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Quelques années après avoir traduit pour la première fois en français les mémoires de l’autonomiste alsacien-lorrain Hermann Bickler (connu notamment pour avoir, à la fin de la guerre où il avait le rang de colonel SS, permis à des figures comme Louis-Ferdinand Céline ou le nationaliste breton Olier Mordrel d’obtenir des documents pour fuir la France après la Libération), ou d’autres figures historiques de l’Alsace comme Karl Roos (fusillé en février 1940 sur accusation d’espionnage au profit de l’ennemi) et Auguste Schneegans (figure de l’autonomisme alsacien-lorrain durant la période allemande du Reichsland 1871-1918), les éditions NEL-Verlag viennent de publier deux ouvrages de Joseph Rossé, dont l’un n’avait jamais été traduit en français : « Journal de mon Exil » et « Mon attitude et mon action de 1940 à 1944 ».

Même si la mémoire collective a d’abord et avant tout retenu la figure de Karl Roos, élevé au rang de martyr par les Nazis, Rossé était la figure centrale de l’autonomisme alsacien. Il aura au final été perçu comme un caillou dans la chaussure aussi bien des autorités françaises que par le régime national-socialiste. Condamné à 15 ans de détention, il meurt par manque de soins en prison en octobre 1951. Se sachant mourant, il refusera d’être transféré à l’hôpital durant son agonie (vraisemblablement pour ne pas accorder le crédit aux autorités françaises d’avoir cherché à le soigner).

 

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Rossé quelques semaines avant sa mort

 

Les éditions NEL-Verlag publient (ou republient) des ouvrages d’auteurs alsaciens-lorrains ou ayant un lien avec cet espace géographique. À l’occasion de la publication de deux ouvrages de Joseph Rossé, Breizh Info a interrogé Karl Goschescheck, le responsable de cette maison d’édition.

 

Breizh-info.com : Qui était Joseph Rossé ?

Karl Goschescheck : Enseignant de formation, Joseph Rossé (1892-1951) a été député de Colmar et directeur des puissantes éditions Alsatia. Le premier moteur de l’action politique de Joseph Rossé a toujours été sa foi catholique (plus encore que les autres considérations, qu’elles soient identitaires, linguistiques ou sociales, ce sont en premier lieu les convictions chrétiennes des Alsaciens-Lorrains qui ont été le moteur de la contestation autonomiste de l’entre-deux-guerres face aux velléités laïques de la France à laquelle ils se retrouvaient annexés en 1918 après l’avoir quittée en 1871).

Puissant et habile, très distant à l’endroit du régime nazi aussi bien avant que pendant la guerre, Joseph Rossé sera malgré tout arrêté avec les autres Nanziger (« les Nancéens », surnom donné aux autonomistes alsaciens-lorrains arrêtés à l’automne 1939 sur des chefs d’accusation souvent très légers voire falsifiés ; parmi le groupe des Nanziger, Karl Roos sera fusillé en février 1940 ; Hermann Bickler aurait dû être le suivant).

La suite du parcours de Rossé, après sa libération des geôles françaises durant l’été 1940 et son retour en Alsace, est justement racontée par Rossé dans les deux ouvrages publiés par NEL-Verlag. Si plusieurs biographies copieuses ont d’ores et déjà été produites au sujet de Rossé, la lecture des écrits du principal intéressé permet de se replonger au quotidien dans sa situation, et d’en saisir la complexité.

 

Breizh-info.com : Durant la guerre, les autonomistes alsaciens-lorrains ont connu des destins fort différents. Certains se sont engagés totalement du côté allemand (comme les identitaires Bickler, Schall ou l’ancien communiste Mourer), d’autres sont restés plus prudents et semblent avoir joué un double-jeu (notamment les catholiques Rossé, Keppi, Stürmel). Rares sont ceux (tel le progressiste Camille Dahlet) à avoir échappé aux foudres de la répression après la guerre. Comment expliquer ces variétés de parcours ? Y avait-il malgré tout des points communs entre ces figures, en dépit de leurs divergences d’opinion ?


Karl Goschescheck : Ce qu’on appelle le mouvement autonomiste alsacien, ou alsacien-lorrain n’est pas un mouvement monolithique, mais des nuances – parfois assez fortes – y ont existé, et continuent d’exister aujourd’hui, même si une unité a pu se faire autour de questions communes et pour des raisons d’efficacités électorales.

