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Un autre XXe siècle de Dominique Venner
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Matrice du XXe siècle, la guerre de 1914 a précipité la ruine de la civilisation européenne. De ses décombres ont surgi quatre idéologies, à l'origine d'une nouvelle lutte sans merci, d'où est issu le monde actuel. Une réinterprétation stimulante du dernier siècle et une réflexion sereine sur notre devenir par l'historien Dominique Venner.
« Les luttes incessantes qui, au XXe siècle, ont opposé totalitarisme et liberté se sont terminées par la victoire décisive des forces de la liberté et par un seul modèle acceptable pour la réussite des nations : la liberté, la démocratie et la libre entreprise ».
Telle est la vision de l'histoire du XXe siècle exprimée par le gouvernement des Etats-Unis en tête du document définissant sa « stratégie nationale de sécurité », publié le 20 septembre 2002. Cette vision est aujourd'hui partagée par la plupart des Européens. Elle s'est imposée à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, qui, après quarante-cinq années de « guerre froide », consacra la victoire absolue de la démocratie américaine.
Mais cette interprétation plonge ses racines loin en amont. Elle est, en réalité, l'aboutissement d'une rhétorique inaugurée à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, et développée à la fin de la Seconde, en 1945. Selon celle-ci, 1918 aurait marqué la victoire du « droit » sur la « barbarie », de la « démocratie » sur l'« autoritarisme » et le « militarisme » -, et 1945, la victoire « des démocraties sur le nazisme ».
Après 1945, cette rhétorique s'est appliquée à la lutte menée par le « monde libre » contre le totalitarisme communiste. Depuis 1991, elle confond, dans une même réprobation et sous le même vocable de « totalitarisme », l' « autoritarisme » vaincu en 1918, le fascisme et le nazisme anéantis en 1945, enfin le communisme, qui a fini par s'effondrer, sans gloire, sur lui-même.
Présentant, selon l'historien américain George L. Mosse, la particularité de regarder le monde « exclusivement d'un point de vue libéral », cette lecture de l'histoire du siècle passé a permis aux Etats-Unis d'asseoir leur actuelle hégémonie (notamment sur l'Europe) sur une légitimité morale face à divers ennemis indistinctement qualifiés de « totalitaires ».
C’est cette lecture que remet, aujourd'hui, en cause l'historien Dominique Venner dans un essai dense et stimulant, le Siècle de 1914. Sous-titré « Utopies, guerres et révolutions en Europe au XXe siècle », mêlant un récit vivant - relevé de portraits psychologiques et de tableaux sociologiques acérés - à une analyse fouillée tant des grands conflits que des idéologies et de leur influence sur les hommes et les événements, celui-ci offre une réflexion en profondeur sur le destin européen au cours des cent dernières années.
Une réflexion qui, non seulement, synthétise et prolonge celle entamée par son auteur dans ses précédents travaux sur le XXe siècle, mais s'inscrit également à la suite de celle développée dans son Histoire et tradition des Européens - 30 000 ans d'identité (Le Rocher 2002). L'originalité de la démarche de Dominique Venner consiste, en effet, à éclairer la singularité de l'histoire de l'Europe du siècle dernier en la resituant dans la longue durée, à élargir ainsi le champ de réflexion par des références à un passé plus ancien - parfois le plus ancien -, et à ouvrir des perspectives d'avenir.
Résumer l'histoire du XXe siècle à des « luttes incessantes » entre « totalitarisme et liberté », c'est opérer, écrit Dominique Venner, des amalgames réducteurs « entre des réalités très différentes et opposées », masquer « ce qui distingue entre eux divers systèmes antilibéraux », et, surtout, faire « l'impasse sur des pans entiers de l'histoire contemporaine ».
Ce dernier point est tout particulièrement illustré par l'interprétation habituelle de la victoire alliée de 1945 comme victoire « des démocraties sur le nazisme ». C'eût été le cas si, à partir de 1941, la Seconde Guerre mondiale avait vu s'affronter « totalitarismes » et « démocraties ». Or, il y avait deux « totalitarismes » en compétition : le nazi et le communiste. « Et les "démocraties" n'ont pu écraser le premier qu'en s'alliant au second [...]. »
Plus généralement, observe Venner, prise dans son ensemble, la lecture qui s'est imposée de l'histoire du siècle est une lecture idéologique. Erigeant le libéralisme en avenir du monde -comme l'avait été, en son temps, le communisme -, elle reflète une conception du devenir historique proche, à bien des égards, du schéma marxiste. Elle est la conséquence du triomphe, à la fin du siècle, du « démocratisme américain », l'un des quatre systèmes idéologiques surgis, au début de ce même siècle, des ruines de la Première Guerre mondiale, avec le communisme, le fascisme et le national-socialisme.
Quatre idéologies antagonistes qui se sont substituées à l'ancien ordre européen, pulvérisé par le conflit déclenché à l'été 1914. Quatre idéologies lourdes de nouveaux affrontements titanesques, qui s'achevèrent en 1945 par l'élimination des deux dernières, laissant l'Europe - déjà saignée à blanc et ébranlée dans ses fondements par la lutte de 1914-1918 - totalement exsangue. Une Europe dépossédée d'elle-même, condamnée, dès lors, à ne plus exister que sous l'ombre portée des deux systèmes idéologiques victorieux, incarnés par l'URSS et les Etats-Unis, puis, à partir de 1991, du seul système états-uniens.
C'est pourquoi le sort du Vieux Continent après 1945 ne peut se comprendre qu'à la lumière de ce qui s'est joué entre 1914 et 1918. En effet, l'habitude de considérer séparément les conflits de 1914-1918 et de 1939-1945 a fini par masquer le fait qu'ils n'en constituent qu'un seul. Dominique Venner reprend et justifie l'expression « nouvelle guerre de Trente ans » (en référence à celle qui ravagea le cœur de l'Europe de 1618 à 1648) utilisée par certains historiens pour qualifier la période 1914-1945. « Nouvelle guerre de Trente ans » d'« où est issu le monde dans lequel nous vivons ».
Qu'était l'Europe d'avant 1914 ? Pour l'essentiel, un monde « en forme », à la fois traditionnel dans son esprit et moderne dans ses réalisations, structuré par des aristocraties actives et dynamiques, des monarchies bénéficiant, dans l'ensemble, d'un large soutien populaire : en Grande-Bretagne, bien sûr, mais aussi et surtout, dans l'Allemagne de Guillaume II et l'Autriche-Hongrie de François-Joseph. A cet égard, la France républicaine constitue une exception. Si son prestige reste grand, elle le doit moins à son régime - du reste contesté jusque chez elle -qu'à son brillant passé.
Les valeurs incarnées par cette noblesse irriguent l'ensemble de la société, du haut en bas de l'échelle. Elle est respectée. Et souvent imitée, « non seulement par désir de promotion sociale, mais aussi parce que modèle admiré ». Sa fonction est de commander dans l'ordre politique, de protéger dans l'ordre social et d'offrir un modèle dans l'ordre éthique, le modèle d'« un type d'humanité supérieure », qui trouve sa source dans les héros d'Homère. « Le secret de cette supériorité, explique Dominique Venner, était la possession d'une forme intérieure (ethos) capable de modeler la tenue et la pensée, acquise par le dressage de générations successives qui avaient intériorisé une vision de la vie et une rigueur de mœurs ayant pénétré l'être entier de mille contraintes inscrites dans l'inconscient. »
Première puissance du continent, l'Allemagne est la vitrine incontestée de cette Europe monarchique et moderne, aspirant désormais, non pas à la « domination mondiale », comme le prétendront ses adversaires, mais plus simplement à une « politique mondiale » (Weltpolitik), à l'instar de la France et de l'Angleterre, dotées d'immenses empires coloniaux. Son expansion industrielle (15 % de la production mondiale) s'est accompagnée, grâce à Bismarck, puis sous Guillaume II, d'une législation ouvrière « sans égale en Europe », formant « le premier ensemble historique d'assurances sociales, avec des décennies d'avance sur la très bourgeoise République française ».
Par effet d'entraînement, la double-monarchie austro-hongroise n'est pas en reste, bien que de façon moins spectaculaire. Même l'autocratique Russie, grâce aux réformes engagées par Piotr Stolypine, connaît, avant 1914, un développement et des transformations dont nul ne sait ce qu'ils eussent donnés s'ils n'avaient été brisés net par la guerre, puis par la révolution bolchevique de 1917.
L’Europe d'avant 1914, c'était aussi un ordre international spécifique, fondé sur la conscience d'appartenir à une même communauté de peuples, entre lesquels les guerres devaient rester circonscrites et respecter le « droit des gens », le jus publicum europaeum. Inspiré de Platon, celui-ci avait été instauré par les traités de Westphalie (1648), à l'issue de la première guerre de Trente ans, elle-même dernier et terrible avatar des luttes religieuses qui avaient déchiré l'Europe depuis le XVIe siècle.
