V.Volkoff, L’enlèvement, 2000, éditions du Rocher. ISBN : 2 268 03774 6.


 
…ou chronique d’un kidnapping annoncé !

En 1999, Vladimir Volkoff faisait paraître L’enlèvement. Cette année là, les troupes de l’OTAN achevaient de bombarder la « Yougoslavie » afin de lui imposer le retrait de ses troupes au Kosovo, l’une de ses provinces.
Cinq ans après les accords de Dayton, des mandats d’arrêt internationaux étaient lancés contre les leaders Bosno-serbes dont Radovan Karadzic, et le général Ratko Mladic.
Volkoff, sans doute en raison de ses origines russe et orthodoxe avait pris activement fait et cause pour la Serbie, quand dans le camp nationaliste français, les avis étaient plus partagés. Il est vrai que l’Etat yougoslave était alors dirigé par le communiste S. Milosevic.
Volkoff règle ici ses comptes avec un Occident dont il s’éloignait de plus en plus nettement et flétrissait au passage l’atlantisme de certains des nôtres.

En août 2008, l’ancien président des Bosno-serbes, Radovan Karadzic était arrêté et livré à l’OTAN.

Dans ce roman, Volkoff conte la traque d’un chef de guerre balkanique orthodoxe, imaginaire, puisqu’il dirige la petite enclave du Monterosso, sorte de synthèse entre le Montenegro, qui résista toujours aux Turcs, et la Bosnie serbe, dirigée par R. Karadzic. Ce combattant élu par son peuple « Tchitcha » ou « Vieux », c’est-à-dire quelque chose comme « guide » de sa nation, est une synthèse des deux hommes traqués par le tribunal de La Haye. Vétérinaire et poète, il rappelle Karadzic, actif chef de guerre, il fait immanquablement penser à Mladic.

Ce sont bien évidemment les Américains qui sont les commanditaires de la traque. Le Président n’est pas Bill Clinton que Volkoff prend le soin de nommer à côté afin d’éviter toute confusion, cependant : « ce fut étrange d’entendre cette voix châtrée et ce ton plaintif sortir de cette montagne de jeune chair blonde régulièrement arrosée de bière blonde depuis quelques lustres. » ; « il avait dans sa prime jeunesse inconsidérément donné des gages aux mouvements contestataires, gauchistes, pacifistes, anarchistes, écologistes de tout poil », …la ressemblance est frappante. Il est flanqué d’une femme autoritaire, qui ne le cède en rien à Hillary : « Sally, une grande bringue osseuse en pantsuit aubergine (…). Vous savez ce qui est arrivé l’autre jour ? Nous étions en balade dans notre Oklahoma natal et je m’arrête pour prendre de l’essence. Sally descend et commence à tailler une bavette avec un pompiste crasseux. Quand on repart, je lui demande – Qui c’est ce minable ? – Un gars avec qui je sortais. – Eh bien tu dois être contente de ne pas être mariée avec lui. Et vous savez ce qu’elle me répond – Pourquoi ? Si je l’avais épousé, c’est lui qui serait président des Etats-Unis. »
Notre « Bob » - qui n’est pas Bill, répétons le – est conseillé par une réplique de Zbigniew Brezinski, l’éminence grise de Carter, et dit-on d’Obama : « David Abramson Wallingham, (…) fruit d’un croisement, paradoxal mais fécond, entre l’aristocratie sudiste et la banque juive, (…) se voyait assez dans le rôle de dispensateur de conseils à l’homme le plus puissant du monde. »

C’est donc dans cette atmosphère de roman d’espionnage que se tient l’action. Mais si, à la manière d’un auteur de polar, Volkoff vise le réalisme, il imprime à tout son roman une dimension morale.
Le camp des Tchetniks serbes est évidemment à nos yeux le dernier carré de la résistance européenne : « la slava, fête tribale, fraternité d’une famille réunie autour de son chef dépositaire à la fois de la tradition et de la survie » ; « les belles nappes amidonnées, brodées à jours, au point de croix, de rouge, de blanc et de noir » ; « Les Monterossiens étaient des gens dangereux et, sobres ou allumés, ils ne prenaient pas le risque d’offenser un autre Monterossien pour rien. Vladimir Knezevitch [leur chef] allait de table en table, participait aux conversations, plaisantait avec tous dans une familiarité qui demeurait distante, malgré l’adoration que lui portait ses gens à qui il avait rendu l’espérance et donné l’unité ».

