le bol de jouer le vieux beau entretenant une cocotte qui passe son temps à l'injurier, à lui promettre la tombe et à se pâmer d'amour, de l'autre côté de la cloison, entre les bras d'un gigolo dont le foulard rouge possède l'étrange vertu de tomber toutes ces dames. M. Druon, de son fauteuil, s'écria qu'il en avait marre d'être le producteur d'une pièce où il jouait inlassablement le rôle du cocu ».
C'était Jean Cau, dans « Paris-Match ».
Il ajoutait aussitôt, redevenant sérieux : « Ouvrons les yeux. Cessons de rêver. Nous sommes bel et bien en 1973. Les cris de « Haro sur Druon ! » m'ont réveillé. Le Landerneau intellectuel est en folie et on a beau le doucher d'évidences, il ne s'en trémousse que de plus belle sous le jet. Nous sommes en 1973 et nous vivons, à la lueur des plus fabuleuses impostures, l'écroulement d'un monde. C'est ça la question. Toute la question. Hébétée, une société assiste, en ce XXe siècle démographiquement, industriellement et urbanistiquement déchaîné, à son laminage et à sa massification. Pétrifiée, les yeux agrandis de terreur, elle contemple ce phénomène colossal qu'est la fin du christianisme et s'interroge en bégayant sur l'impossibilité de vivre la liberté de l'homme si celle-ci est désaccrochée de toute transcendance. Alors ses artistes grimacent et se convulsent, ses comédiens se dénudent, ses intellectuels filent en grappes se mettre en orbite autour de la planète Utopie ».
Jean Cau, 48 ans, blouson, cheveux courts. Le regard venu de loin des gens qui savent de quoi ils parlent. Il a suivi le chemin classique de bien des intellectuels d'aujourd'hui. Mais, pour une fois, en sens inverse. Début des années soixante. Jean Cau est l'un des plus sûrs espoirs de l'« intelligentsia progressiste». Proche collaborateur de Jean-Paul Sartre, il écrit dans « Les Temps modernes » et « France-Observateur ». A « L'Express », il publie des entretiens fracassants qu'on apprécie et qu'on redoute. Robert Lazurick, Alain de Lacoste-Lareymondie, quelques jeunes parachutistes : sous ses questions, les interviewés hennissent comme des chevaux qu'on claque. Les lecteurs frémissent. C'est l'époque où l'on reconnaît son talent sans mauvaise grâce. Il reçoit le prix Goncourt en 1961 pour un roman, « La pitié de Dieu ».
Je le rencontrai en février 1963, au café de Flore. Il avait le cheveu long et le foulard autour du cou. Il s'agaçait déjà des « fausses audaces » de la gauche, et s'en prenait au « révolutionnarisme de salon ». On parlait alors beaucoup de « socialisme moderne » et de « néocapitalisme ». Jean Cau reprochait à ses amis de ne pas s'adapter : — Autrefois, le capitalisme, c'était les enfants dans les mines. Aujourd'hui, c'est la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans. C'était les taudis, la semaine de soixante heures sans un jour de congé. Maintenant, c'est le Club Méditerranée. Il faut que la gauche comprenne...
La gauche ne comprend pas, et Jean Cau s'éloigne. Un voyage qu'il fait en Algérie lui ouvre les yeux sur l'indépendance. Le reportage dans lequel il décrit ce qu'il a vu lui vaut des critiques amères.
Deux ans plus tard, il publie « Le meurtre d'un enfant ». C'est un récit en forme d'autobiographie, où il commence à mettre ses idées en ordre. C'est aussi une épuration intérieure : « Qu'est-ce qu'un adulte, sinon l'héritier d'une enfance ? Qu'est-ce qu'un adulte, sinon le traître et le meurtrier d'un enfant ? »
II y a beaucoup d'images dans ce livre. Un œuf et un galet. Le galet, c'est dur, c'est précis. C'est fidèle : de la fidélité des pierres. L'œuf, « c'est comme l'amour : pourri, ça ne pue que lorsqu'on le brise ».
Jean Cau commence à casser les œufs de son passé. La guerre, la Libération. Il se sent aussi bien juif que « nazi », c'est-à-dire différent : « Quel adolescent de ma génération, écrit-il, n'a pas rêvé, d'un rêve bref et honteux, d'être ce jeune SS de vingt ans qui, adossé à son tank, étalait avec son poignard du beurre sur une tranche de pain ? »
II juge un certain type d'intellectuels : « J'indique une recette infaillible, de nos jours, à qui veut réussir dans la littérature ou le cinématographe : qu'il écrive un livre ou qu'il fabrique un film dans lequel les hommes sont réduits à l'état de loques, de zombies, de créatures invertébrées, veules et molles, et où les femmes, en revanche, régnent d'absolue manière sur ces virilités en lambeaux. Le succès est garanti ».
Les milieux de gauche accueillent le livre avec un sourire un peu gêné. «L'enfant terrible» a le goût du paradoxe. Il commence à lasser. Mais il inquiète aussi.
Jean Cau confesse l'influence qu'eut sur lui le général De Gaulle : « J'avoue qu'il aida à mon éveil. Enfin, le grand homme était parmi nous, aux chausses duquel aboyaient les partis de la démocratie égalitariste à bout de souffle. Enfin, le maître admirable était en tête de la horde ! »
Ce n'est pas la politique du général qui le séduit, mais les dimensions du personnage. De Gaulle lui apparaît comme l'un des survivants de la génération des chefs : Staline, Mussolini, Roosevelt, Churchill, Hitler, Mao. Il oppose ces chefs d'État aux « petits gestionnaires ».
« Regardez-les ! Mais regardez-les ! Regardez les affreuses gueules molles toujours souriantes (« Keep smiling » !) de nos hommes politiques. Des têtes courtisanes de chefs de rayon. De vrai, ils vendent puisque la puissance des nations se mesure à leur activité mercantile. Dans leurs yeux, la lueur humide de soumission à la foule, à la masse, au nombre. Où est donc le visage exemplaire ? La voix sévère et exemplaire ? La parole dure qui, dans la foule, fait que se rassemblent les meilleurs, et que cette foule, domptée, est hantée par un vouloir, au lieu d'être agitée par des fièvres maussades ? » « Le meurtre d'un enfant » s'achevait sur un défi : « J'ai été membre des sections d'assaut de l'intelligentsia de gauche, mais j'y ai tiré mes années de service dans un état de scepticisme permanent, de contemplation souvent narquoise. Cette attitude m'a été imputée à crime... Eh bien, à moi mon crime!»
Interrogé aujourd'hui sur ses anciennes amitiés, il se tait. Les hommes de bien ne rompent qu'à l'intérieur d'eux-mêmes. Nietzsche citait Mirabeau, qui n'avait pas la mémoire des insultes ni celle des infamies commises à son encontre. On ne retient que ce que l'on prend au sérieux. Et pour Nietzsche, le « grand sérieux », c'est celui que « l'enfant met au jeu ».
Jean Cau joue et oublie. Dès lors, il écrit au marteau. Il aligne les idées comme elles viennent, en une suite de pamphlets : désordre parfois baroque, d'où émergent des aphorismes.
En 1967, dans sa « Lettre ouverte aux têtes de chien occidentaux », il exprime son opinion sur l'idée de « différence » : homme-femme, blanc-noir, etc.
En 1968, dans « Le pape est mort », il analyse le binôme autorité-liberté : « A ce jour, socialisme et liberté n'ont pas encore fait la preuve qu'ils peuvent être mariés ensemble sans que l'un — couic ! — étrangle l'autre ». Le livre est écrit en juin 1968. A la Sorbonne, les anarchistes badigeonnent des inscriptions : « Plus on fait l'amour, plus on fait la Révolution ».
Jean Cau est perplexe : « Qu'en pensez-vous, ô Robespierre, Lénine et Mao Tsé-toung?». Il s'indigne d'avoir entendu les amis de Daniel Cohn-Bendit crier « Nous sommes tous des Juifs allemands » et « CRS — SS » ! « Si demain, écrit-il, se refermaient les portes de vrais camps de concentration sur des cortèges de vrais Juifs, vous n'iriez pas en manif et drapeau noir en tête crier qu'on vous ouvre les portes. Je suis effrayé, ô étudiants, de vous entendre jouer avec des slogans si graves. CRS — SS ! Ou bien souhaitez-vous si fort que les CRS deviennent vraiment des SS ? Demandez-vous plutôt si, à force de définir l'Autre comme ce qu'il n'est pas, vous ne l'obligerez pas tôt ou tard à devenir ce que vous clamez qu'il est ».
Dans « L'agonie de la vieille » (1969), Jean Cau s'installe au chevet de la démocratie et y compose un chant funèbre. « Je ne sais (comme on le dit d'une mayonnaise en train de tourner) comment il est encore possible de « rattraper » la démocratie. Chaque jour, dans le parc occidental, je la vois qui s'éteint à petit feu comme une lampe qui manque d'huile et qui fume ».
« Trois catholicismes s'effondrent, ajoute-t-il, le catholicisme de Rome, celui de Washington et celui de Moscou, et sur leurs ruines pousse sourdement l'ivraie du nationalisme. Suprême dérision : si un sentiment international naît demain, il trouvera ses pulsions et son ciment dans la menace que représenteront un milliard de Chinois nationalistes, xénophobes et armés jusqu'aux dents ».
Un dernier pas est franchi avec « Le temps des esclaves » (1971) : « II m'aura fallu des années de réflexion et de lucidité avant d'oser mettre en question et en questions l'égalitarisme sacro-saint qui fut mon miel et mon lait jusqu'à de récentes années ».
Jean Cau dit que les hommes ne sont pas égaux et s'en prend à la faiblesse des masses : « Parlons dur et clair. Avec mille tendances, vous n'aurez jamais une volonté. Avec mille courants, vous n'aurez pas un fleuve, mais un lacis de ruisseaux aux directions affolées. Je vous le dis : avec mille hérésies vous n'aurez pas une Église. Avec mille désirs, vous n'aurez pas un amour. Que ferez-vous de mille soldats sans capitaine ? D'enfants sans pères et sans maîtres ? Et que valent des millions de mots sans l'ordonnance d'un style ? Des millions d'hommes s'ils ne sont pas un peuple ? Appelez ça un magma ».
« Le temps des esclaves » est un livre important, dont on a peu parlé. — De l'insuccès de ce livre, dit Jean Cau, je n'ai éprouvé nulle amertume, puisque j'ai choisi de décaper ma réflexion des crasses de l'époque et des modes et conformismes en cour. On ne peut pas hurler contre les loups et faire partie de la horde. J'ai choisi, et j'accepte de payer le prix de silence ou d'hostilité qui entoure certains de mes écrits.
Pour faire mieux comprendre l'importance qu'il attache à ce texte, Jean Cau publie, début 1973, « Les écuries de l'Occident ». A la première partie, qui reprend « Le temps des esclaves », s'en ajoute une seconde, entièrement nouvelle. Le style étincelle. Les formules se succèdent, précises et tranchantes comme des lames.
Tableau d'une déchéance : le déclin de l'Occident. « Le siècle est fou. Fou de lâchetés, de démissions, de mensonges, d'impostures et de laideurs, et ce qu'on y appelle « crise de civilisation » n'est en réalité que le refus apeuré de toute hauteur ».
On peut seulement témoigner et prendre date. « Car il faut tout de même, lorsqu'un temps à venir s'étonnera de nos débâcles, que nos petits-neveux sachent que quelques soldats refusèrent de jeter les armes et de lever les bras ». « Les écuries », comme « Le temps des esclaves », sont dédiées à l'écrivain japonais Mishima, lieutenant de l'Armée impériale, qui se fit publiquement hara-kiri le 25 novembre 1970, parce qu'il ne pouvait plus vivre dans un pays où l'idée de patrie ne représentait plus rien.
« Visière noire. Sans regard. Le lieutenant dégaine le sabre de samouraï dont la lame jette un calme éclair avant qu'il ne l'enveloppe d'un papier de soie blanc.
Seule, hors de ce nouveau fourreau, apparaît, à peu près longue de quatre doigts, l'extrémité de cette lame. A deux mains, à même le papier de soie, il étreint le sabre et s'enfonce l’extrémité découverte de celui-ci dans le ventre, au niveau de l’aine gauche. Puis, lentement, il s'éventre ».
Alexis Carrel disait que « la qualité de la vie est plus importante que la vie elle-même» («L'homme, cet inconnu»). Jean Cau précise : « Ce qui vaut, ce n'est pas la vie mais ce qu'on fait d'elle ». « Il y a quelques destins ajoute-t-il, le reste n'est que vies sans aucun intérêt. Des romans à l'usage des femmes. Des potins. Des crépitements de bulles qui montent de la vase de l'étang remuée. Des histoires de cinématographe ».
Sur la peine de mort : « — Je suis contre la peine de mort ! — Tu es donc pour l'emprisonnement à vie de l'assassin de cinq ou six enfants. Tu oublies que la vie de cet homme en cage sera pire qu'une mort puisqu'il ne sera plus libre. Vaut-il pas mieux mourir qu'être esclave ? Non, répond le chien ».
Jean Cau voit deux tendances s'affronter dans le monde : une tendance de vie, qui va vers la différence, et une tendance de mort, qui va vers l'égalité : « Faisons l'amour et pas la guerre. Mais faisons l'amour où ? Dans la mer des Sargasses. Et comment ? En un triste mélange de partouzes psychédéliques. C'est oublier que l'amour et la guerre n'ont pas toujours été ennemis ».
Dans un monde sans ennemis, il n'y a pas d'amis : on aime dans la mesure où l'on sait aussi ne pas aimer. Et lorsque tout vaut tout, rien ne vaut rien.
