Sans prétendre apporter des éléments d’une grande originalité, je tenterai, pour les fêtes chrétiennes les plus importantes, de voir quel est le glissement de contenu à propos de mêmes dates et de mêmes symboles et comment s’est faite la réinterprétation culturelle de ces fêtes par le christianisme ou, en d’autres termes, comment on a pu donner à des éléments anciens une signification nouvelle.
Noël : Date de célébration : 25 décembre.
Signification chrétienne : Noël, du latin « natale », qui signifie « jour de naissance ». Cette fête fut fixée ce jour, à Rome en 376, par le pape Jules 1er pour fêter la naissance du Christ. Cette fête était auparavant célébrée le jour de ce qui est maintenant l’Épiphanie. A ses débuts, l’Église ne célébrait que la fête de Pâques, elle attachait beaucoup plus d’importance à la résurrection du Christ qu’à sa naissance, dont on ne connaissait pas la date. C’est en voulant récupérer les fêtes païennes du solstice d’hiver célébrant le renouveau que les chrétiens adoptèrent la date du 25 décembre.
L’héritage romain : une fête était célébrée à Rome en décembre et conduisait au solstice d’hiver : la fête des Saturnales.
Elle était donnée en l’honneur de Saturne, le dieu de la croissance de la semence et du vin. Saturne est l’équivalent romain du dieu grec Cronos. En Italie, il protège les semailles et symbolise l’âge d’or des Titans qui précède l’arrivée des dieux de l’Olympe (la génération suivante). Les Saturnales sont célébrées pendant 7 jours, du 17 au 23 décembre au moment du solstice d’hiver (la date changea pour le 25 décembre avec la mise en place du calendrier julien). Les festivités étaient divisées en 3 temps :
Saturnales : célébrée le 17 au 19 décembre et dédiées au dieu Saturne.
l’Opalia : célébré du 19 au 22 décembre et consacré à Opis, le déesse de la terre et la femme de Saturne.
Sigillaria : célébré du 22 au 23 décembre. A la fin des Saturnales, les Romains avaient l’habitude d’offrir des cadeaux, en particulier aux enfants : anneaux, cachets, et menus objets.
Cette fête des sigillaires donnait lieu à des festins pour lesquels les maisons étaient décorées de plantes vertes. C’est de là que viendrait la tradition de donner des cadeaux aux enfants, la veille de Noël Les Saturnales étaient des jours fériés, aucun commerce ne pouvait être fait et toutes les écoles étaient fermées. Des banquets spéciaux avaient lieu. On donnait aux esclaves des privilèges d’hommes libres. Tous participaient aux festivités et aux réjouissances. Elles étaient la manifestation de la fête de la liberté (libertas decembris) et du monde à l’envers en lien avec les récits mythologiques. Dans la mythologie, Saturne se retourne contre son père Ouranos et le châtre d’un coup de faucille afin de libérer ses frères. Il n’en hérite pas moins de certains côtés de sa personnalité, puisque de crainte qu’un de ses enfants ne lui fasse subir le même sort, il les dévore tous à la naissance ! Jupiter sera le seul à en réchapper. C’est pourquoi lors de fêtes annuelles romaines, les Saturnales, les maîtres et les esclaves échangent leur place, reprenant ainsi l’image du renversement de pouvoir : Saturne détrône son père Ouranos, pour se faire ensuite renverser par son propre fils, Jupiter. On trouve là une explication des fêtes à l’envers. Saturne est plus que tout autre le symbole d’une fin et d’un début, de la succession des règnes comme de celle des saisons. Néanmoins toujours lié à un arrêt brusque, à une cassure dans l’évolution. On trouve l’équivalent des Saturnales romaines chez les Celtes, les Germains, les Slaves... qui fêtaient déjà, fin décembre, le « solstice d’hiver » : c’était pour eux la fête de la lumière avec l’espoir du renouveau de la nature. Chaque année, après avoir failli céder à la nuit lors du solstice d’hiver, il reprend ses forces et fait regagner le jour sur la nuit.
