Les relations entre Joris Van Severen et Pierre Nothomb
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- Catégorie : HISTOIRE
Le numéro 24 (année 2020) de la publication annuelle en néerlandais du Centre d’étude Joris Van Severen (1) consacre un article aux relations entretenues par Pierre Nothomb (1887-1966), fer de lance du nationalisme belge, et Joris Van Severen (1894-1940), au départ nationaliste flamand mais qui a évolué de l’idée d’une union entre les Pays Bas et la Flandre vers celle du regroupement, au sein d’un nouvel État, des Pays Bas, de l’ensemble de la Belgique, du Luxembourg et de la Flandre française, sous la direction du Roi Léopold III.
L’auteur de cette production intellectuelle, Ruud Bruijns, habitant à Lelystad, le chef-lieu de la province néerlandaise de Flevoland, base ses recherches sur les archives de Pierre Nothomb déposées au CEGESOMA (2), (3), (4) à Bruxelles en Belgique.
L’étude porte sur le fait de savoir qui a influencé l’autre, Nothomb ou Van Severen ? Il apparaît désormais que chacun des deux a eu plus besoin de l’autre pour ses actions politiques respectives, que ce qui était jusqu’à présent établi : Nothomb désirait des contacts néerlandophones et Van Severen voulait utiliser les relations de Nothomb avec les autorités.
Bruijns met en avant que Joris Van Severen était conscient du fait que, depuis l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale début septembre 1939, il devait éviter de se trouver dans le viseur des autorités belges, comme il l’avait été en 1933-1934. Cela peut expliquer pourquoi à l’automne 1939 Van Severen a agi de manière si prudente et si proche de la politique de neutralité officielle belge.
Le Verdinaso devient fréquentable
Alors que l’idée, prônée par Pierre Nothomb, de réalisation d’une Grande Belgique n’est pas prise au sérieux par l’establishment belge, Nothomb est utilisé par les nationalistes flamands en tant que caricature de l’hypernationalisme belge.
Le Verdinaso, le mouvement dirigé par Joris Van Severen, est, quant à lui, brouillé, dès sa création en 1931, avec les autorités belges et est ouvertement séparatiste, tout en érigeant une milice afin de réaliser son programme révolutionnaire visant au renversement du système politique et administratif belge.
Cette situation conduit le Verdinaso à rencontrer des problèmes. Ainsi, les autorités mettent en place des mesures visant à interdire les milices privées et les uniformes en ciblant ouvertement la milice du Verdinaso. Joris Van Severen lance alors, en 1934, sa nouvelle direction de marche (Nieuwe Marsrichting), mais cela prend encore des années avant que l’image radicale des débuts du mouvement ne soit atténuée.
Le 1er février 1937, le Conseil des ministres belge lève l’interdiction de vente dans les gares de l’organe de presse Hier Dinaso !. Lors du sixième congrès du Verdinaso, le 29 août 1937 à Anvers, la perspective d’une union entre les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg est pour la première fois mise en avant : les drapeaux belges et néerlandais sont hissés et Joris Van Severen parle en français aux Wallons (et Luxembourgeois).
Le pays thiois n’est plus mis en avant, mais désormais l’empire thiois est prôné, réunissant la Belgique, les Pays Bas et leurs colonies respectives. Lorsque le Roi Léopold III visite Tielt le 7 novembre 1937, la section locale du Verdinaso se trouve devant son local sur la façade duquel est fixé un panneau portant les mots : « Majesté, le Verdinaso vous salue plein d’espoir ».
Ces éléments signifient une réconciliation entre le Verdinaso et l’ordre établi et ainsi une fréquentabilité grandissante du Verdinaso.
Au sein des cercles nationalistes belges francophones, le Verdinaso est perçu en tant que force anti-séparatiste défendant l’unité du pays et visant à la réunification des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Cette dernière idée constitue en 1939 le principal thème mis en avant par le Verdinaso. Le 25 février 1939, Joris Van Severen parle, au sein du théâtre de la ville d’Ypres (Ieper), du Benelux. En mars 1939 sort un organe de presse portant le nom Pays Bas Belgique. Organe mensuel du Verdinaso, titre plaidant pour l’unité belgo-néerlandaise.
Le 28 mars 1939, Joris Van Severen tient à Bruxelles un discours en français au sein duquel il considère que la Révolution belge de 1830 est un incident et réclame la réunification des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg. En juillet 1939, la constitution de l’association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg, préparée depuis plusieurs mois, est officiellement annoncée.
C’est le prélude au congrès prévu le 10 septembre 1939, organisé par un jeune impliqué dans l’association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg sous la devise « Belgique, Pays Bas et Luxembourg ». Le 30 août 1939, Joris Van Severen décide de déclarer à la presse que le congrès est ajourné en attendant la prise de position des autorités.
IIe Guerre mondiale
L’éclatement de la IIe Guerre mondiale lors de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande le 1er septembre 1939 et la déclaration de la neutralité belge qui suit rétrécit encore plus les marges de manœuvre. Le 2 septembre, Joris Van Severen déclare dans l’organe de presse Hier Dinaso ! : « … que le Verdinaso place toutes ses forces au service de la défense de la patrie et dans le maintien de l’indépendance de la Belgique et de sa stricte neutralité, sous la haute direction du Roi Léopold III ».
Le 2 novembre 1939, Pierre Nothomb lance un appel en faveur de la Ligue de l’indépendance nationale dans lequel il estime que la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg doivent former un phare de la civilisation dans l’œil de la tempête. Le 10 novembre, le Conseil des ministres en arrive à la conclusion que dans le cas où seuls les Pays Bas seraient attaqués, la Belgique n’interviendrait pas mais les alliés (France et Grande-Bretagne) devraient être appelés à la rescousse et la Belgique abandonnerait ainsi sa neutralité. À l’automne 1939, il n’est donc pas question d’un rapprochement entre les Pays Bas et la Belgique.
Action commune de Nothomb et Van Severen
D’après le biographe de Joris Van Severen, Arthur de Bruyne, Pierre Nothomb cherche à entrer en contact avec Van Severen. Le 29 décembre 1939, Pierre Nothomb prend contact avec Joris Van Severen à propos du texte néerlandophone de la Ligue de l’Indépendance nationale qui est paru dans Hier Dinaso !
Malgré l’approche nationale belge exprimée au sein du manifeste de la Ligue nationale de l’Indépendance, Pierre Nothomb est fin 1939 clairement sous l’influence de Van Severen, comme l’indique une lettre du 29 décembre 1939 : « Je me suis rendu compte de tout ce que notre collaboration pouvait apporter à la grandeur des Pays Bas. »
Pierre Nothomb, qui au début des années 1920 est considéré comme un chauviniste belge en raison de son plan d’annexion de territoires néerlandais, est visiblement devenu compréhensif envers les opinions de Van Severen à propos des Pays Bas. En d’autres mots, Van Severen ne s’est pas déplacé en direction du belgicisme, comme il est souvent supposé, mais a gagné des belgicistes à son combat pour la réunification des Pays Bas.
Nothomb ne désire pas seulement une traduction de son manifeste en néerlandais, mais veut également un accès au carnet d’adresses de Van Severen. La liste de Nothomb consiste avant tout en noms francophones de l’establishment belge. Il demande pour cette raison à Van Severen un nombre de noms de personnes importantes en Flandre. Dans d’une lettre du 3 janvier 1940, il apparaît que Van Severen est d’accord mais exige une place de premier ordre sur la liste des signataires, directement après les noms des premiers d’entre eux ou même à côté de celui de Pierre Nothomb.
Plus de deux semaines plus tard, Van Severen envoie le texte en néerlandais à Nothomb en précisant qu’en plus du nom de Van Severen, il demande que soit indiqué qu’il est le dirigeant du Verdinaso.
Dernière étape pour le tandem Nothomb-Van Severen
Au début du mois de mars 1940, le manifeste néerlandophone sort et Van Severen commande 50 exemplaires à Nothomb. Ce manifeste n’est pas seulement soutenu par Van Severen, mais aussi par le Verdinaso en tant qu’organisation.
Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg. Joris Van Severen est arrêté par les autorités belges car il est considéré par celles-ci comme un danger, alors que Van Severen ne s’attend pas à cela et pense encore, après son arrestation, être bientôt de retour à la maison. Pierre Nothomb intervient auprès des autorités en faveur de la libération de Van Severen et écrit au domicile de Van Severen, Ce dernier n’est pas relâché, mais transféré vers la France où il est assassiné, le 20 mai 1940, à Abbeville par des soldats français.
BRUIJNS Ruud
Notes :
(1) http://www.jorisvanseveren.org
(2) Le CegeSoma, quatrième direction opérationnelle des Archives de l’État, est le centre d’expertise belge de l’histoire des conflits du XXe siècle.
(3) https://www.cegesoma.be/fr/le-cegesoma
(4) https://www.cegesoma.be/fr/archives-de-pierre-nothomb
Source : BRUIJNS Ruud, « Joris van Severen en Pierre Nothomb », in Jaarboek Joris Van Severen 24, Ieper, 2020, p. 71 à 94.
L'islamisation forcée de la Bosnie-Herzégovine pendant la guerre des Balkans
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- Catégorie : Islam
Les Bosniaques, les Serbes et les Croates sont un seul et même peuple de la famille slave qui est arrivé dans les Balkans vers le VIIème siècle de notre ère. Ils parlent la même langue, le serbo-croate, bien que chaque pays l'appelle différemment: serbe, bosniaque ou croate – langue que les Croates et les Bosniaques écrivent avec l'alphabet latin, tandis que les Serbes utilisent le cyrillique. Mais il existe un élément qui les différencie au point de les opposer et de les rendre hostiles les uns aux autres tout au long de l'histoire: la religion. Slaves christianisés, les Serbes ont été convertis entre 867 et 869 par l'empereur byzantin Basile Ier, après qu'ils aient reconnu son autorité, et sont donc devenus des chrétiens orthodoxes, tandis qu'en 879 le pape Jean VIII a reconnu le souverain croate, le duc Branimir, ce qui indique que leur christianisation s’est déroulée dans un contexte catholique-romain.
La situation est restée telle jusqu'à l'impact de la conquête des Balkans par l'Empire turc en 1463, lorsque la Bosnie, qui faisait jusqu'alors partie de la Croatie - la « Croatie rouge » - est passée aux mains des Ottomans et que le gros de sa population s'est convertie à l'Islam, ce qui n'est pas arrivé aux Serbes qui ont conservé leur religion même sous la domination ottomane. La Croatie a toujours été défendue contre les assauts turcs, d'abord par la Sérénissime République de Venise, puis par l'Empire austro-hongrois. C'est l'origine de l'inimitié atavique entre Croates, Serbes et Bosniaques (nom donné aux Slaves du Sud de religion musulmane).
Géographiquement, le pays est divisé en deux zones: la Bosnie, au nord du pays, et l'Herzégovine, qui doit son nom à Stefan Vukcic, qui, dans une lettre adressée à l'empereur Frédéric II peu avant l'invasion turque, signait en tant que Grand-Duc de Bosnie. Le terme « duc » en allemand se dit « Herzog », ce qui explique que la région soit connue sous le nom d'Herzégovine (le duché) dans les documents de l'époque, avant d'être officialisée au milieu du XIXème siècle, lorsque, étant toujours une province turque, elle a été officiellement appelée Bosnie-Herzégovine.
La Bosnie est restée sous domination turque jusqu'en 1878 (bien qu'elle ait été libérée par les Autrichiens entre 1718 et 1739), date à laquelle les Bosniaques se sont révoltés contre le sultan Abdulhamid II, influencés qu’ils étaient à l’époque par la révolution nationaliste de leurs voisins et frères serbes sur le plan ethnique (mais pas sur le plan religieux). Ces révoltes provoquent l'intervention des Austro-Hongrois et des Russes, qui finissent par expulser les Ottomans de la Bosnie, qui se retrouve administrée par l'Empire austro-hongrois, comme la Croatie et, partiellement, la Serbie. Après son démembrement à la suite de la Première Guerre mondiale, la Bosnie a fait partie d'un nouvel État, la Yougoslavie, qui a été divisée pendant la Seconde Guerre mondiale - lorsque la Bosnie a fait partie de l'État indépendant de Croatie – puis, suite à l’effondrement de l’Axe, a été reconstituée après 1945.
Pendant plusieurs siècles, les catholiques (Croates) et les orthodoxes (Serbes) qui vivaient en Bosnie-Herzégovine se définissaient comme des chrétiens, tandis que les musulmans étaient appelés « Turcs », un terme qui n'est pas équivalent à « Osmanli » ou « Turkuse », désignant les Turcs eux-mêmes (1). Si les catholiques bosniaques s’identifiaient pleinement à la Croatie, et les Serbes bosniaques à la Serbie, ils mettaient les musulmans bosniaques dans la position de prendre l'Islam comme principal élément d'identification. C'est ainsi que la question fondamentale se pose. Pour fonder l'existence d'un État bosniaque-herzégovin, il y avait deux possibilités: inclure les catholiques, les orthodoxes et les musulmans dans une seule République unitaire (nationalisme bosniaque), ou prendre l'Islam comme un élément sur lequel construire leur identité nationale (2) laissant (selon un nationalisme islamique) en suspens le cas des « minorités » catholiques et orthodoxes (3) et leur rôle dans un État compris comme musulman.
Sous le titisme, la Bosnie-Herzégovine était la république yougoslave où la plupart des citoyens inscrivaient dans l'espace réservé à la « nationalité » le terme yougoslave (sans autre référence), dans le registre civil. C'est au cours des années 1960, et plus encore au sein de l'émigration bosniaque vers l'Allemagne, que le sentiment identitaire musulman a commencé à se répandre parmi les Bosniaques, sentiment auquel Tito lui-même a fait des clins d'œil, reconnaissant les musulmans comme une « nationalité yougoslave » en 1961, lorsqu'ils sont devenus - en raison de leur taux de natalité élevé - le groupe le plus nombreux en Bosnie-Herzégovine au détriment des Serbes orthodoxes. Ces clins d'œil de Tito peuvent être compris dans le contexte d'une Yougoslavie qui s'était engagée à rejoindre les pays dits « non alignés », qui comprenaient plusieurs États musulmans.
Le début du processus de désintégration de la Yougoslavie avec l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie a ouvert les portes au conflit interne en Bosnie et à la possibilité de créer un État bosniaque indépendant. Pour certains illuminés, c'était le moment de construire leur État musulman dans les Balkans, parmi les plus dangereux de ces illuminés se trouvait un certain Alija Izetbegovic qui allait devenir président de la République de Bosnie-Herzégovine.
De toute évidence, cette définition confessionnelle-nationale était la déclaration d'exclusion pour les Serbes et les Croates de Bosnie d'un projet national commun, d'où leur volonté et leur besoin de se "réunifier" avec les Etats nationaux où ils étaient reconnus comme tels. Croatie et l'ancienne Yougoslavie, respectivement.