« La guerre tuait des jeunes gens. Certes. La paix continuée tue et vide la jeunesse. Et puis la guerre désigne l’Autre. L'ennemi. Je ne suis un individu que si l'autre existe et mon être s'exaspère d'autant plus fort et d'autant plus haut que cet autre à moi s'oppose et se refuse. L'ennemi m'est nécessaire : il me tient dans mes définitions, m'oblige à me vouloir, me force à dessiner le trait qui me cerne et à l'intérieur duquel vit, d'une vraie vie, ma différence ».
Dans « Ma misogynie », Jean Cau évoque la différence entre l'homme et la femme. Il exalte le vrai pouvoir de création, la maternité : « Chaque mère qui se délivre d'une vie croit qu'elle met un roi au monde. Chaque père qui contemple son enfant croit qu'il sera le Seigneur de la Terre. Voilà qui est très beau et très bien. Voilà qui est très fort et tendre. Et voilà qui n'est pas démocrate. Mère indigne et masochiste, la démocratie veut que ses enfants soient égaux, fût-ce au prix de leur nullité. Si l'un d'eux s'arrache et se hisse hors de celle-ci, la marâtre gronde et dit : Ressemble à tes frères! Sois leur égal! »
L'Église, dernier recours, est elle aussi en triste état. Elle « a commencé à mourir le jour où elle n'a plus construit de cathédrales ».
Jean Cau daube sur le christianisme, où il voit une « religion d'esclaves, marquée à jamais par ses origines ». « Un curé maoïste ? Quoi de plus naturel! La recette est fort simple : prenez un prêtre, ôtez-lui la foi, que reste-t-il ? Un démocrate égalitariste en diable ! Le plus ardent de tous. Ne nous étonnons pas que tant de leaders communistes, Staline en tête, aient été d'anciens séminaristes (...). Le message égalitariste du christianisme est en train de se réaliser et, pour cette raison, l'Église se meurt ».
L'Occident est donc « en panne de foi ». « Nous sommes des hommes de foi sans foi. Vers qui aller et dire et mendier : « Donnez-nous à croire, nous vous en supplions » ? Tant et tant nous avons envie de dire « oui » Mais à qui ? A quoi ? Car nous ne demandons pas au prêtre, au chef, au maître de « dialoguer » avec nous, de nous comprendre, de jouer en somme un rôle d'assistante sociale, mais d'être là, debout, très sévère ou très bon ».
Le reproche que Jean Cau fait à une certaine conception de la morale est de « prêcher la culpabilité des forts et l'innocence des faibles ». Dans « Le meurtre d'un enfant », il écrivait déjà : « Oui, vraiment, quand la victime crie : — Vas-y! Cogne! Je m'en fous? le bourreau est bien embêté. D'autant plus embêté qu'il arrive que le bourreau ait tout à fait raison et que la victime soit chargée du tort absolu ».
Dans « Les écuries de l'Occident », la parabole du Maître et de l'esclave est longuement développée. L'Esclave a persuadé le Maître que sa domination, c'est-à-dire le fait d'être le Maître, le rendait lui-même malheureux. Le Maître a fini par le croire. Et, depuis, « l'Esclave fraternel passe un anneau dans les naseaux du Maître ». « II est par définition impossible, écrit Jean Cau, de s'égaler par le haut, et cela explique que les sociétés égalitaires soient d'ennui ou de désespoir. L'amour suppose le Maître. Quand il n'y a plus de vrais Maîtres, toute la société est d'esclaves. Mais d'esclaves tristes et vides. Le bourgeois n'y est que l'esclave promu et honteux ».
Pour Spengler, « Marx était un bourgeois frustré. D'où sa haine de la bourgeoisie ». Pour Jean Cau, le « bourgeois » est un « esclave promu », désireux d'oublier ses origines, et qui croit que la seule possession des biens confère la patrie.
C'est moins une question de classes sociales que de « classes de valeurs » : « La bourgeoisie vend tout. C'est elle la vraie canaille marchande. Et la démocratie, c'est la bourgeoisie. Le peuple, lui, peut reconnaître la hauteur, même s'il aspire aux bassesses. La bourgeoisie démocrate : jamais ».
Le passage d'une aristocratie enracinée dans le peuple à une bourgeoisie essentiellement marchande correspondrait ainsi au passage de la « grande politique » à la « petite politique » : « Qu'est-ce que cela signifie, politique ? Gouverner les hommes ? J'écris que là n'est pas la question et qu'il s'agit de leur donner des raisons de vivre et de mourir. Des oublis de soi. Et ces raisons de vivre sont, depuis toujours, exactement les mêmes que les raisons de mourir. Otez les unes, s'effritent les autres ».
Jean Cau se souvient qu'il est né dans l'Aude, en 1925, d'une longue lignée paysanne. « Les écuries de l'Occident » s'achèvent sur l'hommage qu'il rend à ses parents : « J'appartiens de par mes origines au peuple. Mes ancêtres sont paysans depuis la nuit des temps, et c'est la noblesse de ma lignée et de ma race que nous n'ayons jamais rien acheté et rien vendu. Notre dur travail, oui ; car notre sang, nous le donnons ».
Tout au long des ouvrages de Jean Cau court une philosophie que l'on identifie sans peine. « Avec Nietzsche et Marx, écrit-il, s'est ouvert le formidable débat des temps nouveaux ». Fin 1968, André Malraux confiait à la revue « Encounter » : « Au XIXe siècle, l'idée prévalait que le XXe siècle serait internationaliste. Mais les faits nous démontrent que ce n'est pas Marx, mais Nietzsche, qui avait raison ». Nietzsche avait sous-titré son « Zarathoustra » : « Un livre pour tous et pour personne ». Des « Écuries de l'Occident », Jean Cau dit qu'il s'agit d'un « traité de morale » : il « appartient à celui qu'il inquiétera». Nietzsche écrivait : « L'air léger et pur, le danger tout près, l'esprit plein d'une joyeuse méchanceté, voilà qui s'accorde bien ! ».
Jean Cau poursuit : « Où suis-je ? Là où il me plaît, et en ce lieu où je m'éprouve libre et nu dans un air vif qui me baigne et me fortifie d'évidences dures et, partant, parfaitement inactuelles ». Air libre, considérations inactuelles : Nietzsche n'apparaît pas ici qu'en filigrane. Dans cette œuvre émaillée d'aphorismes, il danse à perdre haleine.
En l'espace de dix ans, Jean Cau est donc devenu la mauvaise conscience de l'intelligentsia. L'affreux petit canard de la couvée. Ses anciens admirateurs trouvent qu'il a « moins de talent » depuis qu'il n'appartient plus à leur camp. Dans « l'Express » un polygraphe concluait, mélancolique: « Ce n'est pas la première fois, à gauche, que l'on perd en route un de ces brillants fils d'ouvriers que, par exception, la société a laissé s'approcher du banquet ». Jean Cau, férocement seul (ou presque), s'en amuse. « En France, écrit-il, l'aventure de la gauche en nos culturelles contrées est d'un comique absolu. La culture mandarine est allée au peuple avec des mines de curé moderne allant au bordel, et le résultat ne s'est pas fait attendre : seule la bourgeoisie, moyenne ou petite, s'est offert la révolution culturelle dans les temples où elle se célébrait. Le peuple, lui, est allé au Châtelet ou à la pêche, ou a tranquillement ouvert sa télévision ».
« Les écuries de l'Occident » portent l'empreinte d'un certain désespoir. Mais on y cite aussi Bernanos : « II n'y a pas de plus haute espérance que le désespoir surmonté ». Et Jean Cau prophétise : « Au nom de Dieu, c'est trop tard. Au nom de l'Homme, ce fut et reste une utopie. Pour ces raisons, estimons et déclarons que l'irrationnel nous attend au prochain tournant de l'Histoire ».
Il conclut : « En la gorge de millions d'hommes, il y a le chant qu'ils voudraient délivrer. Mais quelles paroles inscrire sur le rythme des mesures, et vers quelle Jérusalem marcher ? C'est le secret de notre avenir ».
F. Laroche
Sources : Spectacle du monde – 07/1973
BIBLIOGRAPHIE :
La table ronde : «Le pape est mort », « L'agonie de la vieille », « Le temps des esclaves »,
« Les écuries de VOccident ».
Albin Michel : « Lettre ouverte aux têtes de chien occidentaux ».
Gallimard : « Le meurtre d'un enfant ».
JuIIiard: « Ma misogynie ».
Une date, un événement : 3 juin 1950, la montagne, une rude et belle école par P. Vial
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- Catégorie : Chroniques, par Pierre Vial
Le 3 Juin 1950, une cordée de Français, comprenant Lionel Terray, Gaston Rebuffat, Lachenal et Maurice Herzog, atteint le sommet de l'Annapurna. Un exploit qui s'inscrit dans la tradition de cette « conquête de l'inutile » qu'est l'alpinisme.
La notion même de « conquête de l'inutile » apparaît provocatrice dans une civilisation qui, comme celle que nous subissons, est dominée par l'utilitarisme, la recherche effrénée du profit, le culte de l'argent-roi. C'est pourquoi la pratique de la montagne est une belle et rude école pour la jeunesse d'un peuple : elle crée en effet un sentiment de plénitude chez ceux qui veulent échapper aux petitesses, aux hypocrisies et aux lâchetés de la société marchande (c'est-à-dire la société où il est admis que tout se vend et tout s'achète, y compris les consciences). « Tout, écrit Julius Evola dans Méditations du haut des cimes, dans la civilisation moderne tend à étouffer le sentiment héroïque de la vie. Tout tend à la mécanisation, à l'embourgeoisement, au nivellement réglé et prudent, à la fabrication d'êtres prisonniers de leurs besoins et privés de toute autonomie. Le contact est rompu avec les forces profondes et libres de l'homme, des choses et de la nature ».
C'est pour retrouver le goût du dépassement et du défi à soi-même, la quête de l'absolu que beaucoup cherchent à gagner les cimes. La montagne est ainsi un appel. Appel à unir dans une même tension de l'être un corps soumis à l'épreuve de l'effort et une âme en quête d'absolu. La montagne permet en effet de réaliser une transfiguration intérieure en liant l'effort physique à un éveil spirituel — celui-ci naissant de celui-là. La tension du corps dans l'effort, le risque, le défi sont voie de libération pour l'esprit, affranchissement de l'âme, loin des bornes et des frontières mentales établies par le conformisme bourgeois. En montagne on se baigne à la source des origines : s'y affirment les valeurs authentiques et les joies élémentaires, offertes par « l'amour du vent, des grands espaces, des étoiles et des tempêtes, des fleurs et des forêts, de l'odeur et du goût de toutes ces choses » (Gaston Rebuffat, Etoiles et tempêtes).
La montagne est ce royaume alchimique où certains êtres, grâce à une expérience qui peut déboucher sur une transmutation, ont rendez- vous avec eux-mêmes. Partir vers les hautes altitudes, c'est se donner la chance de retrouver la pulsion élémentaire de la vie, la force et le goût d'aller toujours plus haut. Vers le soleil.
L'écrivain-prophète Saint-Loup a su transcrire avec maestria cette expérience unique (qu'on ne peut comparer qu'à celle du navigateur solitaire de haute mer) dans plusieurs de ses livres-messages. Tout particulièrement dans Face Nord, récit nietzschéen, initiatique, ayant pour cadre l'organisation « Jeunesse et Montagne », dans les années qui ont suivi 1940. Lui-même alpiniste chevronné (au point d'avoir été choisi par Péron comme instructeur des troupes de montagne argentines), Saint-Loup a su faire vivre à ses lecteurs l'intensité du dialogue entre l'homme et la montagne. J'en connais certains qui, du coup, ont eu la bonne idée d'aller communier avec les esprits qui gîtent sur les hauts sommets des Alpes. Et qui y ont trouvé la sérénité.
Aujourd'hui des hommes et des femmes, sans cesse plus nombreux, entendent l'appel de la montagne et se lancent à la conquête de l'inutile. Signe des temps. Et signe d'espoir. Car, à un moment où nombre de voix préconisent l'avachissement, la démission, le renoncement, la veulerie — bref la décadence d'abord, la mort ensuite — il est vital, au sens propre, pour la jeunesse d'un peuple, de conserver ou de retrouver le goût de la conquête. Et d'abord celle de soi.
Pierre VIAL.
EZRA POUND (1885-1972)
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- Catégorie : Littérature
Si le titre de prince des poètes existait sur le plan international, à qui l'aurait-on décerné maintenant, sinon à ce vieillard magnifique, dont l'œuvre n'était pas indigne d'être comparée à celle de Dante ou de Pétrarque?
L'édifice des Cantos s'élevait sans une défaillance depuis quarante ans; et ses plus récentes assises s'épanouissaient encore, toutes chargées de rosaces et de gargouilles, comme le faîtage d'une cathédrale. Qui, à l'exemple de l'infatigable bâtisseur, aurait osé proposer aux hommes de ce temps une image aussi puissante et aussi brillante de leur effort, en y ajoutant tous les avertissements qu'il appelle?... Seul, le grec Kazantzakis, dans un esprit tout différent, a tenté l'entreprise, sous le couvert du mythe d'Ulysse. Ezra Pound n'avait pas besoin de mythe. Il était à lui-même son propre mythe. Comme il créait à mesure sa propre langue, en laquelle les gardiens les plus sourcilleux de la rigueur classique découvraient avec stupeur l'anglais du seizième siècle, galvanisé, mais respecté, par un barbare du Far-West.
Dès ses trente ans, le cow-boy Pound trônait au centre de la littérature anglo-américaine. C'était lui, planté solidement à Paris, dans son accoutrement de troubadour équestre ou de chemineau champion de boxe, qui distribuait à ses compatriotes et à leurs cousins britanniques les portions de gloire qui leur revenaient. Rien n'a changé depuis dans les valeurs qu'il avait infailliblement discernées : Eliot, Lawrence, Stein, Joyce, Hemingway, Scott Fitzgerald ont été projetés dans leur vie et dans leur œuvre par le poète fulgurant qui avait inventé, pour les soutenir, une nouvelle espèce de critique, curieusement sentencieuse, mais soulevée par une exultation intérieure.
