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Un Ukrainien contre les Bolcheviks : Nestor MAKHNO
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« Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement, de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? »
B. BRECHT — La solution
On sait que la révolution bolchevique d'Octobre 1917 fut aussi sanglante que difficile à accomplir ; on sait également que la farce (toujours durable) des soviets, ces conseils qui devaient être élus librement par les ouvriers, les paysans et les soldats, permit à Lénine et à ses compagnons de conférer à leur coup d'Etat une apparence démocratique. Mais la révolution ne se cantonna pas uniquement à St Pétersbourg et à Moscou. L'Ukraine, que l'on peut considérer comme la matrice de l'empire des tsars, fut le théâtre de luttes acharnées durant quatre années, luttes conduites par les blancs, les rouges, et aussi par certains Ukrainiens qui voulaient profiter de l'événement pour faire de leur patrie un Etat autonome.
Nestor Makhno, un paysan ukrainien, est probablement l'un des hommes que les communistes haïssent le plus depuis 1917. Il représente, en effet, à leurs yeux l'image du traître le plus accompli qui soit ; il figure aussi l'échec bolchevik de l'enrégimentement de la paysannerie. C'est certainement la raison pour laquelle nous avons assisté, en 1968, à un phénomène de brusque popularité pour Makhno chez les étudiants dont les aspirations libertaires allaient, sans cesse, s'opposer au conformisme communiste. A côté de Makhno, même le Che (Guevara) apparaît comme un héros pour albums d'enfants. Qui était-il ?
Né en 1889 dans le village ukrainien de Gulyai-Polyé (ou Goulaï-Polé), fils de paysans pauvres, Nestor Makhno devient berger à l'âge de six ans, puis garçon de ferme à douze. En 1905, il a alors 16 ans, la révolution lui fait prendre conscience des nombreuses inégalités et de la condition pour le moins sommaire dont sont victimes les siens et lui-même ; ces Ukrainiens qui travaillent la terre du « grenier » de l'Europe si riche, ne le font, en effet, que pour des maîtres et ce malgré l'abolition du servage intervenue en 1861. Ils demeurent des âmes. On décomptait les moujiks dépendant d'un domaine en âmes.
Attentif aux idées nouvelles, à défaut d'idées venues d'ailleurs, et désireux, malgré son jeune âge, de conserver l'essentiel des libertés dont on parle alors abondamment ainsi que son identité ukrainienne, Makhno opte pour le mouvement anarchiste. Cette adhésion lui vaut, en 1908, d'être arrêté et condamné à mort, peine qui sera commuée en détention à vie un peu plus tard. En prison à Moscou, Makhno, avec le bel optimisme de son âge (19 ans), se met à étudier ; il apprend à lire, à écrire et à compter, mettant ainsi à profit, et de manière intelligente, les « loisirs » dont il bénéficie. Il lit beaucoup et surtout des ouvrages interdits qui pénètrent clandestinement dans la prison. Ce jeune paysan ne donne pas l'impression à ses geôliers d'être l'un de ces intellectuels que l'on semble tant craindre au¬tour du tsar ; fruste d'allure, Makhno engrange des connaissances dans une impunité totale.
En 1917, il est libéré dès février, et regagne l'Ukraine. Il y organise aussitôt des milices paysannes et après avoir rencontré Lénine à Moscou en 1918, il se range pour un temps dans le camp des forces rouges avec lesquelles il combat contre les koulaks, contre les troupes de l'hetman Petlioura et les Austro-allemands encore présents. Parallèlement, il organise les villages en communes paysannes, autogérées et auto-défendues. A vingt-neuf ans, il possède une maturité d'esprit que beaucoup d'adultes pourraient lui envier car, tout en combattant, il veut préserver l'avenir de ses hommes et leur faire prendre conscience de leur force lorsqu'ils consentent à demeurer unis. En 1919 dans le bassin du Don, les makhnovistes forment le flanc droit du groupe d'armées rouges de Kojevnikov quand celui-ci atta¬que Denikine. Au printemps, les Austro-allemands quittent l'Ukraine et Makhno se rapproche du gouvernement démocratique local qui doit, selon les termes de l'armistice de Brest-Litovsk, détenir le pouvoir en Ukraine. Première rupture avec les bolcheviks.
A Moscou, bien évidemment, on veille et Trotsky interdit la tenue du congrès makhnoviste dont la coloration anarcho-autonomiste l'inquiète. Makhno démissionne en guise de réponse au diktat moscoutaire. Cette rupture aurait pu être définitive et lourde de conséquence en considérant l'avenir, si Denikine, qui se croit un César à Pharsale, n'avait, en août 1919, contraint les forces rouges à reculer. Makhno n'aime pas les bolcheviks (qui le lui rendent bien), mais Denikine représente à ses yeux tout ce dont il veut s'affranchir. Son appoint sera déterminant car les makhnovistes organisent la guérilla sur les arrières blancs et, dès l'automne 19, Denikine est à nouveau battu.
Moscou, en janvier 1920, ordonne à Nestor Makhno de se porter sur la frontière polonaise afin d'y combattre les forces de Jozef Pilsudski qui tiennent la dragée haute aux troupes rouges qu'elles vaincront finalement. Makhno refuse logiquement car pour lui, la « patrie » est l'Ukraine et non l'U. R. S. S. Il est, à nouveau, déclaré hors-la-loi et les partisans soviétiques le traquent. Durant l'été, c'est au tour de Wrangel d'attaquer pour le compte des blancs afin, semble-t-il, d'aider les troupes polonaises en fixant des contingents bolcheviks en Ukraine. De traqué et hors-la-loi, Makhno redevient, une nouvelle fois, l'allié « objectif » de Moscou ; mais s'il combat Wrangel, le batkho (père) a compris. Sitôt ce danger écarté en novembre 1920, Frounze qui commande les rouges, donne comme consigne à ses hommes d'attaquer les makhnovistes et de détruire leur chef, mais Makhno et les siens ont déjà repris le maquis.
On pourrait fort logiquement se récrier face aux prises de position successives et contradictoires de Nestor Mak¬hno ; ce serait oublier qu'il a combattu sur le terrain et que, jamais, il ne fut un théoricien de salon pouvant biaiser, feindre ; les makhnovistes connurent durant une brève existence deux dangers : celui consistant à une reprise en main de l'Ukraine par les blancs, et celui d'une conquête par les rouges. Makhno était pris entre le marteau et l'enclume, position assurément inconfortable et intenable.
Malgré des trésors d'intelligence tactique, de courage moral et physique, d'abnégation, la Makhnochtchina sera finalement vaincue et ses partisans anéantis.
En 1921, blessé, Makhno et quelques-uns de ses compagnons réussissent à traverser les lignes ennemies et à se réfugier en Roumanie. Il est temps, pour Moscou, de « normaliser » la situation en Ukraine. Elle le sera, et de façon radicale. C'est le 25 juillet 1934 que Nestor Makhno s'éteindra à Paris, pauvre et oublié. Seuls quelques « anars » l'entourent encore. Les amitiés fidèles sont rares et résis¬tent mal dans le malheur ; elles n’en sont que plus belles.
Géographie de la Makhnochtchina
Sur une carte de l'Ukraine, on peut tracer une ligne qui, partant de Marioupol, Jdanov sur la mer d'Azov, passe par Bakhnout au nord, puis, vers l'ouest, à Iékatérinoslav (Dniepropetrvsk), descend vers Nikopol, puis vers Melitopol. Ce territoire makhnoviste forme un carré approximatif de 250 km sur 280, carré au centre duquel se trouve situé le village natal de Nestor Makhno, Gulyai-Polyé.
Les limites extrêmes de l'action des makhnovistes s'étendent, à l'ouest, jusqu'à Peregonovka et, au nord, à Kharkov. A noter, en passant, qu'une partie notable de la vaste bataille d'encerclements entreprise par la Wehrmacht en 1941, se déroulera dans cette région d'Ukraine.