Il s'agissait de mettre fin au caractère illimité qu'avaient revêtu ces luttes et à leur criminalisation de l'ennemi, en opérant une distinction entre les armées et les populations civiles, en reconnaissant la souveraineté des Etats, ainsi que leur égalité juridique et morale en temps de paix comme en temps de guerre. Leurs causes respectives étant reconnues comme également légitimes, les belligérants se trouvaient, de ce fait, encouragés à définir de nouveaux équilibres par des concessions mutuelles.
Ecorné une première fois durant les guerres de la Révolution et de l'Empire, rétabli au congrès de Vienne, en 1815, ce droit ne devait, en revanche, pas résister au cataclysme de 1914 - 1945.
Pour autant, détruit par ce cataclysme, l'ancien ordre européen n'a pas empêché celui-ci de se produire. C'est bien l'Europe qui l'a déclenché, et elle seule. L'ordre qui la régissait et, au-delà, la civilisation dont celui-ci était l'expression, seraient-ils donc intrinsèquement responsables du massacre ? La plupart des Européens d'aujourd'hui le pensent. Légitimement traumatisés par le carnage, ils se sont persuadés de la culpabilité de leur civilisation. Les vainqueurs de 1918 et, plus encore, ceux de 1945 les y ont encouragés.
En réalité, rappelle Dominique Venner, à la veille de 1914, l'ordre européen traditionnel était déjà en crise, sapé par le virus nationaliste et jacobin inoculé par la Révolution française. Effritant peu à peu, tout au long du XIXe siècle, la conscience d'une commune appartenance - au-delà de l'attachement naturel aux patries charnelles - au profit de passions nationales exclusives, ce virus est à l'origine des haines qui devaient embraser les peuples en 1914.
Par ailleurs, parvenus, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à un stade d'évolution scientifique et technique encore jamais vu, les Européens croyaient voir s'ouvrir devant eux un avenir plein de promesses, régi par la science. Ils commençaient, en fait, à céder au vertige faustien d'une maîtrise et d'un pouvoir illimités sur la nature. On verrait bientôt les effets de cette illusion avec l'industrialisation de la guerre, qui multipliera, dans des proportions considérables, la puissance meurtrière et destructrice des armements. D'essence messianique, ce vertige n'est pas le fruit de la civilisation européenne, « mais de sa corruption ». Il a été dénoncé comme tel par quelques-uns des plus grands esprits de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, notamment Taine et Renan, Nietzsche, Miguel de Unamuno, Ortega y Gasset, Oswald Spengler, Max Weber, ou encore Arnold Toynbee.
A l'été 1914, quasiment personne n'imaginait le séisme qu'engendrerait l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, « Chez tous les belligérants, on croyait à une guerre courte, fraîche et joyeuse. Elle fut interminable, épouvantable et meurtrière comme jamais. C'était le cadeau imprévu fait aux hommes par le progrès industriel et la démocratie de masse, deux facteurs nouveaux qui allaient transformer la nature même des conflits armés. »
Commencé comme une guerre classique entre Etats, le conflit se termina en croisade idéologique faisant 12 millions de tués ( 9 millions de soldats, 3 millions de civils), provoquant l'intervention d'une puissance extra-européenne - les Etats-Unis - dans les affaires de l'Europe, liquidant, avec leurs aristocraties, les trois empires structurants du centre et de l'est européen - l'Empire allemand, l'Empire austro-hongrois et l'Empire russe -, humiliant, ruinant et affamant les vaincus, entraînant enfin des charcutages de frontières et de peuples portant à leur tour « le germe de la guerre suivante, plus catastrophique encore que la précédente » (50 millions de morts).
Ajouté au jacobinisme français, l'entrée en lice des Etats-Unis, avec leur messianisme puritain et mercantile, fut déterminante dans la destruction du jus publicum europaeum. Celui-ci fut remplacé par le droit du plus fort, enrobé d'un alibi moral. C'était revenir, sous une forme sécularisée, à l'esprit des anciennes guerres de religion dont les traités de Westphalie avaient débarrassé l'Europe. Les vainqueurs avaient mené « la guerre du droit et de la civilisation contre la barbarie ». L'ennemi vaincu se retrouvait ainsi criminalisé. L'article 231 du traité de Versailles (1919) faisait obligation à l'Allemagne de se reconnaitre coupable du conflit et l'article 212 prévoyait, initialement, de traduire l'empereur Guillaume II en justice. Cette dernière idée ne fut finalement pas appliquée, mais son principe était promis à un bel avenir.
Avec le président Thomas Woodrow Wilson, le « démocratisme » américain faisait ainsi irruption en Europe. Lui aussi était promis à un bel avenir. Au même moment, le bolchevisme, avec son messianisme de la table rase, incarné par Lénine, surgissait des décombres de l'ancien empire des tsars, menaçant directement l'Europe centrale, l'Allemagne et l'Italie. Dans la Guerre civile européenne - 1917-1945 (1987), l'historien allemand Ernst Nolte a montré comment le fascisme de Benito Mussolini et, surtout, le national-socialisme d'Adolf Hitler ne peuvent se comprendre que par rapport à la menace mortelle que le bolchevisme faisait subitement planer sur le monde européen.
Dominique Venner ajoute que, portant l'empreinte de la dureté de la jeune génération des tranchées de 1914-1918, l'un et l'autre reposaient, à l'origine, sur le désir de fonder une nouvelle aristocratie du mérite issue de la plèbe, et un socialisme affranchi de la lutte des classes. Contrairement au communisme, qui se posait en opposition à l'héritage européen (« Je hais la Russie », avouait Lénine), ils prétendaient réactiver celui-ci sur de nouvelles bases, au prix d'un effort cyclopéen. Restés tributaires des dérives démocratiques de masse, d'un nationalisme agressif et d'une volonté de puissance technicienne destructrice, ils ne firent qu'aggraver les ferments de décomposition présents avant 1914 et exacerbés par la guerre.
C'est particulièrement flagrant pour le national-socialisme. En effet, au-delà de leur ressemblance formelle, fascisme et national-socialisme diffèrent fondamentalement sur un certain nombre de points. Alors que le fascisme est avant tout une doctrine de l'Etat (pour Mussolini, l'Etat prime sur le parti), le national-socialisme hitlérien est un pangermanisme doublé d'une doctrine de la race, imprégnée de darwinisme et de scientisme. L'antisémitisme obsessionnel d'Hitler, si lourd de conséquences, est étranger à Mussolini,
On s’est souvent interrogé sur le soutien dont bénéficia Hitler auprès du peuple allemand, jusque dans les ruines de Berlin, en 1945. C'est que, dans son immense majorité, celui-ci ignorait les spécificités profondes de l'idéologie national-socialiste, Hitler restait, à leurs yeux, celui qui les avaient délivrés de l'humiliation du traité de Versailles. Est-ce par pur fanatisme que les adolescents de la Jeunesse hitlérienne se sont alors jetés dans la défense désespérée de la capitale du Reich déjà en ruines ? « Ce serait oublier l'essentiel, remarque Dominique Venner, l'esprit atavique du sacrifice, l'amour militaire de la discipline et le sens de la fidélité légué de génération en génération par les émules des réformateurs prussiens de 1813, C'est tout cela qu'Hitler ruinera après avoir abusé des qualités d'un peuple d'élite dont il fut la malédiction. »
La victoire de 1945 ne fut pas seulement une victoire « contre le nazisme » (ce dont tout le monde se réjouirait). Ce fut aussi une victoire contre ce qu'avait espéré et exprimé par écrit, peu avant d'être exécuté, l'organisateur de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, le colonel Claus von Stauffenberg : « [...] Nous voulons un peuple qui, enraciné dans la terre de sa patrie, demeure proche des forces de la nature, un peuple qui, libre et fier, dominant les bas instincts de la vie et de la jalousie, trouve son bonheur et sa satisfaction dans le cadre établi de son activité. Nous voulons des dirigeants qui, provenant de toutes les couches de la société, et liés aux forces divines, s'imposent par leur sens moral leur discipline et leur esprit de sacrifice. »
« La philosophie nationale conservatrice de ce programme de la résistance allemande, souligne Dominique Venner, était aux antipodes de ce que les vainqueurs imposeront à l'Europe déboussolée de l'après-guerre : l’antifascisme (autrement dit le communisme) et le matérialisme bureaucratique pour les uns, la religion du marché et la version américaine des droits de l'homme pour les autres. »
Aujourd'hui, face à l'imperium de « la religion du marché », les peuples redécouvrent peu à peu leurs sources primordiales. Victimes du ce chaos mental » introduit par « le siècle de 1914 », les Européens ont oublié les leurs. Toutefois, indique Dominique Venner, la crise que traverse désormais cet imperium peut réserver bien des surprises. L'avenir n'est écrit nulle part.
Christian Brosio
« Le Siècle de 1914 - Utopies, guerres et révolutions en Europe au XXe siècle », par Dominique Venner, Ed. Pygmalion.
Sources : Le Spectacle du Monde – Juillet Aout 2006.
