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J’approuve totalement les déclarations de Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch au sujet de l’embastillement de Ryssen.
Une remarque : ceux qui ont voulu cela ont-ils conscience qu’ils contribuent à la montée de l’antisémitisme ? Mais ne serait-ce pas ce qu’ils souhaitent ? Ils devraient pourtant savoir qu’à force de jouer avec le feu…
Pierre VIAL
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La condition féminine reste un sujet brûlant, voici un texte de Joël Lecrozet (et Alain de Benoist) datant de 1976 (Éléments n°16-17). Une autre manière de voir la femme dans l'histoire européenne. Il y a déjà 40 ans !
S’il était conséquent avec lui-même, un certain féminisme moderne se confondrait avec la défense de l’Occident. Car c’est au sein de la culture européenne, et de celle-là seulement, que la femme a de tous temps été considérée comme une personne, et non comme un objet. Une simple comparaison de l’Europe préchrétienne et du Proche-Orient ancien (laissons ici de côté la question des cultures d’Afrique noire et d’Asie, qui ne nous concernent qu’indirectement) fait apparaître le fait comme évident.
« Dans l’ensemble de l’histoire d’Israël, écrit M. Jean-Marie Aubert, la femme n’a jamais joui d’une grande liberté » (Femme. Antiféminisme et christianisme, Cerf-Desclée, 1975). Plus précisément, la dévalorisation sociale de la femme fait partie intégrante d’une superstructure religieuse. L’idée d’une déesse, protectrice de la cité ou chasseresse, comme la Diane ou la Minerve des Romains, est impensable dans la perspective hébraïque. La circoncision, mutilation opérée en signe d’alliance avec Jahvé, est réservée à l’homme. La femme est ainsi rejetée en marge des croyants. Mariée, elle est considérée comme un obstacle à la prière de son époux. Les synagogues prévoient la séparation rigoureuse des hommes et des femmes. « En fait, précise M. Aubert, les femmes ne comptent pas dans la synagogue » (op. cit.) : le minyan, ou quorum de dix personnes nécessaire à la célébration d’un office, doit être exclusivement masculin.
G. Leipoldt (Die Frau in der antiben Welt und im Urchristentum, Leipzig, 1954) signale que la langue hébraïque ne connait pas de féminin pour les mots « juste », « pieux » et « saint ». Dans le dialecte akkadien, la flexion qui indique le féminin s’applique à tout ce qui est inférieur. On cite également cet enseignement rabbinique, selon lequel Dieu doit être loué tous les jours en ces termes : « Sois loué pour ne pas m’avoir fait païen ! Soit loué pour ne pas m’avoir fait femme ! Soit loué pour ne pas m’avoir fait ignorant ! ».
Cette incapacité religieuse et sociale de la femme se traduit par toute une série d’interdits rituels, qui aboutissent à la claustration progressive de la femme. Le mari est le propriétaire (Baol), le maître absolu de son épouse. Celle-ci est son esclave, sa chose, son objet. Le divorce se ramène à la répudiation, dont seul le mari peut prendre l’initiative ; selon l’école rabbinique de Hillel, la répudiation peut être pratiquée pour n’importe quel motif, à commencer par la découverte par le mari d’une femme qui lui plaît mieux. Chez les Hébreux, comme chez les Assyriens, règne la pratique du lévirat : la veuve d’un ménage resté sans enfants « passe » automatiquement au frère du mari défunt. La pratique de la prostitution sacrée n’est pas non plus inconnue. Il y avait des prostituées sacrées dans l’ancien temple de Jérusalem, ainsi qu’à Babylone ; on les appelait qédhêshah.
Quoique proclamant, à partir d’une vérité révélée, l’égale dignité de tous les êtres humains – et inaugurant ainsi, sous l’angle spiritualiste, le cycle égalitaire dont nous vivons aujourd’hui l’aboutissement et la matérialisation –, le christianisme ne pouvait que reprendre la tradition anti-féminine liée à ses origines. Ce qui ne l’empêcha pas, dans un premier temps, de séduire surtout les femmes et les esclaves (au IIIe siècle, l’importance numérique des femmes chrétiennes, par rapport à celui des convertis masculins, créa de tels problèmes que le pape Callixte autorisa les patriciennes à épouser des esclaves plutôt que des hommes de leur rang qui fussent restés fidèles à la foi de leurs pères).
À l’hostilité chrétienne à la femme qui procède du judaïsme, s’ajoute une hostilité vis-à-vis de toutes les choses de la chair, de caractère plus probablement gnostique. (À beaucoup d’égards, le christianisme apparaît comme un gnosticisme successivement rejudaïsé et déjudaïsé). L’attitude de Paul, considérant le mariage comme un pis-aller (« Celui qui marie sa fille fait bien, mais celui que ne la marie pas fait mieux », 1 Cor. 7, 38) et déclarant que « l’affection de la chair, c’est la mort », est complètement étrangère au judaïsme traditionnel. Par contre, Paul rejoint les rabbins quand il recommande aux époux de se séparer pour prier (1 Cor. 7, 5).
Cet enseignement, tiré des écoles rabbiniques, s’accompagnait chez Paul d’une morale moins simple, moins manichéenne, puisée à la culture grecque, en particulier à celle des stoïciens. Or, en Grèce, comme dans l’ensemble des peuples indo-européens, la femme participait à la vie culturelle et souvent à la vie politique ; de plus, par le mariage toujours monogamique, la femme se trouvait associée à son mari et intéressée à l’avenir de son foyer. Aussi s’adressant à un public hellénisé, Paul reconnaissait-il aux femmes le droit de prier publiquement et celui de prophétiser. Mieux, il admettait le ministère des femmes comme une chose normale.