L'Islam et les USA du côté bosniaque
Alija Izetbegovic aurait fait partie de l'organisation des « Jeunes musulmans », créée sous l'influence des Frères musulmans égyptiens. En 1970, il publie un texte intitulé Déclaration islamique, réédité à Sarajevo en 1990, dans lequel il explique ses intentions politico-religieuses: « Notre objectif: l'islamisation... tout ce qui, dans l'histoire des peuples musulmans, constitue une mémoire de grandeur et de valeur a été créé sous les auspices de l'Islam. La Turquie, en tant que pays islamique qui a régné sur le monde, en tant que copie européenne, représente un pays du ‘’troisième ordre’’ comme tant d'autres dans le monde. Le mouvement islamique doit et peut prendre le pouvoir dès qu'il aura la force numérique et morale de le faire (...) La conclusion est importante: il ne peut y avoir de coexistence entre les croyances islamiques et les institutions politiques et sociales non-islamiques... ». Au cours de la décennie 70-80, à l'influence importante de l'islamisme égyptien en Bosnie, il faut en ajouter une nouvelle, plus importante encore: l'islamisme iranien. L'islamisme iranien étant plus attractif pour les Bosniaques, l'Iran a profité de cette circonstance pour gagner le soutien des futurs dirigeants du SDA (Parti de l'action démocratique, présidé par Izetbegovic), dont certains ont été arrêtés en 1983 alors qu'ils revenaient d'un congrès à Téhéran pour l'unité des chiites et des sunnites, que le régime iranien, alors en guerre contre l'Irak de Saddam Hussein, avait organisé.
Lorsque le conflit bosniaque a éclaté, l'essentiel de l'aide musulmane aux Bosniaques provenait de l'Iran dont les réseaux de soutien - sanitaires et logistiques - se sont avérés très efficaces, si bien que 86% des musulmans bosniaques ont déclaré avoir une opinion « favorable ou très favorable » de l'Iran. En 1992, les Frères musulmans ont appelé au djihad contre les Serbes ; bien que leur aide ait été moindre que celle de l'Iran, elle a jeté les bases d'une relation dangereuse entre la Bosnie et les aspects les plus radicaux du fondamentalisme islamique.
Les États-Unis font leur apparition dans le conflit de l'ex-Yougoslavie en soutenant le camp musulman et en pariant sur l'unité d'une Bosnie-Herzégovine regroupant Serbes et Croates sous le commandement des musulmans et la présidence d'Alija Izetbegovic, annulant toute possibilité que la minorité croate rejoigne la Croatie (alliée traditionnelle de l'Allemagne) et que les Serbes le fassent avec la Serbie (amie de la Russie). Pour couper l'avantage acquis par l'Allemagne-UE avec l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie, et pour empêcher une puissante Grande Serbie alliée à la Russie, Washington prend le drapeau musulman (comme il le fera plus tard au Kosovo pour des raisons identiques), formalisant une fois de plus une entente islamo-américaine contre tout rapprochement possible entre les deux grandes puissances continentales: l'Allemagne et la Russie.
De son côté, le gouvernement musulman de Sarajevo (la capitale de la Bosnie), conseillé et armé par le Pentagone, a provoqué une situation irréversible pour les Croates et les Serbes de Bosnie, espérant que ses provocations constantes déclencheraient une vague de violence qui permettrait à la Bosnie musulmane de compter sur la sympathie de l'Europe occidentale, et sur une intervention armée conséquente en sa faveur. Comme l'a reconnu le chef du secrétariat d'État américain aux affaires étrangères en Bosnie: « Ce qui était à l'origine un gouvernement bosniaque multiethnique et légalement élu est devenu une entité musulmane extrémiste et antidémocratique ». Le gouvernement de Sarajevo et son Armija (le nom de son armée) n'ont pas eu trop de scrupules à faire en sorte que les Serbes soient présentés comme des barbares en Occident, permettant ainsi aux Américains de prolonger le conflit dans le but de déstabiliser et d'affaiblir au maximum cette zone vitale pour l'équilibre européen. Ainsi, le 27 mai 1992, une explosion devant une boulangerie a causé la mort de seize Bosniaques. Les images choquantes et horribles sont apparues à la télévision dans le monde entier et ont été reprises ad nauseam par CNN, blâmant sans le moindre doute les paramilitaires serbes pour un crime aussi horrible. Par la suite, les services secrets britanniques et français ont admis qu'il s'agissait d'un auto-assassinat commis par les musulmans dans le seul but de l'attribuer aux Serbes devant l'opinion publique mondiale: ce dernier "détail" n'a pas été rapporté dans les nouvelles mondiales. Le 27 août de la même année, un autre massacre a dévasté un marché de Sarajevo. L'OTAN a répondu au massacre par une action d'envergure: 60 bombardiers ont attaqué les positions serbes. Un mois plus tard, des experts britanniques ont également conclu que le missile lancé contre le marché rempli de civils provenait des rangs musulmans: là encore, le voile du silence médiatique a été étendu.
Le radicalisme islamique, une menace pour la Bosnie-Herzégovine
« La Bosnie était un modèle de tolérance interreligieuse. L'islamisme présent dans cette région était plus laïc qu'on ne pouvait l'imaginer. Les musulmans de Sarajevo étaient à une distance sidérale de ceux du Moyen-Orient. Aujourd'hui, au contraire, après dix ans de turbulences, les musulmans bosniaques sont également entrés dans le jeu international du fondamentalisme » (4).
Entre 1992 et 1995, la Bosnie-Herzégovine est devenue un enjeu majeur pour l'islamisme international. Après 2001, les enquêtes sur les réseaux terroristes islamistes sont toujours passées par le sol bosniaque. Des islamistes d'Afrique et d'Asie ont obtenu la citoyenneté bosniaque avec une étonnante facilité, avec une attitude clairement complice de la part des autorités locales, il semblerait que l'arrivée de ces Africains et Asiatiques réponde à une certaine volonté du gouvernement musulman de Sarajevo. Cette campagne de « nationalisations expresses » répondait à deux motivations: d'une part, reconnaître les mérites guerriers des moudjahidines qui ont pris les armes pour l'Armija; et d'autre part, permettre l'arrivée sur le sol bosniaque d'intégristes reconnus avec lesquels on pouvait « réislamiser » la population locale. Ce deuxième objectif a provoqué et provoque encore aujourd'hui une certaine confrontation entre l'« Islam bosniaque traditionnel d'empreinte modérée » et l’ « Islam fondamentaliste importé » par ces néo-missionnaires wahhabites, qui considèrent la Bosnie comme un territoire à « réislamiser ».
Cette Bosnie présidée par Alija Izetbegovic ne pouvait contenir le désir d'autodétermination des communautés croate et serbe. Le conflit de guerre qui a provoqué cette tension a occupé la première page de tous les journaux internationaux au début des années 90. La paix est venue avec les accords de Dayton de 1995, selon lesquels la Bosnie-Herzégovine a été divisée en deux entités mais toujours au sein du même État. Ces entités sont la Fédération de Bosnie-Herzégovine - qui comprend les musulmans et les Croates - et la Republika Srpska pour les Serbes, cette dernière jouissant d'une grande autonomie et seule la pression internationale l'empêche de rejoindre la Serbie. Avec cette division, l'organe directeur de la République de Bosnie-Herzégovine est collégial : deux représentants de la Fédération (un catholique et un musulman) et un troisième, Serbe de la Republika Srpska, celui qui obtient le plus de voix sur ces trois étant le président nominal de la République. Depuis cette division, la zone serbe n'a plus qu'une relation superficielle et administrative avec le reste du pays. Le problème est que dans la Fédération, nous assistons à un double phénomène: la réislamisation dans un esprit wahhabite des musulmans bosniaques et la marginalisation et le harcèlement des catholiques croates.
Depuis le départ du pouvoir d'Alija en 2000 - il est mort en 2003 - les présidents de la Fédération (parmi lesquels Barik Izetbegovic, fils d'Alija) ont intensifié le processus d'islamisation, particulièrement visible dans la capitale Sarajevo, autrefois connue pour la bonne coexistence entre Serbes, catholiques et musulmans et aujourd'hui avec un paysage plus proche d'Ankara que de la ville européenne qu'elle a toujours été. Selon les mots du Cardinal Franc Rodé : « Sarajevo est devenue pratiquement une ville musulmane ». Après son voyage dans la région en juin 2009, ce Cardinal a déclaré sur Radio Vatican : « Les catholiques ont été les principales victimes de la guerre et beaucoup ont fui le pays, vers la Croatie et aussi vers des pays plus lointains comme l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande (...) A Sarajevo, une ville de 600.000 habitants, il ne reste aujourd'hui que 17.000 catholiques », soulignant également que dans de nombreux villages où il n'y avait jamais eu de mosquées, de nouvelles ont été construites, ce qui indique qu’ « il existe une volonté claire d'islamiser la région de Sarajevo ». Cette même année, le cardinal de Sarajevo, Vinko Puljic, a dénoncé la croissance du fondamentalisme en Bosnie, sans que les autorités ne fassent rien pour l'arrêter. Comme dans de nombreux autres pays européens, la construction de mosquées et de madrasas (écoles coraniques) est financée par les pétrodollars saoudiens.
Les Serbes et les Croates ont été victimes de cette « purification religieuse » faite à coups de kalachnikovs et de demi-lunes, mais nous voulons terminer cet article en soulignant que les principaux perdants sont les Bosniaques eux-mêmes de religion musulmane, un peuple slave européen, islamisé par l'envahisseur turc à l'âge moderne, et maintenant ré-islamisé à coups de pétrodollars et par le fanatisme saoudien. Pour eux, il serait nécessaire de repenser l'idée de la base sur laquelle construire l'Etat bosniaque. Ce sont eux qui devraient combattre cet islamisme fondamentaliste qui menace l'identité de leur peuple et qui fait de la Bosnie une base logistique des islamistes dans leur attaque contre notre Europe.
Enric Ravello
Ex:https://www.enricravellobarber.eu/2021/06/la-islamizacion-forzada-de-bosnia.html#.YLtOD0w6-Uk
NOTES :
(1) Thierry Mudry "Bosnie-Erzégovine. La nascita di una nazione" dans Orion, nº5, mai 1996. Milan
(2) Ce que E.J. Hobsbawn a déjà souligné dans son livre Naciones y nacionalismos desde 1870. Ed. Crítica, Barcelone 1991, p. 79: "sans doute les musulmans bosniaques et les musulmans chinois finiront-ils par se considérer comme une nationalité, puisque leurs gouvernements les traiteront comme s'ils l'étaient".
(3) Relativement "minoritaires". Les Serbes représentent 38 % de la population de la Bosnie, et les Croates 22 %. La somme des deux "minorités" donne 60% de la population contre 40% pour les Bosniaques musulmans.
(4) Aldo dei Lello, L´utopia con la toga. L´ideologia del triunale internazionale e il proceso Milosevic. Ed. Sovera Multimedia. Roma 2002.
Qu'est-ce que la géopolitique? Son objet d'étude et pourquoi s'y intéresser?
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- Catégorie : GEOPOLITIQUE
La géopolitique semble être sur toutes les lèvres, alors qu'il n'y a pas si longtemps, elle était répudiée parce qu’identifiée au national-socialisme. Elle a été présentée comme une pseudo-science qui cherchait à dissimuler des objectifs de domination, ou comme une simple idéologie qui cherchait à légitimer des conquêtes territoriales. Aujourd'hui, les choses ont changé et la géopolitique trouve partout des prédicateurs, des porte-parole et des analystes, à tel point que nous pouvons affirmer que nous sommes face à une situation abusive, puisque bien souvent des événements qui n'ont aucun rapport avec l'objet d'étude de la discipline sont qualifiés de "géopolitiques". Les variables et les théories de cette science sont souvent ignorées et il semble que tout événement international, pour le simple fait d'être tel, est déjà de la géopolitique ; et généraliser de cette manière est incorrect. Mais alors, qu'est-ce que c'est ? Ces lignes visent à ajuster les concepts.
De la géographie humaine à la géopolitique
Nous soutenons que la géopolitique a un antécédent fondamental au XIXe siècle, lorsque certains géographes ont étudié les facteurs de conditionnement que l'environnement spatial (1) exerçait sur la vie humaine. Des savants tels que Humboldt, Ritter et Ratzel, en Allemagne, ou Vidal de la Blache, Camille Vallaux et Élisée Reclus, en France, ont étudié des facteurs tels que le climat, le sol, le temps, voire le paysage (2), et leur influence sur l'homme ; c'est ainsi qu'est née la géographie humaine, branche particulière de la géographie générale. Cependant, cela ne suffit pas à identifier l'objet d'étude de la géopolitique. Pour cette science, il est nécessaire d'avoir un acteur spécifique de la vie sociale, l'État, compris comme l'organisation territorialisée d'une collectivité pour ordonner ses relations sociales. Bien que l'État ne soit pas le seul acteur susceptible d'avoir des intérêts territoriaux, pour la géopolitique, il s'agit de l'acteur fondamental, car en tant que science, elle est née dans le but d'atteindre des objectifs politiques liés à la géographie.
À ce stade, nous pouvons donner une définition précise : la géopolitique est la science qui étudie l'influence des déterminants spatiaux sur la vie et les objectifs des États. C'est une science car elle a son propre objet d'étude et utilise des méthodes, des variables et des connaissances vérifiables pour l'aborder. Dans son évolution, comme dans toute science, des théories, des écoles, des paradigmes et des auteurs classiques sont nés.
Or, si ce que nous étudions est la manière dont l'environnement spatial influence les objectifs nationaux, nous devons expliquer l'utilité du territoire pour un État. Quatre fonctions principales ont été identifiées : (a) la protection ; (b) la source de ressources ; (c) la mobilité des personnes ; et (d) l'échange de biens et d'idées. En ce qui concerne le premier point, il est logique que l'être humain recherche un environnement pour se protéger des autres hommes, de l'inclémence du temps ou des animaux sauvages. La recherche de la sécurité est plus complexe dans le cas des collectivités organisées ; ainsi, les villes ont été fondées dans des zones surélevées ou protégées par un élément géographique quelconque, et pour fixer les populations, on a évité les marécages et les sols difficiles. Dans le cas des capitales, il était naturel qu'elles soient situées loin des côtes pour éviter d'éventuelles attaques -les capitales sont généralement les centres de gravité politiques d'un État-, mais aussi pour éviter les logiques économiques qui prévalent habituellement dans les ports.
La mise à disposition de ressources découle du besoin de se nourrir et d'accéder à des éléments utiles en termes économiques ou techniques, tels que les métaux, le bois, les hydrocarbures, etc. Au fur et à mesure que la vie collective se complexifie, la question des ressources devient un élément clé dans la compétition positionnelle des différents acteurs internationaux, puisque non seulement les États bénéficient des avantages générés par les ressources, mais aussi les entreprises dans leur quête de profit. L'entreprise peut être un autre acteur ayant des intérêts géopolitiques, comme des organisations terroristes, des entités étatiques sub-nationales, des mouvements séparatistes, etc. Partout où il y a des objectifs liés à l'espace et à la poursuite de la puissance (politique, économique ou autre), il y a nécessairement de la géopolitique.
