On n’entend plus guère les hommes politiques de gauche et de droite, les banquiers, les affairistes et les eurocrates qui nous vantaient les avantages d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Même Obama s’en mêlait qui voulait notre bonheur. Une grande démocratie, un pays moderne, une démographie dynamique…, tout ceci devait stimuler notre croissance bien atone, pérenniser nos régimes de retraite bien fatigués et renouveler notre culture bien sclérosée. Bien sûr, il s’agissait d’un pays musulman, mais son islam était modéré, tolérant, ouvert…


Mais cette Turquie de bisounours n’existe que dans l’imagination de nos édiles. Les Turcs ont rejeté tout ce que leur avait apporté Mustapha Kemal : la laïcité, la promotion des femmes et le panel des libertés. Ils ont préféré « l’islam modéré » de Recip Erdogan. Et ce de manière tout à fait démocratique : Erdogan n’est pas un dictateur, il est réélu haut la main à chaque fois, malgré les affaires de corruption qui plombent son entourage. Les Turcs s’en moquent, ce qu’ils veulent c’est vivre dans un pays islamique pur et dur. Chaque jour, Erdogan serre un peu plus les boulons, et cela plaît aux Turcs qui en redemandent. L’armée et la justice, derniers bastions du kémalisme, ont été mises au pas sans faiblesse. Après tout, les Turcs ont le droit de vivre chez eux comme ils l’entendent ; le tout est qu’ils ne nous demandent pas de vivre comme eux chez nous !


Mais ce n’est pas le pire. Un exemple : Obama vient de constituer une coalition de supplétifs pour lutter contre l’Etat islamique. Non seulement la Turquie – pièce maîtresse historique de l’OTAN sur son flanc sud (contre les Russes) -, refuse d’y participer, mais Ankara a interdit aux Américains d’utiliser l’une des 24 (sic !) bases de l’OTAN éparpillées sur son territoire pour effectuer des raids sur l’Irak ou la Syrie. Etonnant, non ?


Bas les masques ! La Turquie est, avec le Qatar, le soutien indéfectible des Frères musulmans. En Egypte, ils supportaient sans conditions le président Morsi. Le retour des militaires au pouvoir au Caire et l’élimination des Frères musulmans ont failli provoquer une guerre entre les deux pays (retenez-moi ou je fais un malheur). Par ailleurs, l’alliance israélo-turque est un secret de polichinelle : les ennemis de mes ennemis (l’Iran) sont mes amis…


Prenons maintenant le cas de la Syrie. La Turquie sunnite a cherché à abattre l’alaouite Bachar al-Assad et à le remplacer par un pouvoir à sa botte. Mais elle n’a pas soutenu les « démocrates » de l’Armée syrienne libre, tant chéris par les hollando-sarkozystes. Non, elle a favorisé les mouvements sunnites les plus extrémistes. Elle a créé dans le sud de son territoire de nombreux camps d’entraînement où se sont formés les djihadistes de l’Etat islamique et d’al-Nosra. Elle a volontairement transformé sa frontière méridionale en passoire par où transitent hommes, matériels et armes lourdes. Il est notoire que tout apprenti djihadiste qui voulait se battre en Syrie n’avait qu’à prendre un avion pour Istanbul ; de là, il était acheminé sans problème vers les camps d’entraînement via des réseaux qui non seulement n’avaient rien à craindre des autorités turques, mais au contraire bénéficiaient de tout le soutien de l’Etat. Ce sont des milliers « d’Européens » qui ont ainsi transité vers la Syrie. Quant aux Turcs eux-mêmes, ils sont aussi des milliers à avoir suivi le même chemin, car les mosquées et les écoles turques sont de véritables pépinières de djihadistes. : il faut savoir que l’une des composantes de l’EI, la confrérie des Naqshbandi, est très proche d’Erdogan et de son parti, l’AKP.


L’EI s’est emparé des champs pétrolifères de la Syrie. Il en extrait 30 000 barils par jour qu’il revend à des prix défiant toute concurrence à l’Arabie saoudite qui les « blanchit » en Occident. De l’autre côté, Erdogan a refusé de mettre fin à la contrebande qui s’est organisée entre les deux pays. C’est ainsi que l’EI encaisse deux millions de $ par jour ! Tout ceci ne sort pas d’esprits tordus turcophobes ; cet état de fait est dénoncé par l’opposition turque elle-même, le parti CHP.


Quant à nous, on l’a échappé belle, au moins provisoirement. Pensez donc : la Turquie dans l’UE, c’est 85 et bientôt 100 millions de nouveaux Européens, de bons musulmans, dont une grande partie est illettrée et arriérée !


PS : il est possible que la Turquie change de position les jours prochains. Certainement pas par conviction, mais parce que sa situation est devenue intenable au sein de l’OTAN. Et on peut compter sur elle pour « faire le job » a minima.

Alain CAGNAT
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