Pour lui, la distinction des sexes devait être surmontée : « Il n’y a ni homme ni femme » (Galates, 3, 28). Ce qui le conduisit à mettre entre parenthèses toute vie sexuelle et à prôner la virginité comme véritable libération de la femme.
La défense de la famille, pratiquée ultérieurement par le christianisme, découle de cette façon abstraite d’envisager la femme, par le biais du mépris de la chair, de l’exaltation maladive de la virginité, de la supériorité sans cesse proclamée de la vierge stérile sur la maîtresse du foyer. En sorte, comme l’écrit M. Aubert, que le christianisme, lorsqu’il a rehaussé la dignité de la femme, ne l’a fait qu’« au prix d’une sévère ségrégation et d’une marginalisation » (op. cit.).
Par la suite, il y eut évidemment des compromis – ne serait-ce que parce que le christianisme, « au moment où il se répandait dans le monde païen gréco-romain, se trouvait dans un milieu culturel où la condition de la femme était autrement favorable que dans le monde juif » (J. M. Aubert). De ce fait, l’esprit européen, imprégnant la foi nouvelle, la colora de façon telle qu’elle dut admettre nombre d’éléments d’une plus ancienne tradition. Ainsi naquit l’« Occident chrétien ». Mais en dépit de cette influence de la culture païenne, le mépris de la femme reste constant chez les Pères de l’Église.
Demeurée à cet égard dans la dépendance du judaïsme tardif, l’Église reproche essentiellement à la femme d’avoir été la cause du péché originel. La femme, quoi qu’elle fasse, reste « fille d’Ève ». Elle descend de celle par qui l’humanité déchut. Elle sera donc décrite comme incapable de résister à la tentation du Malin, comme un danger guettant l’homme avec la complicité du Serpent – bref, comme une créature dont on doit limiter la liberté, que l’on doit placer en tutelle et traiter éternellement en mineure.
Selon la Genèse, Ève procède en quelque sorte d’Adam. Certains théologiens diront qu’elle n’a été créée à l’image de Dieu que par procuration. Considérée comme le siège et le symbole de la sexualité, la femme est l’objet d’une haine méprisante, qui dissimule souvent une panique pathologique devant le second sexe (cf. Wolfgang Lederer, Gynophobia ou la peur des femmes, Payot, 1970). En même temps, la vieille idée juive de la « pureté rituelle » survit dans l’Église jusqu’en plein Moyen-Âge : certains pénitentiels interdisent à la femme qui a ses règles d’entrer à l’église ou de communier. Parallèlement, le mariage continue de n’être décrit que comme un remède pour ne pas « brûler ». Pendant des siècles, théologiens et confesseurs n’admettront l’acte sexuel, même pratiqué dans une union légale, qu’assorti de la ferme intention d’avoir un enfant. Enfin le culte de Marie, prenant parfois le relais de celui d’Isis, permet d’idéaliser une femme irréelle et de jeter ainsi les bases de l’alternative : vierge-et-martyre (mère-et-sainte en version minorée) ou prostituée tentatrice.
Les Pères de l’Église se donnent un mot d’ordre : tota mulier in utero. Pour Augustin, la femme est « un cloaque » ; pour Origène, elle est « la clé du péché »; pour saint-Jérôme, « le chemin de l’iniquité ». Tertullien écrit : « Femme, tu devrais toujours porter le deuil, être couverte de haillons et abîmée dans la pénitence, afin de racheter la faute d’avoir perdu le genre humain. Femme, tu es la porte du diable. C’est toi qui a touché à l’arbre de Satan et qui, la première, a violé la loi divine » (De cultu feminarum). Clément d’Alexandrie ajoute : « Toutes les femmes devraient mourir de honte à la pensée d’être des femmes ».
Saint-Jérôme maudit la maternité, « cette tuméfaction de l’utérus ». Saint Ambroise, évêque de Milan, compare même le mariage à la prostitution. Jean Chysostome, plus désabusé, écrit : « La femme est une punition à laquelle on ne peut échapper, un mal nécessaire, une tentation naturelle, une calamité désirable, un danger domestique, un péché délectable, une plaie de la nature sous le masque de la beauté ».
Toute cette étrange conception de la féminité se retrouve dans le célèbre décret de Gratien, publié au XIIe siècle. Chez Thomas, comme chez Augustin, seul l’homme a été fait à la ressemblance de Dieu ; la femme est mise d’emblée dans la catégorie des êtres humains déficients, comme les enfants et les fous. En 1563, le concile de Trente déclare : « Quiconque prétend que le mariage est supérieur à la virginité et au célibat sera excommunié ». D’où le mot de Nietzsche : « Le christianisme a empoisonné Eros. Il n’en est pas mort, mais il est devenu vicieux ».
Dans la perspective chrétienne, si l’homme reste le dominus, la femme, qui était la domina, redevient l’ancilla. Et ce n’est pas sans raison que Mme Benoîte Groult, voici quelques mois, taxait de « monstrueuse » l’« étroitesse de la religion catholique lorsqu’il s’agit de justifier l’oppression féminine » (L’Express, 10 mars 1975).
Déesses et héroïnes
La société indo-européenne, dont procèdent les cultures européennes actuelles, est fondée sur un système de type patriarcal. Les liens de parenté dominants, qui permettent et transmettent les identifications, sont les liens de parenté masculine. La famille est soumise à l’autorité du père (pater, pita, Vater, etc.), de même que le système social (et le système religieux qui en constitue la projection) a pour clé de voûte une autorité et un pouvoir de type paternel. Le panthéon indo-européen donne la place principale au dieu-père : Zeus-Pater, Jupiter, Varuna, Odhinn, etc. Et cette conception patriarcale est encore confortée par la division tripartie qui forme la structure de base de l’« idéologie » indo-européenne, la fonction souveraine (politico-juridique) étant assimilée au père, la seconde l’étant aux fils (élément guerrier), la troisième à l’ensemble du peuple, aux femmes et aux enfants. C’est là un fait bien connu, que personne ne conteste, et qui constitue le système de notre culture – à tel point que même la grammaire des langues européennes consacre le primat du « genre masculin ».