L’héritage oriental : tous les spécialistes savent qu’il n’y a aucune raison historique de fixer la naissance du Christ à cette date, mais il est évident qu’elle fut choisie pour supplanter cette importante célébration du mithriacisme. C’est via la domination romaine qu’un certain nombre de fêtes orientales pénétrèrent en Occident. On sait que dans l’empire romain le syncrétisme religieux ambiant accordait notamment une large place aux célébrations mithriaques et égyptiennes.
Venu de Perse, le culte de Mithra s’est répandu au IIIe et IVe siècles av. J.-C. Ce culte présentait de nombreuses similitudes avec des cérémonies et des rites chrétiens : baptême, hostie, repos du dimanche, communion…. Mithra était le dieu de la lumière, le symbole de la chasteté et de la pureté et il combattait les forces maléfiques. Le solstice d’hiver du 25 décembre était la fête la plus importante de l’an mithraïen : on fêtait la renaissance du « sol invictus » (soleil invaincu) par le sacrifice d’un taureau. Le sol invictus correspondant à la naissance de ce jeune dieu solaire, qui surgissait d’un rocher ou d’une grotte sous la forme d’un enfant nouveau-né. Plus tard, l’Eglise n’hésita pas à déclarer le Christ « sol invictus ».
L’héritage scandinave : c’est au milieu de l’hiver que naît le dieu nordique. L’enfant soleil, né de la déesse le jour du solstice et de la plus longue nuit, donnant au monde espoir que le soleil, la lumière, sera de retour de pleine force au printemps. C’est de l’amour des dieux que la vie renaît sur terre et qu’un grand festin est préparé en l’honneur du retour du soleil. Les préparations pour cette fête peuvent commencer des semaines, des mois, à l’avance. On croyait que si, au milieu de l’hiver, on pouvait préparer un si grand festin, l’abondance de nourriture était assurée pour toute l’année. Des cadeaux sont aussi échangés pour symboliser le retour de l’abondance et de la joie. On nommait ces fêtes Yule. Yule est dérivé du mot « Jul » de l’ancienne langue norse (norvégienne), lequel veut dire littéralement roue, fête ou bière ! La roue image l’année qui tourne vers le printemps et l’été quant à la bière, on sait que les fêtes du solstice d’hiver étaient l’occasion d’immenses beuveries nocturnes chez tous les peuples nordiques. Il est intéressant de noter que malgré le christianisme, Noël se nomme encore Yule dans les pays nordiques.
On l’a vu la fête du Noël chrétien est associée à la naissance d’un bon nombre de dieux païens et de héros : Oedipe, Thésée, Hercule, Persée, Jason, Dionysos, Apollon, Mithra, Horus,…. D’ailleurs nombre d’entre eux possèdent une histoire de naissance, de mort et de résurrection très proche de la vie de Jésus, et la plupart d’entre eux le précèdent au point de vue strictement historique.
Noël et ses symboles
Le Père Noël : St Nicolas, Sinterklaas ou Santa Claus. Saint Nicolas (6 Décembre). Né vers 270, au Proche-Orient, Nicolas fut d’abord un ermite, un ascète vivant dans la solitude du désert. Sa vie de moine étant exemplaire, on nomma Nicolas comme évêque à Myre (Sud Turquie). Il fut grand confesseur et convertisseur et combattit les cultes païens et les « hérésies ». Après sa mort, le 6 décembre 326, Nicolas devient un saint très vénéré. Ses conversions et ses voyages le destinent à devenir le patron des pêcheurs et des marins. Plus tard, il sera le patron de la Russie tsariste et, même chez nous, gardera un aspect de patriarche byzantin. Le brassage de populations dû aux croisades diffusera le personnage de Nicolas dans nos régions au XIème siècle. St Nicolas sera le patron des fêtes de Noël. On dit de St Nicolas qu’il voyage à dos d’âne, porte une mitre d’évêque, est vêtu d’un long manteau rouge et est accompagné par des personnages qui diffèrent selon les régions (Dame Perchta, Hans Trapp, Frau Hollé, Zwarte Piet ou le Père Fouettard). Jusqu’à nos jours, le folklore entretiendra la menace des hommes noirs (Sarrasins, Maures, Ethiopiens ou Nègres) pour évoquer le diable et faire tenir tranquille les enfants. Aux Pays-Bas, St Nicolas est connu comme