Niches sociales : le patronat doit 10 milliards d’euros à la caisse des retraites
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On connaissait bien les « niches fiscales », on connaît moins bien les « niches sociales ». C’est pourtant le terme qu’emploie la Cour des Comptes pour désigner les dispositifs qui permettent de payer moins, voire pas du tout, de cotisations sociales.
Les niches sociales représentent ainsi un manque à gagner pour les régimes obligatoires de base et le fonds de solidarité vieillesse. Leur coût est d’ailleurs loin d’être négligeable puisqu’il est estimé par la Cour des Comptes à 66 milliards d’euros en 2019, dont 52 milliards d’euros pour les seuls allègements généraux de cotisations patronales.
Or, parmi ces cotisations patronales, 9 758 000 000 d’euros n’ont pas été versés à la branche vieillesse de l’assurance maladie, qui gère actuellement le régime général des retraites (annexe 5 du PLFSS 2019, p 48). Si les patrons s’en tirent bien, ce trou de près de 10 milliards d’euros est en revanche comblé par l’État, mais pas intégralement.
Cocasse, lorsqu’on constate que le déficit des caisses de retraite est de 3,5 milliards d’euros en 2018, ce qui fait dire au Comité de mobilisation de la Direction Générale de l’Insee : « Le déficit actuel du système de retraite est le fruit d’une succession de politiques ayant eu pour effet de faire stagner les ressources, tandis que les dépenses augmentaient régulièrement. »
La Cour des comptes note à son tour que « ces dispositifs dérogatoires sont insuffisamment encadrés, qu’il s’agisse de l’évolution de leur coût, de l’appréciation de leur efficacité au regard de leurs objectifs ou de la maîtrise des risques liés au recouvrement des prélèvements sociaux », à méditer.
Une nouvelle librairie
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Une nouvelle librairie non conformiste et identitaire vient d’ouvrir à Paris !
Il s’agit de la librairie VINCENT
Tenue par l’ancien collaborateur de notre regretté Emmanuel RATIER
115 Avenue de la Bourdonnais 75007 Paris
Ouverture du mardi au Samedi
De 12h30 à 19h30
Téléphone : 01 42 03 48 52
Les amis de Terre & Peuple doivent soutenir cette initiative. Ils y trouveront les dernières publications des Editions de la Foret et la revue Terre & Peuple.
La Police fuit devant la racaille immigrée (vidéo)
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Citation Dominique Venner
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La légende d'Enée par Fustel de Coulanges
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Le premier grand historien de nos origines se prénommait Numa, comme Numa
Pompilius, le troisième roi de la Rome antique, celui qui était considéré comme
le mage.
Il y avait là comme un signe.
Fustel rejette le romantisme de l'histoire comme le concevaient des Michelet ou
des Augustin Thierry : il inaugure le positivisme historique d'un Renan ou d'un
Taine. Très attaché aux origines de la France, il va accomplir un véritable travail
de bénédictin pour en dépoussiérer les sources. Auparavant, en 1860, il avait
essayé sa méthode sur la « Cité Antique », dont est extrait le texte ci-dessous.
Avant Fraser, il découvre dans les grands mythes de précieuses informations
sur la réalité historique, comme dans cette Légende d'Enée.
Le fondateur était l'homme qui accomplissait l'acte religieux sans lequel une ville ne pouvait pas être. C'était lui qui posait le foyer où devait brûler éternellement le feu sacré ; c'était lui qui, par ses prières et ses rites, appelait les dieux et les fixait pour toujours dans la ville nouvelle.
On conçoit le respect qui devait s'attacher à cet homme sacré. De son vivant les hommes voyaient en lui l'auteur du culte et le père de la cité ; mort, il devenait un ancêtre commun pour toutes les générations qui se succédaient ; il était pour la cité ce que le premier ancêtre était pour la famille, un Lare familier. Son souvenir se perpétuait comme le feu du foyer qu'il avait allumé. On lui vouait un culte, on le croyait dieu et la ville l'adorait comme sa Providence. Des sacrifices et des fêtes étaient renouvelés chaque année sur son tombeau.
Tout le monde sait que Romulus était adoré, qu'il y avait un temple et des prêtres. Les sénateurs purent bien l'égorger, mais non pas le priver du culte auquel il avait droit comme fondateur. Chaque ville adorait de même celui qui l'avait fondée ; Cécrops et Thésée, que l'on regardait comme ayant été successivement fondateurs d'Athènes, y avaient des temples. Abdère faisait des sacrifices à son fondateur Timésios, Théra à Théras, Ténédos à Ténès, Délos à Anios, Cyrène à Battos, Milet à Nélée, Amphipolis à Hagnon. Au temps de Pisistrate, un Miltiade alla fonder une colonie dans la Chersonèse de Thrace ; cette colonie lui institua un culte après sa mort « suivant l'usage ordinaire ». Hiéron de Syracuse, ayant fondé la ville d’Aetna, y jouit dans la suite « du culte des fondateurs».
Il n'y avait rien qui fût plus à cœur à une ville que le souvenir de sa fondation. Quand Pausanias visita la Grèce, au second siècle de notre ère, chaque ville put lui dire le nom de son fondateur avec sa généalogie et les principaux faits de son existence. Ce nom et ces faits ne pouvaient pas sortir de la mémoire, car ils faisaient partie de la religion, et ils étaient rappelés chaque année dans les cérémonies sacrées.
On a conservé le souvenir d'un grand nombre de poèmes grecs qui avaient pour sujet la fondation d'une ville. Philochore avait chanté celle de Salamine, Ion celle de Chios, Criton celle de Syracuse, Zopyre celle de Milet ; Apollonius, Hermogène, Hellanicus, Dioclès, avaient composé sur le même sujet des poèmes ou des histoires. Peut-être n'y avait-il pas une seule ville qui ne possédât son poème ou au moins son hymne sur l'acte sacré qui lui avait donné naissance.
Parmi tous ces anciens poèmes, qui avaient pour objet la fondation sainte d'une ville, il en est un qui n'a pas péri, parce que, si son sujet le rendait cher à une cité, ses beautés l'ont rendu précieux pour tous les peuples et tous les siècles. On sait qu'Enée avait fondé Lavinium, d'où étaient issus les Albains et les Romains, et qu'il était par conséquent regardé comme le premier fondateur de Rome. Il s'était établi sur lui un ensemble de traditions et de souvenirs que l'on trouve déjà consignés dans les vers du vieux Naevius et dans les histoires de Caton l'Ancien. Virgile s'empara de ce sujet et écrivit le poème national de la cité romaine.
