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Lovecraft (1890-1937) s'impose comme le seul grand maître du Fantastique au XXème siècle. Méconnu de son vivant, encore peu lu aujourd'hui dans son pays malgré les efforts déployés par son ami, l'écrivain August Derleth, il connaît un juste mais ambigu succès en France.

Love­craft n'est pas seulement le prodigieux conteur d'abomina­tions fascinantes, le démiurge d'un peuple de dieux impies. Lovecraft est un écrivain politique, Un exemple rare de par­faite transposition artistique de profondes convictions politiques. Ecrivain politique volontairement ignoré par une cri­tique aveuglée par son sectarisme, essayant de faire de Lovecraft un auteur, phare d'une fumeuse contre-culture aux forts relents crypto-marxistes. Cette même chapelle qui rè­gne depuis trente ans en une dictature sans partage sur la « république » stalinienne de nos lettres, de moins en moins françaises, ne transforme-t-elle pas Jack London, écrivain de l'individualisme et du dépassement, en un écrivain égalitariste et proudhonien méconnaissant ou bien plutôt, feignant de méconnaître, une phrase comme celle-ci : « Quant aux peaux brunes, aux métis, aux sangs mêlés, depuis des mil­liers d'années de générations et des centaines de siècles, elles étaient uniquement créées, n'est-ce pas Seigneur ? Pour que nous leur marchions sur le visage, les contraignant à travailler pour nous. » (Jack London : Les mutins de l'Elseneur.)

Mais peut-on demander à certains critiques d'avoir lu les auteurs dont ils parlent et, odieux parasites, dont ils vivent ? Un mince mais salubre livre, « Lettres d'Arkham » — choix malheureusement trop partiel dans l'immense correspondance de Lovecraft, effectué par un excellent spé­cialiste du Fantastique, François Rivière, chez un éditeur d'une rare probité dans les domaines qu'il a choisi d'explo­rer, le fait est trop rare pour n'être pas cité — démystifie l'écrivain.

Le héros lovecraftien-type est un homme cultivé, sou­vent universitaire, dépositaire et héritier d'une culture élitique. L'auteur nie la démocratie, « fausse idole », « un mot passe-partout, une illusion des classes inférieures, des uto­pistes et des civilisations mourantes », exècre le nivellement culturel (1), « l'égalité est une plaisanterie, mais un prieuré couvert de mousse ou une cathédrale sont une poignante réalité. » Goût de l'élitisme en parfaite continuité avec les propos de son maître Edgar A. Poe : « Chez un peuple sans aristocratie le culte du beau ne peut que se corrompre, s'amoindrir et disparaître » (Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, Charles Baudelaire, p. 1032, édition de la Pléiade des œuvres en prose d'Edgar Poe). L'art de Lovecraft s'en­racine profondément dans le folklore de la Nouvelle An­gleterre, en ligne directe avec les vieux mythes indo-euro­péens. « II n'est pas d'autre endroit pour moi. Providence est mon univers. »

Seules les terres de tradition — la Nouvelle Angleterre : Lovecraft, Henry James ; le vieux Sud : Truman Capote — nourrissent le Fantastique américain.

Ce créateur d'une horde de dieux abominables, un des seuls exemples de création littéraire d'une « religion » ima­ginaire et cohérente, profane et impie, d'un mythe totale­ment original : le mythe de Cthulhu — aujourd'hui encore, prolongé par de nombreux fantastiques — était profondé­ment incroyant et irréligieux. Lovecraft ne vivait pas son œuvre fantastique comme les auteurs du genre au XIXème siècle, épris de sociétés secrètes, de cultes extravagants, de spiritualisme et autres pratiques mystico-scientifiques, com­me le furent Machen, Bram Stocker... et Victor Hugo ; il la rêvait et l'écrivait... par delà le mur du sommeil.

