À l’aune du décès de Jean-Marie Le Pen, retour sur la relation que le « Menhir » entretenait avec le « Samouraï d’Occident ». Une relation développée dans cet extrait de l’ouvrage Dominique Venner. À l’aube de nos destins, et dans lequel il met l’accent sur le sacrifice volontaire de l’historien méditatif, dans la lignée de Drieu, Mishima et Montherlant.
Aujourd’hui, ce qui marque chez Dominique Venner, c’est avant tout… son suicide. « Le sang qui a coulé est toujours un sang pur. », disait Brasillach. Et quel geste extraordinaire ! Un acte symbolique, tout à fait impressionnant. Le suicide de Dominique Venner, c’est un geste de désespoir positif, un geste à la Drieu la Rochelle, à la Mishima ou à la Montherlant. Je suis de ceux qui considèrent qu’il faut se battre – donc rester vivant – et pourtant, je comprends. Je crois que Dominique Venner – étant abstrait de l’action politique – n’a pas imaginé d’autre moyen de lancer un avertissement solennel au peuple français que de lui offrir sa vie. Il y a quelque chose d’assez tragique dans sa démarche, une signification philosophique et historique. C’est la démarche d’un solitaire, d’un homme seul, libre de lui, sans obligation et qui décide d’un geste absolument somptueux. Le suicide devant l’autel de Notre-Dame… je ne vois pas de plus haut symbole possible. Et pourtant, je sais que, comme moi et à peu près au même âge, il avait rompu avec la religion catholique. Lui à 17 ans, moi à 16…au début de l’âge d’homme.
Soixante ans plus tard, c’est par ce geste sacrificiel, personnel et définitif, qu’il a acquis sa place d’exception dans l’histoire de la droite. Il est devenu l’intellectuel samouraïque, celui qui se suicide dans un lieu hautement emblématique, dans un geste absolument solennel. Geste de protestation, contre le présent et même contre l’avenir ! Si Dominique ne se suicide pas, après tout, il est un écrivain comme tant d’autres, mais il n’a pas le succès de Jacques Laurent ou de gens comme lui, qui sont un peu des hussards… Même si les hussards sont un peu à gauche pour Venner !
Venner et moi avions tous les deux connu l’Algérie, mais ce n’est pas ce qui nous a fait nous rencontrer… Il avait 21 ans lorsque je suis devenu député ; j’en avais 27 et nous avons fait connaissance à ce moment-là, quand il fondait son mouvement avec Sidos. Venner et Sidos… Venner et Sidos font partie de ces gens qui formaient notre caution bourgeoise. Nous n’étions pas à l’extrême-droite puisqu’il y avait Venner et Sidos ! Je connaissais mieux Sidos, qui rompait des lances contre moi…ça gardait un certain contact ! Avec Venner, ce n’était pas le cas. La vie littéraire et professionnelle nous avait écartés… mais j’en ai gardé un souvenir fort.
Chez Venner, il y a cet irrédentisme politique, ce maintien de la ligne critique, de droite critique pour ne pas dire plus… mais il n’a pas beaucoup fréquenté le monde politique militant, d’où nos parcours parallèles. C’était un personnage un peu énigmatique quand même, tout à fait étonnant avec son petit sourire. Un petit sourire en coin, pas distant mais plutôt complice… Un peu comme celui de ce chef FLN qui avait demandé à me rencontrer dans les années 1970, Krim Belkassem. C’était invraisemblable. Krim Belkassem était l’un des grands chefs FLN. Après la guerre, il a demandé à me rencontrer. La rencontre s’est faite de façon un peu secrète, dans une voiture. Je me suis retrouvé avec lui ; il ne disait rien. Alors je lui ai dit « Krim Belkassem, pourquoi avez-vous voulu me rencontrer ? ». Il a eu un sourire et il m’a dit « Je voulais te connaître. ». Avec ce petit sourire absolument inoubliable. Je suis resté bouche bée ; il n’a rien dit d’autre. Ça aurait pu être l’amorce d’une discussion mais on s’est quittés.
Le souvenir que j’ai de Venner, c’est son sourire.
Jean-Marie Le Pen
Solenn M. dir., Dominique Venner. À l’aube de nos destins, La Nouvelle Librairie, 342 pages, 26 €