C'est l'arrivée d'Enée, ou plutôt c'est le transport des dieux de Troie en Italie qui est le sujet de l'Enéide. Le poète chante cet homme qui traversa les mers pour aller fonder une ville et porter ses dieux dans le Latium.
Il ne faut pas juger l'Enéide avec nos idées modernes. On se plaint quelquefois de ne pas trouver dans Enée l'audace, l'élan, la passion. On se fatigue de cette épithète de pieux qui revient sans cesse. On s'étonne de voir ce guerrier consulter ses Pénates avec un soin si scrupuleux, invoquer à tout propos quelque divinité, lever les bras au ciel quand il s'agit de combattre, se laisser ballotter par les oracles à travers toutes les mers, et verser des larmes à la vue d'un danger. On ne manque guère non plus de lui reprocher sa froideur pour Didon et l'on est tenté d'accuser ce cœur que rien ne touche.
C'est qu'il ne s'agit pas ici d'un guerrier ou d'un héros de roman. Le poète veut nous montrer un prêtre. Enée est le chef du culte, l'homme sacré, le divin fondateur, dont la mission est de sauver les Pénates de la cité.
Sa qualité dominante doit être la piété, et l'épithète que le poète lui applique le plus souvent est aussi celle qui lui convient le mieux. Sa vertu doit être une froide et haute impersonnalité, qui fasse de lui, non un homme, mais un instrument des Dieux. Pourquoi chercher en lui des passions ? il n'a pas le droit d'en avoir, ou il doit les refouler au fond de son cœur.
Déjà dans Homère, Enée était un personnage sacré, un grand prêtre, que le peuple « vénérait à l'égal d'un dieu », et que Jupiter préférait à Hector. Dans Virgile, il est le gardien et le sauveur des dieux troyens. Pendant la nuit qui a consommé la ruine de la ville, Hector lui est apparu en songe. «Troie, lui a-t-il dit, te confie ses dieux ; cherche une nouvelle ville. » Et en même temps il lui a remis les choses saintes, les statuettes protectrices et le feu du foyer qui ne doit pas s'éteindre. Ce songe n'est pas un ornement placé là par la fantaisie du poète. Il est, au contraire, le fondement sur lequel repose le poème tout entier ; car c'est par lui qu'Enée est devenu le dépositaire des dieux de la cité et que sa mission sainte lui a été révélée.
La ville de Troie a péri, mais non pas la cité troyenne ; grâce à Enée, le foyer n'est pas éteint, et les dieux ont encore un culte. La cité et les dieux fuient avec Enée ; ils parcourent les mers et cherchent une contrée où il leur soit donné de s'arrêter. Enée cherche une demeure fixe, si petite qu'elle soit, pour ses dieux paternels.
Mais le choix de cette demeure, à laquelle la destinée de la cité sera liée pour toujours, ne dépend pas des hommes : il appartient aux dieux. Enée consulte les devins et interroge les oracles. Il ne marque pas lui-même sa route et son but ; il se laisse diriger par la divinité.
Il voudrait s'arrêter en Thrace, en Crète, en Sicile, à Carthage avec Didon : fata obstant .Entre lui et son désir du repos, entre lui et son amour, vient toujours se placer l'arrêt des dieux, la parole révélée, fata.
Il ne faut pas s'y tromper: le vrai héros du poème n'est pas Enée : ce sont les dieux de Troie, ces mêmes dieux qui doivent être un jour ceux de Rome. Le sujet de l'Enéide, c'est la lutte des dieux romains contre une divinité hostile. Des obstacles de toute nature pensent les arrêter.
Peu s'en faut que la tempête ne les engloutisse ou que l'amour d'une femme ne les enchaîne. Mais ils triomphent de tout et arrivent au but marqué.
Voilà ce qui devait singulièrement éveiller l'intérêt des Romains. Dans ce poème ils se voyaient, eux, leur fondateur, leur ville, leurs institutions, leurs croyances, leur empire : car sans ces dieux la cité romaine n'existerait pas.
LES DIEUX DE LA CITE
II ne faut pas perdre de vue que, dans les anciens âges, ce qui faisait le lien de toute société, c'était un culte. De même qu'un autel domestique tenait groupés autour de lui les membres d'une famille, de même la cité était la réunion de ceux qui avaient les mêmes dieux protecteurs et qui accomplissaient l'acte religieux au même autel.
Cet autel de la cité était renfermé dans l'enceinte d'un bâtiment que les Grecs appelaient prytanée et que les Romains appelaient temple de Vesta.
Il n'y avait rien de plus sacré dans une ville que cet autel, sur lequel le feu sacré était toujours entretenu. Il est vrai que cette grande vénération s'affaiblit de bonne heure en Grèce, parce que l'imagination grecque se laissa entraîner du côté des plus beaux temples, des plus riches légendes et des plus belles statues. Mais elle ne s'affaiblit jamais à Rome. Les Romains ne cessèrent pas d'être convaincus que le destin de la cité était attaché à ce foyer qui représentait leurs dieux. Le respect qu'on portait aux Vestales prouve l'importance de leur sacerdoce. Si un consul en rencontrait une sur son passage, il faisait abaisser ses faisceaux devant elle. En revanche, si l'une d'elles laissait le feu s'éteindre ou souillait le culte en manquant à son devoir de chasteté, la ville, qui se croyait alors menacée de perdre ses dieux, se vengeait sur la Vestale en l'enterrant toute vive.
Un jour, le temple de Vesta faillit être brûlé dans un incendie des maisons environnantes, Rome fut en alarmes, car elle sentit tout son avenir en péril. Le danger passé, le Sénat prescrivit au consul de rechercher les auteurs de l'incendie, et le consul porta aussitôt ses accusations contre quelques habitants de Capoue qui se trouvaient alors à Rome. Ce n'était pas qu'il eût aucune preuve contre eux, mais il faisait ce raisonnement : « Un incendie a menacé notre foyer ; cet incendie qui devait briser notre grandeur et arrêter nos destinées n'a pu être allumé que par la main de nos plus cruels ennemis. Or nous n'en avons pas de plus acharnés que les habitants de Capoue, cette ville qui est présentement l'alliée d'Annibal et qui aspire à être à notre place la capitale de l'Italie. Ce sont donc ces hommes-là qui ont voulu détruire notre temple de Vesta, notre foyer éternel, ce gage et ce garant de notre grandeur future. » Ainsi un consul, sous l'empire de ses idées religieuses, croyait que les ennemis de Rome n'avaient pas pu trouver de moyen plus sûr de la vaincre que de détruire son foyer. Nous voyons là les croyances des anciens ; le foyer public était le sanctuaire de la cité ; c'était ce qui l'avait fait naître et ce qui la conservait.
