Jean Raspail, Pêcheur de lunes, J'ai Lu, 1989.
« Ce livre est le prolongement naturel de Qui se souvient des Hommes », nous annonce Jean Raspail dans un avant-propos. « D’une certaine façon, Pêcheur de lunes est le livre d’une vie. En quarante ans de voyages à travers le monde, j’ai suivi de nombreuses pistes qui conduisaient aux derniers survivants encore doués de mémoire (…) comme si j’avais retrouvé le Graal ».
Mais de quoi donc nous parle Raspail ? L’auteur est un explorateur et un aventurier : ce dernier beau qualificatif pouvait encore être attribué en cet immédiat après-guerre qui vit le jeune Raspail entamer avec des amis de son âge, formés comme lui au scoutisme, le parcours en canot de Cavelier de la Salle, du Québec à l’embouchure du Mississipi. Il multiplia ensuite les voyages autour du monde et témoigna des particularités ethnologiques que la mondialisation, comme on ne disait pas encore, ne menaçait pas. Sa quête visait particulièrement à fixer pour la postérité les traces des peuples en voie de disparition, Indiens alakaloufs ou caraïbes.
« Ce livre est le prolongement naturel de Qui se souvient des Hommes », nous annonce Jean Raspail dans un avant-propos. « D’une certaine façon, Pêcheur de lunes est le livre d’une vie. En quarante ans de voyages à travers le monde, j’ai suivi de nombreuses pistes qui conduisaient aux derniers survivants encore doués de mémoire (…) comme si j’avais retrouvé le Graal ».
Mais de quoi donc nous parle Raspail ? L’auteur est un explorateur et un aventurier : ce dernier beau qualificatif pouvait encore être attribué en cet immédiat après-guerre qui vit le jeune Raspail entamer avec des amis de son âge, formés comme lui au scoutisme, le parcours en canot de Cavelier de la Salle, du Québec à l’embouchure du Mississipi. Il multiplia ensuite les voyages autour du monde et témoigna des particularités ethnologiques que la mondialisation, comme on ne disait pas encore, ne menaçait pas. Sa quête visait particulièrement à fixer pour la postérité les traces des peuples en voie de disparition, Indiens alakaloufs ou caraïbes.
La particularité de Pêcheur de lunes, est que Raspail fixe sa curiosité le plus souvent sur les isolats blancs, ou du moins européens. Rappelons qu’il avait déjà écrit un ouvrage d’un pessimisme visionnaire, Le Camp des Saints qui anticipait l’invasion de l’Europe par une immigration de réfugiés économiques du tiers-monde. Le fil rouge de ce recueil de nouvelles, c’est la certitude que le métissage est la plus violente altération commise contre la diversité de l’espèce humaine. Dans le chapitre deux, il décrit ainsi les descendants des Indiens Shinnecocks, qui vivent à proximité de New-York : « We, Shinnecocks Indians…Nous autres, Indiens Shinnecocks…what sort of people we are ? Quelle sorte de gens sommes-nous ?...On pouvait se le demander, en effet. Ils étaient tous noirs. Tous nègres. (…) Les gamins roulaient des yeux en boules de loto. (…) Tout juste pouvait-on distinguer, chez la princesse Nowadonah, une nuance de peau plus dorée, un dessin des traits moins arrondi dus à une lointaine ascendance indienne, d’où le respect qu’on lui témoignait. D’où peut-être, cette majesté, ce personnage qu’elle s’était composé. (…) Dans les temps anciens, déjà pour survivre, la petite tribu des Shinnecocks avait dû se mélanger aux travailleurs noirs de Long Island. (…) en même temps, paradoxalement, leur volonté d’être indiens, et non noirs, descendants d’hommes libres et non d’esclaves, s’en trouva renforcée jusqu’à l’obsession. – Cela les torture, mais cela les soutient, me dit le révérend Thies. Au moins, de cette façon ils existent. Puis, me voyant songer : - Qu’en pensez-vous ? Je pensais qu’ils avaient plus de chance que les autres, plus de chance que les milliards de petits hommes innombrables anonymes de la Genèse… »
Dans la dixième nouvelle, Raspail recherche les derniers Aïnous, peuple europoïde de l’île d’Hokkaido : « Il me faut répéter à quel point le Japon, neuf ans seulement après la capitulation, différait de l’image qu’il nous offre aujourd’hui. A plus forte raison le Hokkaido, dont la colonisation véritable venait à peine de commencer. (…) Ce temps-là venait de s’achever. Les petits hommes jaunes et pauvrement vêtus que mon train d’un autre âge semait à chaque station triste, techniciens et ingénieurs, s’apprêtaient à le construire, ce Hokkaido moderne. C’est aujourd’hui chose faite. (…) Barbus, poilus, chevelus, moustachus, avec de grands yeux verts ou gris, les Aïnous, je l’ai dit, sont de race blanche, ancienne tribu caucasoïde séparée par des milliers de kilomètres de leurs plus proches frères de race". Raspail établit tout au long de son enquête un parallèle avec le témoignage laissé par l’écrivain russe Tchékov un siècle plus tôt, ce qui révèle au lecteur à quelle effrayante vitesse les peuples disparaissent