Et pourtant, c’est aussi ce système patriarcal indo-européen, lorsqu’on le ramène à ce qu’il a de plus authentique, qui a donné à la femme une place privilégiée dans l’histoire. Contradiction ? Nullement. C’est parce qu’en Europe, les valeurs viriles et proprement célestes ou solaires forment la clé de voûte d’une société complète, que les femmes y ont été « admises » et honorées. C’est parce qu’une conception inégalitaire du monde est nécessairement fondée sur la reconnaissance de la diversité, que l’autre sexe a toujours été considéré en Europe comme un enrichissement – et non comme une malédiction, cause d’une faute originelle. C’est parce que la tradition religieuse et théologique indo-européenne repose sur l’honneur, et non sur le péché, que les choses de la chair ont pu être considérées à mi-chemin des excès constituant les antithèses relatives d’un même système : la débauche et le tabou – comme l’une des données naturelles, et donc fastes de la vie.
Tandis qu’en Assyrie, les femmes devaient se prostituer rituellement au moins une fois dans leur vie, les Grecs honoraient la belle Hélène, la tumultueuse Phèdre, la fidèle Pénélope, sans oublier Sappho la poétesse et même l’acariâtre Xanthippe et la courtisane Aspasie. Innombrables sont les déesses indo-européennes, comme innombrables sont les héroïnes dont l’histoire de l’Europe a retenu les noms, depuis les épopées homériques jusqu’aux sagas scandinaves.
Que ce soit à Sparte, à Athènes, à Rome, chez les Indo-Aryens, les Celtes ou les Germains, la femme est pleinement intégrée dans les structures socio-économiques, culturelles et politiques. Elle participe à tous les actes de la vie publique. Elle seconde son mari à la guerre. Elle exerce ses droits par des procédures de justice. Elle a sa place dans les jeux du stade, comme devant les autels où l’on honore les dieux. En Irlande, les femmes exercent des fonctions religieuses, politiques et même militaires. Chez les Cimbres et les Goths, il n’est pas rare qu’elles prennent part au combat.
« La mère de famille jouissait déjà à Rome d’une considération réelle, remarque M. Louis Bridel. Mais chez les anciens Germains, c’est la femme qui était honorée et l’on peut dire que la notion de féminité (Weiblichkeit) est entrée dans le monde avec eux » (La femme et le droit. Étude historique sur la condition de la femme. Paris-Lausanne, 1884). Tacite écrit, dans sa Germanie : Inesse quin etiam sanctum aliquid et prouidam putant : nec aut consilia eurum aspernantur, aut responsa negligant ; « ils (les Germains) vont jusqu’à croire qu’il y a dans (les femmes) quelque chose de prophétique et de saint : ils ne méprisent pas leurs conseils, ils écoutent leurs prédictions ».
À Rome, la femme peut posséder des terres ou des biens. Elle peut hériter. La fille, dans l’héritage, a une part égale à celle des garçons : comme ses frères, elle est copropriétaire du patrimoine familial. Au début de la République, elle peut aussi témoigner et assigner en justice. Chez les Germains, la fille majeure jouit également de la libre administration de ses biens. Mariée, elle peut, sans l’autorisation de son époux, s’engager et contracter dans les limites des besoins du foyer. Si l’union vient à se dissoudre, elle reprend ses biens propres. De même, chez les Francs, si la communauté conjugale est dissoute, l’épouse retrouve la pleine jouissance de sa dot. Chez les Vikings, la femme peut hériter, non seulement de son mari, mais encore de ses enfants et même de ses gendres.
Le plus souvent, filles et garçons se choisissent librement – en accord avec les lois de la cité et les antiques traditions. La veuve retourne dans sa famille et se remarie à son gré. L’union étant librement consentie, la fidélité mutuelle en forme la pierre angulaire. La liberté sexuelle s’exerce de façon responsable : avec pudeur et gravité. On admet une grande liberté de mœurs avant le mariage, car l’union doit se faire à bon escient. Mais ensuite, une fidélité totale est la règle. L’adultère peut être mis à mort. Il n’est pas tant coupable d’avoir commis l’acte sexuel avec un tiers (c’est là chose de peu d’importance) que d’avoir failli à la parole donnée – ce qui ne se rachète pas (il est beau le geste de la Gauloise Chininara jetant aux pieds de son mari la tête du centurion qui l’avait violée, parce que, rapporte Plutarque, elle ne pouvait concevoir d’avoir appartenu à deux hommes vivants).
Les attributions sont naturellement partagées. Au père reviennent les fonctions civiques et militaires, ainsi que la responsabilité du culte domestique ; à la femme, l’autorité sur la famille et l’administration du foyer : tâche considérable quand le foyer comprend une domesticité nombreuse et des parents éloignés. Chez les Grecs, le jour du mariage, la maîtresse de maison se voit remettre un trousseau de clés, insigne de son pouvoir et de son autorité. On retrouve cette coutume chez les Celtes irlandais – comme en témoigne L’exil des fils d’Uisnech – ainsi qu’en Scandinavie, ce qui atteste son ancienneté. Chez les Germains, dit Tacite, « la famille n’existe et ne subsiste que par la femme » ; elle est la mère, l’économe, la gardienne, l’associée : vitae laborumque socia.