Les morts, quels qu'ils fussent, étaient les gardiens du pays, à la condition qu'on leur offrît un culte. « Les Mégariens demandaient un jour à l'oracle de Delphes comment leur ville serait heureuse ; le dieu répondit qu'elle le serait, s'ils avaient soin de délibérer toujours avec le plus grand nombre ; ils comprirent que par ces mots le dieu désignait les morts, qui sont en effet plus nombreux que les vivants : en conséquence ils construisirent leur salle de conseil à l'endroit même où était la sépulture de leurs héros. » C'était un grand bonheur pour une cité de posséder des morts quelque peu marquants. Mantinée parlait avec orgueil des ossements d'Arcas, Thèbes de ceux de Géryon, Messène de ceux d'Aristomène. Pour se procurer ces reliques précieuses on usait quelquefois de ruse. Hérodote raconte par quelle supercherie les Spartiates dérobèrent les ossements d'Oreste. Il est vrai que ces ossements, auxquels était attachée l'âme du héros, donnèrent immédiatement une victoire aux Spartiates. Dès qu'Athènes eut acquis de la puissance, le premier usage qu'elle en fit fut de s'emparer des ossements de Thésée, qui avait été enterré dans l'île de Scyros, et de leur élever un temple dans la ville, pour augmenter le nombre de ses dieux protecteurs.
Outre ces héros et ces génies, les hommes avaient des dieux d'une autre espèce, comme Jupiter, Junon, Minerve, vers lesquels le spectacle de la nature avait porté leur pensée. Mais nous avons vu que ces créations de l'intelligence humaine avaient eu longtemps le caractère de divinités domestiques ou locales. On ne conçut pas d'abord ces dieux comme veillant sur le genre humain tout entier ; on crut que chacun d'eux appartenait en propre à une famille ou à une cité.
Ainsi il était d'usage que chaque cité, sans compter ses héros, eût encore un Jupiter, une Minerve ou quelque autre divinité qu'elle avait associée à ses premiers pénates et à son foyer. Il y avait en Grèce et en Italie une foule de divinités poliades. Chaque ville avait ses dieux qui l'habitaient.
Les noms de beaucoup de ces divinités sont oubliés ; c'est par hasard qu'on a conservé le souvenir du dieu Satrapes, qui appartenait à la ville d'Elis, de la déesse Dindymène à Thèbes, de Soteria à Aegium, de Britomartis en Crète, de Hyblœa à Hybla. Les noms de Zeus, Athéné, Héra, Jupiter, Minerve, Neptune, nous sont plus connus, et nous savons qu'ils étaient souvent appliqués à ces divinités poliades. Mais de ce que deux villes donnaient à leur dieu le même nom, gardons-nous de conclure qu'elles adoraient le même dieu ; il y avait une Athéné à Athènes et il y en avait une à Sparte ; c'étaient deux déesses. Un grand nombre de cités avaient un Jupiter pour divinité poliade ; c'étaient autant de Jupiters qu'il y avait de villes. Dans la légende de la guerre de Troie on voit une Pallas qui combat pour les Grecs, et il y a chez les Troyens une autre Pallas qui reçoit un culte et qui protège ses adorateurs. Dira-t-on que c'était la même divinité qui figurait dans les deux armées ? Non certes ; car les anciens n'attribuaient pas à leurs dieux le don d'ubiquité. Les villes d'Argos et de Samos avaient chacune une Héra poliade ; ce n'était pas la même déesse, car elle était représentée dans les deux villes avec des attributs bien différents.
Il y avait à Rome une Junon ; à cinq lieues de là, la ville de Veii en avait une autre ; c'était si peu la même divinité, que nous voyons le dictateur Camille, assiégeant Veii, s'adresser à la Junon de l'ennemi pour la conjurer d'abandonner la ville étrusque et de passer dans son camp. Maître de la ville, il prend la statue, bien persuadé qu'il prend en même temps une déesse, et il la transporte dévotement à Rome. Rome eut dès lors deux Junons protectrices. Même histoire, quelques années après, pour un Jupiter qu'un autre dictateur apporta de Préneste, alors que Rome en avait déjà trois ou quatre chez elle.
La ville qui possédait en propre une divinité ne voulait pas qu'elle protégeât les étrangers, et ne permettait pas qu'elle fût adorée par eux. La plupart du temps un temple n'était accessible qu'aux citoyens. Les Argiens seuls avaient le droit d'entrer dans le temple de la Héra d'Argos. Pour pénétrer dans celui de l'Athéné d'Athènes, il fallait être Athénien. Les Romains, qui adoraient chez eux deux Junons, ne pouvaient pas entrer dans le temple d'une troisième Junon qu'il y avait dans la petite ville de Lanuvium.
Il faut bien reconnaître que les anciens, si nous exceptons quelques rares intelligences d'élite, ne se sont jamais représenté Dieu comme un être unique qui exerce son action sur l'univers. Chacun de leurs innombrables dieux avait son petit domaine : à l'un une famille, à l'autre une tribu, à celui-ci une cité : c'était là le monde qui suffisait à la providence de chacun d'eux. Quant au Dieu du genre humain, quelques philosophes ont pu le deviner, les mystères d'Eleusis ont pu le faire entrevoir, aux plus intelligents de leurs initiés, mais le vulgaire n'y a jamais cru. Pendant longtemps l'homme n'a compris l'être divin que comme une force qui le protégeait personnellement, et chaque homme ou chaque groupe d'hommes a voulu avoir ses dieux. Aujourd'hui encore, chez les descendants de ces Grecs, on voit des paysans grossiers prier les saints avec ferveur, mais on doute s'ils ont l'idée de Dieu ; chacun d'eux veut avoir parmi ces saints un protecteur particulier, une providence spéciale. A Naples, chaque quartier a sa madone ; le lazzarone s'agenouille devant celle de sa rue, et il insulte celle de la rue d'à côté ; il n'est pas rare de voir deux facchini se quereller et se battre à coups de couteau pour les mérites de leurs deux madones. Ce sont là des exceptions aujourd'hui, et on ne les rencontre que chez certains peuples et dans certaines classes. C'était la règle chez les anciens.
