Au début du Ve siècle, avant J.C., au moment où va s'ouvrir la plus belle période de la civilisation hellénique, les cités grecques eurent à faire face à une formidable attaque de l'empire perse. A cette lutte, on a donné le nom de guerres médiques (le Grand roi était roi des Mèdes et des Perses). La première guerre médique (490)Le conflit eut pour cause l’ambition des rois de Perse qui, au milieu du VIe siècle, avant J.C., s'emparèrent du royaume de Lydie et des villes ioniennes d'Asie Mineure et pénétrèrent en Europe, jusqu'en Thrace.Soulevés contre la Perse en 498, les Ioniens appelèrent à leur secours les Grecs d'Europe ; Athènes et Erétrie répondirent à cet appel et les aidèrent à s'emparer de Sardes. Après le châtiment de l’Ionie, Darius entreprit la première guerre médique contre la Grèce. Il fut vaincu à Marathon par l'armée athénienne que commandait Miltiade. La deuxième guerre médique (480-479).Xerxès, pour venger la défaite de son père, réunit une armée et une flotte formidables. Athènes, consciente du péril, se prépara, sous la direction de Thémistocle, par la construction de 200 navires de guerre (trières). En 480, Xerxès traversa l'Hellespont, écrasa au défilé des Thermopyles une armée spartiate qui cherchait à l'arrêter, et envahit la Grèce, mais sa flotte fut vaincue à Salamine, par une tactique audacieuse de Thémistocle. En 479, l'armée perse fut définitivement battue à Platées, en Béotie, et la flotte détruite à Mycale, sur les côtes d’Asie Mineure. La Grèce et l’Europe étaient sauvées. Athènes qui courageusement avait pris la tête de la résistance, avait désormais le premier rang en Grèce. La prise et l'incendie de Sardes (498). Les grecs d’Asie ou Ioniens s'étaient révoltés contre leur souverain, le roi de Perse. Aristagoras, tyran de Milet, vint demander aux grecs d’Europe de les aider. Le roi de Sparte, Cléomène, refusa. Athènes et Erétrie acceptèrent et envoyèrent des vaisseaux et des soldats. Grâce à ces renforts, les rebelles prirent et incendièrent Sardes (498). Ce fut cette intervention qui décida le roi de Perse à entreprendre la conquête de la Grèce. Comme les Grecs ne trouvèrent point de résistance, ils prirent cette place (Sardes)excepté la citadelle qu’Artapherne défendait avec une garnison nombreuse. Un accident garantit cette ville, du pillage. La plupart des maisons étaient de cannes et de roseaux et toutes celles qui étaient en briques étaient couvertes de roseaux. Un soldat ayant mis le feu à une de ces maisons, l'incendie se communiqua de proche en proche, et la ville fut réduite en cendres. Pendant qu'elle était en proie aux flammes, les Lydiens et tout ce qu'il y avaitde Perses à Sardes (1), se voyant pris de tous côtés, et ne trouvant point d'issue pour s’échapper, parce que le feu avait déjà gagné les extrémités de la ville, se rendirent en foule sur la place, et sur les bords du Pactole, qui la traverse par le milieu... Les Perses et les Lydiens, entassés, dans la place et sur les bords de cette rivière, furent forcés de se défendre. Les Ioniens, voyant les uns se mettre en défense et les autres marcher à eux en grand nombre, furent effrayés, et se retirèrent sur le mont Tholus d'où ils partirent la nuit pour se rendre à leurs vaisseaux. Le temple de Cybèle, déesse du pays, fut consumé avec la ville; et cet incendie servit dans la suite de prétexte aux Perses pour mettre le feu aux temples de la Grèce. Sur la nouvelle de cette invasion, les Perses qui habitaient en deçà de Mine l'Halys s'assemblèrent et accoururent au secours des Lydiens. Ils ne trouvèrent plus les Ioniens à Sardes; mais, les ayant suivis sur leurs traces, ils les atteignirent à Ephèse. Les Ioniens firent volte-face, livrèrent combat et furent battus. Il y en eut beaucoup de tués... Les Athéniens abandonnèrent après cela totalement les Ioniens, et ne voulurent plus leur donner de secours, malgré les prières que leur fit Aristagoras par ses députés. Quoique privés de l'alliance des Athéniens, les Ioniens ne s'en disposèrent pas moins à continuer la guerre contre Darius, la conduite qu'ils avaient tenue avec ce prince ne leur laissant point d'autre ressource. On annonça à Darius que Sardes avait été prise et brûlée par les Athéniens et les Ioniens; qu’Aristagoras de Milet était le chef de la ligue formée contre lui. On raconte que, lorsqu'il apprit cette nouvelle, il ne tint aucun compte des Ioniens, sachant bien que leur révolte ne resterait pasimpunie; mais qu'il s'informa quel peuple c’était que les Athéniens, et que, sur ce qu’on le lui eut appris, il demanda son arc, et qu’y ayant mis une flèche, il la tira vers le ciel et en frappa l'air en s'écriant : « 0 Jupiter, puissé-je me venger des Athéniens ! » Il ordonna ensuite à un de ses officiers de lui répéter à trois reprises, toutes les fois qu'on lui servirait à dîner : Seigneur, souviens-toi des Athéniens.
