marinetti

 

Le futurisme est un mouvement littéraire et artistique européen du début du XXe siècle qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, les machines et la vitesse. Le futurisme est né en Italie autour du poète Filippo Tommaso Marinetti qui, plus tard, adhérera au fascisme, et de son Manifeste du futurisme (1909). Les éditions Auda Isarn nous font découvrir ce premier manifeste, ainsi qu'un second dont le titre est: « Tuons le clair de lune ». Dans ses textes, Marinetti va jusqu'à se réclamer du social-darwinisme en exaltant « la guerre, seule hygiène du monde ». Il écrit: « La guerre ? mais oui... Notre seul espoir, notre raison de vivre et notre seule volonté », ajoutant: « C'est pourquoi nous enseignons aujourd'hui l'héroïsme méthodique et quotidien; le goût du désespoir, par qui le cœur donne tout son rendement; l'habitude de l'enthousiasme; l'abandon au vertige... Nous préférons la mort violente, et nous la glorifions comme la seule digne de l'homme ». Le futurisme prône l'amour de la vitesse (Luigi Russolo, Dynamisme d'une automobile) et de la machine en exaltant la beauté des voitures, ainsi que la nécessité de la violence pour débarrasser l’Italie du culte archéologique du passé. Tout part de ce jeune écrivain italien, né en Egypte le 22 décembre 1876, Filippo Tommaso Marinetti.

 

FilippoTommasoMarinetti

Le Manifeste du futurisme

Il a 32 ans quand il lance, le 20 février 1909, dans les colonnes du Figaro, un véritable pavé dans la mare de l'art académique, avec la parution de son « Manifeste du futurisme ». Il y proclame: « Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité. Nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas de gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse », poussant la provocation jusqu'à écrire: « Une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace ». Et Marinetti d'exhalter « les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leur fumées, les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés »; «la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques »; « les locomotives au grand poitrail qui piaffent sur les rails, tels d'énormes chevaux d'acier bridés de longs tuyaux ».

 

train

 

Pour Marinetti et ses amis, c'en est fini des « musées innombrables qui couvrent l'Italie d'innombrables cimetières ». Et d'ajouter, allant encore plus loin dans la provocation: « Viennent donc les bons incendiaires aux doigts carbonisés ! Les voici ! Et boutez donc le feu au rayon des bibliothèques ! Détournez les cours des canaux pour inonder les caveaux des musées ! Oh ! Qu'elles nagent à la dérive, les toiles glorieuses ! » Mais qu'en est-il de l'Homme ? Marinetti répond: « Notre conscience rénovée nous empêche de considérer l’homme comme le centre de la vie universelle. La douleur d’un homme est aussi intéressante à nos yeux que la douleur d’une lampe électrique qui souffre avec des sursauts spasmodiques et crie avec les plus déchirantes expressions de la douleur. » Le peintre futuriste Boccioni s'engage quant à lui, dans la glorification de gifles ou de coups de poing pour secouer l'Italie : avec Rixe dans la galerie il montre une foule attirée par un pugilat entre deux femmes. Plus qu'un mouvement, nous dit Wikipedia, évoquant le dernier manifeste futuriste de 1939, le futurisme devient un art de vivre et une véritable révolution anthropologique.

 

« Brulons les gondoles, balançoires à crétins »

Il touche la peinture, la sculpture, la littérature, le cinéma, la photographie, le théâtre, la mise en scène, la musique, le bruitisme, l'architecture, la danse, la typographie, les moyens de communication, et même la politique, la cuisine ou la céramique. La musique fait aussi les frais des théories futuristes. Russolo et Pratella, font l'apologie du bruit, par exemple le bruit d'une usine, qui se différencie du son, de la musique. Quant à l'art, ils vont inventer le dispositif « artistique » (les guillemets s'imposent) appelé « performance » (très à la mode aujourd'hui) associant théâtre, peinture, «musique » bruitiste et diverses provocations. Reconnaissons cependant qu'il y a des domaines où le futurisme créa de belles œuvres: l'architecture et la peinture notamment. Les futuristes ne reculaient devant aucune provocation, répudiant la « Venise des Etrangers, marché d'antiquaires et de brocanteurs frauduleux, pôle aimanté du snobisme et de l'imbécillité universels », une « ville pourrissante, plaie magnifique du passé », écrira Marinetti. Et de poursuivre: « Brûlons les gondoles, ces balançoires à crétins. Vienne enfin le règne éclatant de la Divine électricité qui délivrera Venise de son vénal clair de lune d'hôtel ».

