La Catalogne du Nord comme affirmation territoriale Par FRANCK BULEUX
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- Catégorie : Régions d'Europe
Il y a quelques années, je publiais un essai, L’Europe des peuples face à l’Union européenne (L’Æncre éditeur, 2017), sur l’émergence et la pérennité des mouvements régionalistes en Europe, c’est-à-dire des groupes dont la revendication s’inscrit dans un territoire distinct, sans lui être forcément opposé, de celui des contours de l’État-nation dont il fait partie.
Sans reprendre le contenu (disponible auprès de l’auteur ou de l’éditeur) de cet essai, j’indiquais qu’il existait, en Europe, des peuples divisés au sein de plusieurs États-nations. Ainsi, les Normands sont partagés depuis 1214 entre le Royaume-Uni (les îles Anglo-Normandes) et la France (les cinq départements constitutifs de la région normande, réunie depuis 2016), les Basques et les Catalans, entre France et Espagne ou d’autres, ce triple exemple n’ayant pas la prétention de l’exhaustivité.
Concernant les Catalans, ils sont divisés entre la Catalogne du Sud, le territoire le plus important avec la capitale régionale Barcelone, qui constitue une « généralité » au sein de l’Espagne, région qui a défrayé la chronique ces dernières années avec l’exil forcé fin 2017 du président d’alors de la généralité, Carles Puigdemont, et la Catalogne du Nord, qui désigne la partie du département français des Pyrénées-Orientales, de langue et culture catalanes, par opposition aux Fenouillèdes occitanes.
Llorenç Perrié Albanell a publié, en 2020, un opuscule consacré aux Mouvements et partis politiques nord-catalans, ouvrage sous-titré par un constat, même si un point d’interrogation subsiste : Un marasme ? (édité par le Cercle Català del Rosselló en août 2020).
L’auteur, fervent partisan et défenseur de l’identité catalane, nous entraîne dans les méandres du « catalanisme » politique en nous présentant ses tendances plurielles, récoltant des scores électoraux résiduels depuis le début des années 1970. Regrettant cette situation qui réduit le « catalanisme » à une minorité politique sans avenir, l’auteur-militant rejette l’identification du combat identitaire catalan (ou nord-catalan, sachant que chaque partie du territoire devrait développer son identité avant de se réunir dans une conception d’autonomie politique) aux dérives d’ultra-gauche ou écologiques « de type pastèque » (vert à l’extérieur mais rouge à l’intérieur). Les mouvements les plus représentatifs, même s’ils demeurent électoralement très faibles, privilégient, en effet, les alliances avec les partis de gauche (parfois dès le premier tour, évitant d’onéreuses dépenses et la visibilité d’un faible score), voire avec La République en marche (LREM), notamment lors des municipales de 2020 à Perpignan (dont le maire est Louis Aliot, membre du Rassemblement national, qui a battu le maire sortant de droite avec 53 % des suffrages exprimés, offrant au RN une commune de plus de 100 000 habitants).
L’échec politique du « catalanisme » laisse l‘auteur dubitatif. En effet, la version culturelle de l’identité catalane ne laisse indifférent aucun habitant, ni même aucun visiteur, pour qui la passion catalane est une permanence de la représentation régionale. Mais, selon l’avis d’Albanell, cet aspect, pour valorisant qu’il soit, est insuffisant ; seule une institution politique serait à même de garantir la défense du pays nord-catalan. Ce que préconise Albanell, c’est de ne pas se contenter de la nostalgie, mais de vivre le « catalanisme » comme une histoire en marche, avec un passé, un présent et un futur. La langue catalane en est l’expression vivante, y compris sur l’ensemble des panneaux de signalisation routière (comme en Bretagne, par exemple). Le mode de vie différencié, comme l’appelle l’auteur, doit être préservé, voire accentué par des écoles dites immersives.
Le lien entre les deux Catalogne est parfois d’une gestion difficile car nombre de Catalans du Nord attendent les orientations de ceux du Sud, plus puissants, et deviennent inféodés à des mouvements politiques hors de l’espace hexagonal, rendant difficile leur action régionale au sein de la France.
L’auteur indique avec justesse qu’il ne peut y avoir un seul « parti catalan » car chaque peuple, pour identitaire qu’il soit, comprend différentes sensibilités. Pour aller dans ce sens de la pluralité démocratique, il suffit de voir l’exemple corse : un mouvement autonomiste dirige l’exécutif insulaire depuis 2016 mais d’autres partis, plus indépendantistes qu’autonomistes, concourent aussi aux élections : tous « corses » mais aux aspirations différentes et cela n’empêche pas la liste Fà Populu Inseme de Gilles Siméoni, dirigeant de l’exécutif régional, d’atteindre 41 % au second tour tandis que deux autres listes « corses » raflaient 27 % des suffrages laissant à la droite régionaliste insulaire à peine un tiers des électeurs.
L’auteur insiste sur ce point. Le « catalanisme » politique est nécessaire mais il se doit d’être indépendant, au moins dans un premier temps, des mouvements du Sud et surtout, il se doit d’être représentatif du peuple, sans exclusive.
Albanell s’insurge à juste titre lorsque les Catalans les plus extrémistes lancent des slogans inquisiteurs et sectaires comme « un électeur du RN n’est pas un Catalan » (sic). Pourquoi le vote catalan n’aurait-il pas une « aile droite », une aile conservatrice ? En 1978, la Catalogne du Sud voyait la naissance du mouvement CIU – Convergence et union (en catalan : Convergència i Unió, abrégé en CiU) : une fédération de deux partis politiques catalans centristes et catalanistes, qui a constitué le pivot de la vie politique catalane jusqu’en 2015. Albanell n’aurait rien contre la fondation d’un tel parti « à la française » ou, plus exactement, « à la nord-catalane ».