L’esprit indo-européen des origines s’étant mieux conservé dans le Nord de l’Europe, resté plus longtemps préservé des mélanges de cultures, on retrouve aujourd’hui une nette différence entre la place occupée par la femme dans les pays de tradition celto-germanique et dans les pays latino-méditerranéens. D’où cette « coupure », soulignée par tous les observateurs, entre les peuples chez lesquels la différence sexuelle est vécue naturellement, parce qu’elle est perçue comme un facteur de complémentarité et d’harmonie, et ceux qui, en ce domaine, ne cessent d’osciller entre l’adoration sublimée d’un idéal imaginaire et le rejet méprisant au nom d’une virilité qui ne cherche à s’affirmer perpétuellement que parce qu’elle doute d’elle-même. D’où l’ambiguïté des mots d’ordre de « libération de la femme », qui, au Nord et au Sud de l’Europe, ont nécessairement une signification différente. D’où également beaucoup d’amertume et de désillusions1.
Il est à la mode aujourd’hui de vanter l’Occitanie des troubadours et son « féminisme » un tant soit peu décadent. On peut toutefois s’interroger sur son exemplarité en lisant ces vers de Raimbaut d’Orange : « Si vous voulez conquérir les femmes,
Quand vous estimez qu’elles vous font honneur,
Si elles vous répondent mal ou peu
Mettez-vous à les menacer ;
Si elles font plus mauvaise réponse encore,
Donnez-leur du poing dans les naseaux.
Si elles sont dures, soyez durs.
Plus de mal leur ferez, plus aurez de repos ».
La thèse du matriarcat primitif a connu son heure de gloire au siècle dernier, notamment avec Friedrich Engels (L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884) et Bachofen (Das Muterrecht, 1861). Depuis, elle a été durement critiquée, y compris par certains idéologues féministes. Simone de Beauvoir, dans Le deuxième sexe, la qualifie de « mythe ». C’est également l’avis de la plupart des ethnologues, à l’exception peut-être d’Elizabeth Gould Davis (The First Sex, G. P. Putnam & Sons, New York, 1971).
Cela ne veut pas dire, pour ce qui nous concerne, qu’il n’y a jamais eu de matriarcat pré-indo-européen. Mais on s’est aperçu que, pas plus que le patriarcat n’impliquait le mépris ou la déchéance de la femme, le sens social du matriarcat ne relevait nécessairement d’une autre forme de domination. De même, le culte rendu à une déesse-mère ne suffit à conclure à l’existence d’un matriarcat : l’idéalisation de la Femme peut aller de pair avec le rabaissement des femmes.
Il n’en reste pas moins que ce thème continue de séduire les adeptes d’un néo-féminisme purement égalitaire, dans la mesure où il leur laisse entrevoir – ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse – un état social antérieur à ce « putsch mâle » que fut la révolution néolithique et l’avènement de la société patriarcale indoeuropéenne.
Plusieurs auteurs semblent avoir ainsi compris, par une logique qui leur est propre, que la remise en cause radicale, non pas seulement de la tradition judéo-chrétienne enkystée dans l’histoire de l’Europe, mais bien des structures sociofamiliales traditionnelles, voire de toute répartition des rôles sociaux masculin/féminin, implique la négation absolue de la totalité de l’histoire européenne, et le retour à l’état social qui existait avant (avant le péché originel et l’aliénation par la division du travail, avant le début de l’histoire) – vers l’âge d’or du « communisme primitif « ou du jardin d’Eden. Car la cause structurale de tout ce qu’ils dénoncent, c’est l’existence même de la culture historique européenne, en sorte que, le seul moyen d’empêcher les effets étant de supprimer la cause, une certaine contestation est nécessairement conduite à revendiquer la fin de cette culture et la sortie de l’histoire, conditions nécessaires à la restitution de l’âge d’or antérieur.
Telle est l’opinion soutenue récemment par M. Ernest Borneman, dans un gros livre intitulé Das Patriarchat. Ursprang und Zukanft unseres Gesellschaftssystems (S. Fischer, Frankfurt/M., 1975). Se réclamant d’Engels et de Bachofen et aussi de Robert Briffault (The Mothers. The Matriarchat Theory of Social Origins, London, 1927 et 1959 ; New York, 1931), M. Borneman constate que l’avènement de la culture indo-européenne, sur la base d’une idéologie tripartie impliquant le patriarcat, a mis fin à un état social qu’il définit comme une culture « féminine », non dans le sens d’une domination des hommes par les femmes, mais dans le sens d’un primat des valeurs féminines de sécurité, d’« amour » universel et d’égalitarisme – primat dont le système de parenté matriarcal aurait été le garant. Il en déduit que le retour à une dialectique sexuelle égalitaire est impossible aussi longtemps que la culture européenne continuera d’être elle-même.
À divers titres, on retrouve le même point de vue dans les essais d’Ashley Montagu (The Natural Superiority of Women, Collier-Macmillan, New York, 1968 et 1974), de Françoise d’Eaubonne (Les femmes avant le patriarcat, Payot, 1976) et de Paula Webster (« Matriarchy : A Vision of Power », in Raynda R. Reiter, éd., Toward an Anthropology of Women, Monthly Review Press, New York, 1975), selon qui la théorie du matriarcat primitif est une « vision fructueuse », même si elle est sans fondements empiriques ou théoriques réels.
Que le matriarcat primitif soit ou non une vue de l’esprit, il est important d’observer l’aboutissement, dans le cas précis du néo-féminisme, d’un processus idéologique à l’œuvre dans bien d’autres secteurs et qui ne vise à rien moins qu’à abolir les « millénaires européens » en vue d’une régression de la société au stade prénéolithique.
Joël Lecrozet,
Éléments n°14-15, 1976.
1. On trouvera plus de détails sur la condition féminine et son histoire dans les deux articles suivants, parus dans Nouvelle École : Jean-Claude Bardet, « La condition féminine dans l’Antiquité et au Moyen-Âge », in Nouvelle École n°11, janvier-février 1970, pp. 17-49 ; et Alain de Benoist, « Les mutilations sexuelles », in Nouvelle École n°8, avril-mai 1969, pp. 27-72. Ce dernier titre a été longuement cité par le Dr. Gérard Zwang (La fonction érotique, Laffont, 1972), puis par Mme Benoîte Groult (Ainsi soit-elle, Grasset, 1975), avant d’être repris par Le Quotidien des femmes (18 novembre 1975).