On peut donc, grâce à la géographie, affirmer que Makhno fut un combattant ou guérillero régional, voire local, et qu'il répugna à quitter ce qui constituait, à l'époque, le gouvernement de Iékatérinoslav. N'oublions pas, en outre, que Makhno était surtout un paysan attaché par atavisme à sa terre, et que ses milices furent formées par ses voisins, des paysans eux aussi. Cela explique en partie son apparente versatilité faite d'alliances puis de luttes avec Petlioura et les bolcheviks. Nestor Makhno avait pris au sérieux les idéaux de Zemlja i Volja (Terre et Liberté) association fondée en 1861 par les frères Serno-Solovievitch avec l'accord d'Alexandre Herzen ; les zemlevolietsi seront les premiers opposants actifs et armés au, pouvoir tsariste.
Paysan, régionaliste, libertaire, Nestor Makhno ne fut, en fait, qu'un héritier non abâtardi de générations d'hommes pour lesquels la terre était aussi une sorte de religion.
II n'est pas exagéré de dire que les Anarchistes furent, de tout temps, les adversaires les plus craints du communisme. Oui, Lénine et Trotsky craignaient les « anars » plus qu'ils ne craignirent jamais les blancs, car les disciples de Bakounine et de Kropotkine possédaient — possèdent — une doctrine, alors que la plupart des blancs ne possédaient, eux, que des biens matériels (à défendre) ou une foi religieuse souvent tiède. Dès 1918, Moscou projeta l'image des pillards, des bandits anarcho-syndicalistes, et s'il est certain que Makhno et ses hommes ne se conduisirent pas toujours en êtres courtois, rappelons qu'une guerre civile ne ressemble jamais à la bataille de Fontenoy. La Vendée, chez nous, en est un exemple entre autres.
De plus, les anarchistes étaient classés comme irrécupérables par Lénine, alors que les ci-devant tsaristes allaient fournir bon nombre de spetz, c'est-à-dire des officiers et des fonctionnaires ralliés au régime communiste.
En quoi consistait la doctrine makhnoviste ?
Le « Manifeste » du 1er janvier 1920 dit, en substance, que toutes les terres des koulaks et des monastères devaient être réparties entre les paysans, que la liberté et le droit de parole devaient être l'apanage de tous, que paysans et ouvriers devaient former des conseils (soviets) indépendants, etc... Rien donc de très nouveau dans ce manifeste depuis Zemlja i Volja, mais derrière les mots, une détermination telle que les maîtres communistes ne pouvaient que prendre peur, d'autant que leur pouvoir était encore branlant et contesté.
Le batkho (père) de la Makhnochtchina devait donc tomber, et il tomba. Extrêmement dangereux sur le plan des idées, il était également un combattant de valeur qui devait défaire Denikine, Wrangel et la cavalerie rouge de Boudiény. Des mois durant, il mena contre blancs et rouges une guérilla meurtrière et ne succomba finalement que sous le nombre, ce qui est le sort de tous les isolés.
Cet autodidacte assimila en quelques années seulement la doctrine libertaire et fédéraliste de Proudhon alors connue dans les grandes villes de l'empire. Cette assimilation devint conviction lorsque Makhno comprit que les thèses proudhoniennes convenaient parfaitement aux paysans en général. Aux communes qu'il fonde en 1918, les communistes opposent leurs soviets théoriquement composés d'ouvriers, de paysans et de soldats, soviets que Lénine et ses adjoints réduiront à rien dès leur prise de pouvoir. Tandis que les makhnovistes tiennent un front de 100 km devant les forces de Denikine, les rouges attaquent Makhno sur les plans idéologique et militaire, sentant en lui une force capable de détacher l'Ukraine du système bureaucratique dit de « centralisation démocratique » qu'ils élaborent, système qui se forge, parallèlement, un bras séculier (policier et militaire) tel que nous le connaissons encore aujourd'hui.
L'écrasement des makhnovistes coïncidera avec celui des marins de Cronstadt en 1921, à une époque où les forces blanches sont vaincues. A cette époque-là, le souvenir d'une Ukraine autonome, celle que Simon Petlioura a tenté de recréer, est déjà loin. On peut d'ailleurs comparer la situation des anarchistes russes (ukrainiens...) avec celle des anarchistes espagnols (catalans...). Ces derniers étaient appelés à être écrasés, de toutes façons, même si le franquisme n'avait pas pris le pouvoir ; ils étaient, comme Makhno et les siens, coincés entre deux feux ; l'anarchisme hispano-catalan a prouvé, une fois de plus, que la notion d'Etat fort et centralisateur recueille bien des suffrages chez les hommes politiques et chez les militaires dont la « bible » se résume à peu près à ceci : le pouvoir, c'est nous, les autres doivent se taire ! Cet éventail politique ressemble à un kaléidoscope, nous le savons, et c'est bien pour cette raison que les fédéralistes européens sont, aujourd'hui, traités « d'anarchistes » !
L'épithète, mal comprise, mal interprétée, sert toujours lorsqu'il est question d'apeurer les foules et de les faire se réfugier dans le giron d'un pouvoir « fort et stable ». Regardez la carte du monde et faites le bilan de ce siècle dédié au « progrès humain » ; que de bruits de bottes !
Michel PELTIER
Source : Défense de l’Occident, Septembre -Octobre 1977
La génération des hussards ou l’insolence littéraire
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- Catégorie : Littérature
Chacun de nos amis sait ce que furent les lendemains littéraires de 1944. A part quelques écrivains courageux, toute la République des Lettres soi-disant libérée s'employa de son mieux à enterrer ses nombreuses victimes. Mais, outre le caractère honteux de cette épuration, disons-nous bien que cette boucherie libératoire introduisit dans la littérature la plus incroyable — et l'adjectif est faible — introduisit donc la plus incroyable imposture. Le succès fut tributaire des opinions politiques et le talent ne se jugea plus qu'au soutien apporté à la résistance par les uns ou les autres.
Les années entre 1944 et 1950 voient le triomphe des pisse-vinaigre, de toute une horde de littérateurs ennuyés cherchant vainement à remplacer les maîtres condamnés. Alors que Brasillach a déjà été passé par les armes et que tant d'autres croupissent dans les prisons de César, les nouveaux venus et les revenants font tapage II n'est pas un seul trafiquant des choses de l'esprit qui ose proclamer n'avoir jamais lu un livre de Sartre, Camus, Malraux ou Simone de Beauvoir. C'est l'apothéose de « l'humanisme socialiste » avec tous les poncifs, les arguments les plus éculés que le communisme vainqueur impose. Il faut bien avouer que cette antilittérature doit une grande partie de son succès, non seulement à l'élimination de ceux qui auraient pu la combattre, mais aussi à la complicité flagorneuse de presque toute la critique, tant universitaire que mondaine, qui trouva par ce biais le moyen de se faire pardonner quatre années de travail jugé antidémocratique par le Comité National des Ecrivains. La nullité naît toujours de l'ingérence des politiciens en toge : Aragon est un bon romancier lorsqu'il oublie sa carte du Parti.
Il était donc inévitable que, cette dictature hargneuse ayant atteint un certain seuil, une réaction apparaisse. L'année1950 devait marquer un tournant tant politique que littéraire, La guerre froide s'installe, les communistes sont chassés du gouvernement et Antoine Pinay avec son allure d'un nouveau M. Guizot donne à la France la fausse sécurité du Directoire respirant d'aise après la Terreur : Roger Nimier publie « Le Hussard bleu ».
I. — Roger Nimier ou la Liberté permanente.
II est difficile de parler de Nimier tant à cause des légendes qui l’entourent que du fait qu'il ne nous a légué qu'une œuvre inachevée : sa mort prématurée (et absurde) nous a laissé sur notre faim.