L’auteur termine sur l’essentiel : un mouvement identitaire doit s’appuyer sur un trépied : le culturel, le politique et l’économique. La vie économique doit montrer l’exemple, celui de la possibilité d’un localisme viable. Être Catalan comme être Normand, c’est aussi tirer de la terre et de la force de la population qui la constitue, l’ensemble des ressources qui sont susceptibles de faire vivre un ensemble, un « pays ».
La question politique, celle de l’autonomie fédérative (celle qui reste du domaine du possible avec le système des « eurorégions » reconnues par l’Union européenne), de l’indépendance, de l’union nationale interétatique, n’est pas la seule. Elle viendra, c’est du moins ce que souhaite l’auteur mais elle ne doit pas être, nécessairement, la priorité. La mentalité politique vient après le culturel, c’est ce que l’auteur retient du communiste italien Gramsci.
Une culture catalane affirmée et une économie de proximité avec une relocalisation des productions sont des axes essentiels avant d’aborder le projet politique catalan binational.
Il y a quelques années, en touriste, j’étais monté dans « Le Train jaune » dans les Pyrénées catalanes. Et, en parcourant les 63 kilomètres de voie ferrée, comment ne pas penser à l’identité de ce pays, loin de tout jacobinisme, français ou… catalan d’Espagne ! Entre Paris et Barcelone, la voie de la Catalogne du Nord reste encore à écrire mais les femmes et les hommes de ce territoire, eux, l’ont compris… l’histoire s’écrit chaque jour.
Je vous recommande de lire cet ouvrage. Même si son titre est un peu pessimiste (« Un marasme ? »), le point d’interrogation maintenu par l’auteur nous laisse espérer que la voie politique n’est pas qu’une impasse.
Mouvements et partis politiques nord-catalans, un marasme ?, Llorenç Perrié Albanell, cercle Catala del rossello, 114 pages, 8 € (+3,20 par correspondance pour la France).
JEANNE INCONNUE par Louis ROSSEL
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- Catégorie : LES EVEILLEURS DE PEUPLES
Le 28 mai 1871, la Commune de Paris est écrasée. Les Versaillais entrent dans la ville. Ils épurent avec férocité. Le parti du coffre-fort contre le parti de la Nation. Quelques jours après l'effondrement, le colonel Louis Rossel, polytechnicien, chef d'Etat-Major de la Commune, est arrêté.
Il sait qu'il va mourir. Il doit transmettre ce qu'il porte en lui. Il couche sur le papier quelques réflexions sur Jeanne. Les réflexions d'un frère d'armes. Louis Rossel envie le destin du jeune chef de guerre qui communiqua sa foi au peuple, s'imposa aux capitaines, emporta les batailles. De Jeanne, il connait la volonté embrasée et le martyre. Le 28 novembre 1871, Louis Rossel, notre camarade, est fusillé dans les fossés du fort de Satory. II a 27 ans.
C'est pourquoi, sans doute, rien d'aussi dense, d'aussi direct n'a été écrit sur Jeanne. La voici débarrassée d'un demi-siècle de morale bien pensante. La voici restituée à elle-même.
Jeanne d'Arc est un grand général, toutes les fois qu'elle décide seule et librement soit d'un mouvement, soit d'une action, elle agit avec une sagesse qui n'appartient qu'au génie. Son idée est non seulement conforme aux règles de la guerre, mais supérieure à ces règles, comme sont parfois les conceptions des grands capitaines. Allant délivrer Orléans, elle délibère de marcher par la Beauce, mais ses lieutenants, abusant de son ignorance des localités, la conduisent par la Sologne, ce qui était de tout point une faute. Dans sa marche sur Reims, elle ne s'amuse pas à assiéger les grosses villes, comme auraient fait les conseillers du roi : elle pénètre d'autorité dans le Conseil, fait prévaloir son opinion, puis, profitant de l'hésitation des villes, elles les intimide par les préparatifs d'une attaque de vive force, et les enlève. Tout général médiocre se serait arrêté.
Cette marche même sur Reims, sous le prétexte du sacre du roi, est une remarquable conception stratégique. Cette marche portait en effet l'armée du roi entre la France anglaise et la Bourgogne, interceptant ainsi les communications entre Paris et les principaux Etats du Bourguignon. C'était un moyen assuré d'inquiéter et d'affaiblir le moins acharné de nos adversaires, de lui rendre la guerre plus difficile et moins fructueuse. Ainsi le roi devenait maître d'une grande route qui coupe transversalement le bassin de la Seine ; il n'est pas douteux que ce résultat n'ait eu, à la longue, une influence décisive sur le retour du duc de Bourgogne au parti français.
De Reims, l'armée royale menaçait également, d'une part les Etats de Bourgogne et de l'autre les possessions des Anglais. Jeanne choisit la marche qui devait procurer les résultats les plus décisifs : elle se porte sur Paris et l'attaque du côté du nord, de manière à se trouver entre Paris et les principales places d'armes des Anglais, Rouen et Calais. Ainsi, sa première opération offensive la porte sur la ligne de communication des Bourguignons, qu'elle intercepte, et sa seconde opération, sur la ligne de communication des Anglais. Là finit la partie la plus importante de la carrière de Jeanne ; d'autres conseils avaient définitivement prévalu sur l'esprit du roi, qui empêcha positivement le succès après l'avoir vingt fois compromis par sa paresse et son indécision. Jeanne ne fut plus, après cela, qu'un chef de bande comme les autres capitaines qui combattaient pour la France, mais ses préoccupations restèrent dirigées vers le même plan, et lorsqu’elle fut prise, elle défendait ces villes situées à l'est de Paris et dont la perte aurait entraîné leur rattachement aux Etats de nos adversaires.