Son antisémitisme : « Pour que le Juif soit assimilé sans danger dans une société de type aryen, il faut qu'il consente à se dépouiller de son lourd héritage culturel et religieux pour revêtir l'homme nouveau », son culte de la force rayon­nante, lui faisaient haïr le christianisme — « Ces ignominieux Juifs responsables de la corruption spirituelle du pays, eux qui ont donné au monde ce fou crucifié alors qu'il ferait si bon hurler et rire à l'adresse de Thor et Odin. »

La philosophie lovecraftienne est le fruit de la curieuse synthèse des philosophes mécanistes antiques, du pessi­misme allemand, du matérialisme positiviste et de la philo­sophie nietzschéenne, conceptions en totale opposition avec l'œuvre. Œuvre exutoire de ses haines et non transcrip­tion directe de ses croyances (2).

Le credo politique et philosophique de Lovecraft s'ap­puie sur deux piliers : la supériorité de la race aryenne et le nécessaire enracinement de l'individu dans son passé et son terroir. Lovecraft se veut politiquement tory, czariste, Junker, patricien, fasciste, oligarchiste, nationaliste et militariste. Il rêve d'un nouvel empire, réunissant l'Amérique du Nord à l'Angleterre, union comblant son désir de pu­reté raciale et sa quête d'une légitimité des traditions mal­gré tout, encore jeunes de la Nouvelle Angleterre. Empire qui devrait bientôt conquérir l'univers. Empire mythique que les démocrates ne surent construire et dont l'ébauche, comme le confiait récemment George Wallace, se trompa d'ennemi, préférant écraser l'ordre nouveau plutôt que de combattre l'éternelle barbarie mongole. Opinion qui, soyons-en sûrs, aurait comblé Lovecraft. Peut-être par l'absence d'un nouvel Alexandre, l'esquisse de cet empire se dissout à Yalta.

Lovecraft prône le pansaxonisme : la domination des inférieurs de l'humanité par la race anglaise et les races parentes. Il condamne l'indépendance des Etats-Unis, ce qu'il appelle la sédition yankee. Il considère la Nouvelle Angleterre comme une province de sa Majesté. Les certi­tudes politiques de Lovecraft ne vont pas sans quelques contradictions et sans doute quelques déchirements ; admi­rateur de la force brutale germanique et pourtant nourri de culture hellénique. Mais la Grèce de Lovecraft est la Grèce de Sparte. Enfant, il élevait des autels en l'honneur des dieux latins, adulte, il veut rire à Odin et boire le sang chaud de ses ennemis dans leur veule crâne. Il se sent fils d'Odin, frère de Hangist et d'Hora.

Lovecraft connaîtra toujours une profonde contradic­tion entre ses convictions positivistes et d'un nihilisme dé­sespéré — « la vie est creuse et futile et nous allons à la dé­rive sur une mer dont nul n'a jamais su dresser la carte » — et sa passion sensuelle pour les dieux virils et solaires. La constance, dans les contes, d'hommes hurlant à la lune des mots à horrible phonétique, appel aux entités innombra­bles exhumées du temps et des ténèbres, n'est-elle pas l'exorcisme par son négatif d'un culte solaire que la raison de l'auteur condamne et que ses sens appellent. Opposition entre l'évidente sensualité de ses espérances politiques, de son rêve d'un monde peuplé de géants blonds aux yeux d'azur, et le héros lovecraftien, jamais décrit, mais suggéré comme un reflet de l'auteur, presque une caricature du por­trait convenu de l'intellectuel. A l'inverse de ses opinions politiques et philosophiques, Lovecraft n'a pas su trans­cender son puritanisme et c'est là l'évidente faiblesse de sa démarche intellectuelle, par ailleurs parfaitement cohérente. Il ne suivit pas le conseil de son ami Kleiner, qui souhaitait voir mêlés dans ses contes érotisme et fantastique. Love­craft se dresse contre l'érotisme parce que toute culture et toute race le considère avec répugnance, affirmation tota­lement erronée, surprenante de la part d'un homme aussi cultivé ; méconnaissait-il, entre autres, la civilisation de l'Inde et les fresques romaines de Pompéi ? Parce que l'acte sexuel est en relation étroite avec des phénomènes basse­ment organiques — là encore opposition entre le désir d'être un pur esprit oublieux de la chair, voué à la con­naissance, et son admiration pour les beaux corps musclés des Vikings. Parce qu'il y a un rapport patent entre la sexualité et la décadence des nations.