La mobilité dans l'espace est destinée aux transports et aux communications. Les gens ont besoin d'itinéraires efficaces qui relient des points dans le temps le plus court possible, et ils ont besoin que ces itinéraires soient sûrs, ce qui relie cette fonction au premier point. Le commerce a prospéré grâce à des ressources qui pouvaient être exploitées de manière stable, transportées en toute sécurité et, une fois fabriquées, distribuées dans le monde entier. Un système tel que le capitalisme n'aurait pas pu s'épanouir sans ces hypothèses, indépendamment de la réticence des hommes d'affaires à l'égard de la géopolitique. Ou faut-il rappeler que l'Empire britannique a atteint son hégémonie en créant un ordre international fondé sur la liberté de la mer ? La mobilité est également liée au dernier point, l'échange de biens et d'idées. Les nouveautés, les biens de consommation et les idées politiques utilisent les routes territoriales pour se déplacer. Ainsi, les ports, étant un point d'arrivée de l'étranger, ont historiquement été plus perméables aux cultures étrangères, comme les villes méditerranéennes plus conservatrices. Comme nous pouvons le constater, l'espace est un support pour l'influence des facteurs matériels, ainsi que des aspects symboliques et culturels.
Nous sommes maintenant en mesure d'apporter une précision importante : la géopolitique n'est pas la même chose que la géographie politique. Le premier sert à atteindre des objectifs politiques, et a donc une tâche prescriptive et dynamique. En effet, dans la réalisation des objectifs, les solutions doivent être prescrites dans le cadre de l'action politique, où les scénarios sont changeants et où les alliances, les menaces et les objectifs politiques eux-mêmes peuvent varier. La géographie politique, en revanche, a une tâche descriptive et statique, puisqu'elle traite de données mesurables sur le territoire d'un État, comme la description de ses aspects climatiques : elle mesure la taille d'un pays et l'étendue de ses frontières, décrit les types de sol et les vents qui agissent sur son territoire, etc. La géopolitique se situe dans l'orbite de la science politique et, plus précisément, des relations internationales ; la géographie politique, en revanche, est attribuée à la géographie (3). La confusion a été répandue par des auteurs qui ont diabolisé la géopolitique en la qualifiant d'"idéologie nazie" et ont préféré parler de géographie politique, commettant un abus sémantique qui a forcé le sens d'une autre discipline.
De la géopolitique aux relations internationales
Comme nous l'avons vu, il existe une relation entre la géopolitique et les relations internationales, même si nous pouvons affirmer que la géopolitique en tant que discipline est antérieure. Les premiers chercheurs de ce que l'on a fini par appeler les relations internationales ont utilisé les connaissances de la géopolitique et les ont intégrées à des éléments d'histoire, de droit international ou de sociologie pour expliquer la politique internationale. Après la Seconde Guerre mondiale et en raison de la confrontation entre les États-Unis et l'Union soviétique, les spécialistes sont revenus aux concepts de la géopolitique classique, tels que la zone d'influence, la zone de friction, la zone pivot, l'endiguement, la frontière naturelle, etc. En matière de relations internationales, les auteurs de ce que l'on appelle le "réalisme" ont été les premiers à intégrer les variables territoriales.
Cependant, si l'on parle de politique internationale (4), l'importance de la géopolitique sera conditionnée par ce que l'on entend par politique. C'est une chose d'être dans le monde en croyant que l'acteur principal de la réalité sociale est l'homme en tant qu'être-atome qui entre en compétition avec les autres pour des bénéfices individuels, et c'en est une autre de comprendre que certaines unités politiques sont celles qui ont la possibilité de conditionner l'histoire et que ces unités agissent motivées par le pouvoir, compris comme le moyen qui accorde la liberté d'action dans la poursuite d'objectifs. La première vision, typique du libéralisme, va considérer la géopolitique comme quelque chose de secondaire, voire de néfaste, puisque cette science sert à accroître le pouvoir de l'État, ce qui semble pernicieux au libéral, puisqu'il préfère maximiser les libertés individuelles. En revanche, pour un gouvernement, la géopolitique est (ou devrait être) une science utile pour atteindre des objectifs nationaux, et c'est ainsi que l'entendaient les auteurs de l'école réaliste, qui incluaient le territoire dans ce qu'on appelle les « attributs de la puissance nationale ». Voyons voir ce qu'il en est.
Un État possède des attributs - qualités matérielles et immatérielles d'une unité politique - qui permettent une évaluation approximative de son potentiel. Certains de ces attributs sont plus ou moins mesurables, comme la taille des forces armées, la taille de la population, la taille du territoire ou la taille de l'économie ; d'autres, comme la qualité du leadership politique, le niveau des professionnels, la volonté nationale ou le développement de la science, sont plus difficiles à mesurer. On pourrait citer d'autres attributs, mais ce sont les plus classiques. Ensemble, ils nous donnent une image du quantum de pouvoir qu'un État possède et, s'il a beaucoup de pouvoir, plus il devrait être performant en politique internationale. Chacun de ces attributs est abordé par diverses disciplines et, parmi elles, la géopolitique a sa propre tâche, qui consiste à traiter de l'autonomisation de l'espace national afin de maximiser les fonctions que l'attribut territoire a pour un État. En d'autres termes, et pour revenir à ce qui a été dit plus haut sur les fonctions de l'espace, la géopolitique s'intéresse principalement à la manière dont la géographie doit être exploitée pour accroître la sécurité, assurer la fourniture de ressources et rationaliser la mobilité qui s'opère par les voies de communication.
Une nation dotée d'un territoire puissant et sûr peut devenir un acteur important ayant la capacité de participer activement au système international. Sans puissance nationale, il n'y a pas de liberté d'action, et dans ce cas, la défense de la souveraineté devient purement déclamatoire. En raison des fonctions que l'espace a pour un État, on peut conclure que les problèmes géopolitiques sont directement liés aux objectifs stratégiques nationaux et intimement liés au profil productif d'un pays, ainsi qu'à ses politiques de défense nationale. C'est pourquoi la géopolitique doit intégrer des connaissances pluridisciplinaires, faisant appel à la géographie, bien sûr, mais aussi à l'économie et à la sociologie, entre autres sciences auxiliaires.
Quelques réflexions sur notre pays, l’Argentine
L'Argentine a de nombreux défis à relever en matière territoriale, puisqu'elle possède le huitième plus grand territoire du monde, mais avec un espace national désintégré ; sa région patagonienne est vide, ses possessions dans l'Atlantique Sud lui ont été enlevées et son objectif est de se projeter vers l'Antarctique. A ce stade, il est légitime de se poser deux questions : les dirigeants politiques de notre pays ont-ils une formation en géopolitique ? D'autre part, les parties sont-elles parvenues à un accord sur les objectifs géopolitiques de la nation ? Nous pensons qu'il y a un sérieux déficit sur ces deux questions, notamment en ce qui concerne la deuxième question.
Selon nous, ce n'est pas que les objectifs ne soient pas identifiés ou que les stratégies fassent défaut. Nous pensons que le problème réside dans le fait que l'Argentine a bien des objectifs et des stratégies, mais qu'ils sont la conséquence de transferts idéologiques qui assignent à l'Argentine un rôle périphérique en termes de profil productif et faible par rapport aux attributs du pouvoir national. Nos politiciens ont adopté des scénarios élaborés par d'autres et agissent comme si le mieux était d'avoir peu de pouvoir et peu de revendications, puisque cela nous transformerait en un pays « sérieux et prévisible », sans revendications inconfortables pour les acteurs les plus importants du système international. Pour les décideurs politiques autochtones, tout se résume à « s'insérer intelligemment dans le processus de mondialisation », un discours qui promeut une politique étrangère « de consensus » qui cherche systématiquement à éviter tout conflit avec d'autres acteurs, souvent au prix de la défense de nos propres intérêts ; mais cette attitude n'éradique pas le caractère agonal de la praxis politique. Ce rôle de « bon élève » que nous avons adopté s'est consolidé avec un accent particulier après la guerre des Malouines, et c'est pourquoi nous pensons que la question de l'Atlantique Sud va au-delà de la géopolitique : la cause des Malouines doit devenir un symbole de notre revigoration nationale.
D'autre part, nous devons surmonter cette colonisation mentale qui légitime notre dépendance par une « pédagogie de la faiblesse » qui nous fait croire qu'il est vertueux d'avoir peu de pouvoir et de ne pas contrarier les puissants, tout comme il est vertueux de pratiquer toujours et en toutes circonstances le pacifisme, la solidarité « globale » et l'humanitarisme. Examinons quelques conséquences pratiques de cette mentalité : nous n'avons pas de politique de défense active, parce que la Grande-Bretagne a du poids sur les marchés financiers où nos dirigeants ont l'habitude d'aller mendier de l'argent ; nous ne consolidons pas l'unité géopolitique de l'Amérique du Sud, parce que ce serai l’« arrière-cour » des États-Unis ; nous ne produisons pas d'aliments pour une alimentation saine, parce que cela coupe les affaires des transnationales qui nous empoisonnent avec leurs OGM et leurs engrais... et nous pourrions continuer ainsi.
Pour inverser cette situation, nous devons changer de logique : nous devons comprendre que nous ne vivons pas dans un monde d'agneaux, mais dans un monde où les acteurs les plus puissants se comportent comme des loups, car ils cherchent à maintenir leur position hégémonique. Cela a toujours été le cas, mais en raison de notre situation géographique particulière, loin des foyers traditionnels de conflit, le mythe de l'Argentine comme « ile de paix » s'est profondément ancré dans l'imaginaire collectif de nos compatriotes. Toutefois, ce mythe ne peut plus être entretenu et c'est une grave erreur de prétendre qu'il existe, a fortiori dans des scénarios progressivement intégrés et complexes. Nous devons construire le pouvoir national, renforcer le territoire et moderniser l'économie en donnant la priorité à la connaissance et aux technologies de pointe ; nous devons protéger nos ressources naturelles en modelant un projet de pays qui favorise le soin de l'environnement, et où les espaces de coexistence permettent une saine vitalité psychophysique. Mais surtout, nous devrons prendre en charge les conflits potentiels qui découleront nécessairement de ce changement de cap, pour lesquels la sagesse politique devra prévoir des stratégies qui nous permettront d'y faire face. Si nous voulons vraiment consolider une nation indépendante, tels sont les défis et les risques que nous devons assumer.
Andrés F. Berazategui
Andrés Berazategui, membre de Nomos, est titulaire d'un diplôme en relations internationales de l'Université John F. Kennedy d'Argentine et d'un master en stratégie et géopolitique de l'École supérieure de guerre des armées (ESGE).
Notes :
1 Voir Pierre Gallois, Géopolitique. Los caminos del poder, Ediciones Ejército, Madrid, 1992, en particulier les chapitres II, IV et X.
2 Ces quatre facteurs, et la manière dont ils influencent les peuples, ont été étudiés par le psychologue Willy Hellpach, dans son livre Geopsique de 1911, qui a eu un certain retentissement parmi les géopoliticiens allemands. Voir Willy Hellpach, Geopsyche. El alma humana bajo el influjo de tiempo y clima, suelo y paisaje, Espasa Calpe S. A., Madrid, 1940.
3 Voir Jorge Atencio, Qué es la geopolítica, Pleamar, Buenos Aires, 1982, 4ème édition, pp. 41-52. Le livre d'Atencio est un classique de la pensée géopolitique argentine. Comme le lecteur peut le constater, nous paraphrasons son titre pour le présent article.
4 On peut trouver un regard récent (bien qu'antérieur à la pandémie) sur les tendances géopolitiques dans Robert D. Kaplan, The Revenge of Geography. Comment les cartes conditionnent le destin des nations, RBA, Barcelone, 2015.
Eduard Alcántara « L'Imperium est la forme la plus achevée et la plus complète d'organisation socio-politique »
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- Catégorie : HISTOIRE
La maison d'édition Letras Inquietas vient de publier Imperium, Eurasia, Hispanidad y Tradición, une œuvre collective avec la participation de Carlos X. Blanco, Eduard Alcántara et Robert Steuckers. Les essais qui composent le livre recherchent dans la Tradition, dans l'Histoire et dans le présent, les éléments conceptuels nécessaires à une théorie de l'Empire qui rejette le modèle actuel, absorbant, prédateur et « impérialiste ». À cette occasion, EL CORREO DE ESPAÑA s'entretient avec Eduard Alcántara, philosophe et expert de la pensée traditionaliste.
Q : Qu'est-ce que l'Imperium ?
R : Pour la Tradition, la notion d'Imperium représente l'aspiration à transférer l'Ordre cosmique (l'Ordo dont on parlait au Moyen Âge ou le Ritá védique) aux constructions politico-sociales conçues par l'homme. Il s'agit de faire en sorte que le microcosme soit le reflet du macrocosme. Nous parlons de la prétention de consommer ce que l'adage hermétique-alchimique dit quand il exprime que « ce qui est en haut est en bas ». L'harmonie qui régit dans les domaines célestes et qui a son corrélat dans la musique des sphères dont parlait déjà Pythagore, doit aussi régir dans les domaines terrestres. Les forces subtiles (numina) constituent le nerf de la charpente cosmique et, de même qu'elles s'interpénètrent de manière à harmoniser la dynamique du macrocosme, l'homme doit, au moyen du rite sacré, les activer afin que, par leur opérativité, elles rendent possible que l'harmonie qui gouverne en Haut gouverne aussi ici-bas sous la forme de l'Imperium ou du Regnum, tous deux donc de caractère sacré.
Q : Quelles sont les implications de l'Imperium pour la Tradition et vice versa ?
R : Si l'ensemble du cadre nouménique a pour cause première d'harmonisation la force centripète représentée par le Premier Principe indéfinissable, indéterminé et éternel (Brahman, pour l'hindouisme) qui est à son origine, l'Imperium fonctionne de manière similaire, puisque toutes ses composantes agissent et interagissent en harmonie en « tournant » autour de la figure de l'Empereur comme axe vertébral, car il est revêtu de cette aura sacrée qui dégage un prestige, une dignité supérieure et une majesté qui ne nécessitent, par nature, aucune force coercitive pour maintenir la cohésion des différents corps sociaux, administratifs et territoriaux qui font partie de cet Imperium. L'empereur, dans la Tradition, assume le rôle de Pontifex, ou bâtisseur de ponts, entre le monde métaphysique et le monde physique. Il est donc la clé de la sacralisation des sociétés dont il est le recteur et le guide. Il agit comme un catalyseur et un exemple pour ceux qui, par volonté et potentiel spirituel, s'aventurent sur le chemin rigoureux, méthodique et ardu de la metanoia, de la transsubstantiation ou remotio intérieure, de la réalisation spirituelle. De même, à ceux qui n'ont pas cette volonté et ce potentiel, elle rend possible l'approche, par la participation à son projet, des vérités transcendantes.
