Jacqueline Blancart-Cassou est l'auteur de nombreuses biographies (Anouilh, Feydeau, Courteline, Sacha Guitry, Tchekhov, Edmond Rostand, etc...) parues chez Pardès dans la collection Qui suis-je ? Elle nous propose un portrait tout à fait passionnant, parfois inattendu, de Marcel Pagnol qui, en plus de son talent d'écrivain et de cinéaste, fut aussi un... inventeur, une sorte de professeur Tournesol !
La jeunesse provençale
« Je suis né dans la ville d'Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers », dit-il dans « La Gloire de mon père ». Ses ancêtres étaient armuriers, plus tard artificiers, puis cartonniers et tailleurs de pierres et enfin enseignants, comme le père de Marcel, instituteur à Aubagne. Il vient au monde le 28 février 1895. Son enfance est heureuse. Sa famille s'installe dans une villa située dans les collines proches de Marseille. « Alors commença la féerie », raconte-t-il. Derrière la maison, c'est la garrigue avec ses plantes infiniment variées et odorantes, et tant d'insectes, surtout des cigales, et tant d'oiseaux, et toute une faune sauvage, le gibier que poursuivent chasseurs et braconniers. Il sera admis à entrer en sixième au lycée de Marseille. Il y est demi-pensionnaire et découvre les externes, une espèce étrangère: trop bien équipés, trop bien habillés, trop bien nourris. Ils évitent même de dire des gros mots; bref, des gens sans intérêt ! Il découvre que l'indiscipline, voire l'insolence, sont des qualités admirables ! Une réputation « de combattant redoutable et de redresseur de tort » est infiniment préférable, n'est-ce pas, à celle de bon élève. Ses résultats scolaires sont de plus en plus médiocres. Il préfère évidemment le sport, notamment le football, aux études. Mais c'est au cours de l'année scolaire 1907/1908 qu'il va découvrir sa vocation poétique. Il livre son premier essai: « Je suis un petit grillon/Noir, paisible et solitaire ». Il va redoubler sa quatrième et redevenir un bon élève. Hasard curieux, il va y renconter Albert Cohen, promis à la gloire littéraire, auquel le liera une amitié de cinquante ans. Pagnol va entreprendre, sur un cahier d'écolier, la rédaction d'un recueil de poèmes, Le Livre de la nature. Le jeune garçon (il a 14 ans) projette même de fonder une petite revue, La Bohème. Marcel obtiendra le baccalauréat au début de l'été 1913, avec mention assez bien. Il souhaite devenir professeur, non par vocation pédagogique, mais parce qu'il compte sur les congés scolaires pour continuer à écrire. Il entreprend d'écrire un drame en vers, au sujet du poète latin Catulle et de ses amours avec la courtisane Lesbie. Lui-même est amoureux de la jolie brune aux yeux verts qui s'appelle Simonne (sic) Collin. Elle tient aux deux « n » de Simonne ! Le père de Marcel n'est pas content du tout. Pensez, Marcel a « détourné du droit chemin une jeune fille pure et innocente ! » Mais, peine perdue, il est trop amoureux pour lui obéir; il emprunte assez d'argent pour acheter une bague de fiançailles, et attend d'être majeur pour se passer du consentement paternel. Mais la guerre est là. Il sera mobilisé le 17 décembre 1914 mais ne tardera pas à être renvoyé chez lui pour « faiblesse de constitution ». Il a vingt ans. Il lui faut gagner sa vie. Il enseignera le latin et l'histoire, et épouse Simonne. Il étonne ses collègues avec ses tenues peu conformistes: il arrive tête nue, sans gants, parfois même chaussé d'espadrilles et évite de se montrer en ville. Au lendemain de l'armistice, quand il se joint à la foule qui fête la victoire, une femme en deuil vient le gifler... Il achève son drame qui ne s'appellera pas Lesbie, mais Catulle, en vers, à la manière d'Edmond Rostand. Les auditeurs sont impressionnés. La pièce est jugée digne de l'Académie française ! Il publie aussi dans la revue Fortunio, qu’ il a contribué à créer, des contes et des feuilletons fantaisistes, au fur et à mesure des besoins.
A nous deux, Paris !