Ainsi, dès l’avant-guerre, les identitaires alsaciens-lorrains (eux-mêmes divisés en deux partis – la Landespartei de Karl Roos et Paul Schall d’une part, et son ancien mouvement de jeunesse dirigé par Hermann Bickler qui s’en était émancipé pour fonder l’Elsass-Lothringer Partei), les communistes alsaciens-lorrains du Kommunistische Partei Opposition (KPO) de Charles (Karl) Hueber et Jean-Pierre (Hanspeter) Mourer ainsi que les progressistes de la Fortschrittspartei, dirigée par Camille Dahlet et Georges Wolf, constituaient une communauté de travail fondée autour du quotidien Elsass-Lothringer Zeitung (ELZ) à laquelle les « autonomistes » catholiques (Elsässische Volkspartei / Union populaire républicaine) n’ont jamais participé.

Le but politique de cette communauté de travail entre identitaires, communistes et progressistes était une autonomie complète (administrative, politique et culturelle) au sein de la France comparable au statut actuel du Québec au sein du Canada. Leur priorité était de conserver et de pérenniser l’identité culturelle et linguistique allemande de l’Alsace-Lorraine, l’autonomie complète étant un moyen d’y parvenir. Cette partie du mouvement autonomiste, très diverse en elle-même, pourrait être qualifiée de non-cléricale (sans nécessairement être anti-cléricale).

De leur côté les tenants du parti catholique penchaient plus vers un régionalisme et une « autonomie » purement administrative permettant de conserver des spécificités confessionnelles.

Cela dit, cette distinction indéniable n’a pas toujours été aussi nette que cela, et des ponts ont existé entre les deux tendances autonomistes, Karl Roos ayant été un très fervent catholique (ses derniers mots, en allemand, sur le poteau d’exécution furent pour Jésus).

L’avènement du national-socialisme, la Seconde Guerre mondiale et l’annexion suivie du démantèlement de l’Alsace-Lorraine (l’Alsace fut rattachée au pays de Bade dans le gau Oberrhein, tandis que la Lorraine allemande forma le gau Westmark avec la Sarre et le Palatinat) sont des facteurs extérieurs sur lesquels les autonomistes alsaciens n’ont eu aucune influence. Il est indéniable que la plupart des identitaires et des communistes alsaciens-lorrains (mais aussi certains catholiques…) ont eu un penchant patriotique allemand – somme toute assez naturel et ont salué le retour de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne en juillet 1940 comme une « divine surprise » (même s’ils n’ont aucune action en ce sens avant la guerre) et ont fait le choix de collaborer avec cette Allemagne qu’ils considéraient comme leur patrie, même s’ils ne partageaient pas l’idéologie nationale-socialiste. C’est ainsi que des autonomistes alsaciens-lorrains ont acceptés des postes de kreisleiter (sous-préfets) en Alsace de 1940 à 1944, tandis qu’Hermann Bickler a dirigé le service de renseignement politique (Amt VI) de la SS pour l’Europe occidentale. Ayant misé sur une victoire de l’Allemagne, ils ont dû choisir l’exil dès la fin 1944 (une partie d’entre eux parviendront à refaire leur vie en Allemagne ou en Italie après la guerre, comme Bickler, Lang ou Schall).

Les progressistes, comme Camille Dahlet, se sont complètement retirés de la vie publique de 1940 à 1945 et n’ont donc eu aucun contact officiel avec le régime nazi.

Certains catholiques, comme Joseph Rossé, ont choisi une ligne médiane. Joseph Rossé s’en explique d’ailleurs clairement dès les premières pages de son ouvrage « Mon attitude et mon action de 1940 à 1944 » : il n’a « jamais [été] pour une Alsace allemande et toujours anti-nazi et ne voulait pas travailler à leur service ». Il a certes accepté un poste de conseiller municipal à Colmar et de continuer à diriger la maison d’éditions Alsatia… mais cela lui a justement permis d’agir directement au service de la population et d’user d’une certaine influence pour sauver nombre de compatriotes. Parler d’un double-jeu en ce qui concerne Joseph Rossé me semble exagéré dans la mesure où il n’a jamais caché ses positions anti-nazies avant la guerre et jamais pris position en faveur du régime hitlérien pendant la guerre, obligeant même le gauleiter Robert Wagner à retirer son nom sur des affiches de propagande.

 

Breizh-info.com : Dans le « Journal de mon exil », Joseph Rossé raconte au jour le jour les deux mois qu’il passe en cavale à la fin de la guerre, recherché par la Gestapo de Colmar. Une fois les Allemands partis, il est immédiatement arrêté par les Français. Comment expliquer que Rossé ait finalement été persécuté aussi bien par les autorités françaises que par le régime nazi ?