Certains critiques l'ont présenté comme étant l'héritier de Louis-Ferdinand Céline. « Le Hussard Bleu » le laissait croire en effet et l'estime que Céline lui portait faisait penser que l'auteur du « Voyage » semblait avoir trouvé enfin celui qui, à sa suite, pourrait dire à tout le monde ce que Cambronne dit aux Anglais. Mais Nimier est un « classique » et, malgré une certaine verdeur de langage, ses longs monologues intérieurs relèvent beaucoup plus de la grande tradition romanesque du XVIIIe siècle que de « Mort à Crédit ».
Laissons donc les étiquettes de référence car Nimier (et ses amis) fut avant tout l'opposition salutaire et géniale à la domination du pessimisme mis à toutes les sauces et qui régnait alors à la manière d'un quelconque Néron. Il introduisit à nouveau dans le roman un anticonformisme élégant et racé que l'on croyait à jamais disparu. Son œuvre est une cure de jouvence même s'il n'a jamais pu atteindre les grands sommets de composition et de style. Il donne l'impression de s'être amusé en écrivant, se disant sans doute que l’essentiel viendrait plus tard, sa jeunesse lui donnant le droit illusoire de parler ainsi.
Dans la fameuse lettre que Jacques Chardonne lui écrivit après la publication du « Hussard », il lui conseillait entre autre chose de dormir beaucoup et d'écrire peu. Il semble bien que Roger Nimier ait malheureusement suivi cette recommandation. Il prend sa retraite d'écrivain très tôt, se contentant de quelques articles par-ci, par-là, et vivait sur sa réputation d'auteur du « Hussard bleu ». A sa mort, l’œuvre est bien mince. Et pourtant son talent deviné, sa culture, tout l'autorisait à prendre un jour la suite des grandes romanciers ou nouvellistes français. Nimier a sans doute été I’auteur à succès de sa génération mais il ne fut qu'impertinent : il pouvait être plus.
II. — Antoine Blondin, Michel Déon, François Nourrissier ou « la race des indifférents harmonieux ».
Il y a quelque deux mois, j'écrivais à propos d'Antoine Blondin : « (il) se tait depuis plusieurs années et l'on peut se demander s'il a perdu cette allure brillante, cet humour malicieux expliquant les espérances que certains eurent de pouvoir le considérer comme l'un des nouveaux grands romanciers de l'après-guerre ». (1). Il a depuis refait surface avec « Monsieur Jadis » sans pour autant annoncer un nouveau départ. Il fait partie d'une génération paresseuse préférant les joies de l'école buissonnière à la rigueur des programmes de travail, le jeu à la méthode. Ne lui en voulons pas, même si nous devons attendre encore dix ans le prochain roman. La seule chose que nous pouvons regretter est que, alors que tant de plumitifs féconds inondent tous les six mois les librairies de leurs mauvais romans suintant les égouts et la literie crasseuse, le talent soit si long à se manifester, que le talent s'use dans la désinvolture délibérée d'une adolescence perdue.
Michel Déon se présente lui-même comme étant un jeune intellectuel de droite. Il en retire d'ailleurs une certaine fierté dans la mesure où, aujourd'hui, qui dit intellectuel pense aussitôt de gauche. Dans « Tout l'Amour du Monde », il interrogeait déjà : « Aimez-vous l'immobilité? ». Dès la fin de la guerre, il a dit non. Plus rien ne le retenant en France où le bonheur avait été coupé en morceaux, il a fait ses valises et s'en va aux confins de l'Occident pour jouer les hussards. De ces frontières belliqueuses, il nous adresse des messages purificateurs débarbouillant la littérature des cascades de bidets, Des balcons de Pathmos, il salue la mythologie et si Maurras chantait l'Acropole, Michel Déon l'aime et en est fasciné. Il voit l'Occident se réveiller, mais ce n'est que pour mieux pouvoir mourir. Monsieur Michel Déon est un enfant triste, pour reprendre le titre de Roger Nimier, c'est-à-dire pessimiste. Il devine les sept anges aux sept plaies qui recevront les coupes de la colère, ce septième signe dont nous parle l'Apocalypse. La chute de Babylone est proche mais Michel Déon nous persuade qu'il fait toujours beau... même s'il ne le croit pas.
« Enterrés les héros. L'aventure s'est étrécie aux dimensions de ces fins de jours de novembre. Plus de Graal ni de dragons. Plus même de belles nuances de gris pour dire l'absurdité de tout. Le gris nous est entré dans la peau, notre sang est couleur de cendre. Voici la vie de l'homme : quelconque, hâtive, semblable » (2).
Monsieur François Nourrissier est un nouveau Rastignac dans un Paris où il n'y a plus rien à conquérir. Coincé entre l'insolence agressive de Roger Nimier et la liberté illusoire de Michel Déon, il promène son ennui du Parc Monceau à la place des Ternes. Ce dandy, malheureux d'être bourgeois dans un siècle où il « vit en suisse », est sans doute le plus tragique de nos romanciers actuels. Il montre la peur, l'angoisse, l'ennui derrière la forfanterie de façade, l'illusion de bonheur et l'étroitesse des plaisirs. Plus que Messieurs Déon ou Blondin, il est sans doute le seul (avec Roger Nimier, mais dans une moindre mesure) à avoir senti le vide né de l'abandon des clichés d'Epinal, à dépeindre le malaise de la solitude et à dénoncer la médiocrité intouchable. François Nourrissier peut nous réserver une grande œuvre.
III. — En guise de conclusion.
La conclusion que l'on peut faire concerne avant tout leur influence sur des auteurs plus jeunes qui, tout en respectant l'atmosphère, l'élégance ou l'humour des situations même si elles sont d'une manière vigoureuse, dépasseront ces romanciers en adaptant leurs récits aux situations d'aujourd'hui, mais tout en maintenant une certaine folie familière, ennemie de l'ennui. Je ne vois pas grand monde qui puisse succéder à nos hussards. Le seul nom que je puisse avancer (et en me compromettant encore!) est celui de Gabriel Matzneff.
Jean-Paul ROUDEAU,
Notes :
(1) « Du roman en France » dans Poitiers-Université de décembre 1970.
(2) « Une histoire Française » par François Nourrissier, Edit. Grasset.
Sources : Défense de l’Occident – Numéro 94, Janvier – février 1971
Débat Zemmour Onfray
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Interessants échanges entre Zemmour et Onfray sur le souverainisme, l'Euroep, le Fédéralisme...
Louis-Nathaniel Rossel, communard, héros national-révolutionnaire
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Louis-Nathaniel Rossel, est né le 9 septembre 1844 à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) et mort exécuté le 28 novembre 1871 au camp de Satory à Versailles (enterré à Nîmes).
Il est le seul officier supérieur de l'armée française(Colonel) à avoir rejoint, dès le 19 mars 1871, par patriotisme la Commune de Paris en 1871 et à y avoir joué un rôle important comme délégué à la Guerre.
Edith Thomas, auteur de l’ouvrage de référence et que nous recommandons à tous nos amis : Rossel – Ed. Gallimard, 1967 a écrit : « Je sais bien que la littérature et la philosophie d'aujourd'hui se méfient des « belles âmes » et préfèrent les salauds. Je sais bien que l'histoire d'aujourd'hui ne s'intéresse guère qu'aux statistiques, aux courbes des prix, à l'action des masses et qu'elle ne retient, à la rigueur, que les noms de ceux qui ont contribué à changer le monde. Rossel n'a rien changé. Il a échoué sur tous les plans : national et révolutionnaire. Il n'a sauvé que sa conscience. »
Le délégué à la guerre de la Commune fut illégalement passé par les armes avec Ferré et le sergent Bourgeois, le 28 novembre 1871, au poteau de Satory.
L'on écrivit une complainte en hommage à ce grand homme de foi, ce révolutionnaire effronté, ce jeune homme insolent qui — chose rare — avait les moyens de son insolence. Selon E. Thomas, les auteurs de cette complainte sont Naquet (Alfred, sans nul doute), Louis Blanc, Rochefort et... Victor Hugo. La voici.