HERODOTE. Histoire. Livre V (Terpsichore), 97-105. Traduction E. Pessonneaux.
Bataille de Marathon (490 av. J.-C.)
L’armée perse, appuyée par la flotte, avait débarqué dans la petite plaine de Marathon. L'armée athénienne ne comprenait que 9.000 hommes renforcés de 1.000 Platéens. Miltiade décida les stratèges athéniens à livrer la bataille. Chargé du commandement, il renforça les deux ailes de son armée pour envelopper les Perses et donna l'ordre de l'attaque. Un intervalle de huit stades (un kilomètre et demi) séparait les deux armées. Au premier signal, les Athéniens franchirent en courant cet espace. Les Perses, les voyant accourir, se disposèrent à les recevoir; mais remarquant que, malgré leur petit nombre et le défaut de cavalerie et de gens de trait, ils se pressaient dans leur marche, ils les prirent pour des insensés qui couraient à une mort certaine... La bataille de Marathon dura longtemps. Les Barbares furent vainqueurs au centre; les Perses et les Saces, qui s'y trouvaient, enfoncèrent les Athéniens et, profitant de leur avantage, ils poursuivirent les vaincus du côté des terres. Cependant, les Athéniens et les Platéens remportèrent la victoire aux deux ailes, mais, laissant fuir les Barbares, ils réunirent en un seul corps l'une et l'autre aile, attaquèrent les Perses et les Saces, qui avaient rompu le centre de leur armée, et les battirent. Les Perses ayant pris la fuite, les Athéniens les poursuivirent, tuant et taillant en pièces tous ceux qu'ils rencontrèrent, jusqu'à ce qu'étant arrivés sur les bords de la mer, ils s'emparèrent de quelques vaisseaux. Le polémarque, l’un des archontes, Callimaque fut tué à cette bataille, après avoir bravement combattu. Cynégire, fils d'Euphorion, ayant saisi un vaisseau par la partie élevée de la poupe, eut la main coupée d'un coup de hache, et fut tué, ainsi que beaucoup d'autres Athéniens de distinction. Ce fut ainsi que les Athéniens s'emparèrent de sept vaisseaux ennemis. Les Barbares se retirèrent avec le reste de leur flotte sans revirer de bord; ils doublèrent le promontoire, Sunion, dans le dessein de prévenir les Athéniens et d'arriver dans leur ville avant eux... Pendant que les Perses doublaient le promontoire, les Athéniens coururent à marche forcée au secours de leur ville, et prévinrent l'arrivée des Barbares... Les Perses jetèrent l'ancre au-dessus de Phalère, qui servait alors, de port aux Athéniens, et, après y être restés quelque temps, ils reprirent la route d'Asie.
HERODOTE. Histoire. Livre VI (Erato), 112-116. Traduction E. Pessonneaux.
Exil d'Aristide.