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L'ORIGINE DES GÉNIES DOMESTIQUES
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1. LES GÉNIES ET LES DIEUX
Dans ce qui précède, nous avons pu découvrir qu'il existait un lien ténu entre certains génies et les anciennes divinités du paganisme. Si, dans quelques cas, les genii domestici semblent être les hypostases de dieux et de déesses du type de ceux que nous rencontrons dans l'Antiquité classique, dans d'autres cas les informations nous permettent de voir que les créatures étudiées peuvent être considérées comme les avatars de dieux, comme leur forme sécularisée. Au XIXe siècle, Hersart de La Villemarqué notait déjà (1) :
« A la fin de l'époque païenne, les génies domestiques semblaient avoir détrôné les dieux publics et généraux. La dévotion populaire, en se détournant de Teutatès, d'Heusus, de Belen, et de plusieurs autres habitants de l'Olympe celtique, s'était portée de préférence vers les divinités locales, moins haut placées et par cela même plus accessibles aux humains. »
Les traditions lituaniennes sont ici très révélatrices. Dans les anciens temps, le foyer était sacré et le centre d'un culte familial voué à Dimispatis. Les Annales des Jésuites notent, en 1604, que les habitants de ce pays « possèdent des dieux domestiques (deos domesticos) qu'ils appellent Dimispatis dans leur langue et sur lequel existent diverses opinions. Certains disent que c'est le dieu du feu et qu'il protège la maison de l'incendie, et ils lui offrent une poule [...]. D'autres déclarent qu'il s'agit de la mère de famille, et ils offrent aux mères un porc... ». Les génies liés au foyer et au feu procèdent donc certainement de Dimispatis dans ce pays.
Les barstucci et l’aitvaras sont, eux, considérés comme les serviteurs de Puscetus puis rapprochés des nains, mais « l'analyse contrastive de leur signification montre que les premiers sont liés à la terre et à l'eau, les seconds étant liés au feu et à l'air », note Jean Haudry (2).
Si nous englobons du regard les traditions mythologiques qui ont donné naissance aux croyances ou qui les ont influencées, à moins que ce ne soit l'inverse, nous voyons que chaque domaine possède sa ou ses divinités. En Lituanie, ce sont les Mères, Mère de la Forêt, du Vent, de la Neige, de la Nuit, etc. ; des esprits protecteurs comme les Laukasargai ou Zemespatis, le maître de la terre, veillent sur les champs ; — des divinités agraires, comme Ceroklis, protègent le blé, Useling (Using) s'occupe des chevaux, Tenisins veille sur les porcs... Un vieillard letton, interrogé par les Jésuites qui lui demandaient combien il y avait de dieux, répondit :
« II y a différents dieux, selon la diversité des gens, des lieux et des besoins. Nous avons un dieu qui règne sur les Cieux, nous en avons aussi un autre qui domine la Terre ; celui-ci, qui est le plus grand sur Terre, a sous ses ordres d'autres dieux de moindre importance. Nous avons un dieu qui donne le poisson ; un autre, le gibier ; nous avons un dieu pour le blé, pour les champs, pour les jardins, pour le bétail, c'est-à-dire pour les chevaux, les vaches et les autres animaux domestiques. Les sacrifices qu'on leur fait sont aussi différents : aux uns, des offrandes plus larges, à d'autres, des moindres, d'après la qualité de ces dieux, et toutes ces offrandes sont faites à certains arbres et à certains bois. Ces arbres sont dits sacrés. Au dieu des chevaux — que l'on appelle Deving Usching —, chacun offre deux sols et deux pains, et jette dans le feu un morceau de lard. A Moschel, le dieu des vaches, on offre le beurre, le lait, le fromage, etc., et, si une vache tombe malade, on fait vite une offrande aux arbres et elle va mieux. Au dieu des champs et des blés, le Deving Cerklicing, ils font dans les bois, à certains moments, le sacrifice d'un bœuf noir ou d'une poule noire, d'un porcelet noir, etc., et quelques tonneaux de bière, un peu plus ou un peu moins, selon la manière, et comme ce dieu Cerklicing les aura aidés (3). »
Ce témoignage très riche prouve qu'il n'existe pas de ligne de démarcation bien tranchée entre les dieux et les génies ; la nature des offrandes et l'endroit des sacrifices montrent comment les substitutions ont pu s'opérer ; l'exemple de la façon dont on obtient la guérison d'un animal malade est révélateur.
Bref, la nature est entièrement peuplée d'êtres surnaturels, tout domaine est confié à la garde de divinités ou de génies, et nous pouvons envisager une ligne d'évolution. Les besoins matériels des hommes et leur désir de se protéger contre les catastrophes menaçant leur survie — épizootie, calamités météorologiques, incendie, etc. — ont fait naître ces entités d'abord appelées dieux puis, lorsque la mythologie n'a plus correspondu au développement social et religieux d'un peuple, seule s'est conservée la fonction de ces créatures surnaturelles. Elles quittèrent donc le panthéon pour désormais résider chez les hommes, dans les lieux que nous avons vus plus haut. Les divinités des fruits de la terre sont entrées dans les granges et celles du bétail dans les bâtiments qui lui sont dévolus. En quelque sorte, les divinités se sont sédentarisées et attachées à des demeures précises. Il est difficile de savoir dans quelle mesure le culte des ancêtres a ici joué un rôle important, mais des indices parlent en faveur d'une interaction des deux sphères, celle des dieux et des morts, notamment les offrandes et sacrifices qui tombent à des dates où l'on vénère en même temps les défunts et les dieux (4). La question des repas sacrificiels organisés en hiver chez divers peuples d'Europe mériterait d'être creusée car elle permettrait sans doute de préciser les choses, ces repas étant souvent destinés à la fois aux bons morts et aux génies. Signalons un dernier indice de cette transformation des dieux en génies : il n'est pas rare de voir que le genius domesticus ne réside pas directement dans la maison mais dans le courtil, le clos, voire la haie qui délimite l'espace domestique, la ferme ou la demeure, ou encore dans un arbre ou une pierre se dressant dans la cour. Peut-être tenons-nous là l'étape intermédiaire précédant l'installation du génie au sein de la maison...
Les éléments lexicaux ne doivent pas non plus être négligés. Une lettre que Maeletius adresse à Georg Sabinus, recteur de l'Université de Königsberg, donne une liste de divinités parmi lesquelles nous trouvons un certain Piluitus, « dieu des richesses que les Latins appellent Plouton (5) ». Or ce Piluitus n'est pas un inconnu pour nous, c'est le Bilwiz des traditions allemandes, être assimilé aux nains et considéré tantôt comme un génie domestique, tantôt comme un démon du blé (6). Or Maeletius le place sur le même rang que de grandes divinités comme Patrimpas, Putscetus et Antrimpas ; du reste, il n'oublie pas les Barstucci dans son énumération, précisant que les Allemands les nomment erdmenle, c'est-à-dire « Subterranéens (7) », ce qui n'est pas tout à fait exact puisque les traditions populaires distinguent l'Hommuncule de la Terre des Subterranéens (Underjördiske, Unterersche, etc.). Quoi qu'il en soit, cet exemple permet de se faire une idée des glissements qui se sont opérés au cours de l'évolution historique.
L'étude lexicale et sémantique permet d'autres avancées. Dans le cas du Schrat, que Michael Beheim présente comme un genius catabuli au XVe siècle, elle met au jour la collusion entre génies et morts. Dans les gloses les plus anciennes, schrat est traduit par larva et monstrum, « mort, revenant », et par lares mali, « mauvais Lares ». Beheim déclare : « Bien des gens croient que chaque maison possède un petit schrat qui fait la fortune et accroît le prestige de qui l'honore », alors que Hans Vintler, qui vivait à la même époque, affirme : « Beaucoup croient que le schrat est un petit enfant aussi rapide que le vent, et une âme en peine (8). »
L'enchevêtrement des traditions populaires ne permet pas de conclusions péremptoires ; les indices relevés indiquent toutefois que, derrière les amalgames et superpositions, se cachent une logique et une évolution historique qui tendent à rapprocher les créatures surnaturelles des hommes.
2. L’ORIGINE SELON LES TRADITIONS POPULAIRES
Comment une habitation, simple demeure ou ferme, acquiert-elle un génie qui va la protéger ? À cette question sans cesse posée par les ethnologues au cours des grandes enquêtes de la première moitié du XXe siècle, les paysans interrogés ont répondu de diverses façons, toutes plus intéressantes les unes que les autres car une opinion fondamentale se dégage, qui lie le génie à un mort.
Les diverses traditions
L'enquête de Martti Haavio en Finlande donne un bon aperçu des explications fondamentales. Le génie est celui qui a allumé le feu pour la première fois dans la nouvelle maison, le fondateur de la ferme, celui qui est arrivé le premier sur le terrain de construction et l'a défriché, ou bien le premier habitant du lieu à avoir trépassé (9). En Ingermanie et dans d'autres régions des deux bords de la mer Baltique, ce peut être un génie topique que l'on a pour ainsi dire apprivoisé grâce au sacrifice de construction ou à un don, une offrande qui représente en fait le prix d'achat du terrain et donc l'exécution d'un contrat tacite entre l'homme qui s'installe et le génie (10). L'offrande est déposée sous le seuil, sous le plancher, dans un coin, entre deux poutres précises, etc., c'est-à-dire là où l'on estime que se tient le génie, celui-ci conservant apparemment ses droits de propriété et de gestion, étant nu-propriétaire, alors que le nouvel occupant n'est que l'usufruitier du lieu ; le génie réside où il veut dans la maison, en un ou plusieurs lieux dont le paysan n'a pas l'usufruit et, si on dort là, il vous réveille et vous contraint à changer de place (11), allant jusqu'à se transformer en cauchemar à forme de chat.