La Complainte de Rossel
Il n’avait pas trente ans, le cœur plein d’espérance
Plein de patriotisme et d’abnégation,
Quand les bourreaux français tranchèrent l’existence
De ce grand citoyen, de ce fier champion.
[Refrain] C’est pour la Commune égorgée
Qu’il est mort frappé par la loi.
Ô Rossel, mon enfant, ta mort sera vengée,
Ô martyr, dors en paix, dors en paix,
La France pense à toi.
On l’a fait fusiller comme un coupable infâme,
Comme s’il eût commis des crimes inouïs,
Ce fier vaillant soldat qui n’avait dans son âme
Que trop d’amour, hélas ! pour son pauvre pays
Il est mort glorieux pour le salut du monde,
Comme le Christ est mort par la main des bourreaux.
Mais son sang généreux vivifie et féconde
Le droit de liberté qu’il défendait si haut.
La République était son amante adorée,
Pour elle, il a donné sa jeunesse et son sang.
Les Français en émoi, la France déchirée
Pleurent avec nous ce fils, pleurent cet innocent.
Adieu, mon fils, adieu. Ton immense infortune
Laisse dans notre cœur un immortel regret.
Mais si le peuple un jour refaisait la Commune,
C’est au nom de Rossel qu’il se soulèverait.
Leur richesse s'est construite sur le sang du Peuple mécontent
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Le 28 mai 1871 se termine l'insurrection dite de la "commune de Paris".
Les communards qui réclamaient de la justice sociale s'étaient insurgés contre les nantis. Ils seront massacrés.
Réflexions sur l'histoire pour se souvenir que ceux qui ont quelque chose à perdre vont se défendre...
II faut qu'il existe chez l’homme quelque ressort puissant... G. Sorel
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Les savants de la bourgeoisie n'aiment pas à s'occuper des classes dangereuses ; c'est une des raisons pour lesquelles toutes leurs dissertations sur l'histoire des mœurs demeurent toujours superficielles ; il n'est pas très difficile de reconnaître que c'est la connaissance de ces classes qui permet seule de pénétrer dans les mystères de la pensée morale des peuples.
Les anciennes classes dangereuses pratiquaient le délit le plus simple, celui qui était le mieux à leur disposition, celui qui est aujourd'hui relégué dans les groupes de jeunes voyous sans expérience et sans jugement. Les délits de brutalité nous semblent être aujourd'hui quelque chose d'anormal à tel point que si la brutalité a été énorme, nous nous demandons souvent si le coupable jouit bien de son bon sens. Cette transformation ne tient évidemment pas à ce que les criminels se sont moralisés, mais à ce qu'ils ont changé leur manière de procéder, en raison des conditions nouvelles de l'économie, comme nous le verrons plus loin. Ce changement a eu la plus grande influence sur la pensée populaire.
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La férocité ancienne tend à être remplacée par la ruse et beaucoup de sociologues estiment que c'est là un progrès sérieux ; quelques philosophes qui n'ont pas l'habitude de suivre les opinions du troupeau, ne voient pas très bien en quoi cela constitue un progrès au point de vue de la morale : « Si l'on est choqué de la cruauté, de la brutalité des temps passés, dit Hartmann, il ne faut pas oublier que la droiture, la sincérité, le vif sentiment de la justice, le pieux respect devant la sainteté des mœurs caractérisent les anciens peuples ; tandis que nous voyons régner aujourd'hui le mensonge, la fausseté, la perfidie, l'esprit de chicane, le mépris de la propriété, le dédain de la probité instinctive et des mœurs légitimes, dont le prix souvent n'est plus compris. Le vol, le mensonge, la fraude augmentent malgré la répression des lois dans une proportion plus rapide que ne diminuent les délits grossiers et violents comme le pillage, le meurtre, le viol, etc. L'égoïsme le plus bas brise sans pudeur les liens sacrés de la famille et de l'amitié, partout où il se trouve en opposition avec eux.
Aujourd'hui, d'ordinaire, on estime que les pertes d'argent sont des accidents que l’on est exposé à rencontrer à tout pas que l'on fait et qui sont facilement réparables, tandis que les accidents corporels ne le sont pas facilement ; on estime donc qu'un délit de ruse est infiniment moins grave qu'un délit de brutalité ; les criminels profitent de cette transformation qui s'est produite dans les jugements.
Notre code pénal avait été rédigé dans un temps où l'on se représentait le citoyen sous les traits d'un propriétaire rural, uniquement préoccupé de gérer son domaine en bon père de famille et de ménager à ses enfants une situation honorable ; les grandes fortunes réalisées dans les affaires, par la politique, par la spéculation étaient rares et considérées comme de vraies monstruosités ; la défense de l'épargne des classes moyennes était un des grands soucis du législateur. Le régime antérieur avait été encore plus terrible dans la répression des fraudes, puisque la déclaration royale du 5 août 1725 punissait de mort le banqueroutier frauduleux; on ne peut rien imaginer qui soit plus éloigné de nos mœurs actuelles ! Nous sommes aujourd’hui disposés à croire que les délits de ce genre ne peuvent être généralement commis que grâce à une imprudence des victimes et qu'ils ne méritent que par exception des peines afflictives ; et encore nous contentons-nous de peines légères.
Dans une société riche, occupée de grandes affaires, où chacun est très éveillé pour la défense de ses intérêts, comme est la société américaine, les délits de ruse n'ont point les mêmes conséquences que dans une société qui est obligée de s'imposer une rigoureuse parcimonie ; il est, en effet, très rare que ces délits puissent apporter un trouble profond et durable dans l'économie ; c'est ainsi que les Américains supportent, sans trop se plaindre, les excès de leurs politiciens et de leurs financiers. P. de Rousiers compare l’Américain à un capitaine de navire qui, pendant une navigation difficile, n'a pas le temps de surveiller son cuisinier qui le vole. « Quand on vient dire aux Américains que leurs politiciens les volent, ils vous répondent d'ordinaire : « Parbleu, je le sais bien ! » Tant que les affaires marchent, tant que les politiciens ne se trouvent pas en travers de la route, ils échappent, sans trop de peine, aux châtiments qu'ils méritent. »
Depuis que l'on gagne facilement de l'argent en Europe, des idées analogues à celles d'Amérique se sont répandues parmi nous. De grands brasseurs d'affaires ont pu échapper à la répression, parce qu'ils avaient été assez habiles, aux heures de leurs succès, pour se créer de nombreuses amitiés dans tous les mondes ; on a fini par trouver qu'il serait bien injuste de condamner des négociants banqueroutiers et des notaires qui se retiraient ruinés après de médiocres catastrophes, alors que les princes de l'escroquerie financière continuaient à mener joyeuse vie. Peu à peu la nouvelle économie a créé une nouvelle indulgence extraordinaire pour tous les délits de ruse dans les pays de haut capitalisme.
Dans les pays où subsiste encore aujourd'hui l'ancienne économie familiale, parcimonieuse et ennemie de la spéculation, l'appréciation relative des actes de brutalité et des actes de ruse n'a pas suivi la même évolution qu'en Amérique, qu'en Angleterre, qu'en France ; c'est ainsi que l'Allemagne a conservé beaucoup d'usages de l'ancien temps et qu'elle ne ressent point la même horreur que nous pour les punitions brutales ; celles-ci ne lui semblent point, comme à nous, propres aux classes les plus dangereuses.