Soudain il disparut, il s'enfonça dans ce qu'il nommait « le profond et chaud passé ». C'est d'Italie que vinrent alors les grands livres de réflexion et de doctrine. Et surtout la suite des Cantos, hymnes d'une inlassable tension lyrique, mais aussi d'une intraitable liberté; du Whitman dur et grouillant, qu'enserrait une prosodie de virtuose déchaîné.
Pendant ce temps, où en étaient les autres poésies?... À deux ou trois tons au-dessous, dans la constriction valéryenne ou dans la dilution esséninienne. Il n'y avait plus que là, chez le paysan de l'Idaho, petit-fils d'un bandit, qu'on trouvait ce ferment verbal qui fait éclater le monde en fragments rythmés, dès les premiers vers de la Divine Comédie.
Hélas, le monde réel, le monde de la prose et de l'action, était secoué par des mouvements moins sublimes! Ami de Mussolini, séduit par l'emblématique fasciste, Ezra Pound tint des propos, répandit des écrits, qui le rangeaient, à l'époque suivante, dans le clan des maudits. On le lui fit bien voir.
À Libourne, le grand poète fut enfermé dans une cage de fauve, où les enfants des écoles venaient cracher sur lui à travers les grilles. On le ramena aux États-Unis, qui hésitèrent entre le pendre et le déclarer fou. C'est ce dernier parti qui prévalut.
Douze ans dans un asile d'aliénés... Mais tous les écrivains américains vénéraient ce génie captif et humilié, auquel les Russes finirent par donner des pendants, avec Siniavsky et Soljénitsyne.
Libéré en 1958, Pound retourna en Italie, reprit sa vaste construction poétique. De ces épreuves-là, on sort brisé ou durci. Lui restait exactement le même, attentif, souriant, avec de nouvelles inspirations qui semblaient encore le gonfler, l'élargir et l'orner, à quatre-vingt-sept ans!
Il est mort. Il n'y a plus nulle part de grand génie littéraire.
(8 novembre 1972)
Sources : Robert Poulet - « Billets de sortie » - 1975.
LE PROCÈS DE JEANNE D'ARC, par Robert Brasillach. (Éditions de la N. R. F.)
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- Catégorie : Littérature
Ce qu'il faut à des malades qui retrouvent la santé, ce sont de substantielles nourritures. De même, il importe que, délaissant le stérile verbalisme des idéologies mortes, nous revenions vers les valeurs fondamentales de notre génie. C'est une démarche héroïque tant elle exige d'amour et d'humble simplicité. Les extraits du Procès de Jeanne d'Arc, que Robert Brasillach aujourd'hui propose à notre méditation, peuvent nous aider beaucoup dans cette réinvention de nous-mêmes.
Jeanne, devant ses inquisiteurs hypocrites, vils et soudoyés, reste calme et simple. D'une simplicité lumineuse qui fait transparaître les masques dont se couvre la haine.
Anglais et Bourguignons n'ont qu'un but : déshonorer le roi de France en convainquant d'hérésie cette fille qui l'a fait sacrer. Le procès apparent est d'ordre religieux; le procès réel est d'ordre politique. Aux premiers mots, nous apercevons avec effroi qu'elle est d'avance condamnée. Qu'importent les formes de la procédure! — elle est viciée quant au fond. L'on écarte d'ailleurs délibérément du tribunal tous les juges capables d'innocenter la Pucelle. On élude tout recours au pape. On ne parle que théologie à cette enfant qui « ne sait ni lire ni écrire ». On introduit dans son cachot de prétendus visiteurs et de pseudo-confesseurs qui ne sont qu'espions mal déguisés. Au lieu de jeter Jeanne, accusée religieuse, dans une prison d'Eglise, on la confie à la garde irrespectueuse et toute politique des Anglais. On mène une atroce offensive de haine contre la pureté de cette jeune fille. L'horrible Cauchon, mitre en tête, dirige l'assaut. L'Université même daigne se prononcer contre l'authenticité des apparitions. Jeanne doit être sacrifiée : la Raison d'État anglaise l'exige.
Mais calomnies, hypocrisies, malveillances, cruautés, malhonnêtetés, pièges et fourberies, loin d'entacher la grandeur virginale de Jeanne, la font miraculeusement resplendir.
Inébranlablement simple et lumineuse malgré l'assaut de ces ténèbres hostiles, Jeanne répond à ses juges. Et chacune de ses paroles touche au sublime. Rien ne l'embarrasse. (L'on songe irrésistiblement au Christ répondant aux pharisiens.) Rien ne peut porter atteinte à la magnifique vérité de Jeanne.
Sa vérité? simplicité, courage, bon sens. Voilà tout ce qu'elle oppose à la duplicité des questions ambiguës dont l'accablent ses ennemis.
Héroïque, Jeanne ne laisse pas d'être humaine. Elle pleure, elle doute, elle a peur. Elle n'est pas seulement admirable : elle est émouvante. Nous la sentons proche et semblable. Au cimetière de Saint-Ouen, elle semble tomber de lassitude nerveuse et de dégoût; puis, courageusement se relève. Le Christ aussi priait son Père d'éloigner de lui le Calice...
La foule pleurait autour de Jeanne marchant au supplice. Et nous sommes de cette foule. (Seuls, quelques Anglais s'efforçaient de ricaner.)
Mais Jeanne maintint sa foi jusqu'à la mort; et, tandis que les flammes déjà mordaient son corps net et entier, qui ne fut jamais corrompu : « Les voix que j'ai eues étaient de Dieu, disait-elle. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait par le commandement de Dieu. Non, mes voix ne m'ont pas déçue ! »
Le bourreau ne parvint pas à réduire en cendres son cœur. La coalition de l'hypocrisie et de la haine ne put anéantir sa vérité. Nous en vivons.
Le Procès, de Jeanne d'Arc n'est pas seulement notre plus belle épopée nationale; c'est l'Évangile français. Nous traversons une époque où il importe de relire cet évangile.
PIERRE LEFORESTIER.
Sources : La Nouvelle Revue Française – 1er octobre 1941
M. Jean Monnet et son plan
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Si notre IVe République a éliminé de la scène parlementaire un grand nombre des hommes qui avaient joué un rôle dans les périodes d'avant-guerre, elle n'a, depuis la Libération, guère révélé de personnalités politiques nouvelles de premier plan. Ceux qui, ces dernières années, ont tenu au gouvernement des postes dirigeants avaient déjà à peu près tous figuré dans les assemblées de la vieille Troisième, ou au moins dans les cabinets des ministres au pouvoir.
Par contre, sur le terrain économique, a été découvert et lancé un personnage, M. Jean Monnet, qui, jusque-là ignoré du public, s'est vu attribuer, du jour au lendemain, avec le titre de commissaire général du plan de modernisation et d'équipement, une influence à beaucoup de points de vue dominante.
La fonction et l'homme à qui elle était confiée sont l'une et l'autre curieusement caractéristiques de nos temps actuels.
Au lendemain de la Libération deux problèmes essentiels s'étaient posés à ceux qui prenaient la charge de relever la France : refaire une constitution politique au pays ; et puis rétablir sa prospérité économique, lui construire un sain équilibre social propre à lui assurer, à l'intérieur la paix et la confiance, à l'extérieur l'indépendance et l'autorité.
En présence de ces deux problèmes on a adopté deux méthodes de travail paradoxalement contradictoires.
Pour rétablissement de la constitution politique on a multiplié les consultations populaires. On a élu successivement deux assemblées constituantes qui ont, l’une après l'autre, élaboré, discuté, voté publiquement, article par article, des textes pendant de longs mois. On a ensuite soumis le fruit de leurs longs labeurs à deux référendums de l'ensemble du corps électoral. Et tout cela, tant de scrupules, un tel souci de ne rien décider sans l'approbation des électeurs pour aboutir à nous donner une constitution qui ne diffère que par peu de traits de la vieille constitution de 1875.
L'élaboration d'un programme économique devait, semble-t-il, demander plus d'attentions, plus de consultations, plus d'avis encore. Il s'agissait, en effet, ici non de modifier dans les détails telle ou telle manière de voter, mais de décider quelle structure on allait donner au pays ; si, en face d'un monde bouleversé, on se proposait, pour relever la France, d'y développer de préférence l'industrie ou l'agriculture, ou encore le commerce ; si on souhaitait la rendre capable de se suffire à elle-même avec ses ressources continentales et coloniales, ou si, au contraire, on voulait développer ses échanges avec l'étranger ; si on voulait confier la direction de la production à des entreprises d'Etat ou encourager et soutenir les initiatives privées, développer la concentration industrielle ou provoquer une dispersion artisanale, augmenter ou limiter le chiffre de la population, provoquer l'immigration ou l’émigration, etc.
Plus que pour aucun autre problème toutes les catégories de citoyens, toutes les compétences devaient être appelées, semble-t-il, à discuter, à prendre position, avant toute décision gouvernementale.
Hé bien, on a procédé tout autrement. Sur un seul point, sur la nationalisation des bassins houillers, des compagnies d'assurance et des grandes banques de dépôt, on a demandé un vote parlementaire, sans d'ailleurs se soucier de faire rentrer ces nationalisations dans aucun système d'ensemble. Et puis, pour tout le reste, aussi bien pour la réparation des ruines de guerre que pour l'organisation de notre structure économique d'après-guerre, on a, sans consultation publique d'aucune sorte, par une simple décision du gouvernement provisoire du général de Gaulle, en janvier 1946, pris le parti de tout remettre aux soins d'une sorte de dictateur, aidé d'un trust de conseillers choisis par lui. Et c'est ainsi que M. Jean Monnet est entré dans la notoriété.
Pour ce rôle de dictateur au relèvement économique qui lui était confié, M. Monnet est fort curieusement choisi. Né en 1888, il a derrière lui une carrière pour le moins aventureuse. Fils d'un fabricant d'une petite marque de cognac en Charente, il avait débuté dans la vie comme agent commercial pour la vente aux Etats-Unis et au Canada du cognac familial, qui lui était payé pour partie en fourrures par l'intermédiaire d'une compagnie de trappeurs dépendant de la banque Lazard Brothers de Londres.
En 1914, âgé de 26 ans, au lieu de rejoindre les armées, il s'était, grâce à ses relations d'affaires, fait affecter à la direction du ravitaillement. En 1916, il était devenu le représentant de la France dans un comité interallié de ravitaillement et de transports, installé à Londres. De là, en 1916, à la signature de la paix, il était passé à la Société des Nations débutante, en qualité d'adjoint du secrétaire général, l'Anglais Sir Eric Drummond. Puis il avait démissionné en 1923. Il s'était, un moment, occupé, avec divers banquiers internationaux, de la stabilisation des monnaies autrichienne et polonaise. Il avait aussi travaillé à renflouer, grâce à ses attaches financières, l'entreprise de cognac de son père, alors menacé de faillite. On l'avait trouvé, par la suite, mêlé à un consortium électrique et minier franco-américain, le groupe Blair. Après quoi, le groupe Blair ayant été atteint sérieusement par la crise économique de 1930, il était allé opérer en Chine pour le compte d'une banque américaine, la banque Murnano, appuyée par la banque Walker, qui s'occupait, entre autres, de ventes de locomotives au gouvernement chinois, et dont il était devenu associé. Il avait aussi épousé, à Moscou, la fille d'un journaliste italien.
Il est vrai, qu'en outre, en 1943, il s'était rendu à Alger, où il avait figuré dans les conseils qui négocièrent la formation du gouvernement provisoire, au moment où était encore pendante la question de savoir qui l'emporterait du général Giraud et du général de Gaulle.
Bien entendu, par les liens qu'il avait noués à Londres avec les gaullistes c'est contre Giraud qu'il avait alors joué. Il fut de ceux à qui, après l'éviction de Giraud, de Gaulle, à Alger d'abord en 1943, à Paris ensuite après la Libération dut beaucoup.
Et puis, après Munich, il avait été envoyé par M. Daladier s'occuper de l'achat d'avions destinés à la France. Enfin, en 1939, à la déclaration de guerre, il avait été nommé président d'un comité de coordination franco-anglais, siégeant à Londres, pour l'organisation de l'effort d'armement des deux pays. En juin 1940, c'était lui qui à Londres, avait suggéré à Churchill, pour empêcher la France de signer l'armistice, l'étrange combinaison en vertu de laquelle la France et la Grande-Bretagne auraient conclu une « Union indissoluble » et auraient été administrés par un cabinet de guerre commun, sous le contrôle d'un parlement commun. Et tout naturellement, après la débâcle, resté en Angleterre, il avait continué, pour le compte des alliés, à opérer dans les affaires d'achat de matériel.
Bref, si M. Monnet s'était, depuis 35 ans, acquis une compétence et des relations d'affaires très étendues, c'était essentiellement une compétence d'intermédiaire, de commis voyageur international en marchandises diverses, personnellement très dépendant de quelques banquiers américains, avec toutes les déformations que ce genre de profession a pu entraîner dans un monde économiquement bouleversé par l'illusionnisme des gens de finances.
Et voilà la raison principale, une raison qui ne fut pas d'ordre économique, pour laquelle, en 1946, de Gaulle devenu chef du gouvernement provisoire, lui confia les fonctions de commissaire au plan.
Et maintenant il s'agit de savoir comment, et avec la collaboration de qui, Jean Monnet, une fois en place, organisa son affaire.