Dans les Alpes françaises, le génie est né d'un œuf de coq couvé dans du crottin de cheval ou d'un placenta qu'a mangé un chat ; on dit aussi qu'il s'agit d'un esprit errant qui n'a pas été baptisé, des âmes des enfants morts sans baptême mais une autre explication affirme qu'on peut l'acheter ou l'obtenir du diable : « Pour se procurer un diablotin, il faut se rendre avec une poule noire à la croisée de cinq chemins, dire une prière spéciale et se donner au diable pendant un an (12). » « Diablotin » n'est qu'un des multiples noms du génie en Isère. On dit la même chose en Lettonie à propos du pukis : il faut vendre son âme au diable ou le double — alter ego, âme externe — d'une personne maléfique (13). Dans la région de Riga, on affirme l'obtenir contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le Servan alpin s'achète, se vend ou se transmet, et la même idée se retrouve partout outre-Rhin où l'on dit aussi qu'il faut l'inviter rituellement : « Dans la Marsch de Hattsted (Schleswig-Holstein), près d'une digue, habitait un paysan, un Frison appelé Harro Harrsen... C'était un esprit avisé qui savait se tirer de tout. En voyant une cavité dans un pilier de bois de chêne, il se dit qu'elle ferait un bon logis pour un petit Niskepuk. Quand sa maison fut édifiée, il cloua sous la cavité une planche large d'une main, comme une bordure, y posa une écuelle avec du gruau beurré à souhait et lança gentiment : "Venez donc, gentils Niskepuk !" Ils ne se firent pas attendre et arrivèrent pour examiner la nouvelle bâtisse. Ils la traversèrent en dansant et l'un d'eux, haut de trois pouces, y resta et s'établit dans la cavité du pilier (14). »
Chez les Sames, le Halde est souvent héréditaire dans certaines familles, mais on peut aussi en faire l'acquisition (15).
En Ingermanie, voici comment on décrit la « naissance » du génie domestique : « Quand on commence à édifier une maison, on élève une croix de bois, alors naît l'esprit ; la croix est debout jusqu'à ce que les murs soient dressés ; alors on la retire et on en fait du petit bois (16). » En Russie, chaque maison habitée possède un esprit appelé Domovoj, qui est souvent la première personne décédée.
Les traditions allemandes, fort bien étudiées par Erika Lindig(17), nous livrent des détails à ne pas négliger. Souvent, les génies s'engent auprès du maître de maison, exactement comme le ferait un valet de ferme ou un journalier, mais la méfiance des hommes les oblige parfois à recourir à la ruse. Pour entrer dans la maison, ils se transforment en un objet anodin et se placent au bord du chemin en attendant qu'on les ramasse et emporte. Cette tradition nous révèle donc qu’ils ne peuvent à priori investir une demeure sans y avoir été invités ou amenés, ce qui prouve bien que la demeure est un espace sacré qui s'oppose à l'irruption des êtres surnaturels. Il convient ici d’être prudent et de ne pas penser que cette conception est ancienne ; à notre sens, elle témoigne plutôt d'une diabolisation de tous ces petits démons qui sont privés d'une partie de leurs pouvoirs.
Le génie entre aussi dans l'habitation avec le bois de construction, et l'explication canonique est la suivante : un esprit a été banni, par un prêtre ou un sorcier, dans un arbre ; quand on abat celui-ci pour en faire une poutre, il y réside toujours et, une fois la nouvelle bâtisse édifiée, il entame une nouvelle vie, cette fois comme génie de celle-ci. Cette tradition soulève un problème que nous ne pouvons résoudre dans l'état de nos recherches mais qu'il convient de signaler. En norrois, la poutre se dit àns et dvergr, c'est-à-dire « Ase » nom d'une famille de dieux, et « nain » : cette pièce de bois de construction aurait-elle été ainsi nommée parce qu'elle était censée être le séjour d'un être surnaturel ou, tout simplement, parce qu'elle était sacrée, tout comme la poutre centrale soutenant le toit (gusitora) que les Goldes de l'Amour identifient au génie domestique (18) ?
Les génies et les morts
« Le premier habitant mort peut se transformer en génie domestique », note M. Haavio pour la Finlande. H.-F. Feilberg le confirme pour les pays Scandinaves, mais L. Honko constate que ce n'est jamais le cas en Ingermanie (19). Eugène Rolland cite un témoignage du Finistère qui dit : « Les lutins des écuries sont d'anciens valets de ferme. De leur vivant ils négligeaient les chevaux qui leur étaient confiés ; après leur mort, ils sont condamnés à en prendre soin(20). » Tout au long de notre enquête, nous avons sans cesse été confrontés à des indices qui impliquent un lien étroit entre le génie domestique et la mort, ce qui finit par forcer l'attention et soulever des interrogations. Voyons un peu quelles sont les traces significatives.
Chez les Valaques, le zimt est la fête des dieux domestiques, — chaque foyer en possède un — et des ancêtres. La maison est nettoyée, la table est dressée, on invite ses amis et on célèbre en même temps la mémoire des aïeux disparus, que l'on convie à la table où des places vides leur sont réservées(21).
En Bulgarie, à la fête des Morts, on déposait des offrandes dans le foyer en disant : « Réjouis-toi, maître de la maison (22). » En Allemagne, les âmes des ancêtres se tiennent volontiers près du fourneau, résidence habituelle des génies et, en Suisse, les traditions recueillies dans le canton d'Uri par Josef Mùller, au début du XXe siècle, nous disent que les âmes en peine séjournaient devant, derrière ou dans le poêle (23). Les défunts demeuraient aussi dans les portes (24) et dans le bloc de bois qui forme le seuil, et on affirmait ceci : « Celui qui abat une vieille maison dans le Schächental (Uri) et en construit une nouvelle ne doit jamais emporter le bloc de seuil qui doit être troué, sinon les esprits et le malheur de la demeure abattue entreraient dans la nouvelle (25). »
En Estonie, « on dépose pour les morts des nourritures sur le plancher d'une pièce », nous apprend J. Grimm (26) ; « le maître de maison y entre tard le soir avec une longue torche et incite les défunts à manger en les appelant par leur nom. Quelque temps après, quand il croit qu'ils se sont rassasiés, il leur ordonne, en brisant sa torche sur le seuil, de retourner là d'où ils sont venus et de se garder de marcher sur leur robe en chemin ; si la récolte était mauvaise, on l'attribuait à une mauvaise hospitalité des âmes », or ce rite recoupe celui destiné à se propitier les esprits domestiques. Un peu partout, le génie se comporte comme une dame blanche (banshee) et annonce la mort du maître des lieux (27). Il se confond souvent aussi avec l'esprit frappeur (Poltergeist) qui est la plupart du temps un défunt qui manifeste sa présence par des bruits divers (28).
Au XVIe siècle, la Chronique de Zimmern dit, parlant des erdemenle et des wichtenmendle : « Beaucoup croient qu'il s'agit d'hommes qui furent maudits autrefois et qui espèrent être rédimés par les humains, c'est pourquoi ils s'engagent et s'activent si gentiment chez les personnes pieuses et honorables (29). » Dans les Légendes allemandes, Grimm note à propos d'un lutin domestique, nommé Kurt Chimgen ou Heinzchen (30) :
« On pense que ce sont de véritables hommes sous la figure de petits enfants, vêtus d'une robe bariolée. Si l'on en croit certaines personnes, les uns auraient un couteau planté dans le dos, les autres un autre objet ; tous porteraient des marques plus ou moins hideuses, selon qu'ils auraient été tués autrefois de telle ou telle manière, avec tel ou tel instrument. Je dis tués car on les tient pour les âmes de ceux qui ont été anciennement assassinés dans la maison.