Misogyne, les fem­mes sont quasiment absentes de son œuvre. Les seules femmes que l'on y rencontre sont des sorcières ou des filles mères accouchant de monstres engendrés par la population avec des entités repoussantes (les hommes sauriens dans « Le cauchemar d'Innsmouth »). Chez le .monstre lovecraftien, l'anormal se situe souvent sous la ceinture : un enchevêtrement de tentacules — dégoût pour la forme même du sexe mâle ?

Les convictions de Lovecraft ont pour source son culte de l'esthétisme. Son racisme naît du dégoût qu'il éprouve pour la forme, l'aspect de l'homme brun, symbole de l'Orient — femme face à l'homme blond, symbole de l'Occident — mâle. Dans ses contes, les serviteurs des dieux impies sont toujours des Latins, des Sémites, des gens de couleur natu­rellement laids, cherchant à souiller le héros blanc (3). La pire des abominations est le fruit de la femme, la femme naît coupable, et d'une divinité immonde, condamnation sans appel du métissage. Par des propos d'une violence inouïe, Lovecraft sublime son racisme. « Ces choses orga­niques, ces italo-sémitico-mongoloïdes, ne peuvent quel­que soit l'effort d'imagination que l'on fasse, mériter le nom d'humains. Ce sont des composés monstrueux et nébu­leux du pithécanthrope et de l'amibe, vaguement pétris dans la boue visqueuse que produit la corruption de la terre » : description des bas quartiers de New York comme Chinatown, où vivent « ces chimpanzés graisseux », ces entités flasques, odorantes, grimaçantes qui lui soulèvent le cœur : « Ils me firent penser à des rangées de tonneaux cyclopéens et pestilentiels pleins jusqu'à en donner la nausée de pourritures gangreneuses. » Le noir est laid, Lovecraft ne peut en supporter la vue. Il l'exècre : « La seule chose qui rende la vie supportable où sont les noirs, c'est le principe de Jim Crow. Ecartons-les de notre vue ou massa­crons-les de telle sorte qu'un blanc puisse se promener dans ces rues sans être pris de nausée. »

Lovecraft admire le guerrier en sa force, l'armée en son ordre — non une armée de conscription issue du peuple mais une armée de chevaliers nés pour d'éternelles croisades : « Une armure gagnée à la croisade vaut bien mille ru­meurs de la racaille vociférante » ; la guerre, en sa com­munion virile. Il vomit les pacifistes : « La couardise déca­dente est responsable de la propagation des idéaux paci­fistes. La paix me semble bien être l'idéal d'une nation mou­rante, d'une race sur son déclin. »

La résonance politique de l'œuvre de Lovecraft est bien étrangère à notre monde où l'idée même d'élite est sus­pecte, où le meilleur est traqué, où le mot race est tabou.

Lovecraft, le plus grand auteur fantastique du XXème siècle, nous fait entendre parmi les mille « rumeurs de la racaille » une grande voix d'Occident.

 

Bernard ALAPETITE.

Notes :

(1) « Un homme de bon goût doit préférer être apprécié des gens évolués plutôt que du troupeau. Ce ne sont que des animaux grossiers tandis que tout ce qui est admirable dans l'homme est le produit artificiel d'une éducation spéciale. »

(2) II se dépasse par l'intermédiaire d'aspirations idéologiques assez proches de celles exprimées sur le mode satirique dans le roman de Norman Spéinrad, « Rêve de fer », ou, sur le mode sadi­que dans « Le bonheur nazi », de Michel Rachline.

(3) « Je plaide pour la préservation des conditions favorables à l'épanouissement des choses belles, les beaux édifices, la littérature raffinée, un art et une musique élaborés, et un type humain résultant d'une sélection physique, laquelle ne peut être obtenu que par une race absolument pur et saine. »

N. B. : Les citations entre guillemets non attribuées sont extraites de l'œuvre de Lovecraft.

Source : Défense de l’Occident/Septembre-Octobre 1977

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