Aussitôt nommé il s'était associé comme adjoint un homme, M. Marjolin, à divers points de vue lui aussi assez curieux. Car, universitaire d'origine, M. Marjolin, pendant plusieurs années avant la guerre collaborateur actif du « Populaire » de Léon Blum, avait figuré pendant l'occupation dans l'entourage de M. Bouthillier, à Vichy, parmi les techniciens des équipes synarchiques, avant de se rendre en Amérique.
Et puis il avait créé une quinzaine de commissions de dix à vingt membres chacune, commission des houillères, de l'électricité, de la sidérurgie, des transports, de l'équipement rural, du textile, etc., où figuraient, en proportion d'ailleurs variable, de hauts fonctionnaires, quelques représentants, en petit nombre, de syndicats patronaux et ouvriers, et d'assez nombreux dirigeants de très puissantes entreprises industrielles, parmi lesquelles, entre autres, M. Eugène Roy, directeur général des aciéries de Longwy, M. Peugeot, M. Bô, directeur général de Rhône-Poulenc. M. Lesieur, des Huiles, désignés tous, sans règle d'aucune sorte, par le commissaire général et le gouvernement.
Ainsi constitué, le commissariat s'était mis au travail. Il avait commencé par établir un programme qu'il condensait dans un vaste rapport imprimé au début de 1947, accompagné de tableaux et de statistiques, et précédé d'une sorte de long exposé des motifs. Ledit exposé des motifs, pour peu qu'on l'analyse de près, révèle des points de vue étonnamment sommaires et arbitraires. Il n'abordait et ne discutait aucune des questions relatives aux réformes qu'il pouvait y avoir lieu d'envisager ; quant à la structure démographique et sociale du pays ; quant à la répartition souhaitable entre l'industrie et l'agriculture ; quant au peuplement colonial ; quant aux possibilités plus ou moins grandes qui pourraient ou non s'offrir à la France de réduire ses importations et de se suffire plus complètement à elle-même par la mise en valeur des ressources de la métropole et de ses possessions d'outre-mer ; quant aux avantages et aux inconvénients comparés de la concentration industrielle ou de la dispersion artisanale, tant au point de vue du rendement, de la concurrence et des prix qu'au point de vue de la santé générale du pays. Il dédaignait, en un mot, tout point de vue à proprement parler humain.
Il posait, en principe, qu'une seule réforme était à accomplir, celle de la modernisation de notre équipement de production industrielle et agricole. Car, assurait-il, comme une série d'axiomes indiscutables : 1° notre seul tort dans le passé avait été d'avoir une production insuffisante et trop coûteuse; 2° s'il en avait été ainsi, c'est seulement que notre équipement était inférieur à celui de nos concurrents, que nous n'avions ni machines assez perfectionnées, ni routes assez belles, ni ports aux quais assez spacieux, etc. ; 3° une fois que nous serions suffisamment équipés, nous pourrions exporter de quoi couvrir les importations dont nous avons besoin ; 4° pour obtenir ce résultat le but à atteindre était d'arriver, par un progrès méthodique, à porter en 1950 le volume global de la production française à un niveau supérieur de 25 % environ au maximum atteint dans la meilleure année d'avant-guerre, c'est-à-dire en 1929 ; 5° la seule condition nécessaire à la réussite du programme ainsi défini était que, dès l'année même, la stabilité des prix et de la monnaie fût assurée, et l'équilibre général des dépenses de l'Etat solidement établi.
De sang-froid, cette façon de raisonner apparaît d'un simplisme déconcertant, doublé de pas mal d'ignorances. On ne se souciait pas de rechercher comment les marchandises qu'on se proposait de produire pour l'exportation avaient des chances, de ne pas se heurter à des droits de douane protecteurs. On ne précisait pas dans quelles conditions, sur le marché intérieur comme sur le marché extérieur, pourrait être établi entre le prix de vente des marchandises et le pouvoir d'achat des clients éventuels un équilibre meilleur que celui qui, avant-guerre, avait provoqué des crises de sous-consommation de plus en plus catastrophiques. On oubliait qu'avant-guerre déjà l'ingéniosité des techniciens s'était dépensée à établir et à amorcer, sous des noms divers, des programmes d'équipement et de grands travaux très comparables à celui que l'on dessinait, et qui n'avaient, bien au contraire, pas empêché les crises et les troubles économiques de toutes sortes. On ne s'apercevait même pas que l'année 1929, qu'on prenait arbitrairement comme étalon, était justement celle où avait éclaté le plus grave déséquilibre entre production et pouvoir d'achat. Enfin, on n'indiquait, en aucune façon, comment on procéderait pour trouver les fonds nécessaires à un aussi vaste programme, tout en maintenant cet équilibre budgétaire que l'on reconnaissait indispensable.
On s'était contenté de fixer d'abord le plan des travaux d'équipement, routes, quais, barrages, transports d'électricité, installations minières, voire dans les campagnes abattoirs et frigorifiques perfectionnés, qui devaient, affirmait-on sans préciser sur quelles données on se basait, permettre, dans un délai de cinq ans, à un taux rémunérateur, une production d'un quart supérieure à celle de 1929. On avait ensuite calculé, avec des minuties de polytechniciens, les quantités et les prix des milliers de tonnes de matières premières, de machines et d'outillages que tous ces travaux allaient exiger. Et puis, on avait réclamé un crédit global correspondant à une première tranche annuelle de travaux.
Le gouvernement, sans permettre aux parlementaires de discuter ni le principe, ni les modalités du plan, et en leur promettant seulement qu'il les renseignerait par la suite, avait fait appel à l'emprunt pour fournir aux dirigeants du plan les sommes qu'ils réclamaient. Il avait fait inscrire ces sommes à un compte spécial extrabudgétaire, dans lequel on allait pouvoir puiser sans contrôle. Et puis on s'était mis à travailler et à dépenser.
Or, au bout de quelques mois à peine, sans que les parlementaires osassent demander des explications, on s'était aperçu que les prix montaient, que la monnaie se dévaluait, qu'une partie seulement des travaux prévus pour l'année était en voie d'exécution, que tout l'équilibre du système était déjà compromis.
Heureusement, dans l'intervalle, au cours de l'année 1947, les Etats-Unis, de leur côté, par la fameuse déclaration de M. Marshall, à Harward, prenaient l'initiative de proposer un plan d'aide américaine pour le relèvement économique de l'Europe.
Ce plan était conçu de la façon suivante. L'Amérique fournira à l'Europe des matières premières et des objets fabriqués qui seront payés aux producteurs américains, à fonds perdus, par le budget des Etats-Unis. Cependant, les bénéficiaires européens de ces produits ne les recevront pas gratuitement. Que ces bénéficiaires soient des entreprises privées ou des services d'Etat, ils devront en payer le prix, dans leur monnaie nationale, à leur propre gouvernement. Ledit gouvernement, de son côté, ne pourra pas disposer librement des sommes ainsi rassemblées. Elles seront versées dans une caisse à part, et ne pourront être débloquées que sur contrôle américain de l'utilité de leur emploi. Divers comités, tant américains qu'européens, régleront le fonctionnement du système.
Un tel mécanisme est certes ingénieux, et de nature à soulager les budgets des Etats d'Europe. Mais il leur ôte beaucoup de leur indépendance. En ce qui nous concerne en particulier, les vues américaines sur notre relèvement risquaient fort de ne pas coïncider avec celles des dirigeants du plan Monnet.
Cependant l'administration de notre plan avait été maintenue. Elle avait continué à dépenser des sommes de plus en plus considérables, qui maintenant allaient lui être fournies pour partie par les crédits du plan Marshall. Pour le budget de l’année 1949 elle réclamait une somme globale de 600 milliards.
Pour la première fois, devant l’énormité de ce chiffre, et devant les complications que risquait d'entraîner à présent le contrôle américain, le Parlement avait protesté. Deux rapports avaient été rédigés et discutés en séances publiques, l'un au mois de février dernier, de M. Pleven à l’Assemblée Nationale, l'autre, le plus intéressant, de M. Pellenc, au mois d'avril, au Conseil de la République.
De ces rapports et des débats auxquels ils donnaient lieu ressortait une série d'observations très curieuses.
1° Les parlementaires remarquaient que, si le gouvernement avait laissé une large autonomie aux dirigeants du plan Monnet, il s'était cependant engagé à soumettre, avant le 31 décembre 1948, leur travail aux Chambres, avec les modifications à lui apportées pour l'adapter au plan Marshall ; mais qu'il n'en avait rien fait.
2° Ils constataient que sur les sommes prévues aux budgets des deux années précédentes pour les premiers travaux de réparation et d'équipement prévus par le plan Monnet, une faible partie, un tiers seulement en 1947, avait reçu sa destination régulière ; le reste ayant été employé, grâce aux facilités que donnait l'absence de tout contrôle, à boucher les frais de gestion toujours grandissants de divers services nationalisés, ce qui avait bouleversé en fait tout le programme et toutes les prévisions, si minutieusement calculées, sur lesquelles le plan était bâti.
3° Pour se procurer les fonds réclamés par le plan, on n'avait cessé de recourir à des procédures d'emprunt, plus ou moins forcés qui, en vue des équipements futurs, pompaient les épargnants et les réserves de la masse des Français. C'est ainsi, en particulier que, par la loi du 7 janvier 1948, avaient été décidés un prélèvement dit « exceptionnel » et un emprunt amortissable de 3 % dont le produit avait été intégralement affecté aux besoins des travaux de reconstruction et d'équipement dirigés par l'administration du plan, et qui, par les troubles qu'ils entraînaient dans le train courant des affaires, avaient provoqué de nouvelles baisses de la monnaie.
4° Sur les quelque 600 milliards réclamés par l'administration du plan pour son budget de l'année 1949, et qui étaient divisés par elle en parts à peu près égales pour les travaux de reconstruction, d'une part, pour la modernisation, de l'autre, il se trouvait que presque tout était affecté aux besoins des services nationalisés, mines, électricité, chemins de fer, travaux publics. Très peu de choses était prévu pour les besoins des entreprises industrielles privées, et moins encore pour ceux de l'agriculture.
5° Si l'on regarde d'un peu plus près, il est vrai, il se trouve que les services nationalisés, aujourd'hui, ne travaillent pas eux-mêmes, avec leur personnel propre, pour leur équipement. Qu'il s'agisse, par exemple, de l’électrification des lignes de chemins de fer ou des installations de puits de mines, ou, mieux encore, des travaux publics de routes, de quais, etc., ils se contentent de traiter avec les quelques grandes sociétés privées de la sidérurgie, de la fabrication de matériel électrique, des produits chimiques, etc., qui effectuent les travaux à leur compte et fournissent machines et matières premières. En conséquence, par une incidence imprévue et que l'on se garde d'ordinaire de signaler au public, sous le couvert de la nationalisation, sous le couvert des crédits attribués aux entreprises nationalisées, ce sont, en fait, les grandes sociétés industrielles privées qui reçoivent les commandes et bénéficient des crédits.
Et sans doute certains seront tentés de dire que c'est là un résultat heureux, un moyen indirect d'augmenter la part, théoriquement si restreinte, faite à l'industrie privée dans la distribution des crédits du plan.
Oui, sans doute ; mais les bénéficiaires de ces commandes ce ne sont que les sociétés les plus puissantes, celles qui ont des représentants dans les commissions du plan. De plus, comme ces derniers se trouvent à la fois conseillers et bénéficiaires, ils sont tout naturellement tentés de grossir les devis, de multiplier les travaux, même les moins utiles. Et le jeu leur est d'autant plus facile qu'ils ont toutes sortes de complicités dans les services nationalisés avec lesquels ils ont à traiter, et pour le compte desquels sont passées les commandes. A la tête des services nationalisés, en effet, il y a des ingénieurs, de hauts fonctionnaires, tous plus ou moins issus de polytechnique et de l'inspection des finances. Dans le haut état-major des grandes sociétés industrielles on trouve aussi des polytechniciens, des inspecteurs des finances, liés par toutes sortes de camaraderies à ceux qui, dans les services nationalisés, représentent l'Etat. Et d'ailleurs ces derniers, qui pratiquement ne sont responsables devant personne, n'ont et ne peuvent avoir un véritable souci du prix de revient.
Dans son rapport au Conseil de la République, M. Pellenc a fait, sur les méthodes employées pour rétablissement des devis et la fixation du programme de travaux des services nationalisés, des observations bien caractéristiques et bien troublantes. « Gaz et Electricité de France, dit-il tout d'abord, se voient attribuer pour leur compte 104 milliards. Dans quelles conditions ? Sur la présentation d'un simple catalogue qui comporte la désignation de 97 localités où des travaux sont engagés. Le prix des travaux n'est pas chiffré. Par conséquent, il est absolument impossible au Parlement d'en apprécier l'intérêt... ». « Aux houillères nationales, ajoute-t-il, le projet attribue 65 milliards. Je ne veux pas insister ; les justifications ne sont pas plus détaillées que pour les houillères ». « Quant à la Société Nationale des Chemins de Fer, enfin, précise-t-il, c'est vraiment l'ogre le plus insatiable qui se puisse rencontrer».