Chaque cité avait son corps de prêtres qui ne dépendait d'aucune autorité étrangère. Entre les prêtres de deux cités il n'y avait nul lien, nulle communication, nul échange d'enseignement ni de rites. Si l'on passait d'une ville à une autre, on trouvait d'autres dieux, d'autres dogmes, d'autres cérémonies. Les anciens avaient des livres liturgiques, mais ceux d'une ville ne ressemblaient pas à ceux d'une autre. Chaque cité avait son recueil de prières et de pratiques, qu'elle tenait fort secret ; elle eût cru compromettre sa religion et sa destinée, si elle l'eût laissé voir aux étrangers. Ainsi, la religion était toute locale, toute civile, à prendre ce mot dans le sens ancien, c'est-à-dire spéciale à chaque cité.
En général l'homme ne connaissait que les dieux de sa ville, n'honorait et ne respectait qu'eux. Chacun pouvait dire ce que, dans une tragédie d'Eschyle, un étranger dit aux Argiennes : «Je ne crains pas les dieux de votre pays, et je ne leur dois rien. »
Chaque ville attendait son salut de ses dieux. On les invoquait dans le danger, on leur disait : « Dieux de cette ville, ne faites pas qu'elle soit détruite avec nos maisons et nos foyers... O toi qui habites depuis si longtemps notre terre, la trahiras-tu ? O vous tous, gardiens de nos tours, ne les livrez pas à l'ennemi. » Aussi était-ce pour s'assurer leur protection que les hommes leur vouaient un culte. Ces dieux étaient avides d'offrandes : on les leur prodiguait, mais à condition qu'ils veilleraient au salut de la ville. N'oublions pas que l'idée d'un culte purement moral, d'une adoration d'esprit, n'est pas très vieille dans l'humanité. Aux âges anciens, le culte consistait à nourrir le dieu, à lui donner tout ce qui flattait ses sens, viandes, gâteaux, vins, parfums, vêtements et bijoux, danses et musique. En retour, on exigeait de lui des bienfaits et des services. Ainsi, dans l’Iliade, Chrysès dit à son dieu : « Depuis longtemps, j'ai brûlé pour toi des taureaux gras ; aujourd'hui, exauce mes vœux et lance tes flèches contre mes ennemis. » Ailleurs, les Troyennes invoquent leur déesse, lui offrent un beau vêtement et lui promettent douze génisses, «si elle sauve Ilion». Il y a toujours un contrat entre ces dieux et ces hommes ; la piété de ceux-ci n'est pas gratuite, et ceux-là ne donnent rien pour rien. Dans Eschyle, les Thébains s'adressent à leurs divinités poliades, et leur disent : « Soyez notre défense ; nos intérêts sont communs ; si la ville prospère, elle honore ses dieux. Montrez que vous aimez notre ville ; pensez au culte que ce peuple vous rend et souvenez-vous des pompeux sacrifices qui vous sont offerts.» Cette pensée est exprimée cent fois par les anciens ; Théognis dit qu'Apollon a sauvé Mégaré de l'atteinte des Perses, « afin que sa ville lui offre chaque année de brillantes hécatombes ».
De là vient qu'une ville ne permettait pas aux étrangers de présenter des offrandes à ses divinités poliades ni même d'entrer dans leur temple. Pour que ses dieux ne veillassent que sur elle, il était nécessaire qu'ils ne reçussent un culte que d'elle. N'étant honorés que là, s'ils voulaient la continuation des sacrifices et des hécatombes qui leur étaient chères, ils étaient obligés de défendre cette ville, de la faire durer à jamais, de la rendre riche et puissante.
Ordinairement, en effet, ces dieux se donnaient beaucoup de peine pour leur ville ; voyez dans Virgile comme Junon «fait effort et travaille» pour que sa Carthage obtienne un jour l'empire du monde. Chacun de ces dieux, comme la Junon de Virgile, avait à cœur la grandeur de sa cité. Ces dieux avaient mêmes intérêts que les hommes leurs concitoyens. En temps de guerre ils marchaient au combat au milieu d'eux. On voit dans Euripide un personnage qui dit, à l'approche d'une bataille : « Les dieux qui combattent avec nous ne sont pas moins forts que ceux qui sont du côté de nos ennemis. » Jamais les Eginètes n'entraient en campagne sans emporter avec eux les statues de leurs héros nationaux, les Eacides. Les Spartiates emmenaient dans toutes leurs expéditions les Tyndarides. Dans la mêlée, les dieux et les citoyens se soutenaient réciproquement, et quand on était vainqueur, c'est que tous avaient fait leur devoir. Si au contraire on était vaincu, on s'en prenait aux dieux de la défaite ; on leur reprochait d'avoir mal rempli leur devoir de défenseurs de la ville ; on allait quelquefois jusqu'à renverser leurs autels et jeter des pierres contre leurs temples. Si une ville était vaincue, on croyait que ses dieux étaient vaincus avec elle. Si une ville était prise, ses dieux eux-mêmes étaient captifs.
Il est vrai que sur ce dernier point les opinions étaient incertaines et variaient. Beaucoup étaient persuadés qu'une ville ne pouvait jamais être prise tans que ses dieux y résidaient ; si elle succombait c'est qu'ils l'avaient d'abord abandonnée. Lorsque Enée voit les Grecs maîtres de Troie, il s'écrie que les dieux de la ville sont partis, désertant leurs temples et leurs autels. Dans Eschyle, le chœur des Thébaines exprime la même croyance lorsque, à l'approche de l'ennemi, il conjure les dieux de ne pas quitter la ville.