 

Le futurisme et les femmes

Un texte de Marinetti, datant de 1911, illustre parfaitement par son titre, « Le Mépris de la femme », la misogynie des futuristes. Extraits: « Nous méprisons l'horrible et pesant Amour qui encombre la marche de l'homme et l'empêche de se surpasser »; « Nous sommes persuadés que l'amour, sentiment et luxure, est la chose la moins naturelle au monde. Il n'y a de naturel que la continuation de l'espèce »; « L'amour, obsession romantique et volupté, n'est autre chose qu'une invention des poètes ». La suite est amusante. Les futuristes soutiennent les suffragettes: «Nous défendons avec la plus grande fermeté le droit des suffragettes, tout en plaignant leur enthousiasme enfantin pour le misérable et ridicule droit de voter ». La raison, pour Marinetti ? « Le parlementarisme est presque partout une forme usée. Le peuple ne pourra jamais être représenté par des mandataires qu'il est inhabile à choisir ». Et Marinetti de faire appel au bavardage des femmes pour abattre le système ! Il écrit: « J'entrevois avec plaisir l'entrée agressive des femmes sous les différentes coupoles à bavards ! Où trouverons-nous une plus impatiente dynamite de désordre et de corruption ? » Marinetti poursuit: « Presque tous les parlements d'Europe sont de bruyantes basses-cours, des auges, ou des égouts ». Conclusion du guide du futurisme: « Nous, qui méprisons profondément la politique, nous sommes heureux de la livrer aux griffes rancunières des femmes; car c'est bien aux femmes, c'est bien à elles qu'est réservé le noble rôle de tuer définitivement le parlementarisme ».

 

Gerardo Dottori Mussolini thumb

 

Fascisme et futurisme

Marinetti est, à ses débuts, proche des thèses de Bakounine, de Sorel et des syndicalistes révolutionnaires. En 1909, est publié le Primo manifesto politico. Lors des élections de 1913, lit-on sur Wikipédia, Marinetti, Boccioni, Carrà et Russolo ont établi un programme politique futuriste qui évoque la protection économique du prolétariat et qui propose l'expansion coloniale. Il tient des conférences intitulées Nécessité et beauté de la violence et, s'éloignant des anarchistes, va glorifier "l'expansion nationale", soutenir la guerre en Lybie, et rejoindre l'Associazione Nazionale d'Avanguardia, constituée par des anarchistes et des nationalistes qui s'éloignent du syndicalisme révolutionnaire. Se rapprochant des milieux nationalistes italiens, il milite, comme Mussolini, pour l'entrée en guerre de son pays. Il s'engage en 1915 mais est blessé en 1917. Il fait partie des 119 personnes présentes le jour de la fondation, en mars 1919, des Faisceaux italiens de combat, fondés par le futur Duce. Dans l'écrit intitulé Che cos'è il futurismo. Nozioni elementari, daté de 1920, les buts politiques sont plus détaillés : mise en place d'une armée de volontaires, modernisation du service de sécurité public et prise en mains du gouvernement italien par des jeunes qui se sont battus sur le front. Mussolini connaissait Marinetti depuis 1915 et appréciait l'environnement intellectuel révolutionnaire des futuristes. À partir de sa prise de pouvoir en 1922, il s'inspire de leur volonté déterminée de renouvellement, de leur éloquence agressive et de leur bonne organisation de groupe, lit-on sur Wikipédia. En 1924, Marinetti réfléchit au lien entre art et politique en Italie dans son traité Futurisme et fascisme. Il met en valeur le rôle pionnier du futurisme et souligne les rapprochements possibles avec le fascisme. Notons cependant que des futuristes se sont réclamés de nombreux autres mouvement politiques, tels que le marxisme, le socialisme et le communisme. Plus tard, Mussolini prendra ses distances avec le futurisme lorsque le fascisme entrera dans sa phase conservatrice en se rapprochant de l'Église catholique et de la monarchie. On lit cependant sur Wikipédia que des artistes de la seconde phase futuriste, comme Enrico Prampolini, Gerardo Dottori et Mario Sironi ont décoré des salles pour les grands spectacles d'auto-représentation de l'État fasciste comme la Mostra della Rivoluzione Fascista de Rome en 1932. Curieusement, Marinetti acceptera en 1929 un poste à la nouvelle Reale Accademia d'Italia et sera même décoré en 1930 de la Légion d'honneur, alors que les futuristes ont toujours dénigré les professeurs ignorants et les « académies podagres ». En fait Mussolini, contrairement à Hitler et à Staline qui détestent l'art moderne et le combattent violemment (cf la campagne contre « l'art dégénéré » en Allemagne), cherche à s'attirer le soutien des artistes avant-gardistes. Il voudra cependant promouvoir l'art antique et une architecture monumentale, destinée à être « éternelle », loin des thèses futuristes. Mais le fascisme, en s'appuyant sur ces nouvelles formes de modernité picturale, en quelque sorte révolutionnaires, montrait ainsi sa volonté de rompre avec le passé, et sa fascination pour la technique et la vitesse. Fidèle au fascisme bien que le fascisme conservateur n'apprécie guère son goût pour « l'art dégénéré », Marinetti ira jusqu'à s'engager à nouveau en 1942 mais, malade, devra renoncer. Il meurt d'une crise cardiaque le 2 décembre 1944.

Robert Spieler – Rivarol 2021

« Tuons le clair de lune » de F.T. Marinetti, 65 pages, 12 euros (port gratuit pour les lecteurs de Rivarol), Auda Isarn BP 90825 - 31008 Toulouse cedex 6

 

Une curiosité: Auda Isarn nous propose aussi un roman policier décrit dans la présentation comme « un polar antimaçonnique vitaminé », paru en 1943. Son auteur ? Henry Coston ! (126 pages, 12 euros).

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Autre ouvrage passionnant paru chez Auda Isarn: « Bagnes et camps de l'Epuration française » (240 pages, 20 euros). Nous en reparlerons prochainement.

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