Il déclare: « On ne réussit qu'à Pari » grâce à certaines « radiations telluriques » venues du centre de la planète qui percent en ce lieu la croûte terrestre: une thèse fumeuse qu'il semble prendre au sérieux. Il écrit une pièce, Les Marchands de gloire, jugée excellente, mais sans doute est-il trop tôt (nous sommes en 1924) pour que le grand public accepte de voir l'envers du décor patriotique. Puis vient Jazz (1926), qui rencontre un franc succès. Il habite au rez-de-chaussée du 122 boulevard Murat. Malraux, qu'il ne connait pas habite au premier étage. L'appartement de Pagnol est très petit et encombré d'outillage de bricoleur, car il poursuit des recherches sur une machine capable d'engendrer un mouvement perpétuel ! Notons que le mouvement perpétuel est une impossibilité selon les lois de la physique et selon le premier principe de thermodynamique, et que Galilée le savait déjà, quatre siècles plus tôt ! Pagnol se met à l'écriture d'une pièce qui rencontrera un succès fou: Topaze. La première représentation, le 9 octobre 1928, est un vrai triomphe qui rappelle celui de Cyrano de Bergerac, trente ans plus tôt. La pièce sera traduite dans toutes les langues. C'est après quatre ans de vie parisienne que Pagnol redécouvre Marseille. Il dira: « Je ne savais pas que j'aimais Marseille ». Souvent, il revoit en rêve le Vieux-Port, ses pêcheurs et ses poissonnières, croit encore sentir les odeurs de la ville. L'idée lui est donc venue de situer là une pièce. Ce sera Marius. Pour la représentation, il exige que l'on n'engageât que des méridionaux qui ont l'accent, notamment Raimu, qui a très mauvais caractère. Pagnol choisit Pierre Fresnay pour incarner Marius, ce qui rend Raimu furieux. Quoi ?, « un Alzatien », de plus « protestant » ! Mais l'accueil réservé à l'œuvre et à ses interprètes, notamment Raimu, par la critique et le public, vaut bien celui qu'a obtenu Topaze. Pagnol va acquérir un grand domaine dans le village d'Ignères. Il y dispose d'un vrai atelier où il met au point une voiture automobile à trois roues, trois places, trois chevaux, dont il est très fier et qu'il appelle « la topazette ». Il prépare aussi une nouvelle invention, qu'il fera breveter: un frein de secours pour automobile, sous la forme d'un pied énorme qui sortira sous la voiture en la soulevant en l'air ! Les pièces se suivent: Fanny sera, en 1932 un grand succès.
Pagnol et le cinéma
Pagnol va se passionner pour le cinéma parlant qui en est à ses débuts. Le film Marius va être un immense succès, en France et dans tous les pays francophones. Il va créer sa propre société, Les Films Marcel Pagnol. Il est promu, le 14 juillet 1932, chevalier de la Légion d'honneur. Fanny sera aussi un grand succès. On copie le film à l'étranger, on tourne des Fanny en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Egypte. Marcel Pagnol va aussi fonder une revue, Les Cahiers du film, destinés à promouvoir ses idées sur le cinéma. Il a gagné suffisamment d'argent pour investir de toutes parts. Il achète un grand domaine dans les collines de La Treille, des bureaux à Paris, un local à Marseille pour y installer les studios et laboratoires, et même une salle de cinéma à Marseille. Les studios Marcel Pagnol seront inaugurés officiellement à Marseille, en mai 1938.
L'Occupation
Durant l'Occupation, Pagnol poursuivra son œuvre, avec quelques aléas. La Fille du puisatier traite de la naissance d'un enfant illégitime; n'est-ce pas une incitation à la débauche ? Pagnol procédera à quelques menues corrections, et le film pourra être projeté. Ce sera un grand succès, mais la réaction du public au discours du Maréchal, qui figure dans le film, déplaît fort aux occupants. Voici qu'au lieu d'applaudir, on revit la défaite, on partage l'accablement des personnages. La Kommandatur finira par interdire ce spectacle démoralisant, ce qui ne sera pas le cas de ses autres films. Pagnol fera toujours preuve d'une grande prudence dans ses contacts avec l'occupant. Alfred Greven, le chef de la propagande nazie, lui dit toute son admiration et l'engage à venir à Paris pour y diriger des studios plus importants, qui étaient jusque-là « aux mains des juifs », lesquels « sont partis ». La Continental films, installée à Paris, qui produit les principaux films tournés à cette époque, engageant les meilleurs metteurs en scène et les acteurs les plus talentueux, lui fait des avances. Marcel Pagnol trouvera toujours des prétextes, variés et fantaisistes, pour éviter cette compromission. ll va renoncer tout à fait à son activité cinématographique, sous prétexte d'un prétendu accident aux yeux et se met à cultiver des œillets. Se lassant de ce passe-temps, il se met à bricoler, à herboriser, ou encre à chercher, baguette de sourcier en main, de l'eau pour irriguer son terrain, et écrit des essais sur des sujets variés tels la tuberculose ou les moulins ! Mais il va se retrouver compromis malgré lui. Les films de propagande vichyssoise sont tournés dans ses studios et portent le label: « Studios Marcel Pagnol ». Il a aussi accepté un poste de responsable du « Comité d'organisation de l'industrie cinématographique ». Ce sera suffisant pour que le magazine américain Life le cite parmi ceux des collaborateurs à fusiller après la guerre ! Pagnol sera cependant mis hors de cause, et sera même élu à la présidence de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) où il se battra avec succès pour faire reconnaître les droits des auteurs de cinéma, scénaristes et adaptateurs.