Et c’est sciemment que Volkoff fait réaliser l’enlèvement par une équipe française, dirigée par 2K, un jeune officier, petit noble breton pétri de l’esprit de service : son livre préféré est le Parfaict Capitaine, publié en 1638. « Il retombe naturellement sur son passage préféré, celui qu’il sait presque par cœur et autour duquel il a sciemment organisé sa vie : la perfection consiste en ce que chaque partie garde le rang qu’elle y doit tenir et accomplit les fonctions qu’elle y doit faire. En effet quand les hommes s’attachent invariablement à leur devoir et s’efforcent de remplir les obligations sous lesquelles ils viennent ou prennent place dans le monde, il n’y a point d’harmonie si excellente en la nature. »
Encadré par une hiérarchie froide et désincarnée, plus soldat que guerrier, notre héros tentera de réaliser sa mission, mais il en entreverra ses limites morales, et percevra brièvement qu’il sert le mauvais camp : « 2K s’était toujours étonné que des soldats pussent avoir des « états d’âme », comme il disait : or, voilà que cela lui arrivait à lui, et il s’en défendait sans y mettre autant d’énergie qu’il l’eût voulu ».
Depuis 1999, de Chirac en Sarkozy, notre armée étant de plus en plus soumise au Nouvel Ordre Mondial voulu par les néo-conservateurs, de l’intervention en Afghanistan à l’intégration à l’OTAN, il apparaît que ces réflexions sont plus que jamais d’actualité. N’oublions pas que les maîtres du monde, sont, pour la défense de la Géorgie ou la conquête de l’Iran, prêts à se battre jusqu’au dernier soldat européen…cela se serait déjà vu.

Un autre mérite du roman de Volkoff est de montrer l’emprise de l’islam dans les Balkans, ainsi que l’hypocrisie occidentale dans la dénonciation à sens unique des crimes de guerre. Le chapitre VI 2 intitulé Les prisonniers de Zlatitsa ne cèle rien des tortures et viols pratiqués dans les camps musulmans. Et Volkoff de préciser : « Toutes les pratiques racontées ici étaient celles des gardiens du camp croato-musulman de Celebici à l’égard de leurs prisonniers serbes. »

Enfin, l’arrestation du « Tchitcha » nous offre des pages qu’on croirait avoir été rédigées au mois d’aôut 2008 : « Le lendemain, les media se déchaînèrent. Commentateurs de la télévision et de la radio, éditorialistes et penseurs rivalisèrent de qualificatifs, sans vraiment rien trouver d’original : le bourreau du Monterosso, le boucher des Balkans, le plus odieux tortionnaire du XX°siècle avait été déféré au Tribunal international des droits de l’Homme. Youpi ! On pouvait être assuré que justice serait faite. (…) De toute façon, la capture de Knezevitch était une belle aubaine pour étouffer l’odieuse tentative de propagande monterossienne à propos de pseudo-atrocités musulmanes, qui avait commencé à intéresser certains. »
Encore une fois, ici, la réalité rejoint la fiction puisque on apprenait en date du 3 juillet 2008 que le verdict pour crimes de guerre prononcé contre l'ancien commandant des forces armées bosniaques (musulmanes) à Srebrenica, Naser Orić, avait été cassé par le Tribunal pénal international sur l'ex-Yougoslavie (cf. http://balkans.courriers.info/article10836.html).

Quant au sort réservé au condamné, Volkoff laisse entendre que le verdict est connu à l’avance ; et oppose l’héroïsme tranquille du « Tchitcha » à l’agitation procédurière du tribunal international : « Depuis qu’il avait repris conscience dans l’hélicoptère, Vladimir Knezevitch n’avait pas prononcé un mot. Sur le navire de guerre, il ne prononça pas un mot. Dans l’avion, il ne prononça pas un mot, et lorsque, au petit matin – les influences internationales (c'est-à-dire américaines) ayant joué, (…) il eut fait son entrée dans les locaux du TDH à Helsinki, il n’avait toujours pas prononcé un seul mot depuis sa capture. »

Le pire étant toujours certain, Volkoff n’avait pas imaginé qu’un chantage encore plus odieux pouvait avoir été imposé au prisonnier, pour obtenir de lui une collaboration visant à arrêter les autres suspects recherchés par le tribunal.
(cf. http://www.axisglobe.com/article.asp?article=1615)

Relire aujourd’hui ce roman de V.Volkoff, c’est profiter de la prose d’un grand écrivain, vibrer à une histoire remarquablement construite, mais on l’aura compris, c’est prendre vis-à-vis de la question balkanique une distance critique qui peut manquer à certains.
En ces temps où les bruits de bottes aux portes de l’Europe, deviennent assourdissants, une saine réflexion sur l’engagement n’est pas un luxe.

Robert DRAGAN
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