Karl Goschescheck : Finalement, Joseph Rossé n’a pas été persécuté par le régime nazi… puisqu’il a réussi à se soustraire à son arrestation et à se cacher là où personne ne l’aurait soupçonné. Mon avis est que les autorités françaises avaient besoin d’une revanche et d’une certaine vengeance vis-à-vis des autonomistes alsaciens et ont choisi de faire un exemple de cette figure symbolique que certains Français n’ont d’ailleurs jamais réussi à dissocier phonétiquement de Karl Roos… Alors que ceux qui avaient véritablement collaboré – d’une manière ou d’une autre – avec le régime nazi… Joseph Rossé s’est rendu de lui-même aux autorités françaises dès la « libération » de Colmar.

 

Breizh-info.com : L’histoire des autonomistes alsaciens reste encore de nos jours méconnue (ou mal connue) du public alsacien. Avez-vous toutefois pu observer une évolution durant les dernières années à ce sujet ?

Karl Goschescheck : Il va sans dire que cela ne fait pas partie du programme scolaire des écoliers alsaciens. Nos amis bretons savent certainement ce qu’il en est. On observe cependant une certaine évolution durant les dernières années due en partie d’ailleurs d’une certaine manière à la fusion forcée de l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne dans la région Grand Est…

Des historiens alsaciens (Bernard Wittmann, François Waag, Michel Krempper et d’autres) ont entretemps publié un certain nombre d’ouvrages remettant sérieusement en question les narratifs officiels français, et des associations (dont Unsri Gschicht) diffusent aussi désormais une vision différente du roman national français traditionnel.

Tout cela amène de plus en plus d’Alsaciens à s’intéresser à leur Histoire et à la redécouvrir.

 

Breizh-info.com : A contrario de maisons d’éditions traditionnelles, votre maison n’existe qu’en ligne, en utilisant la méthode du « print on demand ». Quelles sont les raisons, et les intérêts d’un tel choix ? Ce modèle économique n’est-il pas de nature à mettre en péril les maisons traditionnelles ?

Karl Goschescheck : C’est plus une chance et un impératif économique qu’un véritable choix. Sans la méthode du « print on demand », le NEL-Verlag n’existerait pas de la même manière… Cela permet publier des ouvrages avec une qualité d’impression professionnelle sans avoir à mobiliser des capitaux que je n’ai pas. Actuellement, le NEL-Verlag diffuse exactement 132 titres. Sans la méthode du « print on demand », il y en aurait peut-être une dizaine. Donc, ce n’est pas un choix, c’est pratiquement le seul moyen d’exister.

Je ne crois pas que cela mettent en péril les maisons dites traditionnelles qui se servent d’ailleurs aussi en partie de cet outil pour certains ouvrages, car cela leur permet de limiter les coûts fixes et les risques. Avec la méthode traditionnelle, vous faites imprimer un ouvrage à 1000 exemplaires… et si vous n’en vendez que peu… ce n’est pas rentable économiquement.

En fait, le NEL-Verlag est né en 1995 du constat que de nombreux ouvrages sur l’Alsace-Lorraine et d’auteurs alsaciens-lorrains étaient devenus presque introuvables. J’ai donc décidés de les rééditer. À ce moment-là le « print on demand » n’existait pas ou du moins je n’en avais pas connaissance. Les tout premiers ouvrages du NEL-Verlag furent réalisés à des tirages réduits (25 exemplaires) dans une boutique de photocopies d’Aix-la-Chapelle. Le « print on demand » a permis de vraiment améliorer la qualité et de diffuser de fait mondialement via internet.

Comme cette littérature est presque intégralement en allemand et que la jeune génération alsacienne n’est majoritairement plus en mesure de lire un livre entier dans cette langue, j’ai – outre la réédition d’ouvrages anciens – entrepris d’en traduire certains.

 

Breizh-info.com : Quels sont vos prochains projets éditoriaux concernant l’Alsace-Lorraine ?

Karl Goschescheck : Je travaille actuellement à la traduction française de deux livres que je viens de publier en allemand en ce début janvier.

Le premier est le recueil de lettres envoyées pendant la Première Guerre mondiale à un de ses amis, l’écrivain alsacien Hans Karl Abel, par un soldat originaire de la vallée de Munster.

Le deuxième est le roman de Paul Claude, « Patriotisme contre liquide », et relatant le parcours d’un juif alsacien, Pierre Levy, pendant l’occupation.

Et puis, j’ai dernièrement publié « La Frontière » de René Schickele, « Comment l’Alsace et la Lorraine sont devenues l’Alsace-Lorraine » de l’universitaire berlinois Bernd Schmieder, ainsi que « Richenza ou la Veuve juive », un roman d’Edward Sorg.

 

Breizh-info.com : Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs les liens où les ouvrages du NEL-Verlag peuvent être commandés ?

Karl Goschescheck : Les ouvrages du NEL-Verlag peuvent être commandés par le site internet www.nelverlag.com. On peut aussi me contacter par mail: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Sources : Breizh-info.com - 09/01/2022.

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