Sinterklaas. Sinterklaas était un évêque avec une mitre et un livre de bonnes actions et de péchés. Il a la houlette d’un berger et va sur un cheval blanc au-dessus des toits. Sinterklaas avait un serviteur nommé Peter Noir. Aux Pays-Bas, les enfants chantent des chansons autour des cheminées à Sinterklaas. Peter Noir écoute du sommet de la cheminée pour déterminer si les enfants chantent les bonnes chansons et présentent les bonnes offrandes au cheval de Sinterklaas, des carottes et du foin. Des cadeaux sont alors donnés aux enfants par la cheminée. Sinterklaas est le saint patron de la ville d’Amsterdam et des marins qui naviguaient des ports d’Amsterdam Quand les émigrants hollandais embarquèrent pour le nouveau monde au XVIIème siècle, ils emportaient la coutume de la Saint-Nicolas qui devint le patron de la Nouvelle-Amsterdam (future New-York). Ainsi, tous les ans, les petits enfants d’origine hollandaise continuèrent à recevoir des friandises le jour de Sinterklaas ou plutôt durant la nuit du 6 décembre. Saint Nicolas ou Sinterklaas verra, par la suite, son nom s’américaniser en Santa Claus. En 1823, un pasteur américain, Clément Moore, écrit un conte qui fera connaître et rendre populaire Saint Nicolas aux Etats-Unis. Cependant, le saint ne peut pas apporter des cadeaux à tous les enfants du monde le même jour ! Aux Etats-Unis, il ne vient donc pas la veille du 6 décembre mais la veille de Noël... Ainsi, Santa Claus devient l’homme de Noël... Le saint devient laïc, débarrassé de sa mitre et de sa crosse. Ce n’est ni un âne ni un cheval qui le conduit : il est tiré par un traîneau de huit petits rennes. Au milieu du XIXe siècle, le dessinateur américain Thomas Nast lui donne cet aspect familier que nous lui connaissons aujourd’hui. Conduit par des rennes, il l’imagine originaire du pôle nord. La Finlande récupérera, au siècle suivant, cette origine en s’affirmant le pays du Père Noël. Au XXe siècle, il devient représentant de commerce de la société de consommation américaine. La firme Coca-Cola contribue à le rendre populaire au-delà des Etats-Unis en l’utilisant dans ses publicités, en 1930 puis en 1950. C’est après la seconde guerre mondiale qu’il commencera à devenir populaire en France sous le nom de Père Noël.
Les diverses versions de ces personnages reprennent les attributs des dieux bienfaiteurs des mythologies païennes : Gargan en pays celtiques (fils du dieu celte Bel qui portait déjà une hotte et distribuait des cadeaux aux enfants repris par Rabelais pour son Gargantua), Odin en pays germaniques (représenté comme un vieillard bienveillant à la barbe abondante, vêtu d’une houppelande rouge et voyageant dans l’air sur son cheval blanc à huit pattes qui donneront par la suite les huit rennes du Père Noël), la déesse Strenia à Rome ( à qui on offrait à la fin des Saturnales objets taillés de son bois sacré d’où le mot étrennes), Frau Holle (qui sort de son royaume marin pour parcourir la terre, la fertiliser et distribuer les récompenses et les punitions). Et on pourrait encore développer la démonstration…
Les Lutins du Père Noël : dans la tradition celtique, pendant la saison des fêtes Yule sept jours avant Noël, des lutins, appelés « trows », étaient libres de sortir de leurs maisons sous la terre et ils avaient la permission de vivre sur terre, s’ils le voulaient. Le dernier jour des fêtes, les écossais pourchassaient les trows pour qu’ils retournent dans leurs maisons souterraines. On appelait ça l’assainissement. Il devait être correctement effectué pour débarrasser le secteur des trows, qui étaient aussi appelés les gens gris