Il n'a pas manqué de philosophes pour protester contre un tel adoucissement des jugements ; d'après ce que nous avons rapporté plus haut de Hartmann, nous devons nous attendre à le rencontrer parmi les protestataires : « Nous sommes déjà, dit-il, près du temps où le vol et le mensonge que la loi condamne seront méprisés comme des fautes vulgaires, comme une maladresse grossière, par les adroits filous qui savent respecter le texte de la loi, tout en violant le droit d'autrui. J'aurais assurément mieux aimé, pour mon compte, vivre parmi les anciens Germains, au risque d'être tué à l'occasion, que d'être obligé, dans nos cités modernes, de tenir chaque homme comme un escroc ou un coquin, tant que je n'ai pas de preuves évidentes de sa probité. » Hartmann ne tient pas compte de l'économie ; il raisonne à son point de vue personnel et ne regarde point ce qui se passe autour de lui; personne ne voudrait aujourd'hui être exposé à être tué par les anciens Germains ; une escroquerie ou un vol ne sont que des dommages très facilement réparables
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L'expérience nous a, en effet, prouvé malheureusement que les enseignements que les historiens des idées nomment des enseignements très élevés, restent d'ordinaire sans efficacité. Cela avait été évident pour les stoïciens ; cela n'a pas été moins remarquable pour le kantisme ; et il ne semble pas que l'influence pratique de Proudhon ait été bien sensible. Pour que l'homme fasse abstraction des tendances contre lesquelles s'élève la morale, il faut qu'il existe chez lui quelque ressort puissant, que la conviction domine toute la conscience et agisse avant que les calculs de la réflexion aient eu le temps de se présenter à l'esprit.
On peut même dire que tous les beaux raisonnements par lesquels les auteurs croient pouvoir déterminer l'homme à agir moralement, seraient plutôt capables de l'entraîner sur la pente du probabilisme ; dès que nous raisonnons sur un acte à accomplir, nous sommes amenés à nous demander s'il n'y aurait pas quelque moyen propre à nous permettre d'échapper aux obligations strictes du devoir.
Sources : G. Sorel - Réflexions sur la violence – Ed. Marcel RIVIERE & Cie.
Le cancer américain : Le cancer américain
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- Catégorie : MONDIALISME
L'Amérique, que certains ne manqueront pas de nous accuser de prétendre à découvrir, n'est pas en réalité aussi saisissable qu'on le croit, moins saisissable en tout cas qu'aux temps glorieux de la découverte et de la conquête.
Où peut-on trouver l'Amérique ? Peut-on même fixer ses limites ? L'Amérique serait-elle nulle part, ou bien serait-elle partout? Inexistence? Ubiquité? Comme cette grippe dite espagnole que l'on aurait sans doute grand tort de limiter à l'Espagne, qui y prit peut-être naissance, mais qui, depuis sa découverte, a hanté tous les organismes, sans souci de lieu ni de temps. L'Amérique n'est plus un pays, n'est en tout cas pas une patrie. L'attaquer, en tant que pays, serait mal poser la question, la limiter, et la mêler de préoccupations nationales qui sont d'ores et déjà dépassées. L'Amérique, il faudrait plutôt l'appeler le pays yankee, pour bien montrer que sur la carte on en chercherait en vain la frontière, et pour prouver qu'elle se répand partout où règne un certain esprit, où sévit, comme un fléau, une certaine manière de vivre ou de dire « non » à la vie. L'Amérique, si elle est un cadre, n'est plus un cadre territorial, mais bien un cadre de pensée et d'action. L'Amérique, c'est une méthode, une technique, une maladie de l'esprit. Partout où celle-ci sévit, quels que soient l'uniforme des militaires ou les vignettes des timbres-poste, le Yankee a fait école et se retrouve chez lui.
L'Amérique, c'est son cancer. C'est donc, hélas ! Non seulement outre-Atlantique, mais ici, sur notre sol, dans nos villes et même nos universités qu'il faut apprendre à connaître la nature profonde du danger qui nous menace. Localisable, il ne l'est plus : mais il vaudrait mieux qu'il le fût, car il serait encore possible d'isoler ou bien de couper l'organe malade. Thérapeutique impossible, puisque l'Amérique s'est répandue partout. S'il serait vain de définir dans l'espace le cancer américain, il est encore plus difficile de le déterminer dans le temps. L'Amérique est-elle moderne, est-elle usée ? La question se pose mal ainsi. Un célèbre économiste yankee a fait un jour cette réponse qui ressemble formellement à celle d'un paysan normand, mais qui semble au fond très exacte et témoigne d'un vrai courage : « L'Amérique est à la fois très vieille et très jeune », très jeune par ses réserves de matières premières et l'élasticité de son marché, très vieille par le perfectionnement de ses méthodes de travail et de crédit, aboutissement d'un long effort et d'une tradition plus ancienne que ne sont les États-Unis. Comme aux vitraux des cathédrales, l'Ancien Testament cacochyme est supporté par le Nouveau; ainsi dans les pays yankees, des systèmes vieux comme le monde, ou plutôt vieux comme l'abstraction, retrouvent une nouvelle jeunesse au contact d'un sol plein de germes et de richesses inexploitées. Allant plus loin que notre auteur et réduisant cette antinomie apparente, nous pouvons dire plus simplement: les États-Unis sont hors du temps comme ils sont au-dessus de l'espace. Leur accroissement démesuré, leur prolifération monstrueuse ne s'expliquent que par leur manque de contact avec le réel, de contact avec la durée et de contact avec le sol.
L'esprit yankee n'est en effet pas autre chose que l'exploitation en série, sur une échelle gigantesque, de la plus lamentable erreur que l'Europe ait jamais commise, de l'erreur rationaliste. Descartes n'en est pas responsable, quoi qu'ait voulu nous le faire dire un critique auquel sans doute le maniement des idées claires ne réussit pas. Rationalisme n'est pas raison: la raison dans tous ses efforts est un instrument de conquête, qui ne va pas sans passion. A ce titre, elle est respectable et ne peut être que bienfaisante. Mais les règles, dont elle arrache de vive force la révélation à l'univers hostile, lorsque la passion est éteinte et la conquête organisée, s'affaissent peu à peu en techniques, commodes sans doute, mais impérieuses, et bientôt néfastes. L'esprit américain, qui utilise pratiquement les conquêtes de la raison sans avoir partagé les efforts de la découverte, ni les risques de la recherche, n'est justement pas autre chose que l'utilisation de ce rationalisme dégradé dans un domaine purement technique. Civilisation de techniciens, où le savant n'est qu'un outil comme les autres, tout au plus une machine-outil. Civilisation qui néglige, dans un geste de parricide, les forces sentimentales et réelles qui ont forgé ses instruments. Ce n'est pas par hasard, mais par une nécessité singulièrement révélatrice que la plupart des inventions, exploitées ou mises au point aux États-Unis, sont dues à des inventeurs européens.
Rationalisation industrielle et financière — mépris de l'individualisme au sens révolutionnaire du mot — philanthropie fallacieuse, telles sont les trois rubriques sous lesquelles tous les faits américains, même diversement interprétés, semblent se grouper d'eux-mêmes ; Descartes et les cartésiens purs, dans leur fièvre créatrice et leur volonté de conquête ne pouvaient pas prévoir cette dégradation de leur méthode. Descartes en descendant dans la rue ou en montant dans les buildings perdait toute sa valeur humaine et tout son prix sentimental.
Le pionnier, qui fut le premier colon des États-Unis, n'eut de respect dès l'origine ni pour la terre, ni pour le génie humain. Le pionnier ne sait que voir et se servir de ce qui est; il découvre peut-être, mais il n'invente pas. Poussant encore plus loin le mépris du réel, négligeant encore plus les facteurs affectifs, n'ayant plus rien à découvrir, ses fils, enfermés dans une spécialité, suivent jusqu'au bout, sans vrai mérite, les lois particulières qui la régissent. L'esprit américain moderne demande à la statistique ce que l'esprit européen authentique demande à l'homme : la statistique, moyen d'éliminer les facteurs personnels pour réduire tout aux lois des grands nombres, plus inhumaines et plus abstraites. N'ayant point formé la raison, ne l'ayant même jamais vue à l'œuvre en sa période créatrice, l'esprit yankee ignore sa vraie nature, ses défauts comme sa souplesse. Utilisant les lois qu'elle a créées sans comprendre comment elle les créa, les utilisant d'autant plus béatement qu'il ne les a jamais connues que toutes figées, débarbouillées et bien au point, dégagées des erreurs et des affres de leur naissance, il les applique avec une impartialité blessante à tout ce qui est vivant comme à tout ce qui est inerte. L'industrialisme est son fief: le mythe de la production remplace l'élan créateur : le taylorisme ou le fordisme sont réputés inoffensifs et bienfaisants, tout au moins tant que les statistiques n'accusent pas un accroissement des accidents du travail ou du surmenage physique.