Q : Quelle a été l'influence de l'Imperium dans l'évolution de l'histoire en général et de l'hispanité en particulier ?
R : Le Monde de la Tradition s'est toujours efforcé de se constituer en Imperium comme la forme la plus complète et la plus aboutie d'organisation politico-sociale. Il comprenait parfaitement que la fonction impériale était celle qui incarnait et reflétait le plus fidèlement les ordonnancements et les harmonies des plans métaphysiques de la réalité. C'est pourquoi nous l'avons vu se réaliser sous des latitudes lointaines : au Japon, en Chine, en Perse, à Rome ou dans l'Europe du Saint Empire romain germanique. En Amérique, l'Espagne se heurte à une forme d'empire déjà dégradée, dont la survie repose uniquement sur l'usage de la force. Il a rencontré un empire aztèque tombé dans une sorte de rituel du sang, de la coupe tellurique ; il a interagi avec des forces préternaturelles et non surnaturelles. Il a également rencontré un empire inca centré sur les cultes d'une solarité décadente et non olympique. Une solarité qui ne dérive pas du Principe Suprême et éternel, qui par essence est imperturbable, mais une solarité qui naît et meurt, qui est donc changeante et qu'ils tentent de réveiller en la nourrissant continuellement de sacrifices humains sanglants. Si nous faisons un parallélisme avec l'univers mythologique grec, nous dirions que le monde inca n'accomplissait pas de rites pour activer les pouvoirs du dieu solaire, immuable et olympien Apollon, mais du dieu soleil Hélios, qui meurt et ressuscite sans cesse. L'Espagne devient Imperium, et ainsi la monarchie hispanique remplace les formes dissolues des empires amérindiens précolombiens par un Imperium fidèle aux vérités impérissables et éternelles de la Tradition. En Amérique, en Europe et même en Asie, avec les Philippines, une Idée spirituelle, la Catholicité, et la figure qui l'incarnait (différents monarques) ont maintenu la cohésion de l'Imperium pendant trois siècles sans maintenir, une fois établie, pratiquement aucune force militaire d'origine péninsulaire dans les différents territoires qui s'y conformaient, parce que la dignité sacrée de l'Idée qu'elle incarnait est devenue le pôle d'attraction qui l'a rendu possible. Son existence de trois siècles constitue un fait quasi-miraculeux si l'on tient compte des temps qui couraient alors dans une Europe qui avait vu naître un humanisme et un anthropocentrisme qui poussaient l'homme à une sorte de solipsisme qui le faisait se regarder le nombril et tourner le dos au fait Transcendant. Une Europe où dominaient le subjectivisme, le relativisme et l'impossibilité de connaître le Supérieur en raison de l'irruption du protestantisme. Une Europe dans laquelle la raison d'Etat (la fin machiavélique qui justifie les moyens) s'élevait au-dessus des considérations d'ordre sacré ou dans laquelle le rationalisme cartésien du XVIIème siècle et le mal nommé illuminisme du XVIIIème siècle luttaient avec succès pour laminer toute Vérité Supérieure en n'entrant pas dans la compréhension courte du raisonnement humain. Pourtant, même au cours du XVIIIe siècle, le miracle de l'Imperium hispanique ou de la Monarchie hispanique a survécu.
Q : Après Rome, l'Imperium s'est manifesté, selon vous, dans le Saint-Empire romain germanique et, plus tard, dans la tentative de récupération conçue par Charles Quint...
R : Oui, sans être trop polémique, on peut dire que le second prend le relais du premier et le troisième du second. Le Saint Empire Romain (S.I.R.G.) montre clairement cette intention de continuité jusque dans son nom même de Romain. Il représente une tentative de restauration du défunt Empire romain d'Occident. Malheureusement, en raison surtout de l'issue des guerres entre Guelfes et Gibelins à partir du XIIe siècle (les guerres dites des Investitures), le S.I.R.G. se dilue en raison du triomphe du camp guelfe, qui finit par enlever la potestas sacra à l'Empereur. Les conséquences en seraient finalement désastreuses, car désacraliser le chef du S.I.R.G. finirait par désacraliser, par osmose, tous les corps sociaux et territoriaux qui étaient sous son égide et accélérerait, de la sorte, tout un processus de décadence qui n'a guère eu de frein jusqu'à nos jours délétères. En fait, le seul frein a été mis par Charles V avec son projet de Monarchie Universelle qui, pour commencer, vivifierait les restes anodins et sans âme de ce qui avait été le S.I.R.G.. et, en outre, non seulement de la restituer à son territoire d'origine mais, surtout, à son être constitutif, qui n'était autre que celui de son essence spirituelle sous la forme de la catholicité ; D'où, par exemple, sa détermination à mettre fin au schisme protestant et son non-conformisme de simple catholique dévot face à la politique infâme du pape Clément VII, comme il l'a démontré avec le Sac de Rome de 1527; peut-être une gueule de bois gibeline de l'empereur Charles face au guelfisme symbolisé par la papauté ? Nous pouvons donc tracer des liens qui unissent l'Empire romain, le S.I.R.G. et l'Empire hispanique.
Q : Tradition contre monde moderne : qu'est-ce que l'un et qu'est-ce que l'autre ?
R : La tradition consiste à vivre en se concentrant sur le Haut. C'est pourquoi les structures et les organismes politico-sociaux sont substantialisés et concrétisés de telle sorte qu'ils permettent à l'homme de vivre en consonance avec le Transcendant, même dans sa vie quotidienne la plus insignifiante ; ainsi, chacune de ses actions deviendra une sorte de rite. La tradition agit comme si elle était une force qui sacralise l'existence terrestre. La Tradition, par essence sacrée, est intemporelle et peut, par conséquent, se manifester et se concrétiser à n'importe quel moment de l'évolution de l'histoire de l'homme, bien que, certainement, plus le kali-yuga, dont parlent les textes sapientiels indo-aryens (ou l'âge de fer, auquel fait allusion le Grec Hésiode) devient omni-hégémonique, plus la possibilité d'une Restauration de l'Ordre Traditionnel se produit sous une certaine latitude. Le monde moderne, quant à lui, représente le triomphe de la matière sur l'Esprit. Au début, sa prépondérance n'est pas totale mais progressivement, parfois avec des accélérations brutales, son hégémonie devient de plus en plus étouffante et aliénante. Jamais le monde n'a été aussi grossièrement et extrêmement matérialiste, mais, comme nous l'avons souligné plus haut, la prostration actuelle est le résultat de l'action d'une série de facteurs et de processus de dissolution, tels que l'humanisme, l'anthropocentrisme, le protestantisme, le relativisme, le rationalisme, le positivisme, les Lumières, le « nouveau » monde, positivisme, les Lumières ou/et les révolutions libérales et communistes, les sous-produits culturels tels que l'évolutionnisme darwinien, l'utilitarisme ou la psychanalyse pour aboutir au dépotoir actuel, consumériste, individualiste, nihiliste et de relativisme et de subjectivisme faisant partie intégrante de la postmodernité. Voyez donc que le seul antidote intégral pour affronter le monde moderne corrosif et dissolvant est le monde de la Tradition.
Q : En quoi l'Imperium diffère-t-il de l'impérialisme exercé, par exemple, par les États-Unis ?
R : Nous avons vu que l'Imperium a une base métaphysique, tandis que l'impérialisme a une base matérielle, que ce soit en vue d'une domination simplement expansive-territoriale ou à des fins économiques-mercantilistes. L'Imperium prétend créer la civilisation et l'impérialisme se déplace avec des prétentions de pillage et d'exploitation des ressources matérielles (énergie, nourriture,...). L'impérialisme anglais, hollandais ou français présentait un caractère colonialiste plus qu'évident, consistant dans le pillage par la métropole des ressources des colonies et dans la non-industrialisation de celles-ci afin qu'elles n'aient d'autre choix que d'acheter les produits fabriqués dans les industries de la métropole. Par exemple, dans le cas des Anglais, ils sont allés jusqu'à détruire les métiers à tisser en Inde ou à couper les pouces des tisserands à Ceylan pour couper toute concurrence textile possible avec les industries métropolitaines. Là où les puissances impérialistes avaient l'habitude de créer des usines commerciales, l'Espagne, en revanche, a fondé des villes et les a dotées d'aqueducs et d'infrastructures de toutes sortes. Ses routes pénétraient vers l'intérieur car il s'agissait de civiliser l'ensemble du territoire. Ainsi, contrairement aux usines côtières anglaises ou néerlandaises, les villes étaient fondées et refondées à des centaines de kilomètres de la côte, car l'objectif n'était pas seulement de remplir les cales des navires marchands, mais aussi de diffuser le catholicisme et ses vecteurs culturels, tels que la langue, la scolastique et la théologie. La Bible a été traduite dans un bon nombre de langues précolombiennes (toutes non grammaticales jusqu'à l'arrivée des Espagnols), comme le quechua et le nahuatl. Vingt-cinq universités et un grand nombre de Colegios Mayores ont été fondés, ouverts à tout sujet de la couronne espagnole ; certaines de ces universités ont été créées un siècle avant que les Anglais ne fondent la première dans leurs colonies américaines : l'université de Harvard en 1636. Le cas des États-Unis est également paradigmatique de ce qui a été et est un empire prédateur, aux antipodes de l'Imperium Hispanico. Au XVIIe siècle, c'est la doctrine de la Destinée manifeste qui a guidé dans une large mesure l'élan colonialiste américain. Les protestants en général et les puritains en particulier qui sont arrivés sur le territoire des 13 colonies l'ont brandi comme un argument expansionniste. Selon eux, les nouveaux colons auraient été désignés par Dieu pour avoir, comme les Juifs avec la terre promise d'Israël, leur terre de promesse. La conquête de nouveaux territoires et l'enrichissement économique qui en découle seraient les signes du choix préalable que le Très-Haut en aurait fait ; dans la lignée, cette idée, des dogmes calvinistes qui, par ailleurs mais dans cette même lignée, ont tant contribué à l'apparition et à l'expansion ultérieures du capitalisme (une contribution, disions-nous, essentielle du calvinisme en particulier comme du protestantisme en général). Cette doctrine de la Destinée Manifeste a pris de nouveaux envols depuis la fin du 18ème siècle (avec l'indépendance des 13 colonies) et est arrivée jusqu'à nos jours avec la conviction que les Américains ont été choisis par la divinité pour exporter et implanter (par la force ou par la ruse) la démocratie dans le monde entier. Leur impérialisme repose donc sur le principe d'une souveraineté populaire (si chère à la démocratie) par laquelle le pouvoir n'est pas légitimé par le Haut (il n'a pas d'origine sacrée) mais par le Bas, par un démos qui un jour peut établir, par la moitié plus un des votes, que les valeurs à défendre sont certaines et le lendemain en choisir d'autres, brisant ainsi toute validité des Vérités et Valeurs éternelles qui ont toujours donné la stabilité aux sociétés traditionnelles et ont toujours été leurs points de référence supérieurs. Nous ne révélons aucune preuve qui n'est pas connue si nous dénonçons que derrière cet empressement « généreux » et « détaché » à étendre la démocratie à toute la planète, se cachent des intérêts économiques non dissimulés qui, dans leur avidité, n'ont aucune limite par rapport aux confins du monde.
Q : « Les États ont déjà défenestré toute aspiration à constituer des unités politiques qui les dépassent et qui ont en vue un but élevé, parce que, au contraire, ils n'aspirent plus à restaurer l'Imperium. » Est-il encore possible de récupérer l'Imperium et la Tradition ?
R : La restauration de l'Ordre traditionnel et de sa forme impériale nous semble très compliquée étant donné les temps de dissolution que nous traversons dans tous les ordres, mais ce n'est pas un obstacle pour nous de soutenir qu'il n'est pas impossible que cela se produise. Le susdit Hésiode a écrit dans son œuvre Travaux et Jours que même dans les périodes de plus grande dispersion et de tribulations, il était possible de restaurer l'âge d'or dont parlait la mythologie grecque. L'homme n'est pas un être fatal, au destin irrévocablement écrit d'avance. Pour la Tradition, l'homme est libre de tracer son chemin, tant intérieur qu'extérieur, tout comme il chérit cette liberté qui peut lui permettre d'entreprendre un combat dont le but est de renverser le désordre ambiant et d'illuminer une nouvelle ère libérée des chaînes et des fardeaux lourds et aliénants que le monde moderne place depuis longtemps dans son empressement à bestialiser l'homme en l'amputant de sa dimension Transcendante.
Carlos X. Blanco, Eduard Alcántara et Robert Steuckers: Imperum, Eurasia, Hispanidad y Tradición. Letras Inquietas (juin 2021)
Danemark Angleterre deux Vikings d’une même famille réunis à Copenhague… 1 000 ans plus tard
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L’un fut découvert en Angleterre, l’autre au Danemark : deux Vikings d’une même famille, après avoir été séparés un millénaire durant, sont réunis depuis quelques jours au Musée national du Danemark.
Deux vikings d’une même famille réunis à Copenhague
Le Musée national du Danemark, basé à Copenhague, a offert des retrouvailles très particulières à deux guerriers vikings d’une même famille. Et pour cause : les deux squelettes auraient été séparés pendant 1 000 ans !
En effet, l’un des deux serait mort en Angleterre au début du XIe siècle à la suite de blessures à la tête avant d’être enterré dans une fosse commune à Oxford. Quant à son parent, présumé être agriculteur, il serait décédé sur l’île danoise de Funen alors qu’il était âgé d’une cinquantaine d’années. Son squelette a été exhumé en 2005 près de la ville d’Otterup tandis que celui-ci portant des traces de coups suggère qu’il aurait lui aussi participé à des batailles. C’est par l’intermédiaire d’une cartographie de l’ADN des squelettes de l’époque viking (entre le VIIIe et le XIIe siècle) que les chercheurs ont constaté que les deux vikings étaient parents au deuxième degré.
Selon l’archéologue Jeanette Varberg, du musée national du Danemark, « c’est une grande découverte parce que maintenant vous pouvez retracer les mouvements à travers l’espace et le temps à travers une famille ». Prêtés par le musée d’Oxfordshire pour une durée de trois ans, les quelques 150 os d’un homme d’une vingtaine d’années ont ainsi permis de reconstituer son squelette à Copenhague afin de présenter les deux vikings côte à côte, bien que séparés par la mer du Nord au moment de leur mort, à quelques 900 kilomètres l’un de l’autre.
Le personnel du Musée national de Copenhague déballe les ossements prêtés du viking retrouvé en Angleterre
De l’avis de l’archéologue, le guerrier a potentiellement été abattu lors d’un raid viking en Angleterre et en Écosse. Cependant, elle avance également une autre explication possible : un décret royal du roi d’Angleterre Aethelred II ayant ordonné en 1002 que tous les Danois d’Angleterre soient tués, l’individu âgé aujourd’hui d’un millénaire figurait peut-être parmi les victimes. Un massacre de la Saint-Brice à Oxford qui se déroula le 13 Novembre 1002.