A la politique de Thémistocle qui pour résister aux Perses, voulait une flotte capable d'assurer à Athènes la maîtrise de la mer, s’opposait Aristide, chef du parti aristocratique qui réclamait avant tout le renforcement de l'armée de terre. Aristide, malgré son patriotisme et sa réputation d'honnêteté, fut banni par un vote d'ostracisme, et la politique de Thémistocle triompha. De toutes les vertus d'Aristide, celle que le peuple ressentait le mieux, c'était sa justice, parce que l’usage de cette vertu est plus habituel, et que les effets s’en répandent sur plus de monde. Il lui dut, lui, homme pauvre et sorti des rangs du peuple, le plus royal et le plus divin des surnoms, celui de Juste. Le jour qu’Aristide fut banni, un paysan grossier, et qui ne savait pas écrire, présenta, dit-on, sa coquille à Aristide, qu'il prit pour un homme du vulgaire, et le pria d'y écrire le nom d’Aristide. Celui-ci s'étonna : « Aristide t’a donc fait du tort ? demanda t’il au paysan. - En rien, répondit celui-ci, et je ne le connais même pas; mais je suis las de l’entendre partout appeler le Juste ». Sur cette réponse, Aristide écrivit le nom sans dire un seul mot, et lui remit la coquille. Quand il sortit de la ville, il leva les mains au ciel, et il fit, comme on peut croire, une prière tout opposée à celle d’Achille : « Que jamais Athènes, dit-il, ne se trouve dans des conjonctures qui forcent le peuple à se souvenir dAristide ! ».
PLUTARQUE. Vies des hommes illustres. Aristide. Traduction A. Pierron.
Le courage des Grecs.
En 480, Xerxès se préparait à attaquer la Grèce avec une armée de plusieurs centaines de mille hommes et douze cents navires de guerre. Il savait pouvoir compter sur l'appui ou la neutralité de plusieurs cités. En pénétrant en Europe, il demanda au lacédémonien Demarate qui l'accompagnait, si les Grecs oseraient résister. Démarate lui répondit. «La Grèce a toujours été élevée à l'école de la pauvreté : la vertu s'y joint, fille de la tempérance et des lois stables, et c'est elle qui nous donne des armes contre la pauvreté et la tyrannie. Je ne parlerai pas cependant de tous ces peuples, mais seulement des Lacédémoniens. J'ose, Seigneur, t'assurer premièrement qu'ils n'écouteront jamais tes propositions, parce qu'elles tendent à asservir la Grèce ; secondement, qu'ils iront à ta rencontre et qu'ils te présenteront la bataille, quand même tout le reste des Grecs prendrait ton parti. Quant à leur nombre, Seigneur, ne me demande pas combien ils sont pour pouvoir exécuter ces choses. Leur armée, ne fût-elle que de mille hommes, fût-elle de plus, ou même de moins, ils te combattront... « Dans un combat d'homme à homme, ils ne sont inférieurs à personne; mais réunis en corps, ils sont les plus braves de tous les hommes. En effet, quoique libres, ils ne le sont pas en tout. La loi est pour eux un maître absolu ; ils le redoutent beaucoup plus que tes sujets ne te craignent. Ils obéissent à ses ordres, et ses ordres, toujours les mêmes, leur défendent la fuite, quelque nombreuse que soit l'armée ennemie, et leur ordonne de tenir toujours ferme dans leur poste, et de vaincre ou de mourir ».
HERODOTE. Histoire. Livre VII. Polymnie, 102-104. Traduction E. Pessonneaux.
Bataille des Thermopyles.
Les Grecs, à l'Assemblée de Corinthe, avaient décidé de s'opposer à l'invasion perse. Les cités avaient envoyé, pour défendre le défilé des Thermopyles, une petite armée qui comprenait 300 lacédémoniens, sous le commandement de Léonidas. Protégés par un mur qui fermait le passage, les Spartiates avaient déjà repoussé plusieurs attaques, quand un traître indiqua aux Perses un sentier qui permettait à travers la montagne, de tourner le défilé. Le roi se trouvait très embarrassé dans les circonstances présentes, lorsque Ephialte, Malien de nation et fils d'Eurydème, vint le trouver dans l'espérance de recevoir de lui quelque grande récompense. Ce traître lui découvrit le sentier qui conduit par la montagne aux Thermopyles et fut cause par là de la perte des Grecs qui gardaient ce passage... Le devin Mégistias, ayant consulté les entrailles des victimes, apprit le premier aux Grecs qui gardaient le passage des Thermopyles qu'ils devaient périr le lendemain au lever de l'aurore.