Par ailleurs, au mois de juin 1949, dans une grave revue très conservatrice, la « Revue Politique et Parlementaire », un digne économiste, M. Chalandon, parlant des travaux effectués par les sociétés privées pour le compte de l'Etat, au titre du plan Monnet, a pu écrire : « Beaucoup de ces travaux réalisés ou en cours d'exécution sont non seulement d'une utilité contestable, mais présentent souvent un caractère nettement somptuaire. Cela provient de ce que les programmes ont été établis en fonction de données techniques, par des techniciens qui, en l'absence de tout contrôle parlementaire, ont pratiquement eu toute liberté pour fixer le rythme et la nature des travaux qu'ils entreprenaient. Or, si techniquement il est souhaitable d'avoir de belles machines, il peut arriver que financièrement ce ne soit pas avantageux. La perfection technique peut être inutilement coûteuse, et la dépense qu'elle implique hors de proportion avec l'avantage qu'on en retire. »
Tout récemment, à l'appui de ces observations, s'est produit un fait bien curieusement caractéristique. Les comités américains, dont, nous l'avons vu, l'avis est nécessaire pour permettre l'utilisation des crédits Marshall, nécessaires au fonctionnement des travaux du plan Monnet, ont, à tort ou à raison, refusé leur aval à remploi d'une somme de 40 milliards prévue pour les travaux de la S.N.C.F. Cette mesure a provoqué une protestation générale de la confédération générale du patronat, c'est-à-dire de l'organisme qui rassemble les dirigeants de notre grande industrie privée, lesquels, dans un communiqué qu'ont reproduit beaucoup de journaux des 14 et 15 septembre dernier, se sont plaints non pour plaider l'utilité des travaux interrompus, mais pour dire que beaucoup de leurs usines ne travaillaient que pour la S.N.C.F., et allaient se voir obligées, si les crédits n'étaient pas rétablis, de mettre leur personnel en chômage.
Pendant longtemps on avait vu les organismes patronaux faire campagne contre les nationalisations, protester contre les gaspillages entraînés, disaient-ils, par l'étatisation. Aujourd'hui ce sont eux qui réclament des crédits, pour les services d'Etat, en avouant qu'ils n'ont, qu'ils ne cherchent à avoir d'autre client que l'Etat.
Or, tandis qu'ils se partagent, avec le personnel surabondant des services nationalisés, ces dépenses à tant de points de vue somptuaires, il se trouve que les travaux de réparation plus modestes, mais à beaucoup de points de vue plus urgents aux yeux des sinistrés, la simple reconstruction des maisons démolies, ne progresse qu'avec une infinie lenteur. Tandis que pour l'équipement des campagnes et des colonies on électrifie les lignes de chemins de fer, on construit des machines 'perfectionnées destinées à l'entretien des routes, on «bâtit ici et là des abattoirs ultra-modernes ; on munit de fort beaux quais les ports de nos territoires d'outre-mer ; on a même entrepris au Togo, où il n'y a pas mille Européens, la construction d'un superbe lycée ; par contre, aucun crédit n'est encore prévu ni pour fournir des fonds de départ et d'installation à des colons éventuels, ni pour faciliter le retour à la terre dans notre France continentale où, depuis quelque cinquante ans, une surface égale à celle de la Belgique a été abandonnée par la culture.
Tout cela, dira-t-on, viendra sans doute plus tard. Peut-être, mais en attendant, pour les commandes d'utilité souvent contestable passées aux puissants fournisseurs des services d'Etat, on dépense sans mesure et sans contrôle ; on se condamne à recourir aux crédits américains qui compromettent notre indépendance ; on provoque les dévaluations répétées de notre monnaie qui, en ruinant les épargnants, les prolétarisent de plus en plus, et tuent chez eux l'esprit et les moyens d'entreprendre.
Etrange et bien dangereuse méthode pour préparer le relèvement du pays. Mais était-il raisonnable d'attendre mieux après avoir eu l'étrange idée de confier une dictature économique sans contrôle à un homme qui, comme M. Jean Monnet, a passé l'essentiel de sa carrière en commis voyageur des grands fournisseurs de commandes d'Etat ?
L'article ci-dessus, ayant été écrit et publié en 1949, il nous paraît utile de le compléter par un bref résumé des événements qui ont, par la suite jalonné la carrière de M. Monnet.
Déjà, en 1949, le fonctionnement du plan Monnet s'était révélé fort coûteux et avait exigé le recours à des subventions américaines. L'année suivante, pour plaire aux Américains qui, afin de s'assurer un plus efficace contrôle sur les capitaux engagés par eux souhaitaient préparer ce qu'ils appelaient une union européenne, économique d'abord et, si possible, politique ensuite, le gouvernement français avait, sous l'instigation de M. Monnet, pris l'initiative de créer ce qu'on appela alors le pool européen du charbon et de l'acier, c'est-à-dire un accord international des industries métallurgiques et minières, destiné à préparer les voies d'une union économique plus générale. Ce fut Robert Schuman, alors ministre des Affaires Etrangères, qui présida en juin 1950, à la fondation du pool. Mais c'était M. Jean Monnet qui avait tout animé.
De fait, deux ans plus tard, quand le pool commença à fonctionner, ce fut M. Monnet qui en obtint la présidence.
En 1954, toutefois, des difficultés étaient survenues pour lui. A cette date, en effet, sous la pression des Américains, qui déjà, ne se contentant plus du pool charbon-acier, voulaient l'instituer ce qu'ils appelaient la communauté européenne de défense, c'est-à-dire un système d'armée européenne commune, nouvelle étape vers l'unité politique complète. M. Monnet avait pris position en faveur de ce projet d'armée commune. Mais ledit projet s'était heurté à une opposition décidée au parlement français. M. Monnet avait alors démissionné de sa présidence du pool, le 11 novembre 1954, en déclarant qu'il se retirait « afin de pouvoir participer avec une entière liberté d'action à la réalisation de l'unité européenne ».
En fait, au cours des années suivantes, il avait surtout continué à servir d'agent financier entre l'Amérique et le gouvernement français, toujours désireux, pour équilibrer ses budgets, de s'assurer de nouveaux prêts des Etats-Unis. C'est ainsi entre autres qu'en janvier 1958, il avait été nommé président d'une délégation chargée d'aller négocier un emprunt à Washington.
A cette occasion et en plusieurs autres, il avait été amené à appuyer les campagnes amorcées pour préparer les abandons coloniaux que les Américains réclamaient de nous en sous-main, afin de se payer de leurs générosités en s'assurant le contrôle de nos richesses d'outre-mer.
En conséquence de quoi, sans plus remplir depuis 1954 de fonctions officielles, M. Monnet a continué à être un des plus influents agents de la finance américaine, avec l'aide de certains de ses poulains, M. Marjolin entre autres, qui continue à jouer un grand rôle dans les organismes de la Communauté Européenne. Il est allé si loin dans cette voie qu'il s'est attiré parfois quelques ennuis. En 1963, notamment, après notre abandon total de l'Algérie, comme le général de Gaulle, peut-être inquiet pour son prestige d'avoir tant cédé, voulait chercher une sorte de revanche, en essayant de conclure avec le chancelier Adenauer un accord franco-allemand destiné, laissait-il entendre, à libérer partiellement au moins l'Europe du contrôle américain, M. Monnet avait pris position ouverte contre les projets du général. D'où un froid assez vif entre eux deux.
Mais les Américains n'ont pas, pour cela, renoncé, bien au contraire, à soutenir M. Monnet. Même, lors des discussions qui se sont ouvertes, dans le courant de 1963, sur le choix de l'éventuel Président de la République qui succéderait au général de Gaulle, certains organes de la presse américaine ont clairement laissé entendre que M. Jean Monnet serait, le cas échéant, un candidat qui ne déplairait pas aux Etats-Unis.
Tout cela étant, il est plus que jamais nécessaire de faire connaître aux Français comment s'est formé l’étrange aventurier dénationalisé qui ose avoir la prétention de se laisser pousser un jour à la présidence.
E. Beau de Loménie
Sources : Les Cahiers de la Cité, novembre 1949 et repris dans « les glorieux de la décadence » (1964)
L'ESPRIT DE LA DOUBLE HACHE
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A la fin d'un cycle, les ténèbres règnent, omniprésentes, omnipotentes. Chez quelques-uns seulement la lumière est encore présente. Lumière de l'Age d'Or, de l'Hyperborée, terre des Aryens lorsqu'ils étaient en contact direct avec Dieu ou les Dieux, lorsqu'ils ne faisaient qu'un avec le Cosmos, période qui, bien que très lointaine dans le temps, s'est gravée dans les esprits non complètement endormis ou décomposés, et qui correspond à une ère de félicité, de paix et de grande connaissance.
Puis vint la dégradation, l'involution, après la grande clarté ; l'obscurcissement, puis la nuit. Dans quelques rares endroits, autour d'un foyer, veillent les gardiens de la lumière, la milice céleste, attendant l'aurore, puis le grand soleil.
Avec la venue des ténèbres, les dieux polaires durent combattre, contenir ou repousser les forces inférieures de la matière, de la dissolution, de l1inconnaissance. Pour cela, ils empoignèrent les armes fournies par le Ciel. De sereine et pacifique, l'affirmation devint guerrière lorsque des brèches dans la « grande muraille » laissèrent passer les forces d’en-bas, les hordes des peuples de Gog et Magog, de Koka et Vikoka (1), qui tuent tout ce qui est élévation, entraînent les hommes vers les bas-fonds de l'Age Sombre, là où règne l'Antéchrist, Satan, justement désigné depuis quelques siècles : « Prince de ce monde ».
La plupart des armes célestes proviennent de la Foudre, éclat de lumière illuminant brusquement les ténèbres pour brûler, châtier, infliger une défaite - hélas ! limitée dans le temps - aux forces démoniaques et rétablir la justice, la paix et l'harmonie, jusqu'à ce que la perversion atteigne à nouveau l'esprit des hommes et provoque leur perte.
La double hache - aussi appelée bipenne et bicuspide - est l'une de ces armes symboliques brandies par les dieux hyperboréens (2) ou issus de l’Hyperborée pour affirmer leur race, participer à cette guerre sans fin, qui est aussi une guerre cosmique, entre la lumière et les ténèbres, le feu et la glace, la chaleur et le froid.
Les plus anciennes haches connues étaient fabriquées avec des « pierres de foudre » tombées du ciel (3). Certaines ont plus de 10000 ans ! Les plus vieilles ont été exhumées au Nord de l'Europe - Danemark, Sud de la Suède -, ce qui est bien antérieur à celles trouvées en Grèce ou au Proche-Orient. Pour René Guenon (4) et Julius Evola (5), l'origine polaire de la double hache ne fait aucun doute, en raison de son symbolisme et de sa diffusion dans l'espace et le temps.
A une époque plus proche de nous, la hache bipenne fut appelée « Hache d'Amazone » lorsqu'il y eut, par certaines femmes, une usurpation d'éléments masculins et une virilisation qui correspond à la « prise du pouvoir » par les druidesses, à la prééminence accordée au culte lunaire, au matriarcat, qui entraîna chez certains peuples d'importants remous, scissions, comme celle du légendaire Ram (6).
L'exemple type de cette appropriation, de ce détournement de symboles solaires par des civilisations lunaires, est la Crète antique, minoenne. L'opposition entre les deux formes de spiritualité est présente dans l'affrontement entre Thésée, héros solaire, et le Minotaure né de l'accouplement coupable de Pasiphaé, femme de Minos, et d'un taureau envoyé par Poséidon. La Crète recèle de nombreux symboles solaires annexés : doubles haches, swastikas, taureaux... Néanmoins, tout s'ordonne sous l'égide d'une « Magna Mater », d'une déesse suprême. Il dut y avoir une symbiose, une union entre deux spiritualités différentes, mais où le culte lunaire et chthonien domina quand même, signe d'une altération, à l'inverse de la mythologie nordique où les Ases prennent les deux premières fonctions et les Vanes la troisième.
D'autres armes dérivent du même principe ; ainsi le VAJRA (7), la foudre d'Indra, dont Guenon a écrit : « La hache (...) est tout spécialement un symbole de la foudre, donc, à cet égard, un strict équivalent du VAJRA ». En dérivent notamment : l'épée, la flèche, l'essieu... A remarquer la proche parenté établie avec l'essieu qui, par sa nature, figure l'axe reliant les pôles autour duquel s'ordonne le mouvement, le devenir (8), symbole de l'Age d'Or, principe de stabilité, de dimension verticale, de l'Etre (9). Au VAJRA est également associé le diamant, symbole d'indivisibilité, d'inaltérabilité, d'immutabilité, donc de la tradition polaire dont le noyau originel ne peut être affecté par les cycles et se trouve au-dessus du temps.
Le symbolisme de l'épée est relativement connu car cette arme est familière des légendes européennes. Ce « rayon céleste » dont A. K. Coomaraswamy, reprenant la tradition shintoïste, a écrit : « L'épée est dérivée d'un éclair archétype, dont elle est la descendante ou l'hypostase » (10). Cette hypostase, qui dans la légende du roi Arthur, sous le nom d'Excalibur, s'identifie au sceptre, donne la légitimité et symbolise la double royauté : spirituelle et temporelle. Dans le SHATAPATHA BRAHMANA, il est écrit : « Quand Indra lança la foudre sur Vrita, celle-ci, ainsi lancée, devint quadruple (...) Les brahmanes se servent de deux de ces quatre formes pendant le sacrifice, alors que les kshatriyas se servent des deux autres dans la bataille (...) Quand le sacrificateur brandit l'épée de bois, c'est la foudre qu'il lance contre l'ennemi ». Cela est également lié à la grande et petite guerre sainte, sur lesquelles nous reviendrons.
Les flèches servent à Apollon, dieu hyperboréen par excellence, pour tuer le serpent géant Python, mythe identique à celui d'Indra tuant le dragon Vrita (11).
La lance est une arme également dérivée de la foudre, ce qui se comprend aisément. Les exemples abondent : Gungnir, la lance d'Odin, dont le nom veut dire « La vibrante », qui a permis aux Ases de repousser les Vanes ; celle d'Athéna ; Sleg, dans la mythologie celtique, originaire de Gorias, ce qui signifie « Brûlures », ville légendaire du druide Esras – « passage » -, attribuée au dieu Lug « Lumineux » ; celle de saint Michel, de saint Georges...