Mais comme il faut pourtant, pour toute tyrannie habile, une opposition limitée, inoffensive, inefficace, protestent au nom du spirituel quelques pasteurs payés pour cela, parasites du mal qu'ils dénoncent, ou quelques littérateurs isolés qui jouent le rôle jadis assigné aux bouffons des rois. L'antiaméricanisme en Amérique, et peut-être bien en France, est jusqu'à présent affaire de clercs ou d'esthètes. Saturnales inoffensives, qui bien loin d'ébranler le régime le consolident à leur insu. Tout par ailleurs est mis en œuvre depuis la chaîne jusqu'au test, à tout propos, à tout moment, pour écarter l'individu et stériliser les passions. La plainte des artisans, amoureux du travail bien fait, qui parfois s'élève en romance, joue le rôle sympathique et niais de la diligence détrônée par la locomotive dans les films de Buster Keaton. Il est permis de s'attendrir en pensant au bon vieux temps ; et tel grand seigneur de l'acier ou du caoutchouc se paiera le luxe de faire rebâtir son village à l'ancienne mode puis d'en bannir les autos et même l'éclairage électrique. Qui donc serait insensible aux charmes désuets de Ruskin ? Dubreuil même les ressentirait, en dehors des heures de travail. Mais qu'on ne s'avise pas de toucher aux centres nerveux du régime, mythe de la production, religion du crédit ; qu'on ne s'avise pas de remettre les techniciens à leur place et les statisticiens à leur rang. Ils y seraient aussi inexperts qu'un officier d'état-major au milieu d'un maniement d'armes ; et personne ne dirigerait ni ne trouverait plus de chef, tant le sens du concret et de l'invention authentique est ignoré dans les milieux où se déploie le cancer américain.
Ce prestige de l'abstrait, qui a dominé le monde intellectuel aux environs de 1860, apparaît aujourd'hui, pour qui le détache des objets d'utilité pratique auxquels a donné naissance le progrès technique, comme extrêmement vieillot et très loin des hardiesses de la pensée contemporaine. Il éveille le souvenir des petits cénacles positivistes où Homais, hélas, rejoint Comte, ou celui de la philosophie, attendrissante à force de naïveté, qu'exprimé encore parfois, après boire, un polytechnicien de première année. Tel qu'il est, sous sa forme primaire, dans sa grossièreté prétentieuse, ce prestige suffit à engendrer le terrible cancer qui ne cesse de proliférer, poussant de tous côtés les cellules d'une rationalisation déréglée, devant les exigences de laquelle plient les volontés d'abord, et, pour continuer, les instincts.
Nous verrons plus loin comment du plan industriel passant au plan financier, le cancer de l'abstraction, dominant peu à peu tous les mécanismes du crédit, de la publicité et de la suggestion, envahit les domaines les moins ouverts aux brimades de la technique, tournant ainsi les positions qu'il ne pouvait prendre de front: la psychologie individuelle elle-même passe au rang de ses conquêtes. Mais, plus grave que les prétentions américaines à faire pivoter les tables des conférences politiques (tout bon pragmatiste n’est-il pas doublé d'un spirite ?) se montre à nos yeux la nécessité qui pousse Hoover, comme elle pousserait tout autre chef du pouvoir fédéral, à pratiquer une politique d'aventure, d'intervention et de colonisation dans les affaires européennes et mondiales.
Hoover et ses successeurs éventuels conservent bien en cela la tradition des grands envahisseurs des époques barbares. En dépit de l'ardeur avec laquelle les conquérants de tous les temps se jettent sur le petit cap eurasiatique, en dépit même des convoitises qu'excité la vue de ces terres trop fécondes, ce n'est jamais spontanément que les barbares montent à l'assaut. Ils le font soit parce qu'ils y sont contraints par un plus barbare qu'eux qui les pousse l'épée dans les reins, soit parce qu'un cataclysme naturel a ravagé leur pays d'origine. L'éclat sauvage dont leurs yeux brillent, l'orgueil farouche de leurs manières et leur nomadisme étrange, tout cela a pour cause la peur. On ne court jamais si vite que lorsque les maisons croulent : ainsi font les bandes yankees, escortées de leur clientèle. Mais ce qu'il y a de nouveau dans l'invasion yankee, c'est que la catastrophe qui les chasse n'est plus le résultat d'un cataclysme naturel, mais d'un cataclysme artificiel, encore qu'il puisse s'accompagner de désastres naturels, comme les trop bonnes ou les trop mauvaises récoltes de blé. Ce cataclysme c'est, nous l'avons vu, l'effet produit par la raison coupée de sa base affective ; ainsi font les armes à feu ou l'alcool abandonnés aux indigènes, mal préparés à leur emploi, et qui en pâtissent les premiers. Encore les sauvages sont-ils punis pour ne savoir se servir correctement ni des armes à feu, ni de l'alcool ; tandis que les Américains connaissent, et connaissent trop bien l'usage technique de la raison. Mais tout se passe pour eux comme si cette faculté, pourtant habituelle à l'homme, avait surgi brusquement comme un membre supplémentaire, en bois, en fer, voire en chair, plus important que tous
les autres, destiné à les remplacer ou à les assujettir.
C'est que la raison quelle qu'elle soit, à l'état pur ou frelatée, sous forme technique ou pure, a une propriété magnifique à laquelle tous nos pédants, ingénieurs ou logiciens, ne prennent jamais garde, et qui est en quelque sorte la cause et la rançon de sa puissance : c'est qu’elle ne peut pas reculer. Elle va toujours dans le même sens, considérant comme homogènes tous les milieux qu'elle pénètre, prétendant toujours aussi à des généralisations plus grandes. La proposition nouvelle, dont on fait la déduction, s'ajoute aux propositions précédentes et servira à son tour de base à une nouvelle déduction : chaîne sans fin, dont on voit la bienfaisance quand elle s'exerce dans le sens de la création et du progrès humain. Mais de quels méfaits capable, quand son point de départ est faussé et son déroulement inhumain. Non seulement, il est impossible de rompre la chaîne, mais elle est tout entière présente à tout moment du raisonnement, que le raisonneur en soit ou non conscient. La raison qui opère dans tous les milieux possibles, domine le temps comme l'espace : outil merveilleux qui ne s'use point, elle confère à l'agressivité humaine une puissance théoriquement illimitée. Mais lorsqu'elle joue en porte à faux, elle va jusqu'au bout du désastre.
Il y a raison et raison : il y a la raison inventive, dont les progrès, consistant en élans nouveaux de l'esprit créateur, forment une chaîne héroïque de risques, d'efforts et de jouissances : il y a la raison technique, dont la progression monotone se fait sans heurts et sans mystère, à l'ancienneté, comme on vieillit.