Il y a une révolution dans le commandement des armées entre Duguesclin et Jeanne d'Arc : avant elle, la première qualité d'un chef de guerre en France était la prouesse, la force physique ; Jeanne d'Arc, au contraire, quoique ayant pris soin de s'instruire dans l'escrime et l'équitation, ne versait jamais le sang. Elle était au plus fort du danger et s'occupait seulement de donner des ordres et d'encourager les soldats. Il ne paraît pas que son sang-froid se soit jamais démenti : blessée, elle s'asseyait et continuait à donner des ordres, ou revenait après s'être fait panser.
Elle possédait certainement cet ensemble de hautes facultés intellectuelles et morales qui constituent le génie. Ses réponses aux juges de Rouen témoignent d'une hauteur d'intelligence qui ne faiblit point à travers toutes les complications du procès ; seulement la pauvre fille était vraiment martyrisée dans sa prison. On ne songe pas sans douleur à l'amertume de cette captivité et aux outrages dont était abreuvée une fille simple, douce, sage, et qui avait fait preuve pendant son séjour aux armées d'une véritable délicatesse de mœurs et de sentiments. Je ne sais pas jusqu'à quel point n'a pas été poussée la brutalité de ses gardiens et de leurs chefs.
Le génie de Jeanne d'Arc était précisément celui qui convient à l'homme de guerre. Elle avait l'audace, la décision, l'à-propos. On ne s'étonne pas de trouver ces qualités dans Condé à vingt-deux ans ; il n'est pas plus étonnant de les trouver dans Jeanne.
Reste le merveilleux de ses connaissances militaires, de sa vocation, de ses inspirations mystiques.
En ce qui concerne ses connaissances militaires, il faut considérer d'abord que l'enclave champenoise où se trouve Domrémy était, par sa situation géographique autant que par sa condition politique, un pays fréquenté par les troupes de passage des différents partis, et où la connaissance des événements militaires, de l'importance des villes de guerre, de leurs distances, était plus répandue que dans les autres pays. Encore aujourd'hui, il n'y a pas d'invasion où le pays de Neufchâteau ne soit inondé de troupes. Le patriotisme est plus-fort dans une province frontière que dans l'intérieur d'un empire ; à plus forte raison devait-il être exalté dans un canton enclavé au milieu de possessions ennemies.
On sait aussi que Jeanne, dès son enfance, avait coutume d'écou-ter les longs récits d'un vieux soldat retiré à Domrémy, et se plaisait à entendre ce qu'il lui contait de la guerre. Sans doute il y a peu de vieux soldats dont la conversation soit propre à former des généraux ; cependant, je suis tenté de croire que celui-là était un homme sage, connaissant son métier, sachant raisonner sur les événements dont il avait été témoin et sur ceux que lui apprenait la renommée, aimant son pays et souffrant de l'état d'abjection où il le voyait réduit. Nul doute que son influence ait contribué à la vocation de Jeanne d'Arc.
Ainsi je suppose que Jeanne était une enfant intelligente et sensible, pieuse, cela va sans dire, et qui s'exaltait en même temps qu'elle s'instruisait, en écoutant le récit de nos guerres malheureuses. Lorsqu'elle arriva peu à peu à critiquer sainement, à juger, à prévoir avec justesse le résultat des opérations qui s'exécutaient, elle ne put attribuer qu'à une intervention miraculeuse cette faculté acquise par la méditation et une préoccupation constante. Elle ne distingua pas non plus cette faculté de sa mise en œuvre, et ne put pas songer que ce don merveilleux dont son esprit était obsédé pût demeurer stérile ; de là sa vocation.
Un berger peut devenir astronome, calculateur, géomètre ; il y a aussi des bergers qui sont devenus capitaines et fondateurs d'empires. Moïse gardait les troupeaux dans le désert lorsqu'il reçut la vocation de délivrer le peuple hébreu. David, Romulus, étaient bergers. A la vérité, il est moins ordinaire de voir une bergère devenir une héroïne, mais Jeanne, avec toutes les vertus et les délicatesses de la femme, n'en avait ni les séductions ni les infirmités. Quoique belle et bien faite, à ce qu'il paraît, elle inspirait la confiance, le respect, l'enthousiasme, elle n'inspirait pas l'amour. Les poètes qui ont fait Jeanne amoureuse ne l'ont pas comprise. Dans ce cœur, tout grand qu'il était, il n'y avait pas de place pour un sentiment personnel.
Quand aux apparitions des saintes patronnes de Jeanne, à ses voix, comme elle disait, je ne puis pas non plus y voir un miracle, ni aucune illusion surnaturelle. Après le démon de Socrate, je suis disposé à admettre sans conteste et sans étonnement toute sorte d'esprit familier... chez les autres. C'est un fait, voilà tout, c'est un fait inexpliqué, mais dûment constaté et assez fréquent. On peut dire qu'il y a hallucination, on peut même dire qu'il y a folie, s'il peut y avoir folie sans que les aptitudes intellectuelles soient lésées et sans que leur application soit pervertie. Il y a une aberration qui consiste à attribuer à un agent extérieur certaines des opérations de notre esprit ; c'est une perversion de la notion de causalité. On sait qu'il y a au contraire des fous, de vrais fous qu'une aberration contraire conduit à se croire la cause de toutes choses.
A propos des visions de Jeanne d'Arc, je ferai seulement deux remarques : l'une, c'est que chez les personnes d'une imagination vive, la méditation intime tend à prendre la forme dialoguée. Cela fait comprendre comment un esprit sage et connaissant la faiblesse de nos moyens d'investigation peut être prédisposé, lorsque le sens intime lui révèle quelque vérité éclatante et féconde, à attribuer cette révélation à une cause étrangère.