définitivement. Et là se produit une scène particulièrement poignante : une jeune fille de la tribu est offerte à notre auteur : « Et Tchékov racontait : un soir, je vis arriver chez moi un Aïnou qui m’amenait une jeune parente dont il était, autant que je pus le comprendre, prêt à sacrifier la sagesse de l’adolescence en échange d’un beau cadeau. (…) Il m’arriva la même aventure. (…) je me crus revenu au classique marché proposé jadis à Tchékov : la jeune fille m’accompagnerait chez moi, ou bien je passerais la nuit sous le toit de Yotari-Buro, et, dans les deux cas, lui-même et sa famille s’en montreraient très honorés. (…) j’attendis le second élément de la proposition, les conditions du troc, le cadeau demandé. Mais le vieillard avait terminé son discours et n’ajouta rien, pas même une allusion à la dureté des temps ou n’importe quoi d’autre pour engager la transaction. Rien. (…) je compris enfin qu’il n’y avait pas de marché. (…) on n’attendait rien de moi qu’un peu d’amour charnel entre Blancs. Qui dira le tragique isolement des fins de race voués à la seule alternative du métissage ou de l’extinction ? (…) Dans l’océan jaune, j’étais blanc, moi aussi, avec des yeux verts, les yeux des Aïnous. J’étais le renfort miraculeux qui passe et qu’on invite dignement, la dernière nuit, avant qu’il s’en retourne, afin que naisse peut-être, un Aïnou qui soit blanc aux yeux verts et non jaune aux yeux bruns bridés, et qu’on puisse, encore une fois, se reconnaître en lui. Ceux qui ont l’âme basse hausseront les épaules. Telle était cependant l’explication. »
Raspail nous emmène ensuite à trois reprises en France : à la recherche des descendants des Huns en Champagne : « l’aspect physique de la population… Il y a une vingtaine d’années, un médecin vietnamien est venu s’installer à Origny. (…) Certains Jouquins, disait-il, ressemblaient étonnamment à des habitants de son pays. La tâche, il l’avait aussi remarquée et il l’expliquait tout comme nous. – La tache ? – La tache hunnique, ou tache mongole. Une espèce de grosse loupe plate et brune sur le haut des fesses ou le gras du dos. Au Tonkin, racontait le docteur Binh, où les Mongols ont laissé de nombreuses traces dans la population, cette même tâche accompagnait toujours des traits mongoliques caractéristiques, moins fins, plus plats, plus grossiers. Nos petits cousins, en quelque sorte… »
Dans le Dévoluy, région des Alpes : « Les premiers habitants furent des Templiers repliés des Croisades avec leurs hommes d’intendance et leurs esclaves (…) montagnards du Liban et gens du Maghreb. (…) Ce petit noyau accueillit quelques années plus tard des Vaudois hérétiques qui avaient pu se sauver du nord du département à travers les cols grâce à leurs jarrets musclés. (…) aujourd’hui encore, on voit des types d’hommes et de femmes très caractéristiques : les uns, grands, blonds, aux yeux bleus et au port altier ; les autres, moyens et petits, à la peau plus foncée et au regard très méditerranéen. »
Enfin, dans le Véron, à l’ouest de Chinon, Raspail part à la recherche des descendants des prisonniers de guerre arabes de la bataille de Poitiers : « La cour évoquait un foutoir de nomades mal sédentarisés. Cela pouvait aussi faire penser à une cour de ferme de la Mitidja après le départ des colons français et la restitution des terres aux indigènes. Je repérai deux tracteurs rouillés et un troisième qui ne valait guère mieux dont un grand diable tout noiraud auscultait le moteur d’un air sombre, au milieu d’un univers de ferraille, d’outils de jardin épars, de carcasses de voitures où caquetaient des poules et où jouaient des enfants tout aussi Mureau que leur père, de bidons vides et de tonneaux éventrés, avec, il faut le reconnaître, un très beau tas de fumier à l’odeur expectorante.(…) j’entendis un pas derrière moi. – Qu’est-ce que vous faites là ? (…) Au seuil du mystère, je calai, remballant ma question qui me paraissait à présent manquer de tact : y aurait-il par ici des descendants de Maures de la bataille de Poitiers ? Au lieu de quoi je m’entendis lui demander, comme Stanley s’adressant à Livingstone : - Madame Mureau-Mureau ? je présume…- Et alors ? répondit-elle, signifiant que l’entretien était terminé. Je ne sais pas ce qui me prit ensuite, amis au moment de tourner les talons, je lui dis : - Tenez bon. Les renforts approchent…"