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Le Professeur Claude Perrin, dont les travaux dans le domaine de la médecine font autorité, rappelle dans le numéro 83 de la revue Terre et Peuple combien les Grecs, qui nous ont laissé des leçons de sagesse trop oubliées aujourd’hui, se défiaient de l’hybris, c’est-à-dire la démesure, source de bien des maux.
Nous en avons un exemple quotidien sous les yeux avec les réactions suscitées par la crise du Coronavirus. Quand je vois la multiplication des déclarations et prises de position toutes plus péremptoires les unes que les autres, je préfère choisir un silence modeste car je n’ai ni l’intelligence ni surtout la formation scientifique nécessaire pour avoir un avis argumenté pour ou contre telle expérience, telle théorie, suscitant des polémiques comme celle concernant Raoult. Alors même que je suis concerné par l’épidémie dans ma famille et que j’ai donc toute raison de suivre de très près l’évolution de la situation, j’ai dans cette affaire, comme dans bien d’autres, un point de vue purement pragmatique : j’applaudis sans réserve toute solution (je n’ose dire recette) qui peut permettre d’améliorer la situation. Pour lever toute ambiguïté : certains m’ont reproché d’avoir rappelé (comme l’a fait Robert Spieler) certaines affinités de Raoult avec le Peuple Elu, car je considère qu’il est bon de le savoir. Mais cela n’enlève rien à l’éventuelle pertinence de ses choix médicaux et si ceux-ci donnent de bons résultats je serai le premier à m’en féliciter.
Ceci étant les donneurs de leçons me hérissent le poil. En ai-je entendu, au cours de ma vie, de ces « amis » m’expliquer ce que je devais faire ou ne pas faire – sans jamais, bien entendu, bouger de leur coin paisible (on n’est jamais trop prudent, n’est-ce pas). Je m’en suis longtemps scandalisé. Aujourd’hui cela m’indiffère : la sérénité est un don, précieux, de la vieillesse.
Mais mes états d’âme n’ayant aucun intérêt, revenons aux choses sérieuses. Par exemple la mise en évidence, grâce au Coronavirus, de la nullité intrinsèque des politiciens. Un Macron (et ses sbires), un Trump ont commencé par nier l’évidence : ce n’était rien, il ne fallait pas s’affoler. Une Agnès Busyn, elle, avait compris (tout comme Gérard Collomb avant la crise des Gilets jaunes) et l’une et l’autre ont préféré prendre la poudre d’escampette avant l’explosion. Et puis, toute honte bue (mais ces gens-là n’ont jamais honte) Macron, Trump et tous les autres ont proclamé la mobilisation générale. En dramatisant au maximum pour faire accepter par les braves gens des mesures d’exception qui correspondent à ce que Big Brother veut depuis longtemps : une société fliquée au maximum.
Tout cela révèle les vrais enjeux : y a-t-il encore des femmes et des hommes qui veulent vivre libres. Sans vouloir jouer les prophètes, gageons qu’on aura la réponse sous peu.
Pierre VIAL
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par Fabrice Dutilleul 22 janvier 2020
Entretien avec Jean-Patrick Arteault, auteur de Pour une boussole métapolitique aux Éditions de la Forêt
(propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Jean-Patrick Arteault, qu’est-ce qu’une « Boussole Métapolitique » ?
Sans filer trop loin la métaphore, on rappellera que la boussole est un petit instrument, dont l’aiguille aimantée vers le nord (magnétique) sert, le plus souvent associé à une carte, à s’orienter au cours d’un périple. Dans la brochure éponyme, qui tient d’ailleurs autant de la boussole que de la carte, j’ai surtout voulu rappeler un certain nombre de repères qui m’ont paru utiles quand on est engagé dans le type d’action qu’on associe au mot « métapolitique ».
Vous posez, au départ, une identité albo-Européenne « gentille ». Pouvez-vous en dire plus ?
En Europe, où s’accumulent des populations d’origines, de religions, de cultures disparates, les identités nationales de « papiers » ne veulent plus dire grand-chose. Donc je propose de s’en tenir à des identités plus fondamentales, non solubles dans le cosmopolitisme ambiant. Pour ce qui me concerne, je me définis comme un Albo-Européen Gentil Autochtone. C’est-à-dire un Blanc d’Europe, de tradition spirituelle indo-européenne ou boréenne (comme eut dit Dominique Venner), originaire par voie ancestrale de cette terre d’Europe. Je pourrais ajouter que je suis aussi de langue et de culture française. D’une manière générale, par opposition à la confusion contemporaine des notions et des concepts, je crois à la nécessité de créer et d’user d’un vocabulaire précis, non récupérable. Je crois aussi à la nécessité de se définir de manière positive, par rapport à soi, et non par opposition à ce contre quoi l’on serait.
Vous insistez beaucoup, pour l’efficacité de l’action métapolitique, sur la compréhension d’un contexte fait de l’emboîtement de trois éléments : l’Occident, le Système et le Régime. En quelques mots, que voulez-vous dire par là ?