L'autre remarque est celle-ci : on trouve parfois chez les esprits les plus élevés une tendance particulière à la superstition ; non pas tant chez les esprits spéculatifs qui ont tout loisir de ressasser la vérité, que chez les hommes d'action qui se trouvent obligés de prendre à un certain moment une décision irrévocable, et de se conduire, à partir de ce moment, comme si leur décision était la sagesse et la vérité mêmes. Ils ont besoin de prêter à leurs déterminations l'appui de la nécessité. De là vient que certains esprits profondément pratiques revêtent une apparence soit fataliste, soit mystique, que le vulgaire ne s'explique pas et qui est chez eux l'expression de cette belle et sereine confiance qui ne les abandonne jamais. César parle de sa fortune ; Napoléon de son étoile ; il prétend même qu'il la voit.
Au fond, Jeanne d'Arc n'est rien moins que mystique ; ses interrogatoires montrent un esprit profondément pratique, ferme, inébranlable. On cite encore d'elle telles paroles qui prouvent qu'elle n'avait aucune prétention aux dons surnaturels : les juges de Poitiers lui demandaient des miracles. « Je ne suis pas venue pour faire des miracles, répondait-elle, mais bâillez-moi une armée et je délivrerai Orléans ». Plus tard, comme, dans une église, on lui présentait des enfants à toucher. « Touchez-les, dit-elle aux femmes dont elle avait soin de se faire toujours accompagner, touchez-les, cela fera le même effet ».
Louis Rossel
LA VERTU D'INSOLENCE
« Dans un temps qui est un temps d'acceptation générale et de soumission, Jeanne nous propose, avec le sourire, la magnifique vertu d'insolence. Une jeune insolence. Il n'est pas de vertu dont nous ayons plus besoin aujourd'hui. Elle est un bien précieux qu'il ne faut pas laisser perdre : le faux respect des fausses vénérations est le pire mal. Par un détour en apparence étrange, Jeanne nous apprend que l'insolence, est à la base de toute reconstitution ». |
Robert Brasillach
Préface au « Procès de Jeanne d'Arc », écrite à 21 ans.
Source : Europe Action – mai 1965
COMBATTRE COMME AU MOYEN AGE
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Dans cette vidéo je combat contre le champion de France de Béhourd, c'est du MMA en armure médiéval. Merci à La Salle d'Armes – École Ancienne d'être venue participer.
Si vous voulez des information sur ce sport retrouvez les sur https://la-salle-darmes-ancienne.fr/
Les Templiers contre l'Occident par Fabrice Laroche
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Ce 13 octobre 1307, les hommes d'armes du Roi de France pénètrent dans les Commanderies de l'Ordre du Temple. Alors s'effondre cette puissance qui menaçait non seulement la France, mais tout l'Occident.
Si le but avoué des Croisades fut de reprendre la Terre Sainte aux Infidèles, il serait faux de n'y voir qu'un combat entre Occidentaux et Sarrasins. Le contexte de l'époque apparaît, en effet, comme beaucoup plus complexe, et les éléments qu'il apporte sont essentiels à la compréhension de l'histoire de l'Ordre du Temple.
Tandis que dans toute l'Europe, la grande peur de l'an mille se manifestait par une hystérie religieuse collective, entretenue à l'occasion par une pléthore d'obscurs pseudo-prophètes millénaristes, au Proche-Orient, berceau des religions orientales, la confusion des croyances et des races était à son comble. Marchands et trafiquants avaient apporté leurs rites, les dissidences se créaient, disparaissaient, fusionnaient, les plus anciens mythes réapparaissaient et cette foule de dieux, de sectes et d'idoles, venait s'ajouter au bouillonnement des peuples et des largues, pour former une étrange et nouvelle Babel.
Les errements de l'esprit oriental
Le Proche-Orient, à ce moment, est un centre de fusion, un point d'échanges où les esprits ne parviennent pas à se fixer sur une idée précise. Au contraire, c'est non seulement à une prolifération que l'on assiste, mais à un amalgame. Aussi bien au Levant et en Syrie qu'en Palestine ou en Egypte, l'esprit orientai en arrive à aider à la formation d'une telle multitude de croyances qui, toutes, empruntent au judaïsme, à l'Islam, au christianisme orthodoxe ou aux vieux mythes de source bélique (1) qu'il devient bien difficile d'en dissocier les thèmes respectifs.
Les dieux les plus anciens restent, eux-mêmes, encore vivaces. La religion égyptienne, qui inspira toute l'école religieuse méditerranéenne, connaît un succès tout particulier, notamment par un culte qui avait gagné, en même temps que le christianisme, avec lequel il présentait quelques similitudes, Rome et jusqu'à la Germanie ; c'est le culte d'Isis, la « vierge dont est né un fils », en qui l'on retrouve toutes les déesses orientales de la fécondité : Déméter, Astarté, Tanit, auxquelles la légende attribue le don d'avoir été mère d'un dieu. Quant au judaïsme, il est, lui aussi, en plein essor. Alexandrie compte alors un million de juifs. Bientôt, les théories monothéistes d'Israël vont prendre une forme ésotérique et occulte.
Ainsi croissent et s'accumulent d'innombrables tendances. Pour renforcer encore la confusion, des sectes plus ou moins excentriques se répandent, parfois en secret, dans les villes. Parmi celles-ci, il faut citer les premier gnostiques, dont la Rome décadente s'est encore une fois fait l'écho, les Ismaéliens apparus vers 760, et les Assassins, de source chiite mais d'origine mystique, également ismaëlienne, qui présentaient un programme à la fois politique et religieux dont on reparlera. Enfin, l’ésotérisme oriental se rattachait à la fois à la tradition sacerdotale égyptienne et à l'enseignement d'Hermès Trismégiste.