En vertu de cette opinion il fallait, pour prendre une ville, en faire sortir les dieux. Les Romains employaient pour cela une certaine formule qu'ils avaient dans leurs rituels, et que Macrobe nous a conservée : «Toi, ô très-grand, qui as sous ta protection cette cité, je te prie, je t'adore, je te demande en grâce d'abandonner cette ville et ce peuple, de quitter ces temples, ces lieux sacrés, et, t'étant éloigné d'eux, de venir à Rome chez moi et les miens. Que notre ville, nos temples, nos lieux sacrés, te soient plus agréables et plus chers ; prends-nous sous ta garde. Si tu fais ainsi, je fonderai un temple en ton honneur. » Or les anciens étaient convaincus qu'il y avait des formules tellement efficaces et puissantes que, si on les prononçait exactement et sans y changer un seul mot, le dieu ne pouvait pas résister à la demande des hommes. Le dieu, ainsi appelé, passait donc à l'ennemi, et la ville était prise.
On trouve en Grèce les mêmes opinions et des usages analogues. Encore au temps de Thucydide, lorsqu'on assiégeait une ville, on ne manquait pas d'adresser une invocation à ses dieux pour qu'ils permissent qu'eIle fût prise. Souvent, au lieu d'employer une formule pour attirer le dieu, les Grecs préféraient enlever adroitement sa statue. Tout le monde connaît la légende d'Ulysse dérobant la Pallas des Troyens. A une autre époque, les Eginètes, voulant faire la guerre à Epidaure, commencèrent par enlever deux statues protectrices de cette ville, et les transportèrent chez eux.
Hérodote raconte que les Athéniens voulaient faire la guerre aux Eginètes ; mais l'entreprise était hasardeuse, car Egine avait un héros protecteur d'une grande puissance et d'une singulière fidélité : c'était Eacus. Les Athéniens, après avoir mûrement réfléchi, remirent à trente années l'exécution de leur dessein ; en même temps ils élevèrent dans leur pays une chapelle à ce même Eacus, et lui vouèrent un culte. Ils étaient persuadés que, si ce culte était continué sans interruption durant trente ans, le dieu n'appartiendrait plus aux Eginètes, mais aux Athéniens. Il leur semblait, en effet, qu'un dieu ne pouvait pas accepter pendant si longtemps de grasses victimes, sans devenir l'obligé de ceux qui les lui offraient. Eacus serait donc à la fin forcé d'abandonner les intérêts des Eginètes, et de donner la victoire aux Athéniens.
Il y a dans Plutarque cette autre histoire. Solon voulait qu'Athènes fût maîtresse de la petite île de Salamine, qui appartenait alors aux Mégariens. Il consulta l'oracle. L'oracle lui répondit : « Si tu veux conquérir l'île, il faut d'abord que tu gagnes la faveur des héros qui la protègent et qui l'habitent. » Solon obéit ; au nom d'Athènes il offrit des sacrifices aux deux principaux héros salaminiens. Ces héros ne résistèrent pas aux dons qu'on leur faisait : ils passèrent du côté d'Athènes, et l'île, privée de protecteurs, fut conquise.
En temps de guerre, si les assiégeants cherchaient à s'emparer des divinités de la ville, les assiégés, de leur côté, les retenaient de leur mieux. Quelquefois on attachait le dieu avec des chaînes pour l'empêcher de déserter. D'autre fois on le cachait à tous les regards pour que l'ennemi ne pût pas le trouver. Ou bien encore, on opposait à la formule par laquelle l'ennemi essayait de débaucher le dieu une autre formule qui avait la vertu de le retenir. Les Romains avaient imaginé un moyen qui leur semblait plus sûr : ils tenaient secret le nom du principal et du plus puissant de leurs dieux protecteurs ; ils pensaient que, les ennemis ne pouvant jamais appeler ce dieu par son nom, il ne passerait jamais de leur côté et que leur ville ne serait jamais prise.
On voit par-là quelle singulière idée les anciens se faisaient des dieux. Ils furent très-longtemps sans concevoir la Divinité comme une puissance suprême. Chaque famille eut sa religion domestique, chaque cité sa religion nationale. Une ville était comme une petite Eglise complète, qui avait ses dieux, ses dogmes et son culte. Ces croyances nous semblent bien grossières, mais elles ont été celles du peuple le plus spirituel de ces temps-là, et elles ont exercé sur ce peuple et sur le peuple romain une si forte action que la plus grande partie de leurs lois, de leurs institutions et de leur histoire, est venue de là.
Fustel de Coulanges
Conférence de Piero San Giorgio à Clermont-Ferrand
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EDITORIAL - TP MAG N°82 (DEUTSCH VERSION)
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- Catégorie : Terre et Peuple Magazine n°82 - Hiver 2019
Das Gewicht der Wirklichkeit
Eine jüngst vom Institut IPSOS durchgeführte Meinungsumfrage stellt fest, daß 75% der Franzosen den Politikern nicht mehr trauen und nicht einmal glauben, was sie sagen (sie hören ihnen sowieso nicht mehr zu). Den Bürgermeistern, die ja die Volksvertreter sind, die der Bevölkerung am nächsten stehen, eben weil sie stets im Kontakt mit ihr leben, fehlt der Glaube: Die Hälfte von ihnen ist ernüchtert und hat keine Absicht, sich den nächsten Kommunalwahlen zu stellen....
Macron, der weder ein noch aus weiß, hat zwar versucht, ihnen sein sattsam bekanntes Bauchtanz-Gelage vorzuführen: Nachdem er voriges Jahr dem Jahrestreffen der Vereinigung französischer Bürgermeister ferngeblieben war, trat er dieses Jahr vor ein paar tausend Volksvertreter an der Porte de Versailles in Paris, um ihnen Honig um den Mund zu schmieren im Rahmen eines erbärmlichen Kundenfang-Auftritts: «Ich brauche euch, (.... ) nichts wird gehen ohne euch...». Doch die Rechnung ging nicht auf: Eine brave Dame, Bürgermeisterin eines kleinen Dorfes in der Normandie, gestand: «Ich war darauf gefaßt, er würde mir wieder Mut machen. Als ich aber rauskam, hatte ich nichts davon. Ich bin enttäuscht». Eine andere, aus dem Departement Yvelines (westlich von Paris), die sich zuvor mit vielen Fragen herumgeschlagen hatte, kommentierte desillusioniert den Balanceakt von Macron wie folgt: «Ich habe nicht den Eindruck, daß meine Fragen beantwortet wurden».