D’une certaine manière cela retrace une histoire de longue durée. L’Occident est la matrice culturelle et idéologique de notre Système oligarchique dont chaque Régime est l’adaptation contextualisée à l’une des nations de l’Occident géopolitique. L’Occident s’est construit par strates successives, parfois en oppositions dialectiques entre elles, depuis l’irruption du judéo-christianisme dans l’Europe antique jusqu’à l’actuelle hégémonie conjointe et conflictuelle à la fois du gauchisme culturel et du sans frontiérisme ultralibéral. Le Système oligarchique occidental est un système de pouvoir et de domination, issu de la montée en puissance progressive des marchands financiers depuis le XVIIe siècle et dont le principal centre se situe dans le monde anglo-saxon. Aujourd’hui, l’Amérique du Nord, l’ensemble de l’Europe (exceptée la Russie) et une partie de l’Asie se trouvent sous son emprise. La question qui reste ouverte est de savoir s’il est entré en crise au début du XXIe siècle ou s’il est en train de parfaire une domination absolue. Chaque nation a produit un Régime (qui évolue aussi dans le temps) qui est l’adaptation du Système global aux données particulières d’une histoire et d’un système juridique et politique. En ce sens, le « Régime de Macron » d’aujourd’hui est à la fois le produit de l’évolution endogène du Régime républicain occidentaliste né du choc de la Révolution de 1789 et le produit de l’évolution des influences du Système occidental global. C’est dans ce cadre particulier qu’un travail métapolitique dissident peut se mener en tenant compte de sa réalité concrète.
Vous ne semblez pas croire beaucoup à la démocratie ou au populisme…
En réalité, j’aimerais croire en la possibilité du gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple ! Ma formation d’historien m’a convaincu de la « loi d’airain » des oligarchies, c’est-à-dire de l’inéluctabilité du gouvernement des grands nombres par les petits nombres quels que soient les temps, les races et les sociétés. C’est dur à entendre aujourd’hui, y compris par les populistes patriotes qui ont, par ailleurs, toute ma sympathie. Mais c’est un fait. La démocratie moderne a été mise en place, à partir du XIXe siècle, comme le moyen le plus souple et le plus léger pour contrôler le « parc humain » grâce une ingénierie sociale et culturelle devenue de plus en plus scientifique. Il fallait que « tout change, pour que rien ne change », comme dit Tancrède dans Le Guépard de Lampedusa. Dans le meilleur des cas, nous aurons une oligarchie issue du peuple dont les valeurs, à l’opposé de celles de la caste marchande et financière actuelle, seront celles de l’enracinement autochtone et de la spiritualité aristocratique. Mais nous ne nous passerons pas d’oligarchie.
Source : http://eurolibertes.com
40 pages : 9 € + les frais de port :
- France : 1,94 €
- International (y compris U.E.) : 2,80 €
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Un historien canadien, expert en « gender studies », avoue avoir falsifié les conclusions de ses recherches, au service de sa propre idéologie politique.
Par Christopher Dummitt* pour Quillette** (traduction par Peggy Sastre)
Modifié le 04/11/2019 à 08:30 - Publié le 03/11/2019 à 16:20 | Le Point.fr
Si on m'avait dit, voici vingt ans, que la victoire de mon camp allait être aussi décisive dans la bataille idéologique sur le sexe et le genre, j'aurais sauté de joie. À l'époque, je passais de nombreuses soirées à débattre du genre et de l'identité avec d'autres étudiants – voire avec n'importe qui avait la malchance de se trouver en ma compagnie. Je ne cessais de le répéter : « Le sexe n'existe pas. » Je le savais, un point c'est tout. Parce que j'étais historien du genre.
Dans les facs d'histoire nord-américaines des années 1990, c'était d'ailleurs le nec plus ultra. L'histoire du genre – et, plus généralement, les études de genre dans le reste du monde académique – constituait un ensemble de sous-disciplines à base identitaire alors en pleine phase ascendante dans les campus d'arts libéraux. Selon les enquêtes sur les domaines de spécialisation menées en 2007 et 2015 par l'Association des historiens américains, les plus gros effectifs se comptaient dans l'histoire des femmes et du genre, suivis de près par l'histoire sociale, l'histoire culturelle et l'histoire raciale et sexuelle. Autant de domaines partageant avec moi une même vision du monde : que pratiquement toutes les identités ne sont qu'une construction sociale et que l'identité n'est qu'une question de pouvoir.
À l'époque, pas mal de gens n'étaient pas de mon avis. Toute personne – c'est-à-dire pratiquement tout le monde – n'ayant pas été exposée à ces théories à l'université avait bien du mal à croire que le sexe n'était globalement qu'une construction sociale, tant cela allait à l'encontre du sens commun. Mais, aujourd'hui, ma grande idée est partout. Dans les débats sur les droits des transgenres et la politique à adopter concernant les athlètes trans dans le sport. Dans des lois menaçant de sanctions quiconque laisserait entendre que le sexe pourrait être une réalité biologique. Pour de nombreux militants, un tel propos équivaut à un discours de haine. Si vous défendez aujourd'hui la position de la plupart de mes opposants d'alors – que le genre est au moins partiellement fondé sur le sexe et qu'il n'y a fondamentalement que deux sexes (le mâle et la femelle), comme les biologistes le savent depuis l'aube de leur science –, les super-progressistes vont vous accuser de nier l'identité des personnes trans, et donc de vouloir causer un dommage ontologique à un autre être humain. À cet égard, dans son ampleur et sa rapidité, le revirement culturel est stupéfiant.
Mea culpa
Aujourd'hui, j'aimerais faire mon mea culpa. Mais je ne me contenterai pas d'être désolé pour le rôle que j'ai pu jouer dans ce mouvement. Je veux détailler les raisons qui me faisaient faire fausse route à l'époque, et celles qui expliquent les errements des socio-constructionnistes radicaux contemporains. J'ai avancé les mêmes arguments qu'eux et que je sais qu'ils sont faux.