La première Croisade
Et c'est à ce carrefour des désordres que, des terres médiévales, une armée de chevaliers bardés de fer, la première Croisade, arrive et doit s'adapter d'abord au combat, puis, finalement, aux mœurs. Avant qu'il y ait affrontement militaire, il y eut affrontement des civilisations. Car y eut-il jamais mondes plus différents que ceux qui se trouvaient alors en présence ? De cette confrontation, il ne pouvait résulter qu'hostilité ou soumission. Les influences du pays aidant — et l'on imagine comment se présentait une semblable terre, pour des hommes d'armes toujours prêts à se laisser charmer par les sortilèges asiates — ce fut, quand bien même il y eut guerre, trop souvent la soumission des esprits. Et pas seulement aux échelons les plus bas. C'est ainsi que Godefroy de Bouillon, chef de l'expédition, en voulant féodaliser la Palestine et « rénover » les institutions européennes, se fit l'auteur d'un recueil législatif rédigé en Assemblée, les «lettres du Sépulcre », appelées plus tard « les Assises de Jérusalem », qui est rédigé pour la première fois dans un esprit démocratique alors inexistant en Europe.
SOUS L'EMPRISE DU RITE
Godefroy de Bouillon mort emprisonné, c'est son frère, Baudouin de Boulogne, qui le remplaça, avant de céder la place à un cousin, Baudouin du Bourg, dit Baudoin II. Et c'est dans la première année du règne de ce troisième roi de Jérusalem, que neuf chevaliers, jusque-là chargés de la garde d'un lieu saint, le mont Moriah, s'en viennent demander l'autorisation de fonder un Ordre, l'Ordre du Temple. Ces hommes étaient, outre un inconnu dont on ne possède plus le nom, Hugues Ier, comte de Champagne, Nivard de Montdidier, Gondemar, Archambaud de Saint-Aignan, Rossal, André de Montbard, enfin Bisol de Saint-Omer, lieutenant du chef du groupe, Hugues de Payan (ou Payens, car le patronyme n'est pas sûr), né en 1070 au château de Mahun, dans l'Ardèche.
Deux faits frappent aussitôt et viennent renseigner sur l'orien-tation templière dès ses origines. D'abord, le nombre de ses fondateurs. On sait, en effet, qu'en raison de l'importance donnée par les orientaux de toutes espèces à la signification cachée des nombres, les sociétés initiatiques sont toujours fondées par trois ou neuf personnes. Ensuite, l'emplacement où s'installe le premier groupe de Chevaliers. Baudouin II ayant accepté volontiers la fondation de l'Ordre, leur concède, très vraisemblablement sur demande instante de Hugues de Payan, la partie méridionale de son palais, c'est-à-dire celle qui touchait l'emplacement des ruines de l'ancien Temple de Salomon. Et c'est de cela que vint le nom de Templiers.
Les Templiers, précurseurs de la Franc-Maçonnerie
Ce choix volontaire est important parce qu'il confirme, ce qui fut mis en évidence par la suite, le caractère effectivement initiatique de l'Ordre. Selon la légende, le Temple de Salomon, précisément situé au sommet du mont Moriah, fut construit par le maître-architecte Hiram, un habitant de Tyr dont la mère était juive. C'est l'un des personnages majeurs du rite maçonnique, et l'on veut, même, que cette construction ait donné naissance aux premiers compagnonnages corporatifs, qui, pendant plusieurs siècles, se confondirent avec la Franc-Maçonnerie (2).
L'organisation des Templiers corroborait encore le caractère initiatique que ses fondateurs voulurent donner. Elle comprenait trois catégories, dont on sait mal le rôle exact : les Chevaliers, les Ecuyers et les Valets, l’ensemble étant placé sous l'autorité d'un Grand Maître, entouré de ses Grands Prieurs. Cette division n'avait pas seulement le rôle guerrier qu'elle suggère, mais correspondait à une volonté de reprendre la vieille division rituelle des mythes orientaux (triangle divin hébraïque, trilogies hindoues, sainte-Trinité chrétienne, trinité gnostique). Il faut, en effet, rappeler qu'une bonne partie de ceux-ci reposent sur les rapports mathématiques des nombres, et particulièrement sur le chiffre trois, l'impair par excellence. D'ailleurs, c'est sur le principe qu'un seul Dieu en trois personnes se ramenait à une formule algébrique, que le rabbin Siméon Ben Jochaï construisit la Kabbale juive.
Prodigieux développement du Temple
L'ordre du Temple s'étend rapidement. Sa forme y est pour beaucoup, mais aussi les soutiens qu'il reçoit et, tout particulièrement, alors que ses origines étaient connues, celui de l'Eglise. On sait, en effet, que Saint Bernard, prédicateur des Croisades et continuateur de l'esprit de Saint-Augustin, s'il ne la rédigea pas lui-même, inspira la Règle de l'Ordre et l'appuya en permanence. Quant au Vatican, il reconnut officiellement les Templiers et, par le concile de Troyes de 1127, leur donna leurs statuts. A ce moment, l'audience du Temple, donc sa nature, était déjà manifeste.
Il n'empêche que l'extension des chevaliers à la croix pattée ne laisse pas de surprendre. Car le point important reste que leur apparition ne répondait absolument pas à un besoin. Sur le plan de l'assistance religieuse, il existait déjà l'Ordre des Hospitaliers, pour répondre, lui, à la nécessité d'un service sanitaire inexistant — de même que l'intendance ou le service de ravitaillement — chez les croisés, rôle qu'il remplissait fort bien (3). Quant au domaine militaire, puisque le Temple se déclara dès le début « Ordre militaire et religieux », tous les observateurs s'accordent à dire qu'il n'était là non plus nullement indispensable, et même, que son apparition ne modifia en rien la constitution des armées féodales. Si son organisation rigoureuse pouvait le faire apparaître comme une véritable armée régulière, face à l'indiscipline et au désordre complet des soldats de cette première Croisade, célèbre par son incohérence, que renforçait l'absence totale de tactique des armées de l'époque, les faits, pour autant, n'en étaient pas changés.
L'ORIENTALISATION DU TEMPLE
Né en Palestine, fondé par des hommes qui avaient manifesté immédiatement leur désir de s'organiser selon les rites ésotériques communs à toutes les sociétés initiatiques, soutenu par l'Eglise dont il retournait en quelque sorte aux sources, l'Ordre du Temple ne va pas cesser, tout le temps qu'il sera en Terre Sainte, d'accroître sa puissance, à dominante diplomatique, donc politique, en s'engageant toujours plus avant dans la voie de l'orientalisation.
