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Il y a quelques jours est paru un article d’Ouest France qui a fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux, concernant le rapport des Bretons à la France. Avec des traditionnels attaques concernant les Bretons qui se trouveraient plus Bretons que Français, voire pas Français du tout. L’occasion pour moi de rédiger cette tribune, parce que parfois, il faut permettre de comprendre une question qui ne relève pas du militantisme, mais du ressenti.

Il y a des choses qu’on n’explique pas, qu’on ne justifie pas par des tableaux Excel, des chiffres de la CAF ou des rapports de géographes. Il y a des choses qu’on ressent. Et dans ce monde saturé de normes, de statistiques, d’injonctions à penser correctement, il faut parfois oser affirmer une vérité simple, nue, essentielle : je me sens Breton, pas Français. C’est comme cela depuis ma plus tendre enfance, ou plutôt mon début d’adolescence, et je n’y peux rien.

Non, ce n’est pas une revendication. Ce n’est pas une pétition, ce n’est pas un programme électoral. C’est une confidence, une parole d’homme enraciné. Un ressenti, tout simplement. Une manière de vibrer. De marcher dans les chemins creux de l’Arrée et de sentir qu’on est chez soi. De parler avec des anciens dans un breton hésitant mais chargé de sens, et de sentir qu’on n’est pas une variable d’ajustement républicaine, mais une parcelle d’un peuple millénaire.

Je suis né ici. J’ai grandi en grande partie ici. J’ai vu les villes se défigurer, les côtes se bétonner, les accents changer dans les métros de Rennes et les crêperies de Dinard ou de Locronan transformées en décors de carte postale pour bobos parisiens en quête d’authenticité préfabriquée. Et pourtant, malgré ces saccages, il reste en Bretagne une flamme. Fragile, vacillante parfois, mais réelle.

Quand je franchis l’Ille-et-Vilaine en montant vers Fougères, ou la Loire-Atlantique en descendant vers Clisson, je ressens une frontière intérieure. Pas administrative, pas militaire. Mais culturelle, existentielle. Je sens que je quitte quelque chose qui m’est familier, organique, et que j’entre dans un monde où je suis toléré mais pas enraciné. Ce n’est pas un rejet. Ce n’est pas une haine. C’est juste un constat intime.

Les Français qui viennent s’installer ici doivent le comprendre. Ce n’est pas une guerre. Ce n’est pas un rejet de leur personne. C’est juste qu’ils arrivent chez nous, pas dans une extension de leur pavillonnaire francilien ou de leur duplex d’une métropole apatride. Ils viennent en Bretagne. Et ici, il y a encore — oui, encore — des hommes et des femmes qui ne se sentent pas français. Qui ne se lèvent pas le matin en se disant “Liberté, Égalité, Fraternité”, mais qui pensent, éventuellement, pour les bretonnants, “Kentoc’h mervel eget bezañ saotret”. Des hommes et des femmes à qui le drapeau Bleu Blanc Rouge ne fait pas dresser les poils, contrairement au Gwen ha Du.

Je sais que ça déroute. Et que certains, plutôt que de réfléchir, préfèrent sortir les rengaines : “Ah mais pour les allocations, vous êtes bien français !” ou “Vous touchez les subventions de l’État français, non ?” Comme si la citoyenneté fiscale annulait toute dimension identitaire, toute nationalité. Comme si on ne pouvait pas payer des impôts et garder sa fierté. Comme si on ne pouvait pas refuser l’absorption dans un moule jacobin tout en participant à la société. Les Bretons n’ont rien mendié. Ils paient, ils travaillent, ils vivent. Et ils ont le droit de se sentir Bretons d’abord, et même uniquement, point final.

Oui, au fond de moi, je rêve d’une Bretagne autonome, d’une Europe des peuples, des régions charnelles et non des États abstraits. Je ne suis pas amoureux de la République française, et ce n’est pas un crime. Mais cette opinion politique, cette préférence civilisationnelle, n’est pas la source de mon ressenti. Elle en est la conséquence logique.

Ce que je demande, ce n’est pas qu’on m’applaudisse. Ce n’est pas qu’on m’érige une statue. C’est qu’on me respecte et qu’on respecte mon peuple, comme on respecterait un peuple lointain avec sa culture, ses traditions, sa langue. Mais nous ne sommes pas lointains. Nous sommes vos voisins. Et c’est sans doute ce qui dérange : que l’Autre puisse être si proche.

La Bretagne n’est pas un musée. Ni un centre de vacances pour retraités. Elle n’est pas une réserve pour bobos lassés des ravages qu’ils ont eux-mêmes tolérés ou provoqués ailleurs. Elle est un pays vivant, avec une âme, avec des cœurs qui battent pour des choses parfois très différentes de ceux de nos voisins.

Alors non, je ne suis pas Français. Je suis Breton. Entendez-bien. Cela ne se négocie pas. Cela ne se justifie pas. Cela se vit. C’est à prendre, ou à laisser.

YV

Source : Breizh-info.com - 19/06/2025

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