Un lien de parenté incontestable entre les deux squelettes
La réunion des deux vikings est d’autant plus insolite que la découverte de liens de parenté entre différents squelettes est très rare, à l’exception de certains souverains. En revanche, il a été impossible pour les archéologues de déterminer clairement le lien familial qui unit les deux hommes, bien que cette parentèle soit présentée comme étant incontestable. « C’est très difficile de dire s’ils ont vécu à la même époque ou s’il y a peut-être une génération de différence car il n’y a aucun élément dans les tombes qui puissent donner une datation précise, vous avez donc une marge de plus ou moins 50 ans », a justifié Jeanette Varberg.
Ainsi, les analyses laissent à penser que les deux vikings étaient soit demi-frères, soit neveu et oncle, voire grand-père et petit-fils, comme l’a rapporté Eske Willerslev, généticien de l’université de Copenhague.
L’un des deux Vikings. Source : Facebook Nationalmuseet
Lors de la découverte de l’homme le plus jeune des deux, via des fouilles préventives en 2008, près d’Oxford, les archéologues avaient également mis à jour les restes de 35 autres colons danois.
Quant à son parent retrouvé au Danemark, des signes d’arthrite et d’inflammation des côtes, peut-être dus à la tuberculose, ont été observés sur son squelette. Enfin, les deux vikings mesuraient approximativement 1,80 m.
À partir du 26 juin, les deux squelettes seront visibles au Musée national de Copenhague dans le cadre d’une exposition intitulée « Togtet », signifiant « Le raid » en danois.
Source : (12/06/2021) - Breizh-info.com, 2021.
"1979 l'Année Charnière" avec Robert Steuckers & "Les nonagénaires génocidaires" avec Nicolas Bonnal AVATAR Media Editions / Edizioni
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- Catégorie : POLITIQUE
Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du vendredi 04 juin 2021 avec Pierre Le Vigan et Gilbert Dawed.
A propos de l’écologie nationale...
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Plusieurs articles et quelques déclarations me concernent en tant qu’élu engagé sur les sujets environnementaux. Il me semble utile d’y apporter quelques compléments d’information, et quelques réponses.
L’extrême gauche continue de décerner des brevets d’écologie !
Et d’abord, qui sont ces rentiers de l’écologie qui prétendent décerner des brevets d’écologie, délivrent des autorisations à traiter des sujets écologiques, et prononcent des interdits ? L’écologie est l’affaire de tous. L’écologie n’appartient à personne, surtout pas à une ultragauche qui s’en est emparée au prix d’un évident paradoxe — rien n’est plus anti-écologique que l’ouverture des frontières et le multiculturalisme ! — surtout pas aux divers affairistes qui sous couvert d’écologie ont surfé sur une vague profitable ; voir le scandale des renouvelables, etc.
Et elle n’appartient pas même à celles et ceux qui ont contribué à en faire le sujet de tous. Avec tout le respect que j’ai pour Corinne Lepage, pour Brice Lalonde ou pour Antoine Waechter, rien ne leur permet de décerner des brevets d’écologisme. Je n’aurai pas l’indécence de rappeler que les grands fondateurs et concepteurs de l’écologie, d’Alexander von Humboldt à l’inventeur du mot, Ernst Haeckel, de John Muir à Konrad Lorenz ou de Jacques Ellul à Ernst Schumacher, ou que les grands porteurs de l’écologie, de Théodore Roosevelt aux États-Unis, créateur du Yellowstone, à Georges Pompidou, créateur du premier « Ministère de l’Environnement » en France, n’avaient rien de gauchiste ! Que la droite nationale retrouve la priorité écologique, celle du cadre de vie, de la transmission et de la tenue du territoire n’a rien que de naturel. J’espère y contribuer pour ma part.
L’idéologie mondialiste de l’écologie
Je ne suis pas aveugle et je vois bien ce qui gêne. Dictée par les organisations internationales au service des entreprises géantes qui les paient, d’IKEA à Tesla, et de l’idéologie mondialiste qui assure leurs profits, la religion de la transition énergétique se veut globale et entend imposer des solutions globales au changement climatique. Le changement climatique est une réalité. Prétendre le combattre de manière autoritaire et uniforme est une supercherie ; le plus bel exemple étant ces réglementations européennes sur le climat qui s’appliquent également à la Finlande et à la Sicile ! Ni l’isolation thermique des logements ni l’économie de l’eau n’y ont rien à voir ; mais le vrai propos de l’Union européenne est d’en finir avec ces spécialités locales que sont les constructions en pierre de lave de Pantelleria, comme avec les maisons en bois de l’Estonie, les unes et les autres fruit d’une adaptation remarquable aux ressources locales et au climat ; quand tout sera préfabriqué et industrialisé, l’Union prospérera sur les ruines des adaptations millénaires des hommes à leur milieu !
En finir avec ces PME, ces artisans, ces indépendants qui font vivre les territoires, voilà le but de la captation réglementaire à laquelle ont procédé avec succès les multinationales du bâtiment. En finir avec la diversité des communautés, des sociétés, des Nations ; voilà le vrai objectif d’une écologie destructrice de la diversité, apôtre de cette écologie hors sol qui en finit avec toute culture, singularité et qui, vraiment, peut devenir la pire menace contre toute existence humaine décente.
Écologie et progressisme
Voilà le moment d’en arriver à l’essentiel. Écologie et écriture inclusive, écologie et GPA, écologie et théorie du genre, écologie et multiculturalisme, écologie et nomadisme obligé, voilà autant d’incompatibilités qui crient vers le ciel l’inconsistance tragique des écologistes proclamés ! L’homme est un être de culture. C’est entendu, les déterminants de l’existence humaine ne se réduisent ni à « la race », ni au sexe, à l’âge, au climat, etc. Qu’ils ne s’y réduisent pas ne signifient pas qu’ils n’ont aucune importance. La culture est l’expression que la liberté donne à des siècles ou des millénaires d’adaptation réciproque de l’homme à son milieu, et de ce milieu à l’homme. L’igloo, ou le refroidissement par courant d’eau des palais hindous sont des exemples remarquables d’adaptation de l’homme à son milieu ; les cultures en terrasses, ou l’assolement triennal sont les mêmes exemples de l’adaptation de son milieu à l’homme.
Toutes les cultures sont issues de ces interactions. Elles forgent ces identités qui unissent ceux qui ont en commun le même habiter et vivre dans un milieu donné. L’occupation sédentaire des territoires et la transmission familiale en sont les conditions. De génération en génération se construit l’appareil de mythes, de légendes, de gestes, de pratiques, qui exprime cette adaptation réciproque, qui la perpétue, et qui dépend de la constance de l’occupation humaine d’un ou de territoires — les nomades Peuhls ou Touaregs étant de magnifiques exemples de ces adaptations de l’homme au milieu sahélien.
Voilà ce que le double mensonge de « tous les hommes sont les mêmes » et « chaque individu a un droit illimité à migrer » vient ruiner. Inutile d’en appeler à Joseph de Maistre ou à Pascal. Chacun de ceux qui ont vu le monde sait bien que le plus cher désir de la majorité des résidents de cette planète est de vivre sur leur terre, dans leur Nation et parmi les leurs. Et chacun sait pour que la majorité des migrants comme des populations dites « d’accueil », les migrations sont un drame imposé, quand elles ne sont pas la forme moderne de l’esclavage.
L’écologie hors-sol est une négation de la culture, qui n’est que si elle est plurielle, et la pire menace qui pèse sur la diversité humaine, donc notre survie. Car nous survivrons parce que les hommes ne sont pas les mêmes et que leurs modèles de vie, leur idéal de la bonne vie, ne sont pas les mêmes. Et nous survivrons parce que nous aurons abandonné l’idée suicidaire selon laquelle la technique va nous permettre d’en finir avec la nature — ce qui signifie ni plus ni moins, en finir avec ce qui en l’homme fait l’homme.
Le point est décisif. Ce que dit l’obligation de se développer, à quoi se réduit le « droit au développement », est la destruction de cette diversité des modes de vie et des choix de vie qui est notre trésor inconnu. Nous ne développerons pas ce point ici, mais l’erreur est celle qui passe de l’obligation morale « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse » à son contraire ; « fais à autrui ce que tu voudrais qu’on te fasse », qui est simplement la négation de la liberté, comme de la dignité humaine ; je ne demande à personne de faire mon bien, je m’en charge ! Que les écologistes prétendent faire le bien des hommes sans eux, voire contre eux, comme l’écologie punitive en donne chaque jour l’exemple, est une perversion morale qui tôt ou tard se paiera — et se paie déjà de la désaffection croissante pour une écologie à la triste figure, l’inverse de l’écologie de la joie de vivre qui seule peut fonder un projet politique.
La critique se fait plus acérée, et les confusions plus gênantes, quand j’affirme que le nomadisme généralisé, l’individu de droit, la destruction des frontières et le dépassement des limites sont les pires ennemis de l’écologie. « Le monde est à nous ! » est une insulte à l’écologie. « Nous sommes tous des nomades comme les autres ! » est la négation des conditions écologiques de notre survie. Je touche là au peu qui reste de sacré aux yeux d’une gauche qui a tout trahi, sauf l’idée d’un internationalisme qui lui vaut les faveurs des les multinationales — et la perte de tout ce qui reste des peuples conscients d’eux-mêmes. La réalité est qu’un écosystème ne survit que parce qu’il est séparé des autres — par l’éloignement, par ses défenses naturelles, par sa capacité à éliminer les espèces invasives (ceux qui restent tentés par la « reductio ad hitlerum » feraient bien de réviser leur histoire ; l’utopie écologique de l’harmonie entre un peuple et sa terre natale est présente à la création d’Israël, et le mouvement sioniste du début du XXe siècle est aussi un engagement écologique à la réconciliation d’un peuple avec son milieu d’origine, avec la « terre où coulent le lait et le miel » de la Bible). La réalité est aussi que les frontières sont moins ce qui sépare que ce qui permet à une société humaine de se recueillir dans son être et de s’affirmer dans sa plénitude — rien à voir avec l’affadissement du « multiculturalisme », ou de la consommation en masse des « signes culturels ».
La réalité est que seul le sacré tient le marché — parce qu’il y a des raisons de tuer ou de mourir qui ne sont pas d’argent ; parce qu’il y a des choses pour lesquelles tuer ou mourir qui ne s’achètent ni ne se vendent — l’Occident devrait entendre ce qui lui dit l’Islam à ce sujet, et qui n’est pas rien. Mais qu’entendent les écologistes patentés des cris du monde et de la vie ? Dans nos sociétés de marché, sorties de la religion et de l’espoir révolutionnaire, tout ce qui demeure de sacré, ce à partir de quoi tout peut repartir, ce sont les identités particulières, ce sont les communautés et c’est la citoyenneté, surtout quand elles procurent ce sentiment de la nature propre à chaque civilisation, à chaque culture, voire à chaque territoire.
Et tout écologiste soucieux de la diversité des espèces animales ou végétales, de la préservation des biotopes spécifiques et de la stabilité des écosystèmes, devrait mesurer à quel point il se trahit s’il n’applique pas aux sociétés humaines les mêmes principes de séparation vitale, de discrimination nécessaire et de préférence pour soi. Chacun chez soi n’est ni fermeture, ni mépris ; c’est au contraire la condition pour que l’Autre demeure, que la diversité demeure, et que la liberté survive, cette liberté politique des sociétés unies devant leur destin.
En quelques mots ; oui, pas d’écologie sans respect des identités et défense de la diversité des sociétés humaines. Pas d’écologie sans frontières, sans limites et sans ce sentiment du sacré qui est incompatible avec le libre mouvement des biens, des services, des capitaux et des hommes. Et surtout, pas d’écologie sans bienveillance pour les mille et une manières de vivre et de trouver le bonheur que les hommes ont trouvé, et sans indulgence pour leurs pauvres efforts de se concilier le ciel.
Hervé Juvin (Juvin 2021, 24 mai 2021)
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Sur son site de campagne, Hervé Juvin, tête de liste aux élections régionales dans les Pays-de-la-Loire, répond à ses détracteurs et rappelle ce que doit être une écologie humaine et enracinée.
Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique
Valeurs héroïques contre valeurs bourgeoises ! (Georges Valois)
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Dans cette vidéo, nous nous pencherons sur les notions d’esprit et de valeurs héroïques, en opposition à l’esprit marchand et mercantile, à partir d’un livre de Georges Valois, « La révolution nationale ». Selon lui, l’esprit héroïque, de sacrifice, de courage et de dévouement est le seul qui puisse s’opposer véritablement à la toute-puissance de l’Argent.
Vilfredo Pareto, le Karl Marx du fascisme
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La contribution italienne à la pensée politique et sociale est particulièrement impressionnante et, en fait, peu de nations sont dotées d'une tradition aussi longue et aussi riche. Il suffit de mentionner des noms comme Dante, Machiavel et Vico pour apprécier l'importance de l'Italie à cet égard. Au vingtième siècle aussi, les contributions apportées par les Italiens sont d'une grande importance. Parmi celles-ci se trouvent la théorie de la domination oligarchique de Gaetano Mosca, l'étude des partis politiques de Roberto Michel, les curieuses théories sociobiologiques de Corrado Gini, et les investigations de Scipio Sighele sur l'esprit criminel et sur la psychologie des foules [1]. L'un des plus largement respectés de ces théoriciens et sociologues politiques italiens est Vilfredo Pareto. En effet, ses écrits ont eu tant d'influence qu'«il n'est pas possible d'écrire l'histoire de la sociologie sans se référer à Pareto» [2]. A travers toutes les vicissitudes et les convulsions de la vie politique du vingtième siècle, Pareto demeure à ce jour «un spécialiste de réputation universelle» [3].
Pareto est aussi important pour nous aujourd'hui parce qu'il est une figure dominante dans l'un des courants intellectuels les plus remarquables, et pourtant largement étouffés, de l'Europe. Cette vaste école de pensée inclut des figures aussi diverses que Burke, Taine, Dostoïevski, Burckhardt, Donoso Cortés, Nietzsche et Spengler, et se trouve en franche opposition avec le rationalisme, le libéralisme, l'égalitarisme, le marxisme et toutes les autres créations des doctrinaires des Lumières.
Vie et personnalité
Vilfredo Federico Damaso Pareto était né à Paris en 1848 [4]. Il était d'ascendance mixte franco-italienne, fils unique du marquis Raffaele Pareto, un Italien exilé de sa Gênes natale à cause de ses idées politiques, et de Marie Mattenier. Comme son père avait une vie assez confortable en tant qu'ingénieur en hydrologie, Pareto fut élevé dans un environnement de classe moyenne, jouissant de nombreux avantages qui revenaient aux gens de sa classe sociale à cette époque. Il reçut une éducation de qualité à la fois en France et en Italie, obtenant finalement un diplôme d'ingénieur à l'Institut Polytechnique de Turin où il termina premier de sa classe. Après avoir obtenu son diplôme, il travailla pendant plusieurs années comme ingénieur civil, d'abord pour la compagnie étatisée des chemins de fer italiens et ensuite pour l'industrie privée.