Macron, der Zauberkünstler.... Brice Hortefeux (1) stellt über die Positionierung Macrons zur Einwanderung fest: «Es ist immer derselbe Trick: die Illusion der Worte und die Enttäuschung der Taten». Patrick Boucheron, Professor im Collège de France, schreibt seinerseits in seinem neuen Werk «Faire Musée d'une histoire commune»: «Der politische Diskurs hat sich längst vom Realleben verabschiedet». Sein Urteil über die Migrationspolitik Macrons ist schroff: «Für mich ist das Gerede nicht nur gefährlich und lügenhaft, sondern auch unverständlich (....). Historisch und ideologisch legt Macron eine besorgniserregende Verblendung an den Tag».
Wäre seine Gefährtin Brigitte imstande gewesen, ihm auch nur einen Hauch von politischer und historischer Kultur zu verpassen, hätte sie ihm die Lektüre von Karl Marx wärmstens empfohlen (aber sie selbst hat Karl Marx sicher nie gelesen...). Am 28. März 1854 schrieb Marx: „Der Koran und die auf ihm fußende muselmanische Gesetzgebung reduzieren Geographie und Ethnographie der verschiedenen Völker auf die einfache und bequeme Zweiteilung in Gläubige und Ungläubige. Der Ungläubige ist "harby", d.h. der Feind. Der Islam ächtet die Nation der Ungläubigen und schafft einen Zustand permanenter Feindschaft zwischen Muselmanen und Ungläubigen“.
Diese heilsame Analyse hat das große Verdienst, den «Blauäugigen» und Gedankenlosen, den intellektuellen Hipstern, die leider auch in unserer Mitte anzutreffen sind, das Gewicht der Wirklichkeit wieder vor Augen zu führen. Die wollen nämlich glauben, «edle» Gedanken seien etwas anderes als zerstörerische Utopien, vergessen sie doch, daß die Hölle immer mit guten Vorsätzen gepflastert ist (was die Eindringlinge längst verstanden haben und voll ausnutzen).
In dieser Hinsicht werden diejenigen, die sich einbilden, der Mensch sei in erster Linie nicht des Menschen Wolf, vom Tagesgeschehen schwer Lügen gestraft. Beispiel: Die französische Justizministerin höchstselbt, die «schöne» (?) Nicole Belloubet, fällt anscheinend beim Lesen des jüngsten Berichts der Generalinspektion der Justiz von 2019 über die Frauenmorde aus allen Wolken. Laut diesem
Bericht ist die Justiz schlicht außerstande, die Opfer vor häuslicher Gewalt zu schützen. Nach Prüfung von 88 Unterlagen (2018 wurden 121 Frauenmorde registriert) wird das Versagen der staatlichen Dienste besonders kraß vor Augen geführt: In 65% der Fälle wurden Polizei und Gendarmerie eingeschaltet, doch nur in 18% der Fälle führten die Eintragung in ein Zwischenfallregister und die Vernehmungsprotokolle tatsächlich zu Ermittlungen. So etwas nennt die Ministerin feige und heuchlerisch «Störungen» (dysfonctionnements). Bezüglich der Opferbetreuung signalisiert sie jedoch edle Absichten: «Wir müssen Antwortprotokolle auf die Beine stellen, die nirgends, aber auch nirgendwo Mängel aufkommen lassen. Und damit kein Gefühl entsteht, man könne straflos davonkommen, muß stets für strafrechtliche Antwort gesorgt werden». Da ist man gespannt, wie diese schönen Vorsätze in die Tat, d.h. ins Realleben umgesetzt werden, gibt es doch auch in den Reihen der Gendarmerie und der Polizei genügend frauenfeindliche Trottel.....
Heute aber schaut Macron etwas freudlos drein: «Frankreich sei im Moment allzu negativ», sagt er. Als gäbe es dafür nicht triftige Gründe! Die Negerin Sibeth Ndiaye, die nebenbei als Pressesprecherin der Regierung fungiert, setzt noch eins drauf und offenbart die «Schönheiten der Vielfalt» (dafür wird sie reichlich entlohnt): Mein Eindruck ist, daß es eine Schwarzseherei gibt, eine Untergangsstimmung (frei übersetzt).
Doch, fügt sie hinzu, es «gäbe ja positive Zeichen». Ja, wenn man die altbekannte Methode des Dr. Coué (2) anwendet...
Das Gewicht der Wirklichkeit.... In Mali sind 13 französische Soldaten gefallen. Für wen? Für was? Für Afrikaner, die unfähig sind, sich selbst gegen Islamisten zu verteidigen. Und übrigens weiterhin in unser Land einströmen und dabei von Bessergestellten, Rechtgläubigen und Gutmenschen abgesegnet werden... Da erzählt man uns, diese 13 braven Jungs, die auf afrikanischem Boden gefallen sind, seien «für Frankreich gestorben». Aber sehen Sie doch, was aus «Frankreich» geworden ist! Ich zolle diesen 13 Geopferten meine Hochachtung und teile die Trauer ihrer Angehörigen, doch ich verachte und hasse diejenigen, die sie verheizten und heute die unerträgliche Chuzpe haben, vor ihren Särgen mit patriotischem Tremolo daherzuschwafeln.
Pierre VIAL
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(1) Während der Präsidentschaft Nicolas Sarkozys war Hortefeux Minister für Immigration und Integration (2007–2009), Arbeit (2009) und Inneres (2009–2011).
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(2) Emile Coué, französischer Apotheker und Autor des 19. Jahrhunderts, Autor des Buches: «DieSelbstbemeisterung durch bewußte Autosuggestion».
88% des enfants commettant des violences sont maghrébins
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Gabriele D'Annunzio au Vittoriale
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II est de grands talents sur lesquels un silence gêné s'est fait depuis 1945 : ces hommes avaient choisi le mauvais camp et leur génie d'artiste ou d'écrivain ne peut suffire à leur faire pardonner leur faute. Parmi les victimes de cet ostracisme il en est une qui semble frappée d'une injustice particulière, c'est Gabriele d'Annunzio, mort en 1938, deux ans avant que son pays ne s'engageât dans la seconde guerre mondiale, mais seize ans après que le fascisme a triomphé en Italie. Dans toutes les villes de la péninsule, les rues et les places portant son nom ont été débaptisées et c'est tout juste s'il reste, à Venise, la cité anadyomène qu'il sut si lyriquement chanter, un bout de quai se réclamant de l'illustre poète. Pourtant, au-dessus du lac de Garde, au milieu des cyprès et des plantes grasses subsiste le Vittoriale.