Ensuite, des transfuges les avertirent du circuit que faisaient les Perses ; il faisait encore nuit lorsqu'ils reçurent cette nouvelle. Enfin, le jour parut, et les éclaireurs accoururent des hauteurs. Dans le conseil tenu à ce sujet, les sentiments furent partagés : les uns voulaient qu'on demeurât dans ce poste, et les autres étaient d'un avis contraire. On se sépara après cette délibération ; les uns partirent et se dispersèrent dans leurs villes respectives, les autres se préparèrent à rester avec Léonidas. On dit que Léonidas les renvoya de son propre mouvement, afin de ne pas les exposer à une mort certaine, jugeant qu'il n'était ni de son honneur ni de celui des Spartiates présents d'abandonner le poste qu'ils étaient venus garder... Les Barbares s'approchèrent avec Xerxès. Léonidas et les Grecs, marchant comme à une mort certaine, s'avancèrent beaucoup plus loin qu'ils n'avaient fait dans le commencement, et jusqu’à l’endroit le plus large du défilé; car jusqu'alors le mur leur avait tenu lieu de défense. Les jours précédents, ils n'avaient point passé l’endroit le plus étroit, et c'était là qu'ils avaient combattu. Mais ce jour là, le combat s'engagea dans un espace plus étendu, et il y périt un grand nombre de Barbares. Leurs officiers, postés derrière les rangs, le fouet à la main, poussaient les soldats en avant à force de coups. Il en tombait beaucoup dans la mer, où ils trouvaient la mort.; il en périssait un plus grand nombre sous les pieds de leurs propres troupes ; mais on n’y avait aucun égard. Les Grecs, s’attendant à une mort certaine de la part de ceux qui avaient tourné la montagne, déployaient la plus grande vigueur contre les Barbares, comme des gens désespérés et qui ne font aucun cas de la vie. Déjà la plupart avaient leurs piques brisées et ne se servaient contre les Perses que de leurs épées. Léonidas fut tué dans cette action après avoir fait des prodiges de valeur... Les Perses et les Lacédémoniens se repoussèrent alternativement ; mais enfin les Grecs mirent quatre fois en fuite les ennemis, et par leur valeur ils retirèrent de la mêlée le corps de ce prince. Cet avantage dura jusqu'à l'arrivée des troupes conduites par Ephialte. A cette nouvelle, la victoire changea de parti. Les Grecs regagnèrent l'endroit le plus étroit du défilé ; puis, ayant passé la muraille, et leurs rangs toujours serrés, ils se tinrent tous, excepté les Thébains, sur la colline qui est à l'entrée du passage. Ceux à qui il restait encore des épées s'en servirent pour leur défense ; les autres combattirent avec les mains nues et les dents; mais les Barbares, les attaquant les uns defront, après avoir renversé la muraille les autres de toutes parts, après les avoir environnés, les accablèrent de traits. Ils furent tous enterrés au même endroit, où ils avaient été tués, et l'on voit sur leur tombeau cette inscription, ainsi que sur le monument de ceux qui avaient péri avant que Léonidas eût renvoyé les alliés : « Quatre mille Péloponèsiens combattirent autrefois ici contre trois millions d’hommes. » Cette inscription est commune à tous, mais celle-ci est pour les Spartiates en particulier : « Passant, va dire aux Lacédémoniens que nous reposons ici pour avoir obéi à leurs lois ».
HERODOTE. Histoire. Livre VII (Polymnie). 213-228. Traduction E. Pessonneaux.
Thémistocle amène les Grecs à combattre à Salamine.
Au début de la deuxième guerre médique, après la défaite des Thermopyles et lecombat naval de l'Artémision, la Grèce était ouverte à l'invasion. Le Spartiate Euryblade et les Péloponésiens étaient d'avis d'attendre l'armée de Xerxès derrière les fortifications qui barraient l'isthme de Corinthe.