Pareto se maria en 1889. Son épouse Dina Bakunin, une Russe, aimait apparemment une vie sociale active, ce qui était plutôt en conflit avec l'amour de Pareto pour l'intimité et la solitude. Après douze années de mariage, Dina abandonna son époux. Sa seconde femme, Jane Régis, le rejoignit peu après la rupture de son mariage et tous deux restèrent dévoués l'un à l'autre durant tout le reste de la vie de Pareto.
Durant ces années, Pareto acquit un profond intérêt pour la vie politique de son pays et exprima ses idées sur une variété de thèmes dans des conférences, des articles pour divers journaux, et dans l'activité politique directe. Constant dans son appui à la théorie économique de la libre entreprise et au libre-échange, il ne cessa jamais d'arguer que ces concepts étaient des nécessités vitales pour le développement de l'Italie. Vociférant et polémique dans la défense de ces idées, et incisif dans la dénonciation de ses adversaires (qui se trouvaient être au pouvoir en Italie à cette époque), ses conférences publiques étaient suffisamment controversées pour être parfois visitées et fermées par la police, et attirer occasionnellement des menaces de la part d'hommes de main. Faisant peu de progrès avec ses concepts économiques à l'époque, Pareto se retira de la vie politique active et fut nommé professeur d'économie politique à l'Université de Lausanne (Suisse) en 1893. Il y établit sa réputation d'économiste et de sociologue. Sa réputation devint si grande qu'il fut surnommé «le Karl Marx de la bourgeoisie» par ses opposants marxistes. En théorie économique, son Manuel d'économie politique [5] et sa critique du socialisme marxien, Les Systèmes socialistes [6], restent parmi ses travaux les plus importants.
Pareto se tourna vers la sociologie assez tard dans sa vie, mais il est cependant acclamé dans ce domaine. Son monumental Traité de sociologie générale, et deux volumes plus petits, Montée et chute des élites et La transformation de la démocratie, sont ses chef-d ‘œuvres en sociologie [7]. Nous examinerons plus loin la nature de quelques-unes des théories contenues dans ces livres.
Le titre de marquis avait été accordé à l'arrière - arrière - arrière - grand-père de Pareto en 1729 et, après la mort de son père en 1882, cette dignité passa à Pareto lui-même. Il n'utilisa jamais ce titre, cependant, disant que puisque celui-ci n'était pas mérité, il avait peu de sens pour lui. Inversement, après sa nomination à l'Université de Lausanne, il utilisa le titre de «Professeur», car il sentait que c'était quelque chose qu'il méritait à cause de sa vie d'étude. Ces faits soulignent l'une des caractéristiques les plus marquantes chez cet homme: son extrême indépendance.
La grande intelligence de Pareto lui causa des difficultés pour travailler sous toute sorte de supervision. Durant toute sa vie il se dirigea, pas à pas, vers l'indépendance personnelle. Comme il était parfaitement conscient de sa propre intelligence, sa confiance en ses capacités et en sa supériorité intellectuelle irritait et offensait souvent les gens autour de lui. Pareto, en discutant de presque toutes les questions dont il se sentait certain, pouvait être obstiné dans ses idées et dédaigneux envers ceux qui avaient des opinions divergentes. De plus, il pouvait être dur et sarcastique dans ses remarques. En conséquence, certains finirent par considérer Pareto comme querelleur, caustique et méprisant pour les sentiments des gens.
Inversement, Pareto pouvait être généreux envers ceux qu'il percevait comme des «opprimés». Il était toujours prêt à prendre sa plume pour défendre les pauvres ou pour dénoncer la corruption dans le gouvernement et l'exploitation de ceux qui étaient incapables de se défendre. Comme l'écrit l'écrivain et sociologue Charles Powers:
Pendant de nombreuses années, Pareto offrit de l'argent, un abri et des conseils aux exilés politiques (particulièrement en 1898 après les tumultueux événements de cette année en Italie). Comme son père, Pareto était conservateur dans ses goûts et inclinations personnels, mais il était aussi capable de sympathiser avec d'autres et d'apprécier les protestations pour l'égalité des chances et la liberté d'expression [8]. Pareto était un libre penseur. A certains égards, il rappelle un libertaire précoce. Il était possédé par cette dualité d'humeur que nous continuons à trouver parmi les gens qui sont extrêmement conservateurs et néanmoins ardents dans leur croyance en la liberté personnelle [9].
Comme il était un expert dans le maniement de l'épée et aussi un tireur d'élite, il n'était pas enclin à céder devant des menaces contre sa personne, un comportement qu'il aurait considéré comme une lâcheté et contraire à son sens de l'honneur personnel. Plus d'une fois il mit en fuite des brutes et des voyous [10].
Pareto souffrit d'une maladie de cœur vers la fin de sa vie et pendant ses dernières années lutta contre la maladie. Il mourut le 19 août 1923.
Les systèmes socialistes
Toute sa vie adversaire du marxisme et de l'égalitarisme libéral, Pareto publia une bordée foudroyante contre la vision-du-monde marxiste-libérale en 1902. Considérant le respect presque universel accordé aux aspects les plus marquants du marxisme et du libéralisme, il est regrettable que Les systèmes socialistes de Pareto n'ait pas été traduit en anglais dans son entièreté. Seuls quelques extraits ont été publiés. Dans un passage souvent cité qui peut être pris pour un avertissement prophétique destiné à notre époque, Pareto écrit:
Un signe qui annonce presque invariablement la décadence d'une aristocratie est l'intrusion de sentiments humanitaires et de sentimentalisme affecté qui rend l'aristocratie incapable de défendre sa position. La violence, nous devons le noter, ne doit pas être confondue avec la force. Assez souvent on observe des cas où des individus et des classes qui ont perdu la force de se maintenir au pouvoir se font de plus en plus haïr à cause de leurs accès de violence au hasard. L'homme fort frappe seulement quand c'est absolument nécessaire, et alors rien ne l'arrête. Trajan était fort, pas violent. Caligula était violent, pas fort.
Lorsqu'une créature vivante perd les sentiments qui, dans des circonstances données, lui sont nécessaires pour maintenir la lutte pour la vie, c'est un signe certain de dégénérescence, car l'absence de ces sentiments entraînera tôt ou tard l'extinction de l'espèce. La créature vivante qui répugne à rendre coup pour coup et à verser le sang de son adversaire se place ainsi à la merci de son adversaire. Le mouton a toujours trouvé un loup pour le dévorer; s'il échappe aujourd'hui à ce péril, c'est seulement parce que l'homme se le réserve pour lui-même.
Tout peuple qui a horreur du sang au point de ne pas savoir comment se défendre deviendra tôt ou tard la proie d'un peuple belliqueux ou d'un autre. Il n'y a peut-être pas un seul pouce de terre sur ce globe qui n'ait pas été conquis par l'épée à un moment ou à un autre, et où ses occupants ne se sont pas maintenus par la force. Si les Nègres étaient plus forts que les Européens, l'Europe serait partitionnée par les Nègres et non l'Afrique par les Européens. Le «droit» proclamé par des peuples qui s'accordent le titre de «civilisés» à conquérir d'autres peuples, qu'il leur plaît d'appeler «non-civilisés», est complètement ridicule, ou plutôt ce droit n'est rien d'autre que la force. Car tant que les Européens seront plus forts que les Chinois, ils leur imposeront leur volonté; mais si les Chinois devaient devenir plus forts que les Européens, alors les rôles seraient inversés, et il est hautement probable que les sentiments humanitaires n'ont jamais pu être opposés avec une efficacité quelconque à une armée. [11]
Dans une autre partie du même ouvrage qui rappelle à l'esprit les paroles du philosophe allemand Oswald Spengler, Pareto met aussi en garde contre ce qu'il considérait comme le danger suicidaire de l'«humanitarisme»:
Une élite qui n'est pas prête à rejoindre la bataille pour défendre sa position est en pleine décadence, et tout ce qui lui reste est de faire place à une autre élite ayant les qualités viriles dont elle manque. C'est une pure rêverie d'imaginer que les principes humanitaires qu'elle a pu proclamer lui seront appliqués: ses vainqueurs l'accableront avec le cri implacable Vae Victis [malheur aux vaincus]. Le couteau de la guillotine était aiguisé dans l'ombre quand, à la fin du dix-huitième siècle, les classes dirigeantes en France étaient occupées à développer leur «sensibilité». Cette société désœuvrée et frivole, vivant comme un parasite sur le pays, discourait lors de ses élégants dîners de délivrer le monde de la superstition et d'écraser l'infâme, sans aucunement suspecter que c'était elle-même qui allait être écrasée. [12]
Marxisme
Une partie substantielle des Systèmes socialistes est consacrée à une évaluation acerbe des prémisses basiques du marxisme. D'après l'historien H. Stuart Hughes, cet ouvrage causa à Lénine «plus d'une nuit sans sommeil» [13].
Dans les vues de Pareto, l'insistance marxiste sur la lutte historique entre la classe laborieuse non-possédante -- le prolétariat -- et la classe capitaliste possédante est biaisée et terriblement trompeuse. L'histoire est en effet pleine de conflit, mais la lutte entre le prolétariat et les capitalistes est simplement un conflit parmi beaucoup d'autres et n'est en aucune manière le plus important historiquement. Comme l'explique Pareto:
La lutte des classes, sur laquelle Marx a particulièrement attiré l'attention, est un facteur réel, dont les marques peuvent être trouvées sur chaque page de l'histoire. Mais la lutte n'est pas limitée seulement à deux classes: le prolétariat et les capitalistes, elle a lieu entre un nombre infini de groupes avec des intérêts différents, et avant tout entre les élites rivalisant pour le pouvoir. L'existence de ces groupes peut varier en durée, ils peuvent être basés sur des caractéristiques permanentes ou plus ou moins temporaires. Chez les peuples les plus sauvages, et peut-être chez tous, le sexe détermine deux de ces groupes. L'oppression dont se plaint le prolétariat, ou qui l'a amené à s'en plaindre, n'est presque rien en comparaison de ce que subissent les femmes des Aborigènes australiens. Des caractéristiques réelles à un degré plus ou moins grand -- nationalité, religion, race, langue, etc. -- peuvent donner naissance à ces groupes. De nos jours [c'est-à-dire en 1902], la lutte entre les Tchèques et les Allemands en Bohème est plus intense que celle entre le prolétariat et les capitalistes en Angleterre. [14]
L'idéologie de Marx représente simplement une tentative, pense Pareto, de remplacer une élite dominante par une autre, en dépit des promesses marxistes du contraire:
Les socialistes de notre époque ont clairement perçu que la révolution à la fin du dix-huitième siècle a simplement conduit au remplacement de la vieille élite par la bourgeoisie. Ils exagèrent largement le fardeau de l'oppression imposée par les nouveaux maîtres, mais ils croient sincèrement qu'une nouvelle élite de politiciens tiendra mieux leurs promesses que ceux qui sont venus et qui se sont maintenus jusqu'à nos jours. Tous les révolutionnaires proclament à leur tour que les révolutions précédentes ont fini par tromper le peuple; c'est leur révolution seule qui est la vraie révolution. «Tous les mouvements historiques précédents», déclarait le Manifeste communiste de 1848, «étaient des mouvements de minorités ou dans l'intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement conscient et indépendant de l'immense majorité, dans l'intérêt de l'immense majorité». Malheureusement cette vraie révolution, qui doit apporter aux hommes un bonheur sans mélange, n'est qu'un mirage trompeur qui ne devient jamais une réalité. Elle est apparentée à l'âge d'or des millénaristes: toujours attendue, elle est toujours perdue dans les brumes du futur, échappant toujours à ses adeptes au moment où ils pensent la tenir. [15]
Résidus et dérivations
L'une des théories les plus notables et les plus controversées de Pareto est que les êtres humains ne sont pas, pour la plupart, motivés par la logique et la raison mais plutôt par le sentiment. Le livre « les systèmes socialistes » est parsemé de ce thème et il apparaît dans sa forme pleinement développée dans l'épais Traité de sociologie générale de Pareto. Dans son Traité, Pareto examine les multitudes d'actions humaines qui constituent les manifestations extérieures de ces sentiments et les classe en six groupes principaux, les appelant «résidus». Tous ces résidus sont communs à toute l'humanité, déclare Pareto, mais certains résidus apparaissent plus marqués chez certains individus. De plus, ils sont inaltérables; la nature politique de l'homme n'est pas perfectible mais demeure une constante à travers l'histoire.
La Classe I est l'«instinct des combinaisons». C'est la manifestation des sentiments chez les individus et dans la société qui tend vers le désir de progrès, l'inventivité, et le désir d'aventure.
Les résidus de la Classe II sont liés à ce que Pareto appelle la «préservation des agrégats» et incluent le coté plus conservateur de la nature humaine, y compris la loyauté envers les institutions durables de la société telles que la famille, l'église, la communauté, la nation et le désir de permanence et de sécurité.
Après cela vient le besoin d'exprimer des sentiments par l'action externe, les résidus de la Classe III de Pareto. Les cérémonies et les spectacles religieux et patriotiques sont des exemples de ces résidus et incluront des choses comme saluer le drapeau, participer à un service de communion chrétienne, marcher dans une parade militaire, et ainsi de suite. En d'autres mots, les êtres humains tendent à manifester leurs sentiments dans des symboles.
Ensuite vient l'instinct social, la Classe IV, comprenant les manifestations des sentiments en appui à la discipline individuelle et sociétale qui est indispensable pour maintenir la structure sociale. Cela inclut des phénomènes comme le sacrifice de soi pour l'amour de la famille et de la communauté et des concepts comme l'arrangement hiérarchique des sociétés.
La Classe V est dans une société cette qualité qui insiste sur l'intégrité individuelle et sur l'intégrité des biens et des intérêts de l'individu. Ces résidus contribuent à la stabilité sociale, les systèmes de loi criminelle et civile étant les exemples les plus évidents.
Finalement nous avons la Classe VI, qui est l'instinct sexuel, ou la tendance à voir les événements sociaux en termes sexuels.
Renards et lions
Dans tout son Traité, Pareto insiste particulièrement sur les deux premières de ces six classes de résidus et sur la lutte entre innovation et consolidation à l'intérieur des individus aussi bien que dans la société. Le regretté James Burnham, écrivain, philosophe, et l'un des principaux disciples américains de Pareto, affirme que les résidus des Classes I et II de Pareto sont une extension et une amplification de certains aspects de la théorie politique élaborée au quinzième siècle par Nicolas Machiavel [16]. Machiavel divisait les humains en deux classes, les renards et les lions. Les qualités qu'il attribue à ces deux classes d'hommes ressemblent très fortement aux qualités typiques des types de résidus des Classes I et II de Pareto. Les hommes avec de forts résidus de Classe I sont les «renards», tendant à être manipulateurs, innovateurs, calculateurs et imaginatifs. Les entrepreneurs enclins à prendre des risques, les inventeurs, les scientifiques, les auteurs de fiction, les politiciens, et les créateurs de philosophies complexes entrent dans cette catégorie. Les hommes de la Classe II sont les «lions» et accordent beaucoup plus de valeur à des traits comme le bon caractère et le sens du devoir qu'à la pure intelligence. Ils sont les défenseurs de la tradition, les gardiens des dogmes religieux, et les protecteurs de l'honneur national.
