Pour réduire son impôt, le site américain a mis en place un montage d'optimisation fiscale -jamais révélé jusqu'à présent- utilisant plusieurs paradis fiscaux comme les îles Caïmans et l'Etat américain du Delaware.
Vendredi 28 septembre, Netflix a annoncé en grande pompe l'ouverture prochaine d'un bureau à Paris qui emploiera une vingtaine de personnes. Mais derrière cette opération de communication, la réalité restera la même: Netflix continuera à payer peu d'impôts en France.
En effet, le service de vidéos à la demande a mis en place un montage d'optimisation fiscale qui lui permet de réduire son impôt grâce à plusieurs paradis fiscaux comme les îles Caïmans et l'Etat américain du Delaware.
Explication: lorsque vous vous abonnez à Netflix, vous signez un contrat avec Netflix International BV, une société immatriculée aux Pays-Bas qui chapeaute toute l'activité hors des Etats-Unis. Dès lors, le chiffre d'affaires réalisé en France est déclaré non pas au fisc français, mais au fisc néerlandais.
Or ce chiffre d'affaires commence à être conséquent. En effet, selon Libération, le californien compte 3,5 millions de clients dans l'Hexagone. Et selon Parks Associates, le prix moyen payé correspond à l'abonnement à 10,99 euros TTC. En enlevant la TVA à 20%, on aboutit à 385 millions d'euros de chiffre d'affaires. Si l'on part de la facture moyenne des clients de Netflix hors des Etats-Unis (7,46 euros en 2017), on aboutit alors à un chiffre d'affaires réalisé en France de 315 millions d'euros.
La France bientôt rentable
Netflix assure que ses activités françaises restent déficitaires en 2017 comme 2018, et donc qu'elles n'auraient de toutes façons pas à payer d'impôt sur les bénéfices.
Toutefois, la rentabilité semble proche. Lors de son arrivée, le géant californien promettait d'être rentable lorsqu'il dépasserait 10% des foyers, soit trois millions d'abonnés, ce qui est donc aujourd'hui le cas.
Et globalement, toutes les activités hors Etats-Unis sont devenues rentables en 2017. Au premier semestre 2018, elles ont même dégagé une marge de 15%, indiquent les comptes. Toutefois, Netflix souligne que cette marge ne tient pas compte des certaines dépenses opérationnelles.
Simple revendeur
Comme on l'a vu, Netflix déclare aux Pays-Bas son chiffre d'affaires réalisé en France. Mais le groupe californien ne paye guère plus d'impôts sur les bénéfices au fisc batave. Ainsi, en 2017, Netflix International BV a réalisé un chiffre d'affaires de 3,8 milliards d'euros, mais enregistré une charge d'impôt de seulement 71 millions d'euros. Pire: les deux tiers de cette charge d'impôt correspondent à un impôt prélevé à la source par le fisc brésilien (car Netflix International BV détient -entre autres- la filiale brésilienne).
De toutes façons, Netflix International BV ne dégage pas beaucoup de profits. En 2017, sa marge avant impôts s'est élevée à seulement 3%. L'explication est apparemment que cette filiale est uniquement un "revendeur/distributeur" du service, indiquent ses comptes (disponibles ci-dessous). Dès lors, sa marge est forcément peu élevée. Toutefois, Netflix souligne que la filiale néerlandaise achète le service à un prix de marché (arm's length), et que ce prix respecte les normes de l'OCDE sur les prix de transfert.
Encore trop d'impôt
Mais Netflix considère apparemment que sa facture fiscale est encore trop élevée, et utilise un autre paradis fiscal, les îles Caïmans. Précisément, la société qui chapeaute toutes les activités internationales, Netflix Global Holdings CV, est immatriculée aux Pays-Bas, mais est fiscalement résidente aux îles Caïmans, selon un acte déposé au greffe néerlandais (disponible ci-dessous). Jusqu'à fin 2016, cette filiale caïmanienne détenait 100% de Netflix International BV, la société qui facture les clients français, indiquent les comptes (disponibles ci-dessous). A partir de début 2017, cette filiale caïmanienne détient une holding néerlandaise intermédiaire qui elle-même détient Netflix International BV.
C'est probablement dans cette filiale caïmanienne que s'entassaient tous les bénéfices générés par Netflix à l'international. A fin 2017, la trésorerie stockée hors des Etats-Unis s'élevait ainsi à 611,3 millions de dollars, indiquent les comptes du groupe.
Enfin, et non des moindres, Netflix Inc., bien que ses bureaux soient en Californie, a enregistré son siège au Delaware, le paradis fiscal interne des Etats-Unis.
Netflix remercie Donald Trump
Mais l'élection de Donald Trump a changé la donne. Avant son arrivée au pouvoir, les profits générés hors des Etats-Unis étaient taxés à 35% s'ils étaient rapatriés. Les multinationales américaines préféraient donc stocker cet argent off shore pour éviter cet impôt. Mais le nouveau président américain a autorisé le rapatriement de ce cash en payant peu d'impôts. Et Netflix a d'ores et déjà décidé de profiter de cette aubaine. Dans ses comptes, il indique qu'il va rapatrier ainsi 484,9 millions de dollars de bénéfices stockés hors des Etats-Unis, en payant dessus seulement 32 millions de dollars d'impôts, soit un taux de seulement 6,6%...
Stocker son cash off shore devient donc désormais inutile, et Netflix a mis en place début 2018 encore un autre montage fiscal. Dans ce nouveau montage, Netflix Global Holdings CV n'est plus résident fiscal aux îles CaÏmans depuis mars 2018, mais désormais résident fiscal en Californie, assure Netflix.
Ce que Netflix paye en France
Netflix, à défaut de payer en France un impôt sur les bénéfices, paye toutefois deux taxes dans l'Hexagone. D'abord, la TVA à 20%.
Ensuite, la taxe sur la vidéo à 2% du chiffre d'affaires, qui est reversée au CNC (Centre national du cinéma). En effet, la France a fait voter en 2012 une extension de cette taxe aux services étrangers ciblant les internautes français. Cette extension a été autorisée en 2017 par Bruxelles, ainsi qu'un dispositif similaire en Allemagne. Mauvais perdant, Netflix a contesté cette taxe devant la cour de justice européenne, mais a été débouté en mai 2018. Dans son budget 2018, le CNC estime que cette extension aux services étrangers rapportera 1,9 million d'euros, ce qui correspond à un chiffre d'affaires de 95 millions d'euros.
Bien sûr, Netflix achète aussi des films et des séries françaises, et commande ses propres séries françaises, ce qui représente plusieurs centaines de millions d'euros d'investissements, selon ses propres estimations.
Et demain, lorsque Netflix ouvrira sa filiale française, elle commencera à payer un impôt sur les bénéfices. Toutefois, cette filiale aura une activité limitée au marketing et au développement de séries, mais aucune activité commerciale. Les abonnés français paieront toujours leur abonnement aux Pays-Bas...
Enfin, lorsque la nouvelle directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) sera transposée -soit en 2020 au plus tôt-, de nouvelles obligations pèseront sur Netflix. Cette directive impose à ce que le catalogue des plates-formes contienne au moins 30% d'oeuvres européennes. Surtout, la France pourra alors obliger les services établis à l'étranger mais visant le marché français à investir dans les programmes européens. Netflix devra alors respecter le décret Smad de 2010, qui impose aux services de vidéo à la demande d'investir 15% de leur chiffre d'affaires dans les films et fictions européennes (dont 12% dans les films et fictions françaises).
Interrogé, Netflix n'a pas souhaité faire de commentaire officiel.
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Source : bfmtv.com