L’Athénien Thémistocle, au contraire, était convaincu qu'une victoire pouvait être obtenue sur mer dans les passes de Salamine où s'était réfugiée la flotte grecque. Il put faire prévaloir son opinion à force de fermeté et de ruse. Eurybiade, que la prépondérance de Sparte avait fait nommer chef suprême de la flotte, était un homme faible de coeur en face du danger : il voulait mettre à la voile et naviguer vers l'isthme de Corinthe où s'était rassemblée l'armée des Péloponésiens. Thémistocle s'y opposa... Eurybiade ayant levé son bâton, comme pour le frapper : « Frappe, lui dit Thémistocle, mais écoute ». Eurybiade émerveillé de ce calme, l'invita à parler... Quelqu'un se mit à dire : « Il ne sied pas à un homme, qui n'a plus de ville (les Athéniens avaient abandonné leur ville pour se réfugier à Salamine et sur les navires; les Perses avaient occupé Athènes), de conseiller à ceux qui en ont, de les abandonner. » Thémistocle, rétorquant le mot : « Misérable, dit-il, si nous avons abandonné nos maisons et nos murailles, c'est que nous n'avons pas voulu devenir, esclaves, par amour pour des choses inanimées. Mais il nous reste encore la plus grande des villes de la Grèce : ce sont ces deux-cents trirèmes qui sont ici pour vous secourir, si vous consentez à ce qu'elles vous sauvent. Au reste, si vous partez, si vous nous trahissez une seconde fois, bientôt on entendra dire dans la Grèce que les Athéniens possèdent à nouveau une ville libre et un pays non moins beau que celui qu'ils ont perdu ». Thémistocle rangea les Grecs à son avis et les décida à combattre sur mer ; mais, quand la flotte ennemie se montra sur les côtes de l'Attique, vers le port de Phalère, et qu'elle couvrit tous les rivages des environs; quand le roi lui-même en personne fut descendu vers la mer avec son armée de terre, et qu'il eût déployé aux yeux cette foule immense, alors les raisons de Thémistocle s'effacèrent de l'esprit des Grecs : les Péloponésiens tournaient leurs regards vers l'isthme; ils ne souffraient pas même qu'on proposât d'autre avis. Il fut donc résolu qu'on partirait la nuit même ; et l'ordre de partir fut donné aux pilotes. Thémistocle, qui voyait avec douleur que les Grecs, en se dispersant chacun dans leurs villes, allaient perdre tout l'avantage, que leur donnaient la nature du lieu et cet étroit passage, imagina, la ruse dont l’instrument fut Sicinus. Sicinus était un prisonnier de guerre, Perse de nation, mais ami de Thémistocle, et précepteur de ses enfants. Thémislocle le dépêcha secrètement au Perse, avec ordre de lui dire que Thémistocle, général des Athéniens, se dévouait aux intérêts du roi, et qu'il lui faisait donner le premier l'avis que les Grecs pensaient à prendre, la fuite ; qu'il lui conseillait de nepas les laisser échapper, mais de profiter, pour attaquer et détruire leurs forces navales, du désordre où les jetait l'absence de leurs troupes de terre. Cet avis combla de joie Xerxès, qui n'y vit qu'une preuve du dévouement de Thémistocle. Il fit porter aussitôt aux capitaines des navires l'ordre de détacher, tandis que le reste des troupes s'embarquerait à loisir, deux cents vaisseaux à l'instant même, pour aller se saisir de tous les passages et cerner les îles, afin que pas un des ennemis n’échappât. Aristide, fils de Lysimachus, s'aperçut le premier de ce mouvement. Il se rendit à la tente, de Thémistocle, dont il n'était pas l'ami, et qui l'avait fait bannir. Thémistocle sortit à sa rencontre. « Nous sommes enveloppés », lui dit Aristide. Thémistocle, qui connaissait sa probité, et que charmait sa présence à cet instant, lui découvre ce qu'il avait fait par le moyen de Sicinus, et le prie de retenir les Grecs et de travailler avec lui, puisqu'il avait toute leur confiance, à les faire combattre dans le détroit. Aristide, après avoir loué Thémistocle, va trouver les généraux et les triérarques, et il les exhorte au combat.
PLUTAQUE. Vies des hommes illustres. Thémistocle. Traduction A. Pierron.
La bataille de Salamine (490).