Si parfois il arrive que la servante soit curieuse de voir son petit valet, son Kurt Chimgen ou Heinzchen, noms qu'elle donne au lutin [...], l'esprit lui indique le lieu où elle pourra le voir, mais il lui recommande en même temps de porter un seau rempli d'eau froide. Là, elle le voit d'ordinaire étendu nu sur un petit coussin, avec un grand coutelas dans le dos. Plusieurs sont tellement effrayées à cette vue qu'elles tombent inanimées ; alors le lutin se lève aussitôt, leur verse le seau d'eau sur le corps et elles reviennent à elles, mais elles n'ont plus envie de voir le lutin. »
Le thème de la mort est tellement récurrent que les chercheurs ont admis qu'il était l'une des racines de la croyance aux génies domestiques — l'autre étant celle aux genii loci —, qui représenteraient même « l'âme collective » d'une famille (31) et relèveraient du culte des ancêtres. Leander Petzold remarque à ce propos que « le fondement de la représentation des génies domestiques est à chercher dans les Mânes, Lares et Pénates des Romains, auxquels on apportait des offrandes (de nourriture) dans le coin de l'âtre. L'âtre est consacré aux ancêtres dont on doit attirer la bienveillance par des sacrifices, et ils exercent une fonction tutélaire sur la maisonnée (32) ». En faveur de cette déduction, les érudits soulignent que les génies domestiques possèdent souvent l'aspect de personnes décédées, qu'ils sont largement anthropomorphes, que leur caractère est celui des hommes et qu'ils reçoivent les mêmes offrandes et témoignages de respect que les défunts aïeux. En outre, les uns et les autres se tiennent aux mêmes endroits dans la maison. Lorsqu'ils ont une forme animale, elle correspond souvent à celle des figurations de l'âme dans les croyances, à savoir serpent ou volatile. Enfin, il est remarquable que les génies entretiennent des relations précises avec les enfants : ils viennent les bercer la nuit et les nourrissent par exemple, et quand ils ont une forme ophidienne, ils mangent dans la même écuelle que les petits et jouent avec eux. Souvenons-nous que le sajbija bulgare est aussi un ancêtre décédé (33) et que, chez les Grecs, se rencontre la même conception (34).
Morts et génies sont donc censés se tenir dans les mêmes endroits au sein de la maison. Dans l'Antiquité classique, le nouveau-né était posé sur le foyer pour être présenté aux ancêtres et aux génies domestiques (35), et la survivance de ce rite se relève dans la Mark, la Poméranie et dans la région de Lubeck.
3. LES NOMS DES GÉNIES DOMESTIQUES
Les génies portent une foule de noms selon les pays et leur lieu de résidence. Ces noms sont parlants et méritent l'attention. Au Moyen Âge, les attestations sont déroutantes car la plupart des témoignages proviennent de clercs qui déforment tout en substituant aux dénominations locales des équivalents latins. Tous les noms des anciennes petites divinités romaines peuvent ainsi recouvrir des personnages des croyances locales, ce qui ne facilite guère l'enquête, et seul le contexte permet de voir ce qui se dissimule derrière les vocables issus d'une autre culture et déformés par la vision chrétienne des choses. Nous avons pu voir que des termes comme faunus, satyrus, portunus et pilosus qui, chez les Romains, désignent des divinités champêtres et sylvicoles, équivalaient à des génies domestiques chez Burchard de Worms et Gervais de Tilbury. Dans la littérature de divertissement, ces mêmes génies sont assimilés à des nains la plupart du temps et même à des cauchemars. Outre-Rhin, le Moyen Âge les appelle zwerc, schrat ou mâr. Là encore, seul leur mode d'action permet de les reconnaître car leur habillement est celui que l'on prête aux nains.
Pour le haut Moyen Âge, l'information est des plus succinctes, hormis celles que délivrent quelques rares textes en latin. Outre-Rhin, Notker l'Allemand (950-1022), moine de Saint-Gall, traduit pénates et Lares par ingoumo et ingesid, « Quelque chose que l'on perçoit dans la maison, que l'on doit respecter » et « cohabitants », ce qui n'est pas un nom mais plutôt une périphrase destinée à rendre l'idée d'une puissance numineuse (numinosum). Dans les croyances populaires auxquelles Notker se réfère, on se garde de citer le nom de l'être surnaturel de peur de le faire apparaître, ce que confirme une autre dénomination, wiht, qui signifie à peu près « créature » et qui sert, dans la suite des temps, à former Wichtelmännchen qui désigne des nains et des génies. Les recueils de gloses antérieures à l'an mille donnent « dieu du lieu » (stetigot) pour genius ou encore « dieu domestique » (hûsgot) (36) et même « Habitant » (husing), que nous retrouvons chez les Lettons où Ûsins (37) est le génie protecteur des chevaux — en 1606, les Annales des Jésuites parlent d'un deo equorum, quem vocant Dewing Uschinge — qui est peu à peu assimilé à saint Georges (St. Jürgen) au dire de J. Lange, en 1777. À partir du XIIe siècle se rencontre kobold, c'est-à-dire « celui qui règne sur la pièce », et qui, dans les gloses en vieil anglais, apparaît sous la forme plurielle cofgodas, « les dieux de la pièce », « pièce » englobant toutes les parties de la maison, cellier, salle principale, etc., ou bien désignant le « poêle », c'est-à-dire l'unique pièce chauffée des anciennes habitations, la Stube allemande. Dans la suite des temps, kobold supplante tous les autres noms, ou bien nous rencontrons des termes vagues comme getwas, « esprit, nain ». Au XIIIe siècle, Rodolphe de Silésie cite le stetewaldiu, « celui qui règne, sur le lieu ; celui qui dirige la maison », le vocable désignant donc une fonction, et Conrad de Wurtzbourg donne taterman comme synonyme de « kobold ».
Au XVIe siècle, les génies domestiques reçoivent dans les Vosges le nom de sottrels ou de soteretz et sont tenus pour des démons incubes qui recherchent la compagnie charnelle des femmes qu'ils suivent (38). Dans son discours des spectres paru en 1586, Pierre Le Loyer cite plusieurs esprits hantant les demeures et, parmi eux, le gobelin :
« Quelquefois aussi es maisons particulières, on ouit des bruits et tintamarres qu'y font les Rabbats, Lutins ou Esprits follets. Ce n'est point une fable ce qu'on dit de ces follets [...] car je dirai à Lucian et à ses semblables, aussi incrédules que lui, qu'il se trouve assez de maisons lesquelles ces Esprits et Gobelins hantent et ne cessent de troubler le repos de ceux qui y habitent ; car tantôt ils remueront et renverseront les ustensiles, vaisseaux, tables, tréteaux, plats, écuelles, tantôt ils tireront de l'eau d'un puits ou feront crier la poulie, casseront les verres, feront rouler par les degrés je ne sais quoi de pesant, feront tomber les ardoises et tuiles du toit, jetteront des pierres, entreront dans ès chambres, contreferont tantôt un chat, tantôt une souris, tantôt d'autres animaux [...], fouleront les personnes couchées en leur lit, tireront les rideaux ou la couverture et feront mille singeries. Et n'apportent ces Follets d'autre nuisance ou incommodité aux personnes qu'en les inquiétant, foulant ou empêchant de dormir ; car les vaisseaux de la maison qu'ils semblent avoir tous rompus et brisés se trouvent le lendemain en leur entier (39). »
Le gobelin, dont le nom se rencontre pour la première fois dans la Vie de saint Taurin (XIe siècle), apparaît ici avec tous les traits des génies domestiques que nous rencontrons quelques siècles plus tard. Il est espiègle et farceur, sème le désordre et agit comme un cauchemar. Dans l'Aubrac, on l'appelle drac.
Outre-Rhin, on appelle ce type de génie Hommelet de la Terre (Erdmännlein), ce qui est aussi l'appellation de nains indéterminés, et la Chronique du comte Froben de Zimmern (mort en 1567) fait de ces êtres des anges déchus dont la faute fut moindre que celle des compagnons de Lucifer. « Ils ont reçu un corpus solidum de la terre et ne sont pas éthérés comme les autres esprits [...]. Ils ont l'espoir de rentrer en grâce et d'être rédimés », ce qui explique « qu'ils se livrent à de bonnes actions et visitent les gens honorables et leur rendent service dans leurs affaires justes et honnêtes (40) ». Jean Wier confirme leur nom : « Bien des êtres de la famille des Lares et des Larves [...] sont appelés Hommelets de la Terre par le commun », et il donne les précisions suivantes : « II en existe deux sortes. Certains sont très doux, débonnaires et dociles, c'est pourquoi on les appelle Lares familiares à juste titre, c'est-à-dire petites divinités domestiques. Ils déambulent dans les maisons, surtout la nuit et se font entendre [...] comme s'ils étaient très affairés, descendant les marches, ouvrant les portes, allumant le feu, tirant de l'eau, cuisinant et expédiant ce qui relève du ménage quotidien, mais ils ne font pas tout cela pour de vrai (41) ... » La seconde catégorie comprend des individus « méchants et violents qui troublent la maisonnée ou, à tout le moins, l'effraient ». Pour le jésuite Pierre Thyraeus, professeur de théologie, ce sont des homoncules (homunciones) et des génies domestiques (Lares domestici) que les hommes appellent des « Jeannots » (Hensemenle) et que les païens avaient coutume de vénérer comme des idoles (42). Il est intéressant de noter que Thyraeus pense que certains génies ne sont que des « âmes humaines condamnées aux tourments de l'enfer et d'autres devant être purifiées par les peines du purgatoire (43) ». Les avis se partagent entre une interprétation des génies comme diables — l'influence de Luther est indéniable (44) —, comme êtres surnaturels et comme défunts.