Traduire ce mot en français serait friser le barbarisme : le Victorial ; de plus cela n'évoquerait qu'imparfaitement le mémorial de la victoire de 1918 que d'Annunzio voulut entreprendre dans sa propriété de Gardone, sa dernière résidence, sur les flancs du lac alpin et où il ne parvint à dresser que le mémorial à la plus grande gloire du Commendatore Gabriele D'Annunzio, prince du Monte Nevoso. Au Vittoriale s'accumulent tous les souvenirs de sa vie que l'écrivain rassembla dans sa vieillesse, et ces reliques sont à la mesure de l'existence tumultueuse, baroque et audacieuse que mena le grand poète.
Dès que l'on pénètre dans la villa ocre à la façade ornée de blasons de pierre, comme les maisons florentines, tout est là pour nous signaler que le défunt propriétaire des lieux fut d'abord le plus important écrivain de l'Italie moderne. Dans le bureau, comme dans les autres pièces, les meubles disparaissent sous les manuscrits, les dédicaces, les éditions originales, car celui qui publia son premier recueil de vers à seize ans devait par la suite se révéler d'une étonnante prolixité, la qualité de ses œuvres en pâtissant souvent. D'Annunzio apparaît à un moment où la littérature italienne est à son point le plus bas. L'Italie récemment unifiée semble s'engourdir dans la médiocrité et, vis à vis de l'étranger, un Verdi assume seul la pérennité du génie de la péninsule. D'emblée le jeune poète connaît le succès, chacun s'entend à louer la qualité de ses vers même si leurs sujets, trouvés trop érotiques, déchaînent des scandales qui ne servent qu'à propager la renommée de celui qui est déjà si habile à faire parler de lui. Quand commencent à paraître ses romans, en 1888, il a vingt-cinq ans.
D'Annunzio est l'écrivain le plus célèbre de sa langue, et quelques années plus tard les traductions en français de George Hérelle rendront familier à toute l'Europe un nom qui pendant quarante ans encore remplira les journaux, du carnet mondain au reportage de guerre ; de la critique artistique à la page de politique internationale. La réussite littéraire de d'Annunzio, outre son style éblouissant, s'explique par le reflet plein d'authenticité que donne son œuvre du vieux monde d'avant 14. Ses personnages lui ressemblent, ce sont des esthètes délicats et violents évoluant dans un univers raffiné et décadent et s'abandonnant aux délices d'un âge de perversions faciles dont ils savent la fin proche. Ses poèmes chantent l'amour sensuel, la beauté des femmes, la volupté et la mort défiée.
La mort, elle a frappé l'enchanteur dans cette demeure où restent, pitoyables, les témoignages de l'érotomanie du séducteur vieillissant. À D'Annunzio on attribue autant de conquêtes qu'à Don Juan : il eut des femmes autant qu'il en désira, des dames du monde les plus connues aux soubrettes les plus obscures. Cet anti-séducteur, petit, gros, chauve, séduisait par ses fastueuses manières et son verbe passionné, bientôt il réussit le tour de force de séduire par la seule réputation de sa séduction. Et quand on voit les piles de lettres d'amour conservées au Vittoriale, il faut croire que les femmes prises par son charme avaient la plume déliée.
Ce n'est pas l'un des moindres paradoxes de D'Annunzio que laid, il ait su être Don Juan, mais il en est quantité d'autres qui méritent d'être signalés. Par exemple qu'entiché de noblesse mais issu d'une famille de petite bourgeoisie à la particule très douteuse il ait vu sa grandeur consacrée par un authentique titre de prince reçu de Victor-Emmanuel. Il n'est pas moins étonnant que ce poète épris de beauté et d'idéal ait pu donner dans les arcanes de la politique jusqu'à briguer la députation, l'obtenir, et l'abandonner en vitupérant les mœurs démocratiques du haut de son aristocratique mépris. Grand seigneur, menant une vie fastueuse, prodigue en présents royaux (« je ne possède que ce que je donne ») disait-il, l'écrivain n'avait pas honte d'implorer de ses éditeurs des avances sur des manuscrits à venir, et qui ne venaient parfois jamais, l'amant vivait des rentes de ses riches maîtresses, le patriote fuyait le fisc italien jusqu'à s'installer en France à demeure. Et cet homme habitué à mener une vie de plaisir dans un luxe émollient révéla un extraordinaire courage physique et une intelligence politique remarquable à l'occasion de la Grande Guerre.
Car ce fut cette abominable lutte fratricide entre Européens qui donna au poète l'occasion de parachever son personnage et de lui conférer une réalité héroïque conforme à la légende que ses écrits avaient tissée. C'est cet engagement guerrier de l'écrivain soldat qui est exalté par dessus tout au Vittoriale ; les reliques de la guerre, et de l'ardente aventure de Fiume qui s'ensuivit, y sont si bien valorisées que par elles le domaine d'annunzien affirme sa destinée propre : clamer le courage et l'esprit de conquête que D'annunzio sut allumer chez ses compatriotes et assumer à lui seul. A lui seul il décida plus que n'importe qui de l'entrée en guerre de l'Italie au côté des alliés ; son discours du 17 mai 1915, au Capitole, à Rome, par la ferveur populaire qu'il souleva força la décision d'un gouvernement hésitant. Sitôt les hostilités entreprises, malgré son âge qui l'en dispense, il prend l'uniforme et se trouve rapidement préposé au maintien de l'enthousiasme sur le front. Mais le poète-soldat n'entend pas se cantonner dans un rôle de propagandiste et il participe activement aux opérations, dans l'aviation, cette arme nouvelle qui allie le mythe d'Icare et la technique du siècle naissant, l'aviation qu'il avait déjà chanté dans un de ses romans les plus puissants : « Forse Che Si, forse che no ». Et à Gardone, à la voûte de la salle de conférence où se réunissent les fervents d'annunziens, est suspendu le minuscule biplan dans lequel D'Annunzio survola Vienne lâchant sur la ville impériale dans un geste de poète, des tracts où était écrit : « Nous pourrions vous jeter des bombes, nous ne lançons qu'un salut à trois couleurs, les couleurs de la liberté ».