L'Académie française
Marcel Pagnol sera élu à l'Académie française, le 4 avril 1946. Son discours de réception ne déçoit pas: l'humour y règne, avec « ce mélange de cocasse et d'émouvant qu'il affectionne ». Retour au cinéma. Il vient de découvrir un acteur auquel d'emblée il a reconnu « du génie ». Il s'agit de Bourvil. Il va aussi réaliser une troisième version de Topaze avec Fernandel qui est d'autant plus heureux qu'il voit en Bourvil un rival. Le film Manon des sources, l'avant-dernier du cinéaste et le plus important de cette ultime période de sa carrière, verra le jour en 1952. André Bazin écrira: « Avec Manon des sources, Pagnol donne à la Provence son épopée universelle. Il y a, dans ce conte magnifique, la grandeur antique de la Méditerranée, quelque chose à la fois de biblique et d'homérique ». Dans les années qui suivent, Pagnol va se livrer à des occupations variées. Ne cherche-t-il pas de l'uranium dans les collines, à l'aide d'un compteur Geiger ? Et puis, ce conteur exceptionnel livrera ses souvenirs d'enfance dans deux livres magnifiques: La Gloire de mon père, et Le Château de ma mère. Le succès est immédiat. En un mois, on en vend cinquante mille. C'est la gloire. L'Université reconnaît la valeur de son œuvre. Il est fêté de toute part. Il n'a pas cependant cessé de consacrer des écrits à des sujets très divers. Dans Perfidie des gouvernements, il s'en prend aux grands trusts, au nom d'une France traditionnelle, celle des petits artisans et commerçants. Les époux Pagnol mènent une vie paisible, loin des mondanités, aux côtés de Coco le mainate, la chatte Iris et le matou Noiraud. Vers la fin de sa vie, Pagnol se tournera vers les mathématiques, dans l'espoir d'arriver à démontrer le théorème de Fermat. Il prétendra à tort y être parvenu. Ce théorème, après avoir été l'objet de fiévreuses recherches pendant près de 350 ans, n'aboutissant qu'à des résultats partiels, sera finalement démontré en 1994 par le mathématicien Andrew Wiles, au bout de huit ans de recherches intenses, dont sept dans le secret le plus total. Pagnol tentera aussi de résoudre l'énigme du Masque de fer, ce fameux prisonnier masqué qui, sous Louis XIV, avait été détenu, durant trente-quatre ans dans plusieurs forteresses royales, où on l'entourait d'égards exceptionnels, dans l'isolement le plus total. Ses amis lui reprochent d'abandonner la création littéraire, gaspillant son temps pour faire resurgir une énigme dont « on s'en fout », lui dira son ami Marcel Achard.
La fin
La fin est cependant proche. « Autour de moi, c'est un vrai cimetière », dira-t-il. Il pense à sa mort. On le voit changer, physiquement et moralement. Il est très amaigri; il devient irritable. Il s'affaiblit de plus en plus, mais tente de le cacher: apprenant que le président Pompidou est à l'agonie, il prétend vouloir faire rajuster son habit d'académicien pour se rendre aux obsèques. Pagnol s'éteindra le jeudi 18 avril à 9h 20. Ses derniers mots seront pour sa femme: « Jacqueline, on ne peut pas toujours tout réussir ». En fait, conclut l'auteur, Jacqueline Blancart-Cassou, « il aura presque tout réussi ».
Robert Spieler
Marcel Pagnol de Jacqueline Blancart-Cassou, chez Pardès, collection « Qui suis-je? », 128 pages, 12 euros. A commander sur Akribeia.