Un symbolisme lié aussi à la hache et à la manifestation du divin est celui de la pierre. Tout comme la foudre, la pierre, d'après les anciens, provient du ciel et représente donc les divinités célestes. La plus célèbre est actuellement, sans conteste, la Ka'ba à La Mecque, que les musulmans nomment « La main droite de Dieu » - « Yamin Allah ». Dans la mythologie celtique, Lia Fail, la pierre de la souveraineté originaire, comme Sleg, des îles situées au Nord du monde, crie lorsque le prince légitime, qui doit accéder au trône, s'y assied (12). On retrouve cela dans la légende du Graal avec le fameux « treizième siège », le « siège polaire », où « est foudroyé quand s'y assied un indigne ou un non élu » (13).
Le Graal lui-même est, d'après Wolfram von Eschenbach, une pierre tombée du front de Lucifer et qu'aurait taillée un ange fidèle à Dieu. Au passage, notons l'importance de la lance et de l'épée dans cette légende, ainsi que de la curieuse épreuve qui consistait à retirer une épée fichée dans un roc.
La pierre sacrée, venue du ciel, est un OMPHALOS, un centre de la Tradition (par exemple, celle de Delphes). Elle détient la légitimité, l'autorité, la connaissance (14). La pierre est également synonyme de fertilité pour des raisons identiques à la fécondité attribuée à la hache que nous examinerons plus loin.
La mythologie celtique situe l'origine de ces différents symboles dans les « îles au Nord du Monde » : Lia Fail et Sleg, que nous avons évoquées ; Claidiub, le glaive ; Côiri, le chaudron de Dagda, symbole de l'abondance, de la régénération... Ils proviennent explicitement du Nord, de l'Hyperborée, sont rattachés à la première et à la deuxième fonctions et aux dieux suprêmes.
L'ARME CELESTE
La forme de la double hache se rapproche de la lettre T (15). Aussi n'est-il pas étonnant de la retrouver chez beaucoup de dieux indo-européens de la foudre, du tonnerre, dont le nom comporte la lettre T, qui leur donne toute sa force. Ainsi, Thor, personnification de l'orage, réside à « Bilskirnir », ce qui signifie –« Qui brille un moment », allusion évidente à l'éclair. Teshoub, le dieu hittite des orages et de la guerre. Taranis, le Jupiter gaulois, dont le nom veut dire « Tonnerre » et qui est parfois associé à Dis Pater, « le maître des combats et le plus grand des dieux du ciel » (16). Très proche est Tarhunnas, le « dieu victorieux » hittite. D'autres rapprochements sont possibles : dans le Mazdéisme, Atar, le feu, est fils d'Ormuzd, le ciel. Dans l'Hindouisme, Atharva, l'éclair, est fils de Varuna, le ciel. Dans la mythologie grecque, Athéna, fille de Zeus, naquit tout armée à la suite d'un coup de hache d'Héphaïstos qui fendit le crâne de Zeus ; elle personnalise l'intelligence, la guerre et la lumière ; son animal est la chouette, qui a la possibilité de voir la nuit.
L'aspect souverain - ou attribut du souverain - du T se retrouve dans les Thuata Dé Danan, la race divine venue du Nord qui a colonisé l'Irlande. En gaélique, « Thuath » veut dire « Tribu », « Peuple ». En germain ancien, « Thiudans » a le sens de « Roi », le verbe « Thiudanôn » signifie « Régner, être Roi ».
Cela se rapproche aussi du dieu nordique Tyr, également appelé Tiwas, Tiu, Tiuth. Il personnifie l'aspect à la fois juridique et guerrier de la première fonction. A noter que la rune de Tyr - une flèche orientée vers le haut - se rapporte au symbolisme évoqué plus haut. De plus, sa forme est assez proche du T. En effet, dans la rune, les barres du T sont juste repliées. Celle-ci est le symbole du marteau de Thor. Elle veut également dire : éveil, commencement, ce qui, d'une certaine manière, se rapporte au Nord, a l'origine (18).
Toutefois, tous les dieux du tonnerre n'ont pas de T. Ainsi, Sucellos, le dieu au maillet gaulois, souvent identifié à Jupiter et dont le nom signifie « Celui qui frappe bien » ou encore « Tape-dur ». L'équivalent insulaire celtique de Taranis et de Sucellos est Dagda, dont la massue peut aussi bien donner la vie que la mort. De même, Perkunas, dieu suprême des Lituaniens et des Lettons, identifié au tonnerre, père des hommes. Son homologue ukrainien Perun possède les mêmes caractéristiques. Le dieu du tonnerre babylonien, Hadad, se rapproche davantage de la hache telle qu'elle fut comprise par les civilisations méditerranéennes. Dans l'alphabet crétois, la hache bipenne correspond à la lettre A (il faut comprendre : origine). Il est à remarquer que la plupart des grands dieux des religions méditerranéennes antiques ont un nom qui débute par A : Aton, Ammon, Atoum, Anu ; dans une certaine mesure, Ptah, Baal ; également Adam, le premier homme d'après la Bible. En sumérien AN signifie « en-haut » ce qui se rapporte directement à ce sur quoi nous allons nous pencher maintenant.
« Les dieux indo-européens se nomment deywos, « ceux du ciel diurne », désignation qui remonte à une époque où le ciel diurne dyéw-pHtér était le premier de tous les dieux » indique Jean Haudry (19). Sont issus de cette étymologie : Zeus (Dyaus), Jupiter (Dyaus-Pitar), Dis Pater pour les Gaulois, Tyr (Tiu) équivalent du Dius Fidius romain, Sius (dieu hittite de la première fonction). A ces dieux occupant la plupart du temps le trône et régentant les autres dieux correspondent : la lumière, le Soleil, la grande clarté - sauf Dis Pater, lié à la nuit, aux morts, mais aussi à l'origine -ce qui peut s'expliquer par la nostalgie de l'Hyperborée, à la fois terre des ancêtres, des morts, des protecteurs. Les mots : Dieu, divin, etc., dérivent de la même racine ; en sanskrit, DYAUH est le ciel. A tous ces dieux la foudre est liée comme arme et manifestation divine. La foudre, donc la hache. En Carie (Turquie), un culte était rendu à Zeus Labrandeus - Zeus à la double hache.
Ce rôle d'instrument des forces ouraniennes contre les ténèbres est développé dans toutes les mythologies influencées par l'Hyperborée. Thor se sert sans cesse de son marteau pour combattre les forces obscures et destructrices : Jormungand, les géants, ainsi que toutes les « forces élémentaires ». En Inde, Paraçu-Rama, Rama à la double hache, extermine les MLECCHAS, « race de titans, caste guerrière dégradée, qui avait tenté d'usurper la suprême autorité spirituelle » (20). Similaire est le combat que livre Zeus pour vaincre les titans et géants qui essaient d'envahir l'Olympe, ou Typhon qui apporte le chaos sur terre, avec l'aide de la foudre.
BIPOLARITE SACREE
Eu égard à sa forme, la hache bipenne symbolise également un des grands principes traditionnels : la bipolarité nécessaire pour toute manifestation. Les deux tranchants sont reliés par un axe. Symbole d'une trinité : deux côtés, un axe qui les ordonne et les maintient. Ces deux parties ne s'opposent pas, leur tranchant est tourné vers l'extérieur. Sur un plan horizontal, elles sont côte à côte, chacune orientée dans une direction opposée à l'autre. En revanche, sur un plan vertical, les deux parties se rejoignent par le centre et ne font plus qu'un, unité transcendante. Ainsi que le remarque Guido de Giorgio : « Le spirituel et le temporel se greffent sur un tronc unique qui est l'unité traditionnelle dont elles constituent deux expressions nécessairement opposées, mais non antagonistes, l'une commençant où l'autre finit, en une succession hiérarchique dont les points d'arrivée sont respectivement le paradis terrestre et le paradis céleste » (21).
Bipolarité qui se retrouve aussi bien dans ces oppositions/complémentarités : masculin/ féminin, spirituel/temporel, ciel/terre, divin/humain, vie/mort, action/contemplation.
Deux aspects de cette bipolarité se rapportent directement à la hache bicuspide : Janus, le dieu à deux visages ; la grande et la petite guerre sainte, l'action sur soi-même et l'action sur le monde.
Janus est l'un des dieux les plus mystérieux de la Rome antique. On sait peu de chose sur lui. D'après certaines légendes, il était présent à Rome lorsque Saturne/Cronos y arriva et il l'accueillit. Ses symboles sont : la porte, la clef, la barque. Il ouvre et ferme les cycles. A ce titre, il est au-dessus du temps. D'où son double visage, un qui regarde devant, vers l'avenir, l'autre derrière, vers le passé. Par les clefs, il ouvre les portes des mondes supérieurs et préside aux différentes initiations. Il dirige l'ouverture et la fermeture des portes solsticiales : Janus Coeli (Solstice d'hiver) et Janus Inferni (Solstice d'été).
Il est parfois représenté tenant une clef d'un côté, figuration du pouvoir sacerdotal, un sceptre de l'autre, représentation du pouvoir temporel. Il réunit ces deux pouvoirs. La phrase du Christ qui fut parfois représenté en Janus, « Je suis l'alpha et l'oméga », se rapporte à cette symbolique. Autre symbole proche : l'aigle bicéphale, figuration du pouvoir suprême, à la fois temporel et spirituel.
Par ses deux côtés, ces deux têtes, la hache bipenne exprime également ce symbolisme. Elle lie ces deux aspects, à la fois opposés et complémentaires. Comme Janus elle se trouve au passage, au début et à la fin des cycles, au carrefour de la vie et de la mort.
Dans le domaine de l'action, tant spirituelle que temporelle, cela est exprimé dans la notion de grande guerre sainte et de petite guerre sainte. La première est une guerre spirituelle, qui se livre principalement en soi-même, pour sa propre transcendance, pour son illumination, sa réalisation. La seconde est plus « physique » : « La petite guerre sainte (...) correspond à la guerre extérieure, à la guerre sanglante qui se fait avec des armes matérielles contre l'ennemi, contre le « barbare », contre une race inférieure devant laquelle on revendique un droit supérieur ou, enfin, quand l'entreprise est dirigée par une motivation religieuse, contre « l'infidèle » (22).
L'une et l'autre sont nécessaires. La grande guerre sainte sans la petite guerre sainte est un inachèvement tant que l'on reste dans le monde ; la petite guerre sainte sans la grande guerre, une usurpation, une parodie. Les deux côtés de la hache bipenne sont orientés l'un vers le plan humain - petite guerre - l'autre vers le divin - grande guerre.
SYMBOLE DU RENOUVEAU
La hache n'est pas un symbole statique : elle représente la lumière divine qui s'incarne dans notre monde pour indiquer des voies supérieures, pour en permettre l'accès. L'éclair est un signe des dieux en direction des hommes ; tout comme l'arc-en-ciel, il relie. Symbole de la manifestation divine, de sa toute-puissance, repris par les héros solaires qui veulent parvenir à l'Hyperborée, à la connaissance et à la plénitude de l'Age d'Or, qui défient la bassesse, l'inanité de notre époque, pour le triomphe et la gloire de la plus grande clarté. Tout comme Thésée qui tua le minotaure avec une hache - ou une épée, suivant les versions -, après avoir surmonté l'épreuve du labyrinthe ; comme Héraklès qui, à la suite de ses travaux/épreuves, accéda à l'Olympe ; comme les Einherjar, morts l'épée, la hache, la lance, à la main, vont au Walhalla et sont reçus par Odin comme des pairs.
Si la hache tue, extermine, tout ce qu'animent les forces ténébreuses de la dissolution, de l'Age Sombre, elle apporte la vie, en revanche, à celui qui a choisi d'emprunter la « voie du Soleil », à l'homme « contre le temps » qui quitte le monde moderne, ce dernier monde perclus d'infirmités, de maladies, de plaies, pour parvenir à conquérir le « Graal ».
Originaire du ciel, manifestation de sa puissance, de son éclat, la hache est également un symbole de fécondité. Elle s'identifie au Yang, au pôle masculin, fécond, généreux, dont la personnification dans la mythologie grecque est Ouranos le Ciel, dont les fréquents accouplements avec Gaia, la Terre, sont à l'origine de tout ce qui est sur notre planète. Dans l'Antiquité, on trouve la hache souvent associée au Taureau, symbole de fécondité (23).
Les dieux utilisant les dérivés de la foudre sont réputés très féconds et ont des épouses au symbolisme chthonien, yin. Ainsi, Tho a pour épouse Sif, incarnation féminine de la végétation. Sucellos a pour compagne Nantosuelta, déesse des rivières. Il tient souvent en main une corne d'abondance dont le sens de la fécondité est évident. Nous n'évoquerons pas Zeus ou Odin dont la fécondité est vantée en long et en large dans les mythologies grecque et nordique, de même pour les différentes divinités masculines hindouistes dont les représentations plastiques de leur ardeur amoureuse choquèrent et étonnèrent souvent les Occidentaux (24).
La hache, en tant que jet du ciel, représente le principe mâle. Sans lui, la terre privée des forces d'en-haut, des dieux, devient stérile et meurt peu à peu ; épouse délaissée, elle ne conçoit plus. C'est pour cela que la hache ou le marteau participent souvent aux rites de mariage, de semence, des civilisations traditionnelles.
Par son pouvoir de délier, de fendre, de trancher, la hache permet à celui qui suit une initiation de franchir les obstacles, d'ouvrir les portes. Chez les Esséniens, une petite hache était remise à chaque novice. La massue de Dagda donnait, par l'un des côtés, la vie, par l'autre, la mort. Tout cela se réfère de façon explicite à l'initiation qui est mort et vie à la fois. Mort à la condition antérieure d’inconnaissance, de non-réalisation spirituelle. Début d'une autre vie, « seconde naissance » à un monde supérieur. La hache, en donnant la mort, clôture un cycle, mais, par ce fait même, en inaugure un autre. Voilà qui nous ramène à Janus, lui aussi symbole de l'initiation : il détient les clefs et, de plus, préside aux passages. Pour cette raison également - nous ouvrons ici une parenthèse -, la hache est un symbole adéquat à notre monde crépusculaire, notre fin de cycle. Elle permettra de passer d'un cycle à l'autre.