Pour que la société fonctionne correctement, il doit y avoir un équilibre entre ces deux types d'individus; la relation fonctionnelle entre les deux est complémentaire. Pour illustrer ce point, Pareto prend les exemples du Kaiser Guillaume I, de son chancelier Otto von Bismarck, et de l'adversaire de la Prusse, l'empereur Napoléon III. Guillaume avait une abondance de résidus de Classe II, alors que Bismarck était l'exemple de la Classe I. Séparément, peut-être, aucun des deux n'aurait réussi de grandes choses, mais ensemble ils paraissaient gigantesques dans l'histoire européenne du dix-neuvième siècle, chacun apportant ce dont l'autre manquait [17].
Du point de vue des théories de Pareto, le régime de Napoléon III était une affaire qui marchait de travers, obsédée par la prospérité matérielle et dominée pendant presque vingt ans par des «renards» comme les spéculateurs en bourse et les entrepreneurs qui, disait-on, se partageaient le budget national. «En Prusse», observe Pareto, «on trouve une monarchie héréditaire soutenue par une noblesse loyale: les résidus de Classe II prédominent; en France on trouve un aventurier couronné soutenu par une bande de spéculateurs et de dépensiers: les résidus de Classe I prédominent» [18]. Et, encore plus important, alors qu'en Prusse à cette époque les besoins de l'armée dictaient la politique financière, en France les financiers dictaient la politique militaire. En conséquence, quand la guerre éclata entre la Prusse et la France lors de l'été 1870, le «moment de vérité» arriva pour la France. Le Second Empire si vanté de Napoléon tomba en pièces et fut balayé en quelques semaines [19].
Justification des «dérivations»
Un autre aspect des théories de Pareto que nous allons examiner brièvement est ce qu'il appelait les «dérivations», les justifications ostensiblement logiques que les gens emploient pour rationaliser leurs actions essentiellement non-logiques, conduites par le sentiment. Pareto nomme quatre principales classes de dérivations: 1) dérivations de l'affirmation; 2) dérivations de l'autorité; 3) dérivations qui sont en accord avec les sentiments et les principes communs; et 4) dérivations de preuve verbale. Les premières incluent des déclarations de nature dogmatique ou aphoristique; par exemple, le dicton «l'honnêteté est la meilleure politique». Les secondes, venant de l'autorité, sont des appels au peuple ou des concepts tenus en haute estime par la tradition. Citer l'opinion de l'un des Pères Fondateurs américains sur un sujet d'actualité revient à s'inspirer des dérivations de la Classe II. Les troisièmes concernent des appels au «jugement universel», à la «volonté du peuple», aux «meilleurs intérêts de la majorité», ou à des sentiments similaires. Et, finalement, les quatrièmes relèvent de diverses gymnastiques verbales, métaphores, allégories, et ainsi de suite.
Nous voyons alors que comprendre les résidus et les dérivations de Pareto équivaut à avoir des aperçus du paradoxe du comportement humain. Ils représentent une attaque du rationalisme et des idéaux libéraux en ce qu'ils éclairent les motivations primitives se trouvant derrière les slogans et les mots d'ordre sentimentaux de la vie politique. Pareto consacre la plus grande partie de son Traité à exposer en détail ses observations sur la nature humaine et à prouver la validité de ses observations en citant des exemples tirés de l'histoire. Son érudition dans des domaines comme celui de l'histoire gréco-romaine était célèbre et ce fait se reflète dans tout son ouvrage massif.
Equilibre naturel
Au niveau social, d'après le schéma sociologique de Pareto, les résidus et les motivations sont les mécanismes par lesquels la société maintient son équilibre. La société est vue comme un système, «un tout constitué de parties interdépendantes. Les 'points matériels ou molécules' du système ... sont les individus qui sont affectés par les forces sociales qui sont marquées par des propriétés constantes ou communes» [20]. Quand le déséquilibre surgit, une réaction se produit par laquelle l'équilibre est retrouvé. Pareto pensait que l'Italie et la France, les deux sociétés modernes dont il était le plus familier, étaient fortement déséquilibrées et que les «renards» avaient largement le contrôle. Dans le Traité, il se lamente longuement sur les classes gouvernantes faibles dans ces deux pays. Dans les deux cas, disait-il, les révolutions étaient en retard.
Nous avons déjà noté que quand une classe dirigeante est dominée par des hommes possédant de forts résidus de Classe I, l'intelligence est généralement placée au-dessus de toutes les autres qualités. L'usage de la force pour faire face aux dangers internes et externes à l'Etat et à la nation est évité, et à sa place des tentatives sont faites pour résoudre les problèmes ou apaiser les menaces par des négociations ou du bricolage social. Habituellement, de tels gouvernants trouveront une justification dans le faux humanitarisme pour leur timidité.
Dans le domaine intérieur, le plus grand danger pour une société est un excès d'activité criminelle auquel les types de Classe I tentent de faire face en ayant recours à des méthodes comme la «réhabilitation» criminelle et à divers gestes philanthropiques. Le résultat, comme nous le savons trop bien, est un pays inondé de crime. Pareto commente ce phénomène avec un sarcasme caractéristique:
Les théoriciens modernes ont l'habitude de reprendre amèrement d'anciens «torts» par lesquels les péchés du père sont transférés sur le fils. Ils oublient de mentionner qu'il existe une chose similaire dans notre propre société, au sens où les péchés du père bénéficient au fils et l'acquittent de culpabilité. Pour le criminel moderne, c'est une grande chance de pouvoir compter parmi ses ancêtres ou ses autres relations un criminel, un fanatique, ou juste un simple ivrogne, car dans une cour de justice cela lui vaudra une punition plus légère ou, pas rarement, un acquittement. Les choses en sont arrivées à un tel point qu'il y a difficilement un procès criminel de nos jours où ce genre de défense n'est pas mis en avant. La vieille preuve métaphysique qui était utilisée pour montrer qu'un fils devait être puni à cause des mauvaises actions de son père n'était ni plus ni moins valide que la preuve utilisée de nos jours pour montrer que la punition qu'il mériterait autrement doit être pour les mêmes raisons adoucie ou remise. Quand, alors, la tentative de trouver une excuse pour le criminel dans les péchés de ses ancêtres se révèle vaine, il y a encore le recours d'en trouver une dans les crimes de la «société» qui, n'ayant pas réussi à apporter le bonheur au criminel, est «coupable» de son crime. Et la punition va tomber non sur la «société», mais sur l'un de ses membres, qui est choisi au hasard et n'a absolument rien à voir avec la présumée culpabilité. [21]
Pareto ajoute dans une note: «Le cas classique est celui de l'homme affamé qui vole une miche de pain. Qu'on doive lui permettre de repartir libre est assez compréhensible; mais il est moins compréhensible que l'obligation de la «société» de ne pas le laisser affamé doive incomber à un boulanger choisi au hasard et non à la société dans son ensemble» [22].
Pareto donne un autre exemple, celui d'une femme qui tente d'abattre son séducteur, touche un troisième parti qui n'a rien à voir avec son grief, et qui est finalement acquittée par les tribunaux. Pour finir, il conclut sa note avec ces remarques: «Pour satisfaire des sentiments de langoureuse pitié, les législateurs humanitaires approuvent les lois de « liberté surveillée » et de « peine avec sursis », grâce auxquelles une personne qui a commis un premier vol est immédiatement mise en position d'en commettre un second. Et pourquoi le luxe de l'humanité devrait-il être payé par l'infortunée victime du second vol et non par la société dans son ensemble ? ... Les choses étant ainsi, on ne se préoccupe que du criminel et personne n'a une pensée pour la victime [23].
S'étendant sur la proposition selon laquelle la «société» serait responsable de la conduite meurtrière de certains individus, point de vue pour lequel il n'a aucune tolérance, il écrit:
En tous cas, on ne nous a pas encore montré pourquoi des gens qui, serait-ce par la faute de la «société», se trouvent «manquer de sens moral», devraient être laissés libres dans les rues, tuant tous ceux qu'ils désirent, et laissant ainsi à un malheureux individu la tâche de payer pour une «faute» qui est commune à tous les membres de la «société». Si nos humanitaires voulaient bien garantir que ces estimables individus qui manquent de sens moral en résultat des «défauts de la société» soient obligés de porter quelque signe visible de leur infortune à leur boutonnière, un honnête homme aurait une chance de les voir venir et de s'écarter de leur chemin. [24]
Affaires étrangères
Dans les affaires étrangères, les «renards» tendent à juger la sagesse de toutes les politiques d'un point de vue commercial et optent habituellement pour des négociations et des compromis, même dans des situations dangereuses. Pour de tels hommes profit et perte déterminent toute politique, et bien qu'une telle vision puisse réussir pendant un certain temps, le résultat final est habituellement ruineux. C'est pourquoi des ennemis maintenant un équilibre entre les «renards» et les «lions» restent capables d'apprécier l'usage de la force. Bien qu'ils puissent occasionnellement feindre de se laisser acheter, quand le moment est venu et que leur ennemi si ingénieux est bien endormi, ils frappent le coup mortel. En d'autres mots, les gens de la Classe I sont accoutumés par leurs préjugés excessivement intellectualisés à croire que la «raison» et l'argent sont toujours plus puissants que l'épée, alors que les gens de la Classe II, avec leur bon sens naturel, ne nourrissent pas d'illusions potentiellement aussi fatales. Selon les mots de Pareto, «le renard peut, par sa ruse, s'échapper pendant un certain temps, mais le jour viendra où le lion l'atteindra avec un coup de patte bien dirigé, et ce sera la fin de la discussion» [25].
Circulation des élites
En-dehors de ses analyses des résidus et des dérivations, Pareto est célèbre parmi les sociologues pour sa théorie comme la «circulation des élites». Rappelons-nous que Pareto considérait la société comme un système en équilibre, où les processus de changement tendent à mettre en mouvement des forces qui travaillent à restaurer et à maintenir l'équilibre social.
Pareto affirme qu'il y a deux types d'élites dans la société: l'élite gouvernante et l'élite non-gouvernante. De plus, les hommes qui forment ces strates d'élite sont de deux mentalités distinctes, le spéculateur et le rentier. Le spéculateur est le progressiste, rempli de résidus de Classe I, alors que le rentier est le conservateur, le type de résidus de Classe II. Dans les sociétés saines, les deux groupes ont une tendance naturelle à alterner au pouvoir. Quand, par exemple, les spéculateurs ont mis le désordre dans le gouvernement et ont outragé la masse de leurs compatriotes par leur corruption et leurs scandales, les forces conservatrices s'avanceront et, d'une manière ou d'une autre, les remplaceront. Le processus, comme nous l'avons dit, est cyclique et plus ou moins inévitable.
De plus, d'après Pareto, les gouvernants sages cherchent à revigorer leurs rangs en permettant aux meilleurs des strates inférieures de la société de monter et de devenir pleinement membres de la classe dirigeante. Cela n'amène pas seulement les meilleurs et les plus brillants au sommet, mais prive les classes inférieures d'un talent et de qualités de gouvernement qui pourraient un jour se révéler être une menace. Résumant cette composante de la théorie de Pareto, un sociologue contemporain observe que c'est le sens pratique, pas la pitié, qui demande une telle politique:
Un groupe dominant, selon Pareto, ne survit que s'il donne la chance aux meilleurs individus d'autres origines de rejoindre ses privilèges et récompenses, et s'il n'hésite pas à user de la force pour défendre ces privilèges et récompenses. L'ironie de Pareto s'attaque à l'élite qui devient humanitaire et ramollie au lieu d'être inflexible. Pareto recommande de donner la chance à tous les membres compétents de la société d'entrer dans l'élite, mais il n'est pas motivé par des sentiments de pitié pour les défavorisés. Exprimer et répandre de tels sentiments humanitaires affaiblit simplement l'élite dans la défense de ses privilèges. De plus, de tels sentiments humanitaires deviendraient facilement une plate-forme de ralliement pour l'opposition. [26]
Mais peu d'aristocraties de longue durée saisissent la nature essentielle de ce processus, préférant garder leurs rangs aussi exclusifs que possible. Le temps fait son œuvre, et les gouvernants deviennent toujours plus faibles et toujours moins capables de porter le fardeau du gouvernement:
C'est un trait spécifique des gouvernements faibles. Parmi les causes de faiblesse, deux en particulier doivent être notées: l'humanitarisme et la couardise -- la couardise qui devient naturelle chez les aristocraties décadentes et qui est en partie naturelle, en partie calculée, chez les gouvernements «spéculateurs» qui sont surtout préoccupés de gains matériels. L'esprit humanitaire ... est une maladie particulière aux individus sans caractère qui sont richement dotés de certains résidus de Classe I qu'ils ont habillés d'un costume sentimental. [27]
Pour finir, bien sûr, la classe dirigeante perd le pouvoir. Ainsi, Pareto écrit que «l'histoire est un cimetière d'aristocraties» [28].
La transformation de la démocratie
Publié comme un mince volume peu avant la fin de la vie de Pareto, La transformation de la démocratie parut originellement en 1920 comme une série d'essais publiés dans un périodique érudit italien, la Revista di Milano. Dans cet ouvrage, Pareto récapitule beaucoup de ses théories sous une forme plus concise, insistant particulièrement sur ce qu'il pense être les conséquences du fait de laisser une élite de l'argent dominer la société. Le titre de cet ouvrage vient de l'observation de Pareto que les démocraties européennes dans les années 20 se transformaient de plus en plus en ploutocraties. La tromperie et la corruption associées à la domination ploutocratique produiraient finalement une réaction, cependant, et conduiraient à la chute du système. Selon les mots de Pareto:
La ploutocratie a inventé d'innombrables expédients, tels que générer une énorme dette publique dont les ploutocrates savent qu'ils ne pourront jamais la rembourser, des taxes sur le capital, des impôts qui épuisent les revenus de ceux qui ne spéculent pas, des lois somptuaires qui se sont historiquement révélées inutiles, et d'autres mesures similaires. Le principal but de chacune de ces mesures est de tromper les multitudes. [29]
Quand le système de valeurs d'une société se détériore au point où le travail pénible est dénigré et où «l'argent facile» est exalté, où l'honnêteté est moquée et la duplicité célébrée, où l'autorité laisse la place à l'anarchie et la justice à la chicanerie légale, une telle société se trouve face à sa ruine.