La bataille de Salamine avait sauvé la Grèce en enlevant aux Perses la maîtrise de la mer. En hâte, Xerxès regagna l’Asie, laissant son armée sous le commandement de Mardonius. La victoire eut un tel retentissement que, huit ans après, Eschyle en faisait le sujet de sa tragédie,les Perses. Le passage suivant est le récit de la bataille fait par un messager à la mère de Xerxès. Un messager perse : « Un soldat grec de l’armée athénienne était venu dire à Xerxès qu'au moment où les ombres de la nuit seraient descendues, les Grecs abandonneraient la position, que, pour sauver leur vie, ils allaient se rembarquer en hâte et se disperser dans les ténèbres. A cette nouvelle, Xerxès, qui ne se méfiait ni de la ruse du Grec ni de la jalousie des dieux, ordonne à tous les commandants de sa flotte que, à l'instant où la terre cesserait d'être éclairée par les rayons du soleil et où les ombres de la nuit rempliraient les espaces célestes, ils disposent sur trois rangs leurs innombrables navires, qu'ils ferment tous les passages, tous les détroits, que d'autres vaisseaux enfin investissent l'île de Salamine. « Si les Grecs évitent leur fatal destin, si leur flotte trouve moyen d'échapper furtivement, vous serez tous décapités. » Tels furent les ordres qu'il donna dans sa confiance ; car il ne savait pas ce que lui réservaient les dieux. « Les troupes se préparent sans confusion, sans négligence ; elles prennent le repas du soir ; les matelots attachent par la courroie leurs rames aux bancs, toutes prêtes pour la manoeuvre. Quand la lumière du soleil a disparu, quand la nuit est survenue, rameurs, soldats, chacun regagne son navire. Les rangs de la flotte guerrière se suivent dans l'ordre prescrit. Tous les vaisseaux se rendent à leur poste, et durant toute la nuit les pilotes tiennent leurs équipages en haleine. « Cependant la nuit se passait, et nulle part l'armée des Grecs ne tentait de s'échapper à la faveur des ténèbres. Bientôt le jour aux blancs coursiers répandit sur le monde sa resplendissante lumière. A ce moment, une clameur immense, modulée comme un cantique sacré, s'élève dans les rangs des Grecs, et l'écho des rochers de l'île répond à ces cris par l'accent de sa voix éclatante. Trompés dans leur espoir, les barbares sont saisis d'effroi; car il n'était point l'annonce de la fuite, cet hymne saint que chantaient les Grecs ; pleins d'une audace intrépide, ils se précipitaient au combat. Le son de la trompette enflammait tout ce mouvement. « Le signal est donné; soudain les rames retentissantes frappent d'un battement cadencé l'onde salée qui frémit ; bientôt leur flotte apparaît tout entière à nos yeux. L'aile droite marchait la première en bel ordre ; le reste de la flotte suivait, et ces mots retentissaient au loin : « Allez, ô fils de la Grèce, délivrez la patrie, délivrez vos enfants, vos femmes, et les temples des dieux de vos pères et les, tombeaux de vos aïeux. Un seul combat va décider de vos biens. » A ce cri nous répondons de notre côté par le cri de guerre des Perses. La bataille allait s'engager. Déjà les prouesd'airain se heurtent contre les proues ; un vaisseau grec a commencé ce choc, il fracasse les agrès d'un vaisseau phénicien. Ennemi contre ennemi, les deux flottes. S’élancent. Au premier effort, letorrent de l'armée des Perses ne recula pas. Mais bientôt, entassés dans un espace resserré, nos innombrables navires s'embarrassent les uns les autres, s'entrechoquent mutuellement de leurs éperons d'airain ; des rangs de rames entiers sont brisés. Cependant la flotte grecque, par une manoeuvre habile, forme cercle alentour, et porte de toutes parts ses coups. Nos vaisseaux sont culbutés ; la mer disparaît sous un amas de débris flottants, et de morts ; les rivages, les écueils se couvrent de cadavres. Tous les navires de la flotte des barbares ramaient pour fuir en désordre, comme des thons, comme des poissons qu'on vient de prendre au filet, à coups de tronçons de rames, de débris de madriers, on écrase les Perses, on les met en lambeaux. La mer résonne au loin de gémissements, de voix lamentables. Enfin la nuit montre sa sombre face, et nous dérobe au vainqueur ».