Au XVIIe siècle, ces opinions se maintiennent et les termes latins qui reviennent sans cesse sous la plume de savants comme J. Clodius et J.-C. Rudinger sont Lares domestici, Lares familiares, mais cette dernière dénomination renvoie plutôt à l'esprit familier (spiritus familiaris) que l'on conserve dans une fiole de cristal ou dans un autre récipient (45). Jean Praetorius nous apprend que le peuple pense qu'il s'agit des âmes de personnes ayant été assassinées dans la maison (46).
Les traditions populaires nous livrent un très grand nombre de dénominations qui se distribuent en six familles :
— La créature reste vague et indéterminée ; on l'appelle « monstre inquiétant » (Umg'hyri), « fantôme » (Gespenst) ou « hantise » (Spuk).
— On la nomme d'après son aspect physique : « Jeune » (Junge), « Petit Gaillard » (Kerlchen), « Hommelet » (Mannchen), « Femmelette » (Weiblein), « Femme » (Frau), « Demoiselle » (Fraulein), tous ces termes renvoyant à des créatures anthropomorphes. Nous avons aussi « Poucet » (Däumling) et des vocables qui connotent l'idée de malformation (Grieske, Schrättli). Mais les noms qui renvoient à des objets ne sont pas rares : Puk (Pug, Butz, Popele) signifie ainsi « bout de bois, billot, tesson de poterie », ce qui nous apprend que ces êtres sont amorphes à l'origine, qu'on leur a peu à peu donné des traits humains, et que ce furent certainement des idoles.
— C'est leur couleur qui est déterminante, et les noms cités ci-dessus sont associés aux adjectifs gris, blanc, rouge, — ou l'âge attribué à la créature : elle est vieille.
— Ces êtres doivent aussi leur nom à leur lieu de résidence ou d’action : Hommelet de la Cure (Pfarrmännel), de la Cave (Kellermännchen), ou encore à leur travail : Hommelet du Fourrage (Futtermännchen), et à leur préoccupation, tel l'Hommelet du Feu (Feuermännchen) ou du poêle (Ofenmännchen). En Scandinavie,
l'esprit du feu s'appelle Lokke et aarevetti (esprit du foyer).
— Ils sont nommés en fonction de la façon dont ils se manifestent et le bruit prédomine ici : Frappeur (Klopfer, Klopferle), Bruiteur (Schlapper), Gargouilleur (Rumpele), etc.
— L'habillement joue un rôle important ; on en retient un trait marquant et nous avons ainsi : Chapelet ou Capuchon (Hütchen, Hödeken), Botté (Stiefel), Robe verte (Grünrock), Culotte bleue (Blauhösler), etc. Dans certaines régions prédomine une forme : en Saxe-Anhalt, c'est celle du monachus, et ces génies s'appellent « Moine » tout simplement, et évoquent le Monaciello italien.
On retiendra que plus de la moitié de ces génies est de sexe masculin et que les noms sont très souvent des diminutifs, ce qui suggère l'idée de la petitesse des individus ou bien celle de la familiarité, de l'affection, ce qui ressort particulièrement des prénoms humains qui fournissent environ 5% des appellatifs : Jeannot (Hänschen, Jokele), Bartel, diminutif de Barthélémy, Chimeken (47) (Petit Joachim), etc.
En marge de ces dénominations, nous rencontrons des noms qui désignent à la fois des génies, des esprits et des morts. En Suisse par exemple, dans le canton d'Uri, Umghyr, « monstre, revenant », et Gspängst, « fantôme, esprit », s'appliquent à toutes sortes de manifestations surnaturelles au sein des demeures. Umghyr correspond à Unhür en Allemagne du Nord, qui désigne un mort malfaisant qui revient et possède parfois les traits d'un vampire. Dans les Alpes valaisannes, Coqwergi désigne le servan qui naît d'un œuf de coq, ou d'une poule noire, couvé par l'homme...
Nous pouvons recouper toutes ces informations en provenance d'Allemagne par celles originaires d'autres pays. En Russie, le génie domestique s'appelle domovoj, « le Maître de Maison » et O.A. Cerepanova note en parlant de ce pays : « Une autre composante de cet univers fantastique est la représentation des êtres transcendants, des esprits et des patrons de divers lieux et domaines. Leur présence dans la maison et dans la cour, aux champs, dans les forêts et dans l'eau est un axiome pour beaucoup d'habitants du Nord encore de nos jours (48). » Le domovoj protège surtout les poules, et les Vots l'ont emprunté sous la forme domovikka (tomavoi, damavoi). En Bulgarie, stopan, « le Protecteur » ou talasum, « l'Esprit de la Maison » désignent le bon génie, mais sajbija, emprunté au turc et signifiant « Maître de la Demeure » n'est attesté qu'au nord-ouest du pays. Nous relèverons au passage que sajbija désigne aussi l'homme que l'on a emmuré dans les fondations ou un membre défunt de la famille qui, en raison de ses œuvres, a laissé un bon souvenir (49).
En France, les traditions populaires recueillies par les ethnologues sont tout aussi riches. Dans les Alpes, on connaît le Servan, qui vient du latin sylvanus, le Chaufaton, le Familier, le Follet (follaton, foulât), le Farfollet et le Matagot, alors que, dans les Pyrénées, Galtxagorri, Mamarro, qui vit dans le foyer, Osencame et Sarricachau, « Dent d'isard », sont préposés à la bonne marche des maisons. Au Pays basque, le génie appelé Maide a même été christianisé pour donner saint Maide ! Le sotré ou satré lorrain est un petit homme laid, difforme et aux pieds fourchus ; il aide la nuit aux travaux domestiques et aime s'occuper des enfants.
En Navarre, le génie domestique porte pour nom « Maître du Logis » (Etxajaun) et, chez les Ossètes, Binat(i)xicau a le même sens ; en Aragon, se rencontre Menos et, en Catalogne, les Minairons. En Grèce actuelle, le töpakas, c'est-à-dire le « Protecteur de la demeure », est étymologiquement lié à topos, « le lieu, la place ».
Les pays du Nord sont particulièrement riches en attestation de la croyance aux génies domestiques. Chez les Finnois, Haltia est le nom le plus répandu et il signifie « le Maître », sous-entendu du lieu (50), et chez les Sames Scandinaves, communément appelés Lapons, les Haldes (hal’de, forgé sur haltia) sont des esprits gardiens anthropomorphiques. En Ingermanie, se rencontrent de nombreux mots composés avec haltia (51), dont Huoneenhaltia, « l'esprit de la salle de séjour ». En Lituanie, Dimispatis est, selon le rapport d'un jésuite daté de 1604, préposé au feu et protège la maison de l'incendie (domos ab igné custodit) (52), alors que Causas Mate, « la Mère de la Prospérité », veille sur la nourriture et que divers génies du foyer sont attestés : les pukys, aitvarai et kaukai. L'Estonie connaît essentiellement le Majavaim, « l'Esprit de la maison », le Majahaldas, « l'Esprit tuté-laire de la demeure », et le Majahoidja, « le Gardien de l'Habitation ». Les Lettons portent un culte au Maître de la Demeure (Mâjas kungs) dont la résidence est le foyer. Pour sa part, la Scandinavie offre cinq séries de dénominations.
La première est forgée sur tomte, « terrain de construction » et associée à des termes signifiant « homme, habitant, esprit », et le terme est passé en Finlande (53) ;
la seconde est formée de tufte, « lieu où l'on va édifier une maison », auquel s'adjoint un déterminant identique à ceux que nous venons de citer ou signifiant « gardien » (vord) ;
la troisième a pour base tun, « ferme, lieu construit » ;
la quatrième gard de même signification (54), la dernière est ra, « maître, souverain », seul ou en composé. Les Votyaks sibériens connaissent le « Maître de l’étable » (gid-kuzo), « du Sauna » (munt'so-kuzo) et « l'Homme du Séchoir à Grains » (obin-murt) (55).
Il faut aussi noter qu'une maison possède un ou plusieurs génies. Quand ils sont nombreux, il s'agit la plupart du temps d'une famille, mais cette conception semble due à une contamination avec les nains. « En général », dit-on du Puk au Schleswig-Holstein, « un seul a l'habitude de résider dans l'habitation, et on l'appelle Nes Puk (56) », et un autre témoignage de Frise nous livre ce qui suit :
« Un pauvre paysan finit par se construire une demeure grâce aux dons de ses voisins et pour assurer son bonheur, il invite les Puke. Ils vinrent bientôt examiner la nouvelle maison, y dansèrent, et l'un d'eux, haut de trois pouces, y resta et choisit de résider dans un trou du poteau. »
Nous soulignerons toutefois qu'il est fréquent que chaque bâtiment d'une exploitation possède son propre génie, ce qui se dégage de la pluralité des noms attestés dans une même aire géographique. Les Lettons connaissent toutefois l'idée de familles de génies domestiques, et Andrejs Johansons cite le cas d'une famille de Lives qui fait des offrandes au père et à la mère de la demeure ainsi qu'à leurs enfants (57).