Sur ce point, tous les commentateurs s'accordent aussi. Dans son « Histoire de la Magie », François Ribadeau-Dumas écrit : « On apprenait avec étonnement tout ce que les Templiers, fondés à Jérusalem sur les restes du Temple de Salomon, devaient et avaient emprunté à la philosophie orientale. On y trouvait, en effet, l'origine de leurs rites, leurs symboles, leur alphabet, leurs secrets en un mot ». En cela, les Templiers faisaient seulement volontairement ce à quoi beaucoup de croisés cédaient par simple mollesse. La facilité d'accroître ses biens et son pouvoir, la nécessité de les conserver qui en découlait, amenèrent les premières vagues arrivées, à prendre parti pour une sorte de coexistence avec des adversaires bientôt devenus des alliés. Le chapelain Foucher de Chartres put écrire : « Nous qui étions Occidentaux, nous devenons Orientaux ; déjà, le lieu de sa naissance est inconnu à plusieurs d'entre nous ; tel a épousé une femme qui n'est pas sa compatriote, une Syrienne, une Arménienne, ou même une Sarrasine qui a reçu la grâce du baptême, »
Symbiose du Temple et des sectes islamiques
Exploitant cette situation qu'ils connaissaient bien, les Templiers représentèrent l'avant-garde de cet état de choses. Cherchant à mélanger, le plus possible, les deux peuples, en montrant l'exemple eux-mêmes, ils fondent le corps des Turcopoles, presque exclusivement composé de Sarrasins, choisissent des musulmans pour les seconder, reçoivent, dans une totale liberté religieuse, un grand nombre de sultans, n'hésitent pas, enfin, à faire chevaliers leurs interlocuteurs les plus valables, et surtout les plus riches. Avec les marchands et les juifs, ils entretiennent les meilleures relations.
Bien entendu, tous ces contacts se traduisent plus d'une fois par des accords purs et simples. Mais le rapprochement, de par leur propre nature, se devait d'être beaucoup plus sérieux. En effet, plus les Templiers se familiarisaient avec le monde musulman et oriental, plus ils y reconnaissaient leur propre esprit. C'est pourquoi ces relations étaient développées, non seulement sur le plan commercial, qu'ils surent exploiter, mais aussi sur celui des idées. Il est incontestable que c'est là, que le Temple trouva et précisa les notions qu'il ramena ensuite en Europe. Dans son livre récent, « le Royaume et les Prophètes », Jean-Charles Pichon ajoute : « les accords passés entre les chevaliers du Temple, attestent une compréhension réciproque, et même une amitié sincère, qui ne dut pas aller sans croyances communes. Ces croyances, ne pouvant se rapporter aux dieux adorés dans les deux camps, devaient nécessairement concerner une certaine vision de l'Histoire, une certaine estimation de la relativité des Mythes et des Cultes ».
Inversement, l'exemple des Templiers fit des adeptes chez quelques-unes des innombrables sectes asiates du moment. La secte des Assassins, dont l'influence chez les musulmans était comparable à celle des Templiers chez les croisés, s'organisa exactement sur leur modèle. Leur structure, leur hiérarchie et même leur tenue étaient identiques et les rapports entretenus furent constants. Les Assassins, dirigés alors par le Cheik El Djebel, répandaient, rapporte-t-on, les théories dualistes, dans la ligne tracée par la Kabbale et les poussaient à leur plus haut degré d'irréel et d'abstraction.
La réaction européenne des Chevaliers Teutoniques
Cependant, si les autorités ecclésiastiques restaient muettes, des réactions se firent bientôt devant cette orientation. Ce fut affaire des Chevaliers Teutoniques. Ceux-ci étaient apparus au siège de Saint-Jean-d'Acre, en 1112, à l'instigation de Henri de Waldpott, afin de s'occuper des chevaliers allemands tombés malades. Après avoir approché les Templiers, cet Ordre s'opposa violemment à leurs dogmes. Leur Grand Maître, notamment, Proclamait que la constitution réelle d'une élite devait se faire dans le cadre de l'Occident et de son combat, et non dans un métissage des esprits tel qu'il était en train de se pratiquer. Opposés à toute espèce d'orientalisme, aux sémites en particulier, les Chevaliers Teutoniques dénoncèrent sans grand résultat le rôle du Temple, pendant un fort long temps, puis, devant une hostilité quasi-générale parce qu'orchestrée, se mirent au service du fils de Frédéric Barberousse, Frédéric de Souabe, qui s'était souvent occupé de leur organisation. On connaît le conflit qui opposa Barberousse à la Papauté vers les années 1150, cette dernière lui déniant ses prérogatives d'empereur en son Empire, par le biais des questions politiques italiennes. Refusant de céder, l'Empereur fut finalement excommunié par Alexandre III et l'affaire eut de nombreuses répercussions politiques. Frédéric de Souabe avait repris le combat de son père. En 1229, il chassa les Templiers de Sicile et confisqua leurs biens. Quant aux Chevaliers Teutoniques, leur rôle dans les guerres germaniques et polonaises pendant les siècles qui suivirent, est resté célèbre.
UN ETAT DANS L'ETAT
Les Templiers revinrent, eux aussi, en Europe. Ou plutôt, ils s'y étendirent. Et dans des buts bien différents. Aux approches des années 1300, plusieurs croisades ont passé, et l'Ordre a derrière lui une ascension de près de deux cents ans, pendant lesquels son habileté, ses méthodes, sa formation, l'ont amené au faîte des puissances.