J'ai ma carte du club socio-constructionniste. J'ai terminé mon doctorat en histoire du genre et publié en 2007 mon premier livre sur le sujet, The Manly Modern : Masculinity in Postwar Canada[Modernité virile : la masculinité dans le Canada d'après-guerre]. Mais ne vous fiez pas au titre, il ne s'agit en réalité que de cinq études de cas datant du milieu du XXe siècle, toutes centrées sur Vancouver, où des aspects « masculins » de la société ont pu faire l'objet d'un débat public. Pour mes exemples, j'ai pioché dans la culture automobile, le système pénal, un club d'alpinisme, un terrible accident du travail (l'effondrement d'un pont) et une commission royale sur les anciens combattants. Je n'entrerai pas dans les détails, mais j'ai honte de ma production, surtout en ce qui concerne les deux dernières parties.
J'ai également publié un article tiré de mon mémoire de maîtrise, dont la portée a sans doute été plus large que mes travaux académiques. C'est un article divertissant consacré aux liens entre les hommes et le barbecue dans le Canada des années 1940 et 1950. Publié pour la première fois en 1998, il a été intégré à plusieurs reprises dans des manuels de premier cycle. Bien des étudiants embarqués dans l'étude de l'histoire du Canada ont été obligés de le lire pour en apprendre davantage sur l'histoire du genre et la construction sociale du genre.
La « pose du mollet viril »
Petit problème : j'avais tort. Ou, pour être un peu plus précis : j'avais partiellement raison. Et pour le reste, j'ai globalement tout inventé de A à Z. Je n'étais pas le seul. C'est ce que faisait (et que fait encore) tout le monde. C'est ainsi que fonctionne le champ des études de genre. Je ne cherche pas à me dédouaner. J'aurais dû faire preuve de plus de discernement. Mais, rétrospectivement, je crois que c'était le cas : je ne me bernais pas moi-même. Raison pour laquelle je défendais ma position avec autant de ferveur, de colère et d'assurance. Cela me permettait de camoufler qu'à un niveau très élémentaire j'étais incapable de prouver une bonne partie de mes propos. Intellectuellement, ce n'était pas jojo.
Ma méthodologie se déroulait en trois étapes. Tout d'abord, j'aurais tenu à souligner qu'en tant qu'historien je savais l'existence d'une grande variabilité culturelle et historique. Que le genre n'avait pas toujours et en tout lieu été défini de la même manière. Comme je l'écrivais dans The Manly Modern, le genre est « un ensemble de concepts et de relations historiquement changeants donnant sens aux différences entre hommes et femmes ». Et j'insistais : « Il n'y a pas de fondation ahistorique de la différence sexuelle enracinée dans la biologie ou autre base solide dont l'existence aurait été antérieure à son appréhension culturelle. »
J'avais mes exemples préférés, que je recyclais dans mes conférences ou mes conversations. Louis XIV et ce que j'appelais la « pose du mollet viril », vue comme le summum de la virilité dans les années 1600, mais qui apparaît aujourd'hui comme plutôt efféminée. Je parlais aussi de bleu et de rose, avec des citations datant des années 1920 dans lesquelles on conseillait aux petits garçons de porter du rose « ardent et terrien », tandis que le bleu « aérien et éthéré » était préféré pour les petites filles. Mon auditoire éclatait de rire et mon argument n'en passait que mieux : ce que nous considérions comme la vérité absolue et certaine du genre avait en réalité changé avec le temps. Le genre n'était pas binaire. Il était variable et peut-être même infiniment.
Une question de pouvoir
Deuxièmement, j'aurais avancé à quiconque me parlant de masculin ou de féminin que ces notions ne relevaient pas uniquement du genre. Qu'il y avait toujours, simultanément, une question de pouvoir. Le pouvoir était, et demeure, une sorte de formule magique dans le milieu universitaire, surtout pour un étudiant découvrant Michel Foucault. À l'époque, ce n'était que discussions interminables sur l'« agentivité » (Qui en avait ? Qui n'en avait pas ? Quand ? Où ?). Dès lors, si quelqu'un niait que le sexe et le genre étaient variables, s'il laissait entendre qu'il y avait quelque chose d'intemporel ou de biologique dans le sexe et le genre, alors, il cherchait en réalité à justifier le pouvoir. Et donc à légitimer des oppressions. Vous voyez le topo ?
Et troisièmement, j'aurais cherché une explication dans le contexte historique montrant, à un moment historique précis, pourquoi on pouvait parler de masculin ou de féminin dans le passé. L'histoire a cela de merveilleux qu'elle est immense. Il y a toujours quelque chose à trouver. Mes travaux portaient sur l'après-guerre, dire que les gens craignaient le retour à la normale après l'arrêt des hostilités n'avait rien d'absurde. Il y avait eu des femmes dans l'armée et dans des emplois « masculins ». L'accent mis sur les distinctions de genre cachait en réalité une volonté de renvoyer les femmes à la maison. Tout n'était question que de contrôle et d'oppression.
Tant que je m'en tenais aux archives et reconstituais la manière dont les gens parlaient dans le passé, j'étais en terrain sûr. Il en va, selon le jargon des historiens, du « comment » de l'histoire. Les historiens privilégient certaines questions par rapport à d'autres. Tout le monde est censé avoir le qui, le quoi, le quand et le où. Ce sont les détails du passé. Mais ce genre de précision, comme l'écrivait le grand historien E. H. Carr, est un devoir, pas une vertu. Il n'y a donc pas matière à se vanter.
Il y a deux autres questions, et ce sont celles qui comptent le plus. La première est le comment. Comment est-ce arrivé ? Comment pensaient les humains du passé ? Répondre à ces questions exige de reconstruire des schémas de pensée. Ce qu'on ne peut jamais parfaitement réussir en général et d'autant plus avec des gens ayant vécu à une autre époque.
Construction sociale
Reste que la plus grande question – la plus importante – est la dernière : Pourquoi ? Dans mon cas : pourquoi les Canadiens d'après-guerre parlaient-ils des hommes et des femmes comme ils le faisaient ? Mes réponses, je ne les ai pas trouvées dans mes recherches primaires. Je les ai tirées de mes convictions idéologiques, même si, à l'époque, je ne les aurais pas qualifiées ainsi. Sauf que c'est bien ce qu'elles étaient : un ensemble de croyances préconçues et intégrées a priori dans la pénombre académique que sont les études de genre.