A l'occasion il se fait marin et dans un hangar, en haut du « Vittoriale » est conservée une vedette lance-torpilles, canot plus que navire, sur laquelle il se hasarda en pleine nuit à torpiller les cuirassés autrichiens à l'ancre en rade de Fiume. Par le plus provocant des hasards cette vedette portait un nom aux consonances et à l'esprit étrangement d'annunziens : « Memento Audere Semper ». Souviens-toi de toujours oser, quelle formule caractériserait mieux l'attitude du premier soldat d'Italie pendant toute cette guerre où il ne cesse de risquer sa vie avec la plus magnifique superbe. Témoignent de cette période d'exaltation intense les canons et mitrailleuses autrichiennes, trophées guerriers qui jalonnent les allées du domaine du lac de Garde.
En même temps que la paix arrive une humiliation intolérable pour le guerrier. Il s'était battu pour que la souveraineté de son pays s'étendit sur le Trentin et la Dalmatie, or voici que le traité de Versailles place la plus italienne des villes dalmates, Fiume, sous le contrôle de la S. D. N. en attendant de la céder à la Yougoslavie. Nul patriote ne saurait tolérer cette renonciation. Par la magie de ses paroles d'Annunzio enflamme l'ardeur des anciens combattants et à la tête de ces volontaires, les « arditi », marche sur Fiume dont une garnison de l'armée régulière italienne est censée protéger la neutralité. C'est ici que l'épopée d'annunzienne atteint sa plus haute dimension héroïque et tragique. Au général qui menace de faire tirer sur ses troupes d'Annunzio offre pour cible sa poitrine bardée de décorations et à la faveur de la stupéfaction de ses adversaires, il entre dans Fiume le 11 septembre 1919 sans coup férir.
Là encore la réalité rejoint la légende. Immédiatement le poète se proclame régent de Fiume et organise l'administration de la ville conformément à ce qu'il avait imaginé dans une de ses œuvre de théâtre, « La Cité morte », en 1897 : jusqu'à son bureau au palais du gouverneur qui illustre tous les poncifs de la mise en scène théâtrale. Le cri de ralliement des « arditi » est à lui seul un défit : « Me ne frego », je m'en f… de la légalité, des traités, des politiciens, du réalisme, de tout ce qui n'est pas gratuitement beau et démesurément fou ! Ces irrédentistes vont occuper Fiume pendant quatorze mois, jusqu'à ce que l'armée italienne, sommée de faire respecter le récent traité de Rapallo, intervienne violemment pour chasser ces révoltés dont le peuple italien sevré de grandeur a idéalisé le combat ; c'est Mussolini qui profitera de l'enthousiasme populaire né de l'équipée de Fiume. Pendant ces quatorze mois d'Annunzio a porté à bout de bras le moral de ses hommes, multipliant les discours grandiloquents et les exhortations déchirées, sans pourtant être capable de maintenir jusqu'à la fin la foi passionnée en une victoire à laquelle l'apathie des dirigeants italiens l'empêche de croire de plus en plus. C'est piteusement, sous un crachin hivernal, avec les derniers fidèles que le « Commendatore » quitta la cité morte.
Mais c'est glorieusement que cette épopée survit au temps dans la splendeur du Vittoriale. Dans la cour de la maison est exposé le cabriolet Fiat dans lequel le « Comendatore » entra triomphalement dans Fiume, dans les pièces sont montrés maints documents et photos relatant cet exploit ; mais dans le parc, parmi les cyprès et les oliviers, à une centaine de mètres au-dessus du lac, sur une déclivité assez marquée, s'élève le plus inattendu et le plus extraordinaire des monuments : une canonnière, un vrai navire de guerre, est là, ancrée dans les calcaires, la passerelle au milieu des plantes exotiques et la proue haut dressée vers le lac. L'étrave fend la verdure des arbres comme elle fendait les flots de l'Adriatique quand le Puglia, monté par son équipage mutiné, vint ravitailler les combattants de Fiume en dépit de tous les interdits proférés. Quand le navire fut désarmé, d'Annunzio obtint du gouvernement fasciste qu'il fut remonté dans sa propriété en souvenir de l'héroïque équipée. C'est du pont du Puglia que l'on découvre soudain le tombeau du poète que le feuillage avait caché jusqu'alors.
Dans la partie la plus haute du domaine, une énorme construction de marbre blanc, qui n'est pas sans évoquer l'allure du mausolée d'Hadrien, a reçu les restes de l'écrivain. Il y repose sur une terrasse, dans un sarcophage de porphyre, tandis qu'autour de lui, disposés en cercle, les cercueils de pierre de dix compagnons de Fiume l'assistent en une ultime veillée d'arme. Là-bas le lac miroite en reflets azurés et à l'entour le feuillage terne des oliviers n'est agité d'aucun souffle de vent. Dans ce cadre paisible de vert et de bleu dort, comme par ironie, l'homme qui contribua le plus à créer l'image du fascisme immense et rouge chère à Brasillach.
Le premier fasciste d'Italie fut bien d'Annunzio. Il clamait son dédain de la démocratie et son ardent nationalisme en un temps ou Mussolini militait encore au parti socialiste. Fasciste il l'était par son goût du grandiose, par l'idée qu'il avait de la foule, qu'il fallait faire vibrer et prendre comme une femme, par sa volonté de rénover avec le passé glorieux de sa patrie. Tous les thèmes qu'exploitera le fascisme sont déjà dans l'œuvre de l'écrivain qui exaltait la vie au soleil, le sport, la toute puissance de la technique moderne, le goût du risque et l'esprit de conquête. Il ne s'y trompait pas lui qui écrivait au Duce : « Dans le mouvement fasciste, ce qu'il y a de meilleur n'a-t-il pas été engendré par mon esprit ? ». Malgré ses forces déclinantes le poète survivra dix sept ans à l'aventure de Fiume, devenu gloire officielle du régime, paré des titres les plus prestigieux, il ne sortira plus guère de la retraite de Gardone où il mourra.
Tel fut Gabriele d'Annunzio qui sidéra son époque et que notre temps a du mal à comprendre. Il fut l'un des derniers génies baroques, déconcertant dans la richesse de ses contradictions ; rêveur et homme d'action, superstitieux et prométhéen, prince et cuistre, esthète raffiné et barbare décadent, il fut cet accoucheur du fascisme dont Lénine dit un jour qu'il était le seul révolutionnaire authentique de toute l'Italie. Le fantôme de ce seigneur de la renaissance n'avait pas sa place dans l'Europe rétrécie et mesquine du vingtième siècle, et on le lui a bien fait savoir.
F. LORMEAU
Source : Défense de l’Occident - Mars 1977
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