Par sa forme trinitaire, par son origine (le feu céleste), par sa fonction (dissiper les ténèbres, rétablir la clarté divine), la hache bipenne est un symbole royal et de l'Age d'Or, donc du printemps, de la prospérité, des « jours heureux ». Elle était l'emblème des souverains Scandinaves, tout comme la foudre est l'emblème des dieux suprêmes. Par son double aspect spirituel et temporel, elle est un attribut du « Pontifex », de celui qui guide un peuple - le roi, étymologiquement, est celui qui montre et emprunte le droit chemin -et qui se trouve à la jonction de ce monde et du supra-monde en étant le plus haut dans la hiérarchie humaine et le plus bas dans la hiérarchie céleste (25).
La hache permet au héros de vaincre. La rune de Tyr, flèche orientée vers le ciel, indiquant la bonne direction à suivre, engageant à l'élévation, symbolise également l'éveil, le commencement, le début. Thor incarne le printemps. Indra, en tuant Vritra, permet aux « Forces-de-vie » que retenait le dragon de se répandre à nouveau sur la Terre. Le RIG-VEDA a d'ailleurs, à la suite de la mort du dragon et de la résurgence des eaux fécondantes, une expression qui peut paraître curieuse au premier abord : « La révolution est faite »! (26).
Janus, passage d'un état à l'autre, la foudre associée aussi à la fécondité du ciel envers la terre, l'Hyperborée et l'Age d'Or, le printemps, la « seconde naissance », la victoire de la lumière sur la nuit.,, tous ces éléments font de la hache un symbole du Renouveau, de la régénération.
Nous terminerons par trois citations extraites d'un article signé Roderik, paru dans HEIMDAL (27), et qui résument bien cet aperçu du symbolisme de la hache : « (...) Le sens caché que, chez les peuples indo-européens, revêt la hache : le pouvoir de trancher les liens enserrant l'individu dans sa petitesse et libérer ainsi la grande lumière des puissances (...) Alors le monde fulgure et le dieu surgit en l'homme (...) Brandir la hache c'est libérer un potentiel héroïque, une combativité salvatrice conférant le pouvoir de « trancher », de séparer de soi tout ce qui procède de l'enténèbrement vorace du monde, et, de la sorte, faire qu'à nouveau jaillisse l'éclair, jonction fulgurante entre les hommes et les Ases . »
Christophe LEVALOIS
Notes:
(1) A ce sujet, lire « Les fissures dans la grande muraille » de René Guenon, dans LE REGNE DE LA QUANTITE ET LES SIGNES DES TEMPS, Gailimard.
(2) Sur l'Hyperborée, lire notre article :
« A la recherche de l'Hyperborée », L'AGE D'OR n. 3.
(3) Dans la plupart des mythologies et textes sacrés, il est mentionné des chutes de
pierres, sans doute des aérolithes, des comètes qui seraient passées à proximité de la terre, provoquant maints cataclysmes. Nous renvoyons le lecteur à l'Exode, au LIVRE DE JOSUE, au VISUDDHI-MAGGA, texte bouddhique, aux ANNALES DE CUAUHTITLAN, texte mexicain, au KALEVALA finnois, aux hymnes védiques concernant les « Marouts », au combat de Zeus contre Typhon, à la castration d'Ouranos par Cronos qui fit couler des gouttes de sang du Ciel (Ouranos) sur Terre, à la terrible Sekhmet dans la mythologie égyptienne, aux Gaulois qui craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête...
(4) Cf. « Quelques armes symboliques », dans SYMBOLES FONDAMENTAUX DE LA SCIENCE SACREE, Gallimard.
(5) Cf. « La hache », dans SYMBOLES ET MYTHES DE LA TRADITION OCCIDENTALE, Arche.
(6) Schuré, dans LES GRANDS INITIES, a écrit quelques pages sur ce conflit. A lire également : DU REGNE DE LA MERE AU PATRIARCAT de Bachofen ; d'Evola : METAPHYSIQUE DU SEXE, Certains chapitres de REVOLTE CONTRE LE MONDE MODERNE. Dans la mythologie grecque, Héraklès, héros olympien, affronte les Amazones. Achille tue Penthésilée, reine des amazones et fille d'Ares, dieu de la guerre.
(7) L'équivalent tibétain du VAJRA est le
DORJE, l'un des principaux insignes des dignitaires du lamaïsme. Le BUDAE ou BUMAE est la pierre de foudre, emblème de la vocation et de la puissance shamanique.
(8) D'où la phrase de Lao Tseu dans le TAO TO KING : « Trente rayons convergent au moyeu. Mais c'est le vide médian Qui fait marcher le char ».
(9) Cf. René Guenon : « L'arbre et le Vajra », dans SYMBOLES FONDAMENTAUX DE LA SCIENCE SACREE.
(10) Dans « Le symbolisme de l'épée » ETUDES TRADITIONNELLES, janvier 1938.
(11) A ce propos, lire COSMOGONIES VEDIQUES de Jean Varenne, Les Belles Lettres/Arche.
(12) Dans la mythologie celtique, cette pierre provient de la ville de Falias, située au Nord du monde. Le druide qui dirige la cité est « Morfesas », ce qui signifie « Grande connaissance ».
(13) Julius Evola, LE MYSTERE DU GRAAL ET L'IDEE IMPERIALE GIBELINE, Editions Traditionnelles.
(14) La pierre peut être aussi maléfique par l'inversion symbolique fréquente dans la Tradition. Dans le RIG-VEDA, Indra doit détruire les forteresses de pierres de Vritra. Dans d'autres passages, il perce une montagne pour
délivrer les eaux régénératrices.
(15) Paul Le Cour, dans ATLANTIS n. 285, remarque que chez de nombreux peuples la hache
porte un nom identique : « En sanskrit takshani et tanka, dérivé de tak ou tacksh, en persan tash, en Zend Tasha, en grec tukos, en polonais tasak (...) » L'importance phonétique du T est évidente.
(16) LES DIEUX DE LA GAULE de Paul-Marie Duval, Petite bibliothèque Payot.
(17) Cf. Jean-Paul Allard : « La royauté wotanique des germains », dans ETUDES INDO-EUROPEENNES n° 1.
(18) Sur les runes, lire « Magie des runes », dans L'EUROPE PAÏENNE, Seghers.
(19) LES INDO-EUROPEENS, Que sais-je ?, PUF.
(20) Julius Evola, SYMBOLES ET MYTHES DE LA TRADITION OCCIDENTALE, Arche.
(21) Guido de Giorgio, LA TRADIZIONE ROMANA, Flamen.
(22) Julius Evola, METAPHYSIQUE DE LA GUERRE, Arche.
(23) Cf. J. Duchaussoy, LE BESTIAIRE DIVIN, Le courrier du livre.
(24) Sur tout cela, lire METAPHYSIQUE DU SEXE, d'Evola, la revue REBIS.
(25) C'est pour cela que la papauté a pris aux empereurs romains des symboles de Janus :
la barque et surtout la clef.
(26) Cf. l'article de Jean Varenne, « La révolution est faite », dans ETUDES INDO-EUROPEENNES n ° 1.
(27) N. 34, hiver 1981, intitulé « Le temps des haches et des loups ».
Sources : TOTALITE – N°20 – Automne 1984.
Racket. Les propriétaires de Linky vont devoir le rembourser
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Acceptez quelque chose de l’Etat français et des sociétés qui travaillent pour lui (et s’enrichissent grâce à lui) et il y aura toujours une contrepartie. Ains, pour les compteurs Linky, tant vantés par Enedis, et dont l’ancien ministre de l’Industrie et de l’Energie, Eric Besson, avait déclaré qu’il ne coûterait pas un centime aux particuliers, il semblerait que les Français doivent passer bientôt à la caisse.
Le détail, c’est le journalLe Parisienqui l’a donné lundi 31 mai. Le coûte des installations de Linky (souvent par des sous traitants, sur lesquels il serait bon un jour que des journalistes d’investigation se penchent eu égard des compétences diverses et variées que l’on retrouve chez ces installateurs) est de 5,7 milliards d’euros, selon la Cour des comptes, soit 130 euros par appareil. Une somme que les particuliers devront commencer à rembourser dès 2022, en raison du mécanisme de « différé tarifaire » mis en place par Enedis. Selon le Parisien, le taux d’intérêt appliqué au remboursement sera de 4,6 % soit pour Enedis une marge de 2,8 % soit un demi-milliard d’euros d’intérêts supplémentaires que paieront les consommateurs.
Plusieurs centaines de millions d’euros devraient être prélevés chaque année, ce qui représentera un total de deux milliards d’euros en 2030.
Pourtant, Enedis avait annoncé prendre à sa charge 5,39 milliards d’euros : 10% provenant de ses fonds propres et le reste grâce à un emprunt auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) à un taux avantageux de 0,77 %. Mais au final, c’est bien le consommateur qui remboursera le coût du compteur Linky, et sans bénéficier du très avantageux taux de la BEI. Dans son rapport, la Cour des comptes l’a estimé à 4,6%. Ce qui représentera un demi-milliard d’euros d’intérêts supplémentaires pour Enedis, détaille Le Parisien.
Reste 3,7 milliards d’euros à régler. Enedis parle d’économies générées grâce au compteur, notamment du fait des relevés à distance. Les associations de consommateurs elles, n’y croient pas une seconde. 32 millions de compteurs Linky sont installés aujourd’hui sur le territoire. 90 % des foyers sont équipés.
Un nouveau scandale en perspective, et des responsables politiques et économiques qui ont menti à la population, et qui ne seront nullement inquiétés…
: Sources: Breizh-info.com, 2021,
Censure de la loi Molac, victoire des anywhere !
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Le vendredi 21 mai 2021 le Conseil constitutionnel, saisi par une soixantaine de parlementaires suite à l’adoption le 8 avril 2021 de la la loi Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, à rendu sa décision (n°2021-818 DC 21 mai 2021).
Le Conseil constitutionnel a décidé de rendre non conforme à la Constitution les articles 4 et 9 de la loi Molac, portant respectivement sur le caractère immersif de l’enseignement dans les établissements du service public ou associés, et l’utilisation des signes diacritiques des langues régionales pour les actes administratifs.
L’article principalement utilisé par les Sages est le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution « La langue de la République est le français ». Par une pirouette juridico-jacobine le Conseil constitutionnel a su utiliser à bon escient pour sa démonstration l’article 75-1 de la Constitution « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Ce dernier en effet ne revêt aucun caractère contraignant, ce qui a l’avantage de muséifier les dites langues tout en donnant l’illusion de faire quelque chose . L’observateur sagace notera que si la langue de la République est le français, les langues régionales, en revanche, ne sont que des langues du patrimoine de la France. Existe t-il une hiérarchie entre la République et la France ? Ou alors une dichotomie entre le pays légal et le pays réel? Les deux à la fois certainement. En tout cas il est certain que les langues régionales n’appartiennent pas au patrimoine de la République.
Nous pouvons voir qu’un réel problème politique se pose devant nous. Une loi votée par le Parlement est ainsi censurée par le Conseil Constitutionnel, la procédure est évidemment autorisée par la Constitution (Art. 61). Nous sommes loin de la célèbre phrase du général de Gaulle « En France, la cours suprême, c’est le peuple ». Que reste t-il donc du vox populi dont la souveraineté (existe-elle encore?) est déléguée à la représentation nationale, le Parlement ?
La question se pose doublement. Faisons un peu d’anticipation électorale en cas d’un bouleversement de grande ampleur lors des prochaines présidentielles, même si cet hypothétique futur Gouvernement dispose des outils du parlementarisme rationalisé (en cas de tentative de déstabilisation ou d’obstruction parlementaire, faute de majorité), il devrait faire face à la fois au Conseil constitutionnel et au droit communautaire.
Revenons à la question des langues régionales. Une solution s’esquisse, mais difficilement réalisable, non pas techniquement, mais politiquement. Une révision des articles 2 et 75-1 de la Constitution. Tout d’abord donner un caractère contraignant à l’article 75-1, et ensuite insérer la réalité plurielle des langues régionales autochtones dans l’article 2. En effet, la République a parfaitement réalisé la francisation généralisée des régions, un retour en arrière est impossible, s’acharner de la sorte se résume à tirer sur un cadavre refroidi depuis bien longtemps, les langues régionales, elles, ne représentent aucun danger pour l’unité de la France. Invoquer les cas de sécession en Europe relève de l’épouvantail et du fanatisme jacobin. La France doit donc assumer, juridiquement, non seulement l’enseignement mais aussi la promotion des langues régionales sous peine de perdre le peu de vitalité identitaire qui lui reste encore. C’est un chemin ardu, car pour en arriver à une telle procédure, il faut un Gouvernement d’enracinés, ce qui pour l’heure n’est pas le cas. En effet, aucune proposition de loi constitutionnelle n’a abouti jusqu’à présent, seuls les projets de lois constitutionnelles aboutissent, car ils émanent de l’exécutif.
Nous pouvons dire que pour l’heure ce sont les anywhere (ceux de partout) qui ont remporté la partie contre les somewhere (ceux de quelque part). En effet, la soixantaine de parlementaires nomades qui a saisi le Conseil constitutionnel restera dans l’histoire comme celle qui aura porté atteinte à plus de quarante années de lutte , de construction, d’expérimentation, de résultats et de travail sérieux pour maintenir et transmettre les langues vernaculaires d’un pays laminé par la mondialisation, après avoir été son laboratoire idéologique.