Tel était mon argument : si les gens parlaient des hommes comme je le décrivais, c'était parce que le genre est une construction sociale dont les contours ne peuvent être attribués qu'au pouvoir et à l'oppression. Les Canadiens avaient recours a une pensée genrée, car cela donnait du pouvoir aux hommes et en enlevait aux femmes, parce que cela structurait la masculinité comme supérieure à la féminité.
Bien évidemment, on pourrait partir de la même base documentaire et déboucher sur d'autres explications elles aussi parfaitement plausibles. Est-ce que les Canadiens d'après-guerre voyaient les hommes comme des preneurs de risque à cause d'une construction sociale ? Oui, c'est plausible. Comme il est tout aussi plausible de penser qu'ils le pensaient… parce que les hommes, en moyenne, prennent davantage de risques que les femmes. Mes recherches ne prouvaient rien, dans un sens comme dans l'autre. Je partais du principe que le genre était une construction sociale et je brodais toute mon « argumentation » sur cette base.
Je ne me suis jamais confronté – du moins pas sérieusement – à une autre opinion que celle-ci. Et personne, à aucun moment de mes études supérieures ou du processus de publication de mes articles de recherche, n'allait me demander de faire preuve d'un tel esprit d'ouverture. En réalité, les seules critiques que j'ai reçues me demandaient de renforcer davantage le paradigme, ou de me battre pour d'autres identités ou contre d'autres formes d'oppression. On pouvait me demander pourquoi je ne parlais pas davantage de classe. Ou pourquoi je me focalisais sur les hommes et laissais les femmes de côté. Même si je m'attelais à déconstruire la masculinité et à montrer qu'elle n'était qu'une construction sociale, il fallait quand même que je m'intéresse aux femmes. Et quid de la sexualité ? Ne pouvais-je pas trouver davantage de références à des hommes non hétérosexuels ? Pourquoi ne pas s'intéresser plus avant à la manière dont la masculinité se construisait parallèlement à la sexualité ? Tant que les questions se bornaient au paradigme dans lequel je m'étais de toute façon déjà limité, toutes étaient bonnes à prendre.
Attentes genrées
Il y en a pourtant d'autres. Les attentes genrées sont-elles réellement si différentes et variables dans le temps et l'espace ? Impossible d'y répondre avec les petites anecdotes que j'adorais citer. Cette question doit être étudiée de manière systématique et comparative. Dans ma propre lecture, je dois admettre que ce que je voyais tenait davantage d'une légère variabilité avec une cohérence centrale manifeste. Que les hommes soient vus comme les principaux pourvoyeurs de ressources, preneurs de risque et responsables de la protection et de la guerre semble une notion assez stable à travers l'histoire et les cultures. Oui, il y a des variations en fonction de l'âge et de certaines particularités culturelles et historiques. Mais sans partir du principe que ces petites différences ont une grande importance, les données disponibles ne vous permettent pas d'arriver à cette conclusion.
Et la question du pouvoir alors, est-elle réellement omniprésente ? Peut-être. Et peut-être pas. Pour prouver que c'était le cas, je ne faisais que citer d'autres chercheurs qui en étaient persuadés. Et encore mieux s'ils étaient philosophes avec un nom français. Je me suis aussi beaucoup appuyé sur les travaux d'une sociologue australienne, R. W. Connell. Selon elle, la masculinité est avant tout une question de pouvoir – et permet d'affirmer la domination des hommes sur les femmes. Sauf que ses travaux ne permettent pas de le prouver. Tout ce qu'elle fait, comme je le faisais, c'est d'extrapoler à partir de petites études de cas. J'ai donc cité Connell. Et d'autres m'ont cité. Voici comment l'on « prouve » que le genre est une construction sociale et une question de pouvoir. Comment on peut prouver n'importe quoi et son contraire.
Mon raisonnement bancal et d'autres travaux universitaires exploitant une même pensée défectueuse sont aujourd'hui repris par des militants et des gouvernements pour imposer un nouveau code de conduite moral. Lorsque je prenais des verres avec d'autres étudiants et que nous bataillions tous pour la suprématie de nos ego, cela ne portait pas trop à conséquence. Mais les enjeux sont aujourd'hui tout autre. J'aimerais pouvoir dire que ce domaine d'études s'est amélioré – que les règles de la preuve et la validation par les pairs sont plus exigeantes. Sauf que, en réalité, l'acceptation aujourd'hui presque totale du socio-constructivisme dans certains cercles est bien davantage le fruit d'un changement démographique au sein du monde académique, avec des points de vue désormais encore plus hégémoniques qu'ils ne l'étaient à l'époque de mes études supérieures.
Il ne faut pas voir dans cette confession un argument pour dire que le genre n'est pas, dans de nombreux cas, socialement construit. Reste que les critiques des socio-constructivistes ont raison de lever les yeux au ciel lorsque de soi-disant experts leur présentent de soi-disant preuves. Les erreurs de mon propre raisonnement n'ont jamais été dénoncées – et n'ont en réalité qu'été confirmées par mes pairs. Tant que nous n'aurons pas un domaine d'études sur le sexe et le genre très critique et idéologiquement diversifié – tant que la validation par les pairs n'y sera peu ou prou que le dépistage idéologique d'un entre-soi –, alors, il nous faudra effectivement prendre avec énormément de pincettes toute « expertise » sur la construction sociale du sexe et du genre.
*Christopher Dummitt est historien de la culture et de la politique. Il enseigne à l'université Trent, au Canada, et est l'auteur de Unbuttoned : A History of Mackenzie King's Secret Life.
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