Le houx, le lierre et le gui : le rouge et le vert sont les couleurs des anciens cultes païens. Le houx et le lierre représentent symboliquement le mâle et la femelle : le lierre s’accroche et s’enroule (la femme) alors que le houx est épineux et droit (l’homme). Le lierre était sacré pour le dieu phrygien Attis mais aussi pour le dieu égyptien Osiris. On trouve aussi le lierre dans les mystères dionysiaques sans toutefois savoir quel rôle il y joue. Chez les Druides, le gui était considéré comme une plante sacrée. Cette idée serait venue du fait que le gui se répand et semble venir sur l’arbre par l’intermédiaire du ciel et sans jamais toucher le sol mais aussi qu’il est et est doté d’une incroyable longévité, symbolisant ainsi l’éternelle jeunesse. Selon eux, cette plante avait des propriétés miraculeuses, dont celles de guérir certaines maladies, d’immuniser les humains contre les poisons, de leur assurer la fertilité et de les protéger des méfaits de la sorcellerie. De plus, lorsque des ennemis se rencontraient sous le gui dans la forêt, ils devaient déposer leurs armes et observer une trêve jusqu’au lendemain. C’est de là que proviendrait l’ancienne coutume de suspendre une boule de gui au plafond et d’y échanger un baiser en signe d’amitié et de bienveillance. Une autre version raconte cependant que cette coutume, fort répandue chez les anglo-saxons, était rattachée à la légende de Freya, déesse de l’amour, de la beauté et de la fécondité. Selon la légende, un homme devait embrasser toute jeune fille qui, sans s’en rendre compte, se trouvait par hasard sous une gerbe de gui suspendue au plafond. Même si sa signification païenne a été oubliée depuis longtemps, la coutume perdure.
Le sapin : le culte de la verdure au cœur de l’hiver est très ancien et c’est la raison pour laquelle le sapin était considéré sacré : il était vert quand les autres arbres avaient perdu leurs feuilles. Les Romains, pendant les Saturnales de décembre et les calendes de janvier, décoraient leurs demeures de feuillages, de houx, de lierre, parfois même de sapins. Mais la décoration du sapin vient de l’adoration du dieu Attis, dieu païen, qui a été crucifié sur un arbre. Cette tradition a rapport à l’ancien esprit de l’arbre. Le sapin est coupé et décoré avec de l’argent, de l’or et un emblème de la mort et de la renaissance d’Attis, avec une étoile à six pointes de son sacrifice à son sommet. Les Grecs adoraient le dieu Adonis, qui était semblable à Attis et au Moyen-Orient, on le célébrait comme Baal, l’époux d’Astarte, d’Istar ou Pâques. Sapin, gui et houx ont la même propriété : ils reflètent la continuité de la vie et de la nature en dépit de la traversée hivernale.
Les lumières et bougies de Noël : pendant les Saturnales, les personnes d’humble naissance recevaient des bougies de cire fine de leurs supérieurs. Elles étaient utilisées pour éloigner les dieux du tonnerre, de l’orage et de la tempête, ainsi que les sorcières et les mauvais esprits.
La bûche : la coutume scandinave voulait que, lors de la fête de Yule, on aille chercher une énorme bûche de bois franc, appelée bûche de Noël, et qu’on la rapporte à la maison en grande pompe. Le soir de Noël, le maître de maison la plaçait dans l’âtre, procédait à des libations, en arrosant le tronc d’huile, de sel et de vin cuit et récitait des prières de circonstance. Dans certaines familles, c’était les jeunes filles de la maison qui allumaient la bûche avec les tisons de celle de l’année précédente, qu’on avait pris soin de conserver précieusement. Dans d’autres familles, c’était plutôt à la mère que revenait ce privilège. Les cendres de cette bûche avaient, dit-on, la propriété de protéger la maison de la foudre et des pouvoirs maléfiques du diable. Le choix de l’essence du bois, les pratiques d’allumage et la durée de combustion constituaient un véritable rituel pouvant varier selon les régions. Par la suite, une des bûches de ce feu était gardée et placée dans la maison pour la protéger jusqu’à l’an prochain, jusqu’au moment où cette bûche sera utilisée pour allumer le nouveau feu.
Cette tradition a perduré jusqu’au dernier quart du XIXe siècle. La disparition de cette tradition coïncide avec celle des grands âtres, remplacés progressivement par des poêles de fonte. La grosse bûche fut alors remplacée par une petite bûche de bois, parfois rehaussée de chandelles et de verdure, qu’on plaçait au centre de la table comme décoration de Noël.
Aujourd’hui, la bûche de Noël est devenue la pâtisserie que l’on connaît.
Cécile SARRAIL