Pareto et le fascisme
Avant d'entrer dans la controverse entourant la sympathie de Pareto pour le dirigeant italien Benito Mussolini, prenons la peine d'éviter l'erreur de regarder les événements des années 20 à travers les spectacles de l'époque de l'après-guerre, car ce qui semblait apparent en 1945 n'était pas du tout évident vingt ans plus tôt. Il est incontestable que pendant toutes les années 20, Mussolini était un homme énormément populaire en Italie et à l'étranger, pour tous sauf peut-être pour les gauchistes les plus invétérés. Un auteur américain l'exprime comme suit:
« L'Italie d'après-guerre [la première guerre mondiale] ... était un égout de corruption et de dégénérescence. Dans ce bourbier, le fascisme apparut comme une bouffée d'air frais, un nettoyage tempétueux de tout ce qui était souillé, vil, fétide. Basé sur les instincts vivifiants de l'idéalisme nationaliste, le fascisme «était l'opposé des idées sauvages, de l'anarchie, de l'injustice, de la couardise, de la trahison, du crime, de la lutte des classes, des privilèges; et il représentait les affaires honnêtes, le patriotisme et le sens commun». Quant à Mussolini, «il n'y a jamais eu un mot contre sa sincérité et son honnêteté absolues. Quelle que fût la cause pour laquelle il s'engageait, il se révélait être un chef-né et un travailleur acharné. Sous la direction dynamique de Mussolini, les braves chemises noires traitèrent les radicaux sans ménagement, restaurèrent les droits de propriété, et purgèrent le pays des politiciens arrivistes qui prospéraient sur la corruption endémique de la démocratie de masse». [30]
Si le Duce italien était si populaire dans les années 20 qu'il recevait l'hommage du Saturday Evening Post [31] et de l'American Légion [32], et les plus grands éloges de figures de l'Establishment britannique et américain comme Winston Churchill [33] et l'ambassadeur Richard Washburn Child [34], les Italiens de tendance conservatrice comme Pareto devaient être encore bien plus enthousiastes à cette époque. Ils créditaient Mussolini de rien moins que d'avoir sauvé l'Italie du chaos et du bolchevisme. Les tragédies futures des années 40, inutile de le dire, étaient bien loin devant, à un horizon lointain, invisibles à tous.
Pareto exprima invariablement du dédain pour les gouvernements plouto-démocratiques qui dirigèrent l'Italie pendant presque toute sa vie. Sa rancœur envers les politiciens libéraux et leurs méthodes ressort dans tous ses livres; ces hommes sont les objets de son mépris et de son esprit acéré. Arthur Livingston, le traducteur de Pareto, écrit: «Il était convaincu que dix hommes courageux pouvaient à n'importe quel moment marcher sur Rome et mettre en fuite la bande de 'spéculateurs' qui se remplissaient les poches et ruinaient l'Italie» [35]. En conséquence, en octobre 1922, après la marche des fascistes sur Rome et la nomination de Mussolini au poste de Premier Ministre par le Roi, «Pareto fut capable de sortir de son lit de malade et de s'écrier triomphalement: 'Je vous l'avais bien dit!'» [36]. Néanmoins, Pareto n'adhéra jamais au Parti Fasciste. Ayant déjà bien dépassé les soixante-dix ans et souffrant d'une grave maladie de cœur, il resta retiré dans sa villa en Suisse.
Le nouveau gouvernement, cependant, accorda de nombreux honneurs à Pareto. Il fut nommé délégué à la Conférence pour le Désarmement à Genève, fut fait Sénateur du Royaume, et fut cité comme contributeur du périodique personnel du Duce, Gerarchia [37]. Il déclina beaucoup de ces honneurs à cause de son état de santé mais resta favorablement disposé envers le régime, correspondant avec Mussolini et offrant des conseils pour la formulation de la politique économique et sociale [38].
De nombreuses années avant la marche sur Rome, Mussolini avait suivi les cours de Pareto à Lausanne et avait écouté le professeur avec une grande attention. «J'attendais ses cours avec impatience», écrivit Mussolini, «car il y avait là un professeur qui exposait la philosophie économique fondamentale de l'avenir» [39]. Le jeune Italien fut manifestement très impressionné, et, après son accession au pouvoir, il chercha immédiatement à transformer en actions les pensées de son vieux mentor:
Durant les premières années de son pouvoir, Mussolini exécuta littéralement la politique prescrite par Pareto, détruisant le libéralisme politique, mais en même temps remplaçant largement la gestion étatique par l'entreprise privée, diminuant les impôts sur la propriété, favorisant le développement industriel, imposant une éducation religieuse dans les dogmes... [40]
Bien sûr, ce ne sont pas seulement les théories économiques de Pareto qui influencèrent l'évolution de l'Etat fasciste, mais particulièrement ses théories sociologiques: «la Sociologia Generale était devenue pour beaucoup de fascistes un traité de gouvernement» [41], notait un auteur de l'époque. Il y avait clairement un certain accord entre Pareto et le nouveau gouvernement. La théorie de Pareto sur la domination des élites, ses penchants autoritaires, son rejet sans compromis de la fixation libérale sur l'Homme Economique, sa haine du désordre, sa dévotion pour l'arrangement hiérarchique de la société, et sa croyance en une aristocratie du mérite sont toutes des idées en harmonie avec le fascisme. Gardons à l'esprit, cependant, que toutes ces idées furent formulées par Pareto des décennies avant que quiconque ait jamais entendu parler du fascisme et de Mussolini. De même, on pourrait dire qu'elles sont tout autant en harmonie avec les vieilles idées monarchiques, ou avec celles des républiques autoritaires antiques, qu'avec les croyances politiques modernes.
Certains auteurs ont spéculé que si Pareto avait vécu il aurait trouvé de nombreux points de désaccord avec l'Etat fasciste tel qu'il s'est développé, et il est vrai qu'il exprima sa désapprobation envers les limitations de la liberté d'expression introduites par le régime, particulièrement dans les académies [42]. Comme nous l'avons déjà vu, cependant, c'était dans la nature de Pareto de trouver des défauts à presque tous les régimes passés et présents, et il n'aurait donc pas été surprenant qu'il ait trouvé des motifs de critiquer occasionnellement celui de Mussolini.
Ni Pareto ni Mussolini, il faut le souligner, n'étaient des idéologues rigides. Mussolini déclara un jour, peut-être un peu exagérément, que «tout système est une erreur et toute théorie une prison» [43]. Si le gouvernement doit être guidé par un ensemble général de principes, pensait-il, on ne doit pas être contraint par des doctrines inflexibles qui ne deviennent rien d'autre que des obstacles fastidieux pour faire face à des situations nouvelles et inexpliquées. Un auteur fasciste précoce expliqua en partie l'affinité entre Mussolini et Pareto à cet égard:
«Chercher!»: un mot de pouvoir. En un sens, un mot plus noble que «trouver». Contenant plus d'intention, moins de chance. Vous pouvez «trouver» quelque chose qui est faux; mais celui qui cherche continue à chercher de plus en plus, espérant toujours atteindre la vérité. Vilfredo Pareto était un maître de cette école. Il restait en mouvement. Sans mouvement, disait Platon, tout se corrompt. Comme le chantait Homère, l'éternel roulis de la mer est le père de l'humanité. Chaque nouveau livre de Pareto ou chaque nouvelle édition de ses livres comporte un bon nombre de commentaires et de modifications de ses précédents livres, et traite en détail des critiques, des corrections et des objections qui ont été faites. Il réfute généralement ses critiqueurs, mais en le faisant il indique d'autres points plus sérieux qu'ils auraient pu et auraient dû lui reprocher ou contester. Réfléchissant sur son sujet, il traite lui-même de ces points, trouvant certains d'entre eux spécieux, certains importants, et corrigeant ses conclusions antérieures en conséquence. [44]
Bien que le règne fasciste en Italie se soit terminé avec la victoire militaire des Anglo-américains en 1945, l'influence de Pareto ne fut pas sérieusement atteinte par ce puissant bouleversement. Aujourd'hui, de nouvelles éditions de ses ouvrages et de nouveaux livres sur sa vision de la société continuent à paraître. Le fait que ses idées aient subi la catastrophe de la guerre presque sans dommage, et qu'elles soient encore discutées et débattues par des penseurs sérieux, est une indication de leur caractère universel et intemporel.
James Alexander
NOTES
[1] Voir, par exemple, W. Rex Crawford, "Representative Italian Contributions to Sociology: Pareto, Loria, Vaccaro, Gini, and Sighele", chap. in An Introduction to the History of Sociology, Harry Elmer Barnes, editor (Chicago: University of Chicago Press, 1948), Howard Becker and Harry Elmer Barnes, "Sociology in Italy", chap. in Social Thought From Lore to Science, (New York: Dover Publications, 1961), et James Burnham, The Machiavellians: Defenders of Freedom (New York: The John Day Company, 1943).
[2] G. Duncan Mitchell, A Hundred Years of Sociology (Chicago: Aldine Publishing Company, 1968), p. 115.
[3] Herbert W. Schneider, Making the Fascist State (New York: Oxford University Press, 1928), p. 102.
[4] Les détails biographiques sont tirés de Charles H. Powers, Vilfredo Pareto, vol. 5, Masters of Social Theory, Jonathan H. Turner, Editor (Newbury Park, California: Sage Publications, 1987), pp. 13-20.
[5] Publié originellement en 1909, le Manuele di economia politica a été traduit en anglais: Ann Schwier traductrice, Ann Schwier et Alfred Page, éditeurs (New York: August M. Kelly, 1971).
[6] (Genève: Librairie Droz, 1965). Publié originellement en 1902-1903. Le livre n'a jamais été pleinement publié en anglais.
[7] The Treatise on General Sociology (Trattato di Sociologia Generale) fut d'abord publié en anglais sous le titre de The Mind and Society, A. Borngiorno et Arthur Livingston, traducteurs (New York: Harcourt, Brace, Javanovich, 1935). Il fut réédité en 1963 sous son titre d'origine (New York: Dover Publications) et est toujours réédité (New York: AMS Press, 1983). The Rise and Fall of the Elites: An Application of Theoretical Sociology (Totowa, New Jersey: The Bedminster Press, 1968; réédition, New Brunswick, New Jersey: Transaction Books, 1991) est une traduction de la monographie de Pareto, «Un Applicazione de teorie sociologiche», publiée en 1901 dans la Revista Italiana di Sociologia. The Transformation of Democracy (Trasformazioni della democrazia), Charles Power, éditeur, R. Girola, traducteur (New Brunswick, New Jersey: Transaction Books, 1984). L'édition italienne d'origine parut en 1921.
[8] Ce terme «égalité des chances» est tellement mal utilisé à notre époque, particulièrement en Amérique, qu'une clarification s'impose. «Egalité des chances» se réfère simplement à la croyance de Pareto que dans une société saine l'avancement doit être ouvert aux membres supérieurs de toutes les classes sociales -- la «méritocratie», en d'autres mots. Voir Powers, pp. 22-3.
[9] Powers, p. 19.
[10] Ibid., p. 20.
[11] Adrian Lyttelton, editor, Italian Fascisms: From Pareto to Gentile (New York: Harper & Row, 1975), pp. 79-80.
[12] Ibid., p. 81.
[13] H. Stuart Hughes, Oswald Spengler: A Critical Estimate (New York: Charles Scribner's Sons, 1952), p. 16.
[14] Lyttelton, p. 86.
[15] Ibid., pp. 82-3.
[16] James Burnham, Suicide of the West (New York: John Day Company, 1964), pp. 248-50.
[17] Pareto, Treatise, # 2455. Les citations du Treatise se réfèrent aux numéros de paragraphes que l'auteur utilise dans cet ouvrage. Les citations sont donc uniformes dans toutes les éditions.
[18] Ibid., # 2462.
[19] Ibid., # 2458-72.
[20] Nicholas Timasheff, Sociological Theory: Its Nature and Growth (New York: Random House, 1967), p. 162.
[21] Pareto, Treatise, # 1987.
[22] Ibid. # 1987n.
[23] Ibid.
[24] Ibid., # 1716n.
[25] Ibid., # 2480n.
[26] Hans L. Zetterberg, "Introduction" to The Rise and Fall of the Elites by Vilfredo Pareto, pp. 2-3.
[27] Pareto, Treatise, # 2474.
[28] Ibid., # 2053.
[29] Pareto, Transformation, p. 60.
[30] John P. Diggins, Mussolini and Fascism: The View from America (Princeton, NJ: Princeton University Press, 1972), p. 17. Les citations de Diggins dans le paragraphe cité viennent des écrits d'un admirateur américain de Mussolini dans les années 20, Kenneth L. Roberts.
[31] Ibid., p. 27.
[32] Ibid., p. 206. Mussolini fut officiellement invité à assister à la Convention de la Légion de San Francisco en 1923 (il déclina l'invitation) et quelques années plus tard fut fait membre honoraire de l'American Legion par une délégation de légionnaires visitant Rome. Le Duce reçut la délégation dans son palais et reçut un insigne de membre de la part des visiteurs américains ravis.
[33] Dans une interview publiée dans le London Times, le 21 janvier 1927, immédiatement après une visite de Churchill à Mussolini, le futur Premier Ministre britannique dit: «Si j'avais été italien, je suis sûr que j'aurais été de tout cœur avec vous [Mussolini] du début à la fin dans votre lutte triomphante contre les appétits et les passions bestiales du léninisme». Voir Luigi Villari, Italian Foreign Policy Under Mussolini (New York: The Devin-Adair Company, 1956), p. 43.
[34] L'ambassadeur des Etats-Unis en Italie dans les années 20, Child, surnommait Mussolini «le génie spartiate», rédigea une «autobiographie» de Mussolini pour publication en Amérique, et louait perpétuellement le dirigeant italien dans les termes les plus extravagants. Diggins, p. 27.
[35] Pareto, Treatise, p. xvii.
[36] Ibid.
[37] Franz Borkenau, Pareto (New York: John Wiley & Sons, 1936), p. 18.
[38] Ibid., p. 20.
[39] Benito Mussolini, My Autobiography (New York: Charles Scribner's Sons, 1928), p. 14.
[40] Borkenau, p. 18.
[41] George C. Homans and Charles P. Curtis, Jr., An Introduction to Pareto (New York: Alfred A. Knopf, 1934), p. 9.
[42] Borkenau, p. 18. Dans une lettre écrite à Mussolini peu avant la mort de Pareto, le sociologue disait que le régime fasciste devait implacablement neutraliser tous ses adversaires actifs. Cependant, ceux dont l'opposition était simplement verbale ne devaient pas être molestés car il pensait que cela ne servirait qu'à s'aliéner l'opinion publique. «Laissez les corbeaux croasser mais soyez sans pitié quand on en vient aux actes», recommandait Pareto au Duce. Voir Alastair Hamilton, The Appeal of Fascism: A Study of Intellectuals and Fascism, 1919-1945 (New York: Macmillan Company, 1971), pp. 44-5.
[43] Margherita G. Sarfatti, The Life of Benito Mussolini (New York: Frederick A. Stokes, 1925), p. 101.
[44] Ibid, p. 102.
________________________________________
Trad. Arjuna. Une version différente de cet article a paru dans le Journal of Historical Review, 14/5 (septembre-octobre 1994), 10-18. Le texte présenté ici inclut cependant quelques indications additionnelles.
I-Média n°345 – Sécurité. Le coup de com’ de Macron
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