Riche, le Temple l'était plus que tout autre dans le monde alors connu. Et l'origine de cette fortune a étonné plus d'un historien. F. Nouveau-Piobb, dans son livre « La Rose-Croix Johannite », écrit : « II y a sans doute un mystère dans cette richesse quasi-spontanée. Et si l'on ne suppose pas que l'ordre a été secrètement doté de sommes tenues en réserve à l'effet de lui donner toute sa puissance capitaliste désirable, comment expliquer l'origine de cette fortune ? On ne suppose pas, qu'avec les legs qui ont pu lui être faits — legs territoriaux et non pas mobiliers — qui d'ailleurs n'ont jamais pu être prouvés — les Templiers ont pu édifier rapidement neuf mille commanderies, dont celles de Paris et de Londres, comprenant de multiples constructions sur une vaste étendue, »
Une organisation bancaire toute puissante,
Et même si l'on mentionne les dons de Philippe-Auguste (2.000 marcs d'or en 1122, 50.000 en 1125) et de la Papauté (non connus) - à moins que ces derniers n'aient été fabuleux - le mystère reste entier de ce côté.
Quoi qu'il en soit, l'importance acquise par l'Ordre est à peine imaginable. Le Temple dispose, en effet, de plusieurs flottes de commerce, avec des bateaux de 1500 passagers chacun; il comprend et équipe 30.000 chevaliers, soit, avec les écuyers et les valets, 300.000 hommes; en 1192, son Grand Maître, Robert de Sablé, achètera à Richard-Cœur-de-Lion, l'île de Chypre, pour la somme de 7 millions de marcs d'or. Sa puissance économique s'accroît encore sur tous les marchés orientaux, au Levant en particulier, qu'il contrôle sans restriction, puisqu'il garde la tête des armateurs. Enfin sa règle, approuvée par l'Eglise, lui donne possibilité de percevoir taxes et impôts, sans en payer lui-même, ni en rendre compte à la justice du Royaume.
Tout cela, bien entendu, ne reste pas sans fructifier. Pionniers des institutions démocratiques, capitalistes avant la lettre, les Templiers sont aussi les premiers banquiers à asservir à leur fortune, les pouvoirs et les hommes. Ils furent même, en ce domaine des promoteurs, en ce sens qu'ils perfectionnèrent à un degré alors jamais atteint, le système des placements, des investissements, des comptes et des transferts. Leur richesse leur permettait tous les prêts, leur organisation en assurait la sécurité au moyen de lettres de change tirées d'une commanderie à l'autre ; leur esprit leur donnait tous les contrôles. On a calculé que le montant des capitaux qu'ils faisaient circuler entre l'Orient et l'Occident, correspondaient à ceux de l'ensemble des banques d'aujourd'hui, rassemblés en une seule. Il faut ajouter que, seuls à l'époque, les Templiers pratiquaient l'usure, qu'ils avaient appris en Palestine, en spéculant particulièrement sur les différences de change d'un lieu à l'autre.
Les ancêtres du capitalisme financier
Tous ces trafics, dont L. Delisle a rendu excellemment compte à la fin du siècle dernier, dans ses « Mémoires sur les opérations financières des Templiers », furent d'autant plus vivement suivis par les puissances du moment, qu'elles y étaient bien souvent assujetties, que ce soit par solidarité (la Papauté — Alexandre III, en particulier — fut soutenue par les deniers du Temple, tout au long de son conflit avec l'Empire germanique, et pendant la querelle des investitures au XIIe siècle), ou par besoin, tels les rois d'Angleterre, Jean-sans-Terre et Henri III, ainsi que Philippe-Auguste, qui durent finir par leur abandonner l'administration des revenus et du trésor du royaume. Dès lors le Temple pouvait, d'une Commanderie à l'autre, être tenu au courant de toutes les affaires publiques, influer sur leur déroulement, de la même façon que les branches diverses d'une même finance internationale à partir du XIXe siècle.
Organisation internationale, l'Ordre du Temple intervint, alors, en permanence, dans les affaires intérieures des 17 pays qui l'accueillaient, tout en continuant à faire fructifier ses intérêts et à servir, dans l'esprit de ceux auxquels il devait sa formation. A Jérusalem, où les croisades se poursuivaient, il tient toutes les commandes grâce à son Grand Maître, Gérard de Ridfort (ou de Bradefort), qui a réussi à devenir conseiller du roi Guy de Lusignan, dont il a imposé la nomination. Après des fortunes diverses, les Templiers iront jusqu'à négocier et obtenir, au temps de la troisième croisade, le mariage de la sœur de Richard-Cœur-de-Lion avec Abd El Malek, le propre frère de Saladin ! A ce moment, quelle que soit l'opération politique en cours, nul ne peut plus se passer de leur avis. Philippe-Auguste, comme Louis VII, témoignent qu'ils n'auraient « pu subsister un instant dans ces pays sans l'aide et l'assistance des Templiers. »
Dans tous les autres pays d'Europe, c'est le même phénomène qui se produit. L'Ordre du Temple est un Etat dans l'Etat. Il possède des commanderies partout. Apatride, il ne s'en juge que plus à l'aise pour tenir sous sa coupe toute activité qui l'intéresse. Et en Espagne, Alphonse Ier d'Aragon leur lègue le pouvoir. Fort heureusement, une saine et vigoureuse intervention du peuple, révolté à l'idée de dépendre d'une banque orientale, fait pression sur le Roi et le contraint de modifier cette disposition.
L'ORDRE REVIENT DANS LA NATION
En France, les Templiers ont pensé pouvoir installer le centre de leur organisation. La commanderie de Paris, avec les domaines qui en dépendent en Normandie — étape vers l'Angleterre qui leur est acquise — est la plus importante d'Europe. C'est alors qu'intervient Philippe le Bel.