Dans la dixième nouvelle, Raspail recherche les derniers Aïnous, peuple europoïde de l’île d’Hokkaido : « Il me faut répéter à quel point le Japon, neuf ans seulement après la capitulation, différait de l’image qu’il nous offre aujourd’hui. A plus forte raison le Hokkaido, dont la colonisation véritable venait à peine de commencer. (…) Ce temps-là venait de s’achever. Les petits hommes jaunes et pauvrement vêtus que mon train d’un autre âge semait à chaque station triste, techniciens et ingénieurs, s’apprêtaient à le construire, ce Hokkaido moderne. C’est aujourd’hui chose faite. (…) Barbus, poilus, chevelus, moustachus, avec de grands yeux verts ou gris, les Aïnous, je l’ai dit, sont de race blanche, ancienne tribu caucasoïde séparée par des milliers de kilomètres de leurs plus proches frères de race". Raspail établit tout au long de son enquête un parallèle avec le témoignage laissé par l’écrivain russe Tchékov un siècle plus tôt, ce qui révèle au lecteur à quelle effrayante vitesse les peuples disparaissent définitivement. Et là se produit une scène particulièrement poignante : une jeune fille de la tribu est offerte à notre auteur : « Et Tchékov racontait : un soir, je vis arriver chez moi un Aïnou qui m’amenait une jeune parente dont il était, autant que je pus le comprendre, prêt à sacrifier la sagesse de l’adolescence en échange d’un beau cadeau. (…) Il m’arriva la même aventure. (…) je me crus revenu au classique marché proposé jadis à Tchékov : la jeune fille m’accompagnerait chez moi, ou bien je passerais la nuit sous le toit de Yotari-Buro, et, dans les deux cas, lui-même et sa famille s’en montreraient très honorés. (…) j’attendis le second élément de la proposition, les conditions du troc, le cadeau demandé. Mais le vieillard avait terminé son discours et n’ajouta rien, pas même une allusion à la dureté des temps ou n’importe quoi d’autre pour engager la transaction. Rien. (…) je compris enfin qu’il n’y avait pas de marché. (…) on n’attendait rien de moi qu’un peu d’amour charnel entre Blancs. Qui dira le tragique isolement des fins de race voués à la seule alternative du métissage ou de l’extinction ? (…) Dans l’océan jaune, j’étais blanc, moi aussi, avec des yeux verts, les yeux des Aïnous. J’étais le renfort miraculeux qui passe et qu’on invite dignement, la dernière nuit, avant qu’il s’en retourne, afin que naisse peut-être, un Aïnou qui soit blanc aux yeux verts et non jaune aux yeux bruns bridés, et qu’on puisse, encore une fois, se reconnaître en lui. Ceux qui ont l’âme basse hausseront les épaules. Telle était cependant l’explication. »
Raspail nous emmène ensuite à trois reprises en France : à la recherche des descendants des Huns en Champagne : « l’aspect physique de la population… Il y a une vingtaine d’années, un médecin vietnamien est venu s’installer à Origny. (…) Certains Jouquins, disait-il, ressemblaient étonnamment à des habitants de son pays. La tâche, il l’avait aussi remarquée et il l’expliquait tout comme nous. – La tache ? – La tache hunnique, ou tache mongole. Une espèce de grosse loupe plate et brune sur le haut des fesses ou le gras du dos. Au Tonkin, racontait le docteur Binh, où les Mongols ont laissé de nombreuses traces dans la population, cette même tâche accompagnait toujours des traits mongoliques caractéristiques, moins fins, plus plats, plus grossiers. Nos petits cousins, en quelque sorte… »
Dans le Dévoluy, région des Alpes : « Les premiers habitants furent des Templiers repliés des Croisades avec leurs hommes d’intendance et leurs esclaves (…) montagnards du Liban et gens du Maghreb. (…) Ce petit noyau accueillit quelques années plus tard des Vaudois hérétiques qui avaient pu se sauver du nord du département à travers les cols grâce à leurs jarrets musclés. (…) aujourd’hui encore, on voit des types d’hommes et de femmes très caractéristiques : les uns, grands, blonds, aux yeux bleus et au port altier ; les autres, moyens et petits, à la peau plus foncée et au regard très méditerranéen. »
Enfin, dans le Véron, à l’ouest de Chinon, Raspail part à la recherche des descendants des prisonniers de guerre arabes de la bataille de Poitiers : « La cour évoquait un foutoir de nomades mal sédentarisés. Cela pouvait aussi faire penser à une cour de ferme de la Mitidja après le départ des colons français et la restitution des terres aux indigènes. Je repérai deux tracteurs rouillés et un troisième qui ne valait guère mieux dont un grand diable tout noiraud auscultait le moteur d’un air sombre, au milieu d’un univers de ferraille, d’outils de jardin épars, de carcasses de voitures où caquetaient des poules et où jouaient des enfants tout aussi Mureau que leur père, de bidons vides et de tonneaux éventrés, avec, il faut le reconnaître, un très beau tas de fumier à l’odeur expectorante.(…) j’entendis un pas derrière moi. – Qu’est-ce que vous faites là ? (…) Au seuil du mystère, je calai, remballant ma question qui me paraissait à présent manquer de tact : y aurait-il par ici des descendants de Maures de la bataille de Poitiers ? Au lieu de quoi je m’entendis lui demander, comme Stanley s’adressant à Livingstone : - Madame Mureau-Mureau ? je présume…- Et alors ? répondit-elle, signifiant que l’entretien était terminé. Je ne sais pas ce qui me prit ensuite, amis au moment de tourner les talons, je lui dis : - Tenez bon. Les renforts approchent…"