Llorenç Perrié Albanell
La jeunesse fasciste italienne
- Détails
- Catégorie : HISTOIRE
Les éditions Reconquista Press nous proposent la réédition d'un livre paru sous la plume de Blandine Ollivier, arrière-petite-fille du grand compositeur Franz Liszt, aux éditions Gallimard en 1934. Son titre: Jeunesse fasciste.
Le Popolo d'Italia en fit l'éloge suivant: « C'est un livre complet, qui épuise le sujet. Tout ce que la Révolution fasciste a accompli y est exposé avec un diligent souci de documentation. » S'agit-il d'une hagiographie ? Par moments c'est certainement le cas, mais l'auteur a une vraie démarche de journaliste, et décrit, raconte, interprète avec, certes, des sentiments d'admiration et de sympathie, tout en exprimant certaines réserves sur le caractère et la « tonalité » de l'éducation fasciste des jeunes. La conclusion de cet ouvrage est troublante et, nous le verrons plus loin, pose de vraies questions quant à ce que serait devenu le fascisme s'il avait « réussi ».
Mussolini, le Chef
Voici comment Blandine Ollivier décrit le Duce: « La voix est sourde, grave, les paroles sont concises. » Elle découvre « cette rude figure d'ouvrier obstiné dont on comprend dès l'abord qu'il prétendra conformer l'univers à sa volonté et non pas plier sa volonté à l'univers. La beauté sévère du regard chargé de force et de tristesse, les yeux étrangement ronds, la bouche âpre, la mâchoire brutale, la matérialité méditative du front, le masque tourmenté au sourire apaisé s'enfoncent dans l'ombre. Il y a, dans l'atmosphère, de l'âpreté, de la violence: c'est ici le lieu d'un terrible effort; l'être le plus vainqueur au monde y réside. Un homme sculpte une race, la hausse jusqu'à la plus intense exaltation. » Cette jeunesse, écrit l'auteur, est « drue, saine, dynamique ». « Chemisettes blanches, jupes courtes et noires, cheveux noirs et courts, élancées sous le béret sombre, des "Petites italiennes" défilent au pas cadencé ». Un chant éclate: « Giovinezza ». « Ces enfants, ce ciel sont beaux matériellement, crûment, brutalement », écrit la journaliste, émerveillée par Rome où « les cyprès romantiques du Palatin dessinent leur géométrie mystique sur le sol rose cuivré; l'odeur sucrée, trouble des jasmins et des tubéreuses flotte dans l'air léger. Les cloches sonnent: l'harmonie chrétienne entre dans le décor païen, l'antithèse se résout en accord dans cette Rome où le Christ lui-même devient romain ». Le guide de Blandine Ollivier commente avec passion les grands travaux entrepris par le Duce: Dans les seuls Marais pontins, 25.000 hectares ont été assainis, 140 kilomètres de routes ou de voies ferrées tracés, 11 villages et la ville neuve de Litteria édifiés. Une activité de pionniers: on défriche, on draine, on sème, on laboure. Partout, dit le guide, règne l'enthousiasme et le dépassement de soi. Le fasciste, déclare Mussolini, « méprise la vie commode, les tièdes et les sceptiques sont mis au rancart, la troisième Rome est une création héroïque de l'esprit ».
Priorité à la natalité
Le fascisme n'a certes pas encore réussi à éradiquer la misère, mais s'y attelle avec détermination. Il y a encore à Rome la « Garbatella », un quartier mal famé, dont « les ruelles populaires sont épaisses comme un minestrone, encombrées d'une foule matinale d'ouvriers, de marchands ambulants, de terrassiers et de clochards ». On y a construit une cité refuge pour les chômeurs, les sans-abri et les besogneux, et aussi une maternité et un hôpital pour enfants, un outil forgé par Mussolini pour la défense de la race en 1925. Car il faut gagner la bataille de la natalité, sujet primordial. Les enfants de filles-mères y sont accueillis. On les appelle les « fils de la Madone ». Pour le fascisme, « la vie, le plus haut don de Dieu aux hommes, doit être exaltée, respectée et ennoblie. Elle ne peut être supprimée impunément ». L'instigation et l'aide au suicide, les délits qui touchent à la suppression de la vie humaine: manoeuvres préventives, avortement, infanticide, sont sévèrement punis. La première tâche de la femme reste l'enfantement. La formule du fascisme: « Massimo di natalita, minimo de mortalita ». Mais l'auteur reconnaît que, malgré tous les moyens de propagande employés, les résultats dans ce domaine ne correspondent pas aux espoirs. Les villes ne suivent pas l'exemple des campagnes. L'égoïsme des milieux bourgeois, comme le pense Mussolini? L'explication est peut-être courte.
L'éducation fasciste
L'éducation joue un rôle primordial dans l'Italie fasciste car, « la solidité du Régime dépend des enfants d'aujourd'hui qui seront les hommes de demain ». Le Duce a voulu, pour la nouvelle Italie, un « type d'homme fort, résolu, tenace, discipliné, parlant peu, attaché et dévoué passionnément à la chose publique ». L'éducation prend dès lors, l'allure d'une croisade. Le régime renie le matérialisme. Cette base spirituelle, sous l'égide de la romanité, est ce que le fascisme possède de plus original. La romanité, explique son guide à Blandine Ollivier, "c'est la résistance humaine à un monde inhumain. Or, la vieille lutte de Rome et de Carthage dure encore; les marchands puniques s'efforcent toujours d'établir une identité entre l'argent et la valeur de la vie. Le fascisme est « la lutte au nom des valeurs idéales contre les valeurs mercantiles »: « sens religieux et liturgique de la vie, aspiration au grand, au monumental, au solide, au durable; culte de l'enfance, de la famille et de la terre ». Blandine Ollivier conclut par cette belle formule: « C'est dans ce sens que le fascisme est la quatrième guerre punique ». Le maître d'école se doit d'être « un artiste, un créateur d'âme ». Pas question de montrer le fascisme sous l'aspect de briseur de grève. C'est la grève,cette fête mouvementée, dit curieusement (et sans doute fort pertinemment) le guide de l'auteur, qui est sympathique à l'enfant, et non pas celui qui ramène l'ordre.
Le fascisme est révolution. Les enfants veulent des héros
« Nous lui montrons Mussolini révolutionnaire. Le fascisme est révolution et qui dit éducation fasciste, dit éducation révolutionnaire », c'est à dire goût du risque, oubli de soi au profit des autres, désir de fonder un ordre meilleur ». L'enfant, poursuit-il, aime spontanément la révolution parce qu'elle est mythe, poésie, légende, désir du paradis. Elle est le monde enchanté des contes de fée. Les enfants demandent un héros, ils veulent plus qu'un Roi, et nous leur donnons une Révolution et un Chef. La visite d'une école fait dire à l'auteur (avec amusement?) : « le Régime aime avec passion les planchers et les meubles bien cirés ». De belles cartes de géographie « offrent les océans et les terres lointaines au vagabondage des rêves enfantins ». Les enfants sont décrits « bien en chair, petits paysans rudes et trapus », le maître « militant et rural, sorte de paysan au grand cœur » qui expose « le nouvel évangile fasciste ». D'abord la "nativité", ce 29 juillet 1883 où Mussolini naquit, « un jour de grand soleil », où « le grain était mûr et les cigales stridaient (une faute, les cigales 'chantent') dans les intervalles de silence que laissaient les cloches ». L'auteur, dit-elle, « assiste à la création d'un mythe », avec l' « atmosphère naïve et tendre des récits bibliques ». Pas un mot de l'activité socialiste du Duce, ni de sa vie hasardeuse. Ce sera pour plus tard, quand ils passeront de la légende à une réalité plus orthodoxe.
Le contenu de l'enseignement scolaire
L'enseignement scolaire dure jusqu'à la quatorzième année. Curieusement, la Religion vient en tête des programmes élémentaires, suivi de l’Enseignement artistique. La religion que d'autres régimes combattent ou ignorent, le fascisme trouve plus adroit de l'annexer et de la diriger. L'auteur a cette formule: « le fascisme gardera les vivants, l'Eglise recueillera les morts. La religion sera fasciste ou elle ne sera pas ». Notons que les parents, s'ils le désirent, peuvent faire exempter leurs enfants de l'enseignement religieux. Mais le fait est rare. Les méthodes d'enseignement dérivent du modèle Montessori (très efficace, pédagogie fondée sur les lois naturelles et les besoins de l’enfant, encourageant sa créativité et son autonomie. Il existe aujourd'hui de nombreuses écoles Montessori en France, qu'il ne faut pas confondre avec les écoles Steiner.) L'enseignement de la langue italienne occupe, entre autres sujets, dont l'arithmétique, bien sûr une place importante, mais on a aussi accordé une place de choix à l'étude du folklore et du dialecte. L'histoire insiste sur la Grande Guerre et les souvenirs de la grandeur romaine dont l'enseignement est « cependant exempt, au contraire de certains pays (on se demande lesquels...), de toute tendance purement agressive et chauvine ». Les filles ont droit à l'enseignement des travaux féminins, couture, broderie, soins du ménage, cuisine, hygiène infantile, « qui doivent apporter le calme et l'apaisement aux périodes troublées de l'adolescence ». Pas sûr que les féministes contemporaines apprécieraient totalement le sujet...
Les organisations de jeunesse
A l'âge de six ans, les enfants sont pris en main par des organisations officielles, et d'abord par les Ballilas pour les garçons et les Piccole Italiane (petites italiennes) pour les filles, jusqu'à l'âge de quatorze ans. Ils seront Avangardisti ou Giovane Italiane (Jeunes italiennes) de quatorze à dix-huit ans, et Jeunes fascistes jusqu'à leur service militaire. Les unités de Ballilas et d'Avanguardistes sont encadrées militairement. Il s'agit de « tremper à la romaine l'âme de la jeunesse » et « le corps sera la porte dérobée de l'âme ». Les Ballilas de douze à quatorze ans sont astreints au maniement du mousqueton. Ils ont droit à des armes de modèle réduit. Tout fonctionne « pour de vrai », de la poudre aux balles qui portent à 50 mètres ! L'objectif des organisations féminines est évidemment différent. Il s'agit de « préparer dignement à la vie la future mère de famille, en faire une parfaite maîtresse du foyer, dans l'affirmation d'un esprit profondément fasciste », en aidant « l'élan de la jeune fille vers le charme et la beauté ». Le but final de cette oeuvre éducative est de créer une femme italienne, « fasciste et croyante, forte et sereine, digne et sensible ». Vaste programme, aurait dit De Gaulle ! Reconnaissons que certaines pages hagiographiques prêtent quelque peu à sourire. Ainsi la description de l'infirmerie de l'Académie féminine sportive où règne « tout un luxe clinique, où l'on se mire en passant dans les nickels ». Une seule malade l'habite. « Cette jeune ascète du Fascisme s'est foulé le pied », raconte l'auteur. A ses côtés, une rose trop lourde trempe dans un verre devant une photo: celle du Chef. Blandine Ollivier l'interroge: « Je guérirai plus vite sous son regard », lui dit-elle. Mais après tout, pourquoi pas. Les rois de France soignaient bien les écrouelles en les touchant...
Croisières, voyages à l'étranger
Blandine Ollivier raconte aussi les croisières, les voyages à l'étranger organisés par les organisations de jeunesse fasciste. En Allemagne, notamment, où elles sont accueillies par le Führer en personne. On lit dans le livre cette description curieuse qui ne respire pas vraiment l'enthousiasme: « Dans Berlin, longs défilés brou de noix, sous les tilleuls vert sale, d'Hitler-Mädchen aux grands pieds, aux joues honnêtes sans poudre et sans fards; parades aryennes et blondes; cortèges de petits Prussiens binoclés sous un ciel lui-même menaçant ». Conclusion de l'auteur: « Ces promenades collectives et surveillées confirment le jeune italien dans un sentiment violent et confortable de sa propre supériorité, lui inculpant une fierté de peuple élu ». Rien que ça... Sept ans plus tard, quand l'armée allemande devra se précipiter à la rescousse de Mussolini, qui s'était aventuré à envahir la Grèce, de façon parfaitement inconséquente, le ton aura bien changé...
Et si le fascisme avait « réussi » ?
La conclusion du livre est vraiment curieuse et pose de vraies questions. Le fascisme a échoué, mais qu'en eût-il été s'il avait réussi ? A l'époque où Blandine Ollivier écrivait ce livre, la réussite était une quasi-certitude. Elle ose cependant cette réflexion: « Un jour viendra pourtant où l'oeuvre sera terminée ; à supposer même qu'elle n'ait pas été entravée plus tôt par les circonstances adverses ». On connaît la suite, avec la décision catastrophique de Mussolini, d'entraîner l'Italie dans la guerre aux côtés d'Hitler. Mais comment aurait évolué l'Italie fasciste si elle avait réussi ? L'auteur évoque un curieux paradoxe auquel risquait d'aboutir le Régime. Une nouvelle catégorie de chômeurs, les « chômeurs de l'exaltation et du mysticisme », ne menaçait-t-elle pas d'apparaître ? Entraînés à vivre au-dessus d'eux-mêmes (en surrégime pourrait-on dire) et d'avance insurgés contre la monotonie des labeurs quotidiens, ne vont-ils pas un jour, héros déclassés, se tourner vers d'autres dieux ? Ne risquent-ils pas de se « réfugier dans un culte exclusif du moi, dans un 'barrésisme' stérile, séduisant passe-temps d'intellectuels en mal de raffinement, mais dangereux poison pour un peuple intoxiqué de grands désirs ? » Conclusion de Blandine Ollivier: « L'éducation fasciste porterait ainsi, dans l'excès même de ses vertus, son propre danger... »
Robert Spieler - RIVAROL
« Jeunesse fasciste » de Blandine Ollivier, 154 pages, 13 euros, Editions Reconquista Press, (www.reconquistapress.com).
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