On connaît le conflit que ce Roi eut avec le Vatican, et particulièrement avec le terrible Boniface VIII. Celui-ci mort, Benoît XI tôt disparu, c'est Clément V qui occupe le trône de Saint-Pierre et c'est sous son règne que va se dérouler la fin des Templiers. Il est intéressant à ce propos de savoir que Clément V ou Bertrand de Got (ou Goth), malgré la consonance germanique de son nom — toute apparente d'ailleurs — est, en fait, lui aussi, séduit par l'Orient, où il retrouve un esprit qui lui est cher. C'est un lecteur du célèbre occultiste Albert le Grand, un protecteur de l'alchimiste Arnaud de Villeneuve, un fondateur de chaires d'hébreu, d'arabe et de syriaque. Il est bon de le connaître tel, pour apprécier le déroulement des faits.
L'intervention nationaliste Philippe le Bel
Philippe le Bel l'a prouvé : il aime et veut passionnément l'unité, (il a ramené la Champagne à la France), donc la souveraineté du royaume français. A juste titre, il n'admet pas de le voir soumis à une puissance internationale, surtout si celle-ci s'exerce ouvertement de façon financière et bancaire et, plus discrètement, par la diffusion d'idées orientalisées, en un mot déréalisantes.
Au demeurant, le Temple a montré fort peu habilement son influence lors d'un événement précis : les émeutes de 1306. Celles-ci avaient suivi une dévaluation monétaire de 65 %. Elles avaient été des plus violentes ; il se trouve que ce furent les Templiers, par raréfaction de la circulation des monnaies, qui avaient déclenché la dévaluation et favorisé les désordres qu'elle provoqua.
Le Roi sait alors l'urgence d'une intervention ; il sait aussi que l'ordre étonnant dans lequel se trouve l'Etat, la rapidité et l'efficacité des services qui en dépendent, lui permettent de frapper au cœur l'Ordre du Temple. Il y parviendra, même, d'une façon plus radicale qu'il ne l'a certainement pensé. Ce 13 octobre 1307, un an après les émeutes, avec une coordination extraordinaire, tous les Templiers de France sont arrêtés.
On ne s'étendra pas sur la procédure judiciaire qui s'ensuivit, car elle n'eut qu'un rôle tout à fait annexe. Elle dura quatre ans, au cours desquels on put voir que les griefs faits aux Templiers reposaient sur une origine bien réelle. Des aveux furent obtenus très largement — pas seulement en matière économique — et il faut noter que nombre de ceux-ci furent consentis volontairement, contrairement à ce que l'on croit ordinairement.
Les accusations précises portées contre le Temple
Les points sur lesquels reposaient l'instruction étaient les suivants : mainmise sur l'Etat, diffusion d'idées universalistes et de l'occultisme, pratiques initiatiques secrètes, homosexualité. Un certain nombre de détails furent ainsi obtenus. Il est très vraisemblable, ainsi, que l'emprise internationale exercée par l'Ordre du Temple, était encore favorisée par l'infiltration d'une sorte de commandement parallèle, non révélé, que semble corroborer l'imprécision des historiens quant aux listes des Grands Maîtres qui nous sont parvenues. Pour ce qui est de l'universalisme, il se manifestait, au Temple, sous toutes ses formes. On apprit que des articles non officiels de la règle stipulait : « Sachez que Dieu ne fait point de différence entre Chrétiens, Sarrasins, Juifs, Grecs, Romains, Francs et Bulgares » ; moyennant quoi leur culte de « Notre-Dame la Vierge », se manifestait aussi bien par des hommages rendus à la mère de Jésus-Christ, qu'à Isis la vierge-mère égyptienne, comme en témoignent les inscriptions retrouvées sur leurs constructions. Comme les Cathares, les Templiers prêchaient une conception dualiste des choses, qui leur faisait affirmer la primauté de l'essence, la nocivité de l'existence ; pratiquant une sorte de manichéisme simpliste, ils affirmaient l'homme créé par une puissance mauvaise, d'où la nécessité de rendre au Christ sa mission de négation, de se détacher au maximum de la réalité, donc de l'existence. Et la règle d'interdire la procréation, les rapports sexuels, de s'opposer à toute différenciation dans le simple domaine biologique (4).
De source encore plus évidemment orientale, était la place accordée à l'occultisme par le Temple. Sa connaissance de l'astronomie, alors pratiquée seulement en Orient est certaine. Et cela, au moins, semble avoir été démontré par Gérard de Sède, dans son ouvrage discuté — et discutable — « les Templiers sont parmi nous », prouvant que le château de Gisors, en Normandie, ancien refuge et domaine des Maîtres de l'Ordre était construit sur des plans dictés par la projection des positions des étoiles, un 25 décembre à 0 heure (5) au XIIe siècle. Ce que vient confirmer un fait : la valeur purement architecturale des commanderies était nulle et cédait visiblement le pas à une symbolique de la construction — (telle la position des cathédrales médiévales et aujourd'hui des mosquées) — d'origine évidemment byzantine et orientale. Le colonel Lawrence, qui fut passionné du Temple, et tenait ces constructions comme représentatives d'un « art dégénéré », écrit d'ailleurs : « Les Templiers, qu'on soupçonna toujours d'un penchant pour les hérésies et les arts mystérieux de l’Orient, reprirent en architecture la tradition de Justinien telle que la représentaient les forteresses de Syrie... »
A cela, s'ajoutaient aussi bien les pratiques alchimiques (le mot rappelons-le, vient de Al Khemia, la terre noire, c'est-à-dire l'Egypte), que celles de la cryptographie, application fondamentale de la relation chiffres-lettres, prônée par la Kabbale, et, d'une façon générale, tout ce qui avait trait aux rites orientaux comme l'indiquent tous les objets, coffrets sculptés notamment, appartenant aux Templiers, retrouvés couverts de figurines (les « Baphomets »), et d'inscriptions arabes.
Lire la suite : Les Templiers contre l'Occident par Fabrice Laroche
« Les Dieux et le Cosmos », de Saloustios - Partie 2 (Chapitres II & III)
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