Les vrais spécialistes de la raison, qui ne sont pas ses vulgarisateurs techniques, mais bien ses promoteurs, philosophes ou mathématiciens, dans l'humilité nécessaire de qui a souffert pour créer, n'ignorent pas que c'est en remettant à tout instant en cause la valeur absolue de la raison, en faisant comme si, avant eux, on n'avait jamais pensé, en d'autres termes en la réinventant à tout moment, en la rattachant à leur instinct vital propre et à leur propre volonté de puissance, qu'ils ont le droit de s'en servir. « Le premier pas vers la philosophie, aurait dit Diderot avant de mourir, c'est l'incrédulité ». L'incrédulité provisoire à la science comme à tout autre dogmatisme ; en cela Diderot révèle le ressort le plus profond du vrai esprit cartésien, du vrai esprit européen. Au contraire l'esprit yankee, crédule par définition, qui a reçu comme loi imprescriptible la confiance en la raison et en la statistique et qui d'ailleurs ne connaissant que la raison appliquée, échappe, quant à son principe, à l'élan du génie humain, est peut-être bien capable de se passionner pour toutes les opérations intellectuelles - pour toutes, une exceptée qui est la fondamentale et qui consiste à remettre en question toutes les questions à la fois. La notion même du doute ou du risque métaphysique lui est étrangère. Il y verrait à la fois une trace de pessimisme et une espèce d'indécence. Il est permis à un Yankee de se convertir à tout ce qu'on voudra, d'adhérer à une des innombrables sectes qui monnayent l'esprit religieux : mais il est interdit de renier ouvertement une croyance officiellement reçue, du moins de la renier explicitement, affectivement, avec les blasphèmes nécessaires.
On a dit que l'étudiant américain manquait d'esprit critique autant que ses maîtres ; et il est vrai que les deux sexes semblent rivaliser de conformisme dans leurs universités florissantes. Mais il serait faux de dire que les jeunes gens ou les jeunes filles soient fermés aux idées nouvelles, ou qu'ils se tiennent consciemment à des principes établis. Bien au contraire, toujours tourné vers l'avenir parce que c'est le sens de sa marche, l'esprit américain ne peut pas reculer. Tout ce qui est nouveau, il l'adopte sans renier pour cela l'ancien. Il est ouvert à tout sans effort, sans curiosité, sans angoisse, comme une femme prostituée, car il met tout sur le même plan. L'intolérance, il l'abomine; car c'est un vice européen qui diminue l’efficiency. Ce n'est même pas chez lui l'impartialité de libres penseurs, qui refusent de croire à rien, mais insuffisance psychologique et incurable paresse dialectique. Dans ce pays où tous disent « oui », la compréhension facile, unanime, préétablie, qui devient un trait de la race, est sans mérite, ni grandeur.
Du reste, sur le plan technique, sur le plan soi-disant empirique que l'esprit américain a choisi ou plutôt que les événements lui ont imposé, cet éternel acquiescement est parfaitement justifié. L'angoisse romantique et le doute critique n'y seraient que des obstacles gênants, eux qui pourtant sous d'autres latitudes ont prouvé leur efficacité et contribuent à la dignité des consciences humaines. Ces stimulants éliminés, ces vertus majeures abolies, il n'est d'autre progrès possible que celui d'une boule de neige se déplaçant en ligne droite. Ce qu'il y a de grave en effet, c'est qu'en réduisant les facultés rationnelles au domaine technique, non seulement l'Américain interdit à son esprit de reculer, de se reprendre, mais il l'oblige à progresser toujours dans la même direction uniforme, à une cadence uniformément accélérée. Aux grandes voies naturelles, parfois inégales ou sinueuses, il substitue des allées de parc, et prend pour parole d'Évangile l'axiome de géométrie sur la ligne droite, plus court chemin... C'est avec une tranquillité extraordinaire que Carnegie fait son acte de foi : « Les bases sur lesquelles repose la société actuelle sont préférables à toutes celles qui ont été essayées ». Le premier précepte de la morale du succès est donc de ne pas examiner ces bases : autour de ce principe éthique et combien satisfaisant, s'édifie le fameux Évangile de la richesse, commun à la Christian Science, à Carnegie et à Babbit. Le Service Social, école de docilité, fait oublier les principes individuels de charité ou de fraternité. Nul n'y échappe : dans ce conformisme géant, toutes les facultés ont leur rôle. Celles de l'homme naturellement, mais aussi, ce qui est plus difficilement justifiable, celles de la femme et de l'enfant. On se rappelle la formule de Thomas Graindorge : « Les enfants mènent les femmes, qui mènent les hommes, qui mènent les affaires ». Voici que l'esprit yankee a interverti les termes pour en tirer la formule du cancer américain : « Les affaires mènent les hommes, qui mènent les femmes qui mènent les enfants ». Qu'on ne nous oppose pas les triomphes du féminisme américain et le culte américain de l'enfance. L'homme est écrasé par la meule avant la femme, mais elle le suit. Ce qui trompe, c'est que, dans une société rationalisée, les hommes qui mènent les femmes ne sont pas leurs maris ou leurs parents et que les femmes qui mènent les enfants ne sont pas leurs mères. Civilisation démente où, pour que l'on puisse vivre, il faut renoncer à la vie, tout au moins à la transmettre. L'homme encore, à la rigueur, peut s'assujettir aux affaires sans renoncer à la paternité. Mais la femme, elle, doit choisir, entre le bien-être immédiat et la trahison de l'avenir. Quant à l'enfant, pour ménager cette main d'œuvre de demain, on l'éloigne du foyer dévorant, où se consume sa famille, et on le retient à l'engrais, à l'écart, dans des parcs spéciaux, scientifiquement organisés.
On voudrait que ces formules fussent plaisantes : elles ne font malheureusement qu'exprimer la logique profonde du système. En pays yankee, l'esprit trouve sa première raison d'être et sa principale application dans la production industrielle, issues elles-mêmes de la croyance que le bonheur peut s'obtenir par la technique ; il est donc tout naturel que la richesse devienne une fin en soi, et permette ainsi d'oublier tous les autres biens. Sans doute, aux États-Unis, les conditions historiques ont-elles facilité les choses en utilisant une société calviniste, où le prêt à intérêt et le travail matériel se réconciliaient en Dieu ; mais, en dehors de toutes circonstances locales ou d'époque, la réduction de la raison à la raison technique aurait suffi à entraîner toutes les conséquences du cancer rationalisateur. Comme la raison ne connaît de progrès que mesurables, et qu'elle est à sens unique, le désir et le devoir s'accorderont pour produire de plus en plus, et aussi de plus en plus vite. Ainsi naît l'effarante théorie des hauts salaires, qui, sous son aspect humanitaire et malgré les apparences de bien-être qu'elle procure, met le comble à l'esclavage en élargissant la geôle.
A cette hypocrisie flagrante, à cet hameçon bien camouflé lancé aux travailleurs par la société yankee, on ne peut vraiment rien comprendre tant que l'on n'a pas compris sur quelles bases techniques repose la civilisation américaine. L'homme, pour elle, est avant tout un producteur ou mieux une machine à produire ; mais pour pouvoir continuer à produire selon un rythme accéléré, il faut, dans un monde où la religion du travail n'a pas encore étouffé tous les instincts ou les besoins, il faut malgré tout consommer. Ici, l'anarchie menace : jusqu'ici, en ces périodes désordonnées qui ont précédé Taylor, on mangeait lorsqu'on avait faim, on consommait selon ses besoins. Fantaisie inadmissible. Comment imaginer en effet que l'on puisse réglementer la production dans un pays où le consommateur reste libre ? Production et consommation, les deux mamelles de l'Amérique, doivent observer le même débit : sans quoi il serait fatal que tous ses produits un jour lui remontassent au cerveau. Le meilleur moyen d'éviter pareille folie, d'améliorer cette situation anarchique, est de considérer le producteur comme consommateur en même temps que comme ouvrier. Lui qui subit, comme ouvrier, pendant les heures de travail, la discipline patronale, subira, avec plus de ménagements apparents, pendant ses heures de détente, l'obligation de consommer. Le procédé est peut-être nouveau dans son application humaine: on l'avait déjà vu fonctionner, sous une forme plus élémentaire, dans la production des foies gras.