De cette présentation de l'onomastique des génies nous retiendrons essentiellement les notions de « maître », de « gardien » et de « protecteur ». Le génie domestique est avant tout un esprit tutélaire, serviable et bienveillant, et la majorité des noms en reflète l'anthropomorphisme. Mais à quoi ressemble-t-il exactement ? Comment se manifeste-t-il ?
Claude lecouteux
Notes :
1. Myrdinn ou Venchanteur Merlin, p. 7 ; cité par Laisnel de la Salle, Croyances et Légendes du cœur de la France, 2 vol., 1875, réimpression Paris, 1994, t. 2, p. 111.
2. Cité par Jouet, Religion et Mythologie des Baltes. Une tradition indo-européenne, Milan, Paris, 1989, p. 130.
3. Cité par A. Gieysztor, « Les Divinités lettones », in : P. Grimai (éd.), Mythologie des peuples lointains ou barbares, Paris, 1963, p. 105.
4. Cf. M. Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1949, pp. 297-299. Les morts ont toujours été mis en relation avec la germination et la fertilité.
5. Piluitum, deum divitiarum, quem latini Plutum vacant. Cité d'après Jouet, Religion et Mythologie des Baltes..., op. cit., p. 66.
6. C. Lecouteux, « Der Bilwiz : überlegungen zur Entstehungs-und Entwicklungsgeschichte » Euphorion 82 (1988), pp. 238-250.
7. Barstuccas, quos Germani erdmenlen, hoc est subterraneos, uocant.
8. Cf. C. Lecouteux, Les Nains et les Elfes au Moyen Age, Paris, 1972, pp. 182-184.
9. Haavio, Suomalaiset..., op. cit., pp. 39-71.
10. Ibid., p. 194.
11. Ibid, p. 235 sq.
12. Témoignage recueilli en Isère en 1960 ; cf. Abry, Joisten, « Croyance au diable...op. cit., p. 69. Bon aperçu des génies domestiques aux pages 59-90.
13. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 121.
14. Cité par Lindig, Hausgeister..., op. cit., p. 78.
15. A. Labba, Anta, Mémoires d'un Lapon, Paris, 1989, p. 473.
16. Honko, Geisterglaube..., op. cit., p. 194.
17. Pour ce qui suit, cf. Lindig, Hausgeister..., op. cit., pp. 74-79.
18. Paulson, « Hausgeister... », art. cit., p. 129.
19. Honko, Geisterglaube..., op. cit., p. 193.
20. E. Rolland, Faune populaire de la France, t. 4, Paris, 1967, p. 199.
21. Cf. A. et A. Schott, Contes roumains, Paris, 1982, p. 258.
22. HDA4, 1271.
23. J. Mùller, Sagen ans Un, 3 vol., Baie, 1929-1945, n° 997 ; 998 ; 1059.
24. Ibid., n° 1021 ; 1162 C et D, mais d'autres esprits s'y trouvent aussi, cf. n° 1021 ; 1044 A; 1087.
25. lbid., n° 1162 G.
26. Grimm, Mythologie, op. cit., n° 42.
27. Pour la Franconie, cf. Linhart, Hausgeister..., op. cit., p. 370 sq. ; 382 ; 400 sq.
28. Cf. C. Lecouteux, « Ces bruits de l'au-delà », Revue des Langues romanes 101 (1997), pp. 113-124.
29. Barack, Zimmersche Chronik, 1564-1566, 4 vol., Stuttgart, 1869, t. 4, p. 228.
30. J. et W. Grimm, Deutsche Sagen, éd. H. Rolleke, Francfort, 1994 (Bibliothek deutscher Klassiker, 116), p. 126 sq. (N° 75).
31. État des recherches chez Lindig, Hausgeister, op. cit., p. 154 sq.
32. L. Petzold, Kleines Lexikon der Damonen und der Elementargeister, Munich, 1990, p. 91.
33. Arnaudov, art. cit., p. 131. Cf. aussi D.-A. Rabuzzi, « Some notes on thé household spirit in Norway », Scandinavian Yearbook of Folklore 38 (1982), pp. 87-101, ici p. 97. Rabuzzi n'hésite pas à parler du gardvord comme « personnification du rudkall ou stamfader qui peuvent servir de point de ralliement à la communauté ».
34. Arnaudov, art. cit., p. 132.
35. Diederich, Mutter Erde, p. 9 sq. ; autres traces chez Reginon de Priim et Burchard de Worms, cf. Grimm, Mythologie 3, 410, op. cit.
36. E. von Steinmeyer, E, Sievers, Die althochdeutschen Glossen, 5 vol., Berlin, 1879-1922, II, 468, 18 passim ; II, 361, 4 passim.
37. Cf. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., pp. 201-207.
38. Ce qui a entraîné une étymologie erronée qui dérive sottrel du verbe « sauter » (saltare) alors que le terme vient du latin satyrus.
39. Discours des spectres IV, 18 ; cité par Ph. Walter, Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu. Rite, mythe et roman, Paris, 1996, p. 205.
40. Zimmerische Chronik, éd. K. Barack, 4 vol., Fribourg, 1881-1882, t IV, p. 132.
41. J. Weier, De praestigiis daemonum. Von Teiiffelsgespenst, Zauberern und Gifftbereytern, Francfort, 1586, p. 63.
42. P. Thyraeus, Loca infesta : hoc est : De infestis, ob molestantes daemoniorum et defunctorum hominum spiritus..., Cologne, 1598 ; pp. 327-343.
43. Ibid., p. 17.
44. Luther, « Tischreden », in : Luthers Werke, 6 vol., Weimar, 1912-1921, t 3, p. 634 sq.
45. Ibid., p.63
46. Prätorius, Neue Welt-Beschreibung von allerley wunderbarlichen Menschen..., Magdebourg, 1666, p. 314 sq.
47. Sur ce personnage célèbre en Allemagne, cf. J.-D.-H. Temme, Die Volkssagen von Pommern und Riïgen, Berlin, 1840, n° 214.
48. O.A. Cerepanova, « La Profondeur de la mémoire. Etudes ethnolinguistiques », Cahiers slaves 2 (1999), pp. 156-168, ici p. 156.
49. Cf. M. Arnaudov, « Der Familienschutzgeist im Volksglauben der Bulgaren »,
Zeitschrift fur Balkanologie 5 (1967), pp. 127-137. Sur le stopan, cf. aussi Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 89 sq.
50. Reidar Th. Christiansen, « Gârdvette og markavette », Maal og M inné 1943, pp. 137-160, p. 140 sqq.
51. Kotihaltia, Talonhaltia, Tuvanhaltia, par exemple,
52. Cf. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 127.
53. Cf. riihitonttu et tonîti. Riihija, ou rehi etelurehi, désigne toutes les pièces de l'exploitation situées sous un même toit et placées sous la tutelle d'un Protecteur (rehehaldjas), souvent démonisé en fantôme (rehetont) et en diable noir (must), cf. Paulson, « Die Hausgeister... », op. cit., p. 107 sq.
54. Tomtegubbe, tomtekall, tomtevette ; tuftebonde, tuftevette ; tunkall, tunvord ; gârdbo, gardsbonde, gardsrà, gârdbo, gârdbonisse, gardvord. Sur ce dernier, cf. la bonne petite synthèse de T. À. Bringsvserd, Phantoms and Faines from Norwegian folklore, Oslo, 1979, p. 89 sqq.
55. Paulson, « Hausgeister... », art. cit., p. 144.
56. Lindig, Hausgeister..., op. cit., p. 49.
57. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 158 et 171.
Sources : C. Lecouteux, La maison et ses génies, croyances d’hier et d’aujourd’hui – Ed. IMAGO, 2000.
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Je suis né il y a bientôt un quart de siècle au cœur du Pays thionvillois et j'ai vécu heureux les premières années de ma vie entre mes parents et mes grands-parents. Tout naturellement ils m'avaient transmis leur langue, cette langue que leur avaient transmis leurs propres parents et grands-parents, cette langue transmise ainsi de bouche à oreille, de parent à enfant dans une chaîne ininterrompue depuis l'aube de l'humanité. Leurs ancêtres les francs, mes ancêtres avaient vécu il y a deux mille ans dans les plaines du nord de l'Allemagne, parlant une langue germanique, la transformant en la parlant pour lui donner peu à peu son aspect, sa sonorité, sa syntaxe actuelle, la polissant comme une pierre précieuse pour la livrer toujours plus belle à la génération suivante. Il y a 1400 ans, poussés par d'autres peuplades germaniques, ils se sont répandus sur les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Rhénanie et la moitié nord de la France. En France et dans une partie de la Belgique ils étaient en faible nombre et ont été submergés par la population autochtone de langue romane. Dans l'autre partie de la Belgique et en Hollande leur langue a évolué jusqu'au néerlandais actuel. Dans une grande partie de l'Allemagne, elle a contribué à l'élaboration de l'allemand moderne. Mais chez nous, à Thionville, à Luxembourg, à Arlon, à Bitburg ou une partie du peuple franc s'est établi, leur langue a évolué en une langue originale: la langue francique qui conserve dans son nom le souvenir de l'ancien peuple.