Pour que le haut salaire ne manque pas son but, et que ce qui vient de l'usine retourne sans faute à l'usine, il faut le compléter par une organisation du crédit, destinée à la consommation. Ainsi l'ouvrier sert deux fois la machine productrice, à laquelle il est deux fois enchaîné : il la sert en tant que main d'œuvre et en tant que débouché. Si tout fonctionne correctement, si le haut salaire, déterminé par des calculs de probabilité corrects, sans nul facteur sentimental, n'est ni trop haut ni trop bas, si le stimulant du crédit est convenablement réglé, il semble qu'on puisse escompter, selon une progression sans limite, le développement simultané du travail, du salaire et de la consommation. Si la publicité s'en mêle pour décider les hésitants, si l'habitude de la vente à crédit pénètre tout à fait dans les mœurs, le cycle sera fermé ; et dans ce système parfait sans contact avec l'extérieur, fait d'autorité et de confiance, il deviendra même inutile de distribuer un salaire. Le travail pourra être directement transformé en demande, conformément, cela va sans dire, aux nécessités de la production. La prospérité régnera avec ses splendeurs théoriques, mais portant en son sein abstrait tous les germes de la misère, dont nous reparlerons plus loin.
L'histoire économique des États-Unis vient à l'appui du diagnostic que nous venons de formuler. Si, après l'avoir décelé, nous étudions le développement du cancer américain, nous retrouverons dans les faits ses caractères essentiels, et notamment l'incapacité de recul, le cancer américain comme les autres ne rétrocédant jamais.
De cette merveilleuse histoire retenons simplement trois étapes essentielles. D'abord la conquête du sol. Cette conquête, appuyée sur une immigration constante et constamment renouvelée, se fait par vagues d'assaut et non par enracinements successifs, si bien que les conquérants n'ont jamais le temps de s'adapter aux conditions locales, mais apportent dans leurs bagages des coutumes d'importation, hétérogènes et disparates. Pourtant, pendant cette période, la richesse du Nouveau Monde est encore presque exclusivement agricole. C'est aussi la période où le véritable esprit démocratique, fait de possession du sol et de respect de l'individu, a chance encore de s'instaurer. La seule tentative sérieuse, dans l'histoire des États-Unis, pour créer un lien affectif entre l'homme et la terre, pour créer un véritable pays, un vrai patriotisme, se produisit à cette époque ; et c'est celle de Jefferson. Tentative bientôt étouffée : n'y a-t-il pas quelque chose de profondément tragique, et d'une ironie cruelle, à constater que ce contemporain de la Révolution française semblait avoir eu, dans sa répulsion instinctive pour la civilisation urbaine et pour l'instauration d'un pouvoir fédéral centralisateur, une intuition confuse de la tyrannie sans précédent qui allait surgir en un siècle ? Il est véritablement sinistre de comparer les tendances de l'ancêtre du parti démocrate, Jefferson, anticentralisateur, antibancaire, anti-urbain, avec celles du président Wilson, apôtre sous toutes ses formes de l'abstrait et de la centralisation et mieux encore avec celles d'un possible candidat démocrate à la présidence des États-Unis, à savoir M. Owen Young, dont on connaît les méfaits. Rien ne permet de mieux mesurer la marche du cancer américain, en son pays d'origine.
Le second fait de l'histoire des États-Unis, qu'il convient de détacher se place au cours du XIXe siècle, et dès avant cette guerre de Sécession, qui représente beaucoup plus la victoire de l'industrie sur l'agriculture que celle de la liberté sur l'esclavage. C'est l'accumulation extrêmement rapide du capital industriel, qui ne tarda pas à se subordonner, en les enchevêtrant, toutes les puissances existantes, des Compagnies de Chemin de Fer aux grandes Sociétés Anonymes. Alors, comme un symbole ou comme un témoignage, commencèrent à surgir du sol ces villes d'un type nouveau, dont la croissance prodigieusement rapide est un symptôme autrement effroyable que la congestion progressive de Paris, de Londres ou même de New York. Nous touchons là, pour ainsi dire, le cancer du doigt, sous sa forme matérielle : mais il ne devient tout à fait inguérissable, que le jour où l'institution du crédit agricole et la motorisation de l'agriculture imposèrent aussi aux champs les mêmes lois rigides, dont le gratte-ciel semble le temple.
Le troisième fait dominant de l'histoire économique du cancer américain, celui qui complète tous les autres, envahissant toutes les retraites où se réfugie l'âme humaine, est le développement presque explosif de ces mécanismes psychologiques que sont le crédit, la presse et la publicité. Ce fait là est si révélateur que nous l'étudierons à part. Désormais, du moment où le crédit, servi par les techniques de suggestion collective, se dégageant de ses enveloppes matérielles, s'élève sur le monde conquis comme un fantôme désincarné, il est loisible, pour le moins clairvoyant, d'apercevoir sinon la nature du moins les dangers de la tyrannie qui le mène. Peut-il encore réagir, malgré les krachs et les misères, enveloppé dans de faux mirages, comme l'est le promeneur nocturne dans la publicité lumineuse ?
Le voilà donc, ce conquérant malgré lui, cet Attila à lunettes d'écaillés, jeté à l'assaut du monde par la faculté à sens unique qui gouverne à son insu et sans qu'il y puisse rien, les gestes et jusqu'aux intentions de tout son peuple. Comme il a raison d'avoir peur ! Comme on comprend les mouvements de mauvaise humeur, aussi bien des fermiers de l'Ouest que des banquiers de l'Est, tous mêlés dans le même sac, toujours prêts à envoyer à tous les diables cette Europe, qu'ils jalousent au fond, qu'ils surveillent comme une proie et qu'en même temps ils craignent plus ou moins secrètement comme un remords ou un foyer de résistance. Même les plus hardis cherchent provisoirement à la laisser de côté comme une poire pour la soif. Qui s'y frotte s'y pique : dans cette ridicule Europe subsistent malgré tout effort quelques forces spirituelles qu'il vaut mieux ne pas braver. Mais leur cancer, en dépit des crises ou même à cause d'elles, leur donne une soif inextinguible et croissante ; il leur faut bien, malgré eux, tendre la main vers le fruit, qui toujours s'offre à eux avec plus d'insistance.
Alors le conquérant abstrait, de son central téléphonique, lance ses troupes sur le monde : il appelle ses lieutenants, banquiers et publicistes; il fait chercher ses aumôniers, quakers ou bien philanthropes; et sans cesser pour cela de refaire les toits de Versailles ou de reconstruire la cathédrale des rois de France, il envoie ses colleurs d'affiches en ambassade à Londres et à Paris, ou autres futures préfectures yankees, pour offrir dans un sourire doré ou la paix ou la guerre. Cependant que fiévreusement, talonné par sa nécessité interne, il prépare pacifiquement sa guerre de tarifs et d'escompte, en laissant aux Européens les risques plus meurtriers d'une guerre à poitrines humaines, prolongement fatal de la sienne, dont il compte bien profiter. Nous verrons plus loin en détail les raisons immédiates qui l'obligent à l'aventure : mais les raisons profondes nous sont déjà connues. Il faut qu'il avance, qu'il marche : son pouvoir et sa raison d'être se résument à la fidélité à la ligne droite, ligne abstraite qu'il n'a jamais quittée, qui devant lui semble aplanir tous les obstacles qu'en réalité elle ignore, qui a stérilisé la terre partout où il est passé. Car en dépit de son blé et de son pétrole, malgré ses buildings et ses parcs verdoyants, l'Américain est un nomade et le restera toujours. Nomade parfois sédentaire, mais qui du nomadisme garde les tares essentielles en vivant et proliférant sans contact avec le réel. Non seulement déraciné, mais détaché de tout, de lui-même comme des autres, assujetti seulement à l'impératif barbare de la production et de la spéculation sans profit, chacun suit avec une ardeur automatique les Attila sans génie et sans grandeur, que de Monroe à Hoover, le sort lui a désignés. Malgré ses tracteurs et son crédit agricole, malgré ses engrais, son Farm Board là où passe l'Américain, l'herbe ne repousse jamais.
Sources : le cancer américain – R. Aron et A. Dandieu – Réédition l’Age d’Homme 2008.
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