C'est dans cette langue à l'antiquité et à la noblesse incontestable que mes parents m'ont parlé, penchés autour de mon berceau, c'est elle qui m'a ouvert au monde et c'est grâce à elle que se sont forgées dans ma tête mes premières pensées d’amour de crainte ou de tendresse. A travers elle, j'ai découvert le monde extérieur, j'ai exploré mon âme. C'est dans cette langue que j'ai prononcé mes premiers mots, mes premières phrases. Elle m'a permis de devenir un être humain, de m'inventer un univers, de rêver de mille choses.
Mais bien vite j'ai appris qu'il existait à l'extérieur de notre cercle familial une autre langue que mes parents utilisaient à l'occasion avec d'autres personnes du village et surtout quand nous allions en ville. Ce langage étranger m'intriguait beaucoup, d'autant plus que je ne le comprenais pas vu qu'on ne le parlait jamais à la maison. De plus seuls mes parents semblaient le connaître, mes grands-parents ne l'employaient jamais. Quel était donc ce parler aux consonances si étranges, si différent de notre langue mélodieuse que j'entendais de temps en temps autours de moi? Au fur et à mesure que les années s'écoulaient, ce parler s'insinua de plus en plus dans notre famille. Mes parents se mirent à le parler de plus en plus et m'apprirent qu'on l'appelait la langue française et qu'un jour ils m'amèneraient dans une école ou moi aussi je pourrai alors l'apprendre.
C'est à l'âge de 7 ans que je suis entré à l'école du village, ne parlant que la langue francique et comprenant au hasard quelques mots de français dans une conversation. Mais n’était-ce pas le cas de tous les garçons de mon âge au village? C'est là que se déclencha en moi la lutte entre ma langue maternelle que je portais dans chaque fibre de mon être et le français qu'on m'imposait de l'extérieur. Notre instituteur qui venait de la ville était un homme fier et distingué. Sa tenue contrastait vivement avec celle des gens du village et naturellement il ne savait pas le « Platt ». Quel contact pouvait s'établir entre cet homme qui ne savait rien de notre langue et nous qui ne savions rien de la sienne? Je me souviens que le premier jour il interrogea l'un de mes camarades d'un ton sec: « Jean-Pierre debout! » Le dit Jean-Pierre qui ne s'était jamais entendu appeler autrement que Jhempi resta naturellement assis. Et l'instituteur d'en conclure qu'il devait être sourd ou arriéré mental et de le reléguer au fond de la classe avec une feuille de dessin et des crayons de couleur pour ne pas avoir à s'occuper de cet être si primaire.
Il a voulu tuer en nous la langue de nos parents et la remplacer par la sienne qu'il nous enseigna pendant 7 ans sous la contrainte du bâton. Notre langue qu'il appelait « le patois » était interdite dans l'enceinte de l'école aussi bien en classe qu'à la récréation. Et gare à celui qui osait en prononcer un mot! Il se voyait confier un objet qu'il devait remettre à l'un de ses camarades qu'il surprenait à parler aussi « patois ». Celui qui avait l'objet à la fin de la récréation recevait une punition (nettoyer la classe ou encore les W.C.). C'est ainsi qu'on a voulu faire de notre langue à nos yeux un objet de dérision, vulgaire, qui méritait une punition et qu’il fallait abandonner pour être bon en classe. L'instituteur en rencontrant nos parents dans le village les invitait de façon véhémente à parler français avec nous à la maison pour continuer son travail. Il disait que notre avenir était en jeu et que tant que nous parlerions « patois » nous ne pourrions jamais espérer faire de bonnes études, que le « patois » était un obstacle pour apprendre le français et avoir une bonne orthographe.
Il a voulu détruire ma façon de penser, ma poésie intérieure, il a voulu tuer mon âme. Il a voulu remplacer dans mon cœur Mamm par mère, Papp par père, il a voulu remplacer dans mes yeux Bam par arbre, Sonn par soleil, il a voulu remplacer au plus profond de mon être Dram par rêve. Mais comment aurait-il pu comprendre le monde merveilleux que je m'étais forgé au plus profond de moi-même dès ma plus tendre enfance, dans ma langue; un monde intraduisible en français, entièrement basé sur des correspondances phoniques entre les mots. C'est ainsi qu'en moi Mamm évoquait la douceur par la répétition du phonème « m ». C'est le mot le plus facilement prononçable pour un enfant. Les phonèmes « m » et « a » sont les premiers prononcés par le bébé car ils sont exhalés naturellement lors de la respiration en expirant par la bouche. On aboutit ainsi au son nmal puis au son Mamm avec refermeture de la bouche. C'est sans doute le premier mot que j'ai prononcé. Puis en faisant exploser davantage le premier « M » j’ai prononcé le son Bam (l'arbre) et dans mon esprit s’est tissé alors une correspondance phonique entre Mamm et Bam, correspondance conceptuelle aussi entre la mère source de la vie et l'arbre, source de tant de bienfaits pour l'homme (fruits, chauffage, ombre) et qui est pour ainsi dire une seconde mère. De Bam nait une correspondance phonique avec le mot Sam (la semence) autre source de vie et de nourriture pour l'homme. Ainsi en francique ces trois mots: Mamm, Bam, Sam ont en commun à la fois des sons semblables d'où nait un lien poétique entre eux, mais aussi des significations qui rentrent en correspondance et qui créent entre eux un lien sémantique. Sur un autre axe de correspondance Bam amène en moi le mot Dram car la grandeur de l’arbre qui s'élève vers le ciel permet à l'homme le rêve vers l’infini.
Quand l'instituteur du village a voulu remplacer chez moi Mamm par mère, Bam par arbre, Sam par semence et Dram par rêve, il a essayé de tuer toutes les correspondances et les liens étroits qui relient en moi ces quatre mots. Si je dis: « Main Dram as e Bam, je peux créer par la ressemblance phonique qui existe entre Dram et Bam un monde poétique qui est détruit si cette phrase devient: « mon rêve est un arbre ».
On voit donc qu'une langue n'est pas seulement un dictionnaire et une grammaire. Passer d'une langue à une autre n'est pas seulement employer certains mots à la place d'autres, c’est passer d'un monde à un autre, d'une manière de penser à une autre. Une langue véhicule en elle une façon d'appréhender le monde et elle modèle l'âme de celui qui la parle puisqu'il va exprimer toutes ses pensées conscientes par le moyen de cette langue. Imposer à un enfant une langue autre que sa langue maternelle c'est détruire toute sa façon de concevoir le monde et la remplacer par une autre à laquelle son esprit n’est pas adapté et qu'il ne pourra jamais assimiler entièrement, c'est donc arracher une parcelle de son âme sans lui donner de contrepartie valable. De ce fait cet enfant ne saura plus parfaitement sa langue maternelle et ne saura jamais parfaitement la langue imposée. Il sera culturellement dévalorisé. Il aura des connaissances des deux langues mais possédera les deux de façon imparfaite. Il ne saura jamais apprécier l'une ou l'autre langue dans toute son étendue. Il saura beaucoup moins bien sa langue que ses parents parce qu'il aura cessé de la parler et saura aussi moins bien le français que le parisien qui l'a toujours parlé.
Combien de jeunes aujourd'hui se trouvent dans ce cas? Des centaines de milliers. La perte de nos langues maternelles propres (francique, breton, basque etc...) est une déculturation massive de l'homme, un recul de la civilisation, une catastrophe pour l'humanité.
Si moi je n'ai pas perdu ma langue à cette époque et si je peux encore la parler aujourd'hui alors que tout était mis en place pour me la faire oublier (école, radio, télévision), c'est que j’ai pris conscience au moment où je la perdais que ma langue était mon bien le plus précieux. Beaucoup d'autres avant moi ont déjà brandi l'étendard de la révolte. Demain, d’autres suivront, ils refuseront de perdre leur langue au profit d'une qui ne pourrait jamais la remplacer sans nous amoindrir culturellement. Tous ceux qui l'ont perdu se lèveront aussi, conscients du bien inestimable qu'ils ont laissé perdre et tous ensembles des Flandres à la Catalogne, de la Bretagne à l'Alsace nous serons assez forts pour exiger que nos langues soient enfin respectées et officialisées, que chaque enfant puisse être instruit et alphabétisé dans la langue de ses ancêtres, comme c'est le cas dans presque tous les pays du monde à l’heure actuelle.
Pour ma part je suis décidé à mener la lutte jusqu'à ce que notre langue soit enseignée à l'école à tous les niveaux, jusqu'à ce qu'elle ait sa place à la radio et à la télévision, c'est à dire jusqu'à ce que tout ce qui l'opprimait devienne pour elle un moyen de propagation, jusqu'à ce qu'on nous accorde ce qu'on a déjà accordé à la Catalogne, au Pays Basque, au Val d'Aoste et à tant d'autres entités ethniques: un statut d'autonomie.
S.H.
Sources : Hémechtsland a sprooch - N°14, 1978.
- Un ancien des services de renseignements israéliens à la tête de la rédaction de Libération
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