Patron des chasseurs, guérisseur de la rage, saint Hubert, dont l'Église célèbre la fête le 3 novembre, est le grand thaumaturge de l’Ardenne. La légende de saint Hubert est aussi l'une des plus belles et des plus célèbres du Moyen Age, car, on le verra, l'histoire, d'après les documents anciens, est bien différente.
D'après la légende, donc, Hubert était le fils du duc d'Aquitaine, Bertrand, descendant du premier roi des Francs, Pharamond. Envoyé par son père à la cour du roi Thierry Ier, à la suite de désaccords avec le maire du palais, Ebroïn, il se réfugia chez son parent Pépin d'Héristal et, là, il épousa Floribane, la fille du comte de Louvain, Dagobert. Alors arriva le miracle célèbre répandu dans toute l'Europe par l'imagerie sacrée.
Crucifié entre les bois d'un cerf
«Tandis que Pépin cherchait à s'attacher son cher Hubert, lit-on dans un vieux récit, Notre Seigneur, en voulant faire une des plus brillantes lumières de son Église, le retira des embarras du siècle d'une manière fort extraordinaire, lui apparaissant crucifié entre les bois d'un cerf, lorsqu'il se divertissait à la chasse dans les forêts d'Ardenne, et lui adressant ces paroles : «Hubert, Hubert, jusqu'à quand poursuivrez-vous les bêtes des forêts et vous amuserez-vous aux vanités du monde ?»
La légende a encore enjolivé la scène, situant l'événement un Vendredi saint, par le fait qu'Hubert, poussé par la passion de la chasse, aurait oublié un tel jour ses devoirs religieux.
D'après un autre récit, c'était le jour de Noël. Un cerf d'une grandeur extraordinaire se leva dans la forêt. Hubert se jeta sur sa trace. «Arrivé à un site qui est maintenant le lieu des guérisons (1), l'animal poursuivi s'arrêta, les chiens n'osèrent avancer, et le Crucifié, dont Hubert désertait le souvenir, lui apparut rayonnant entre les bois du cerf. »
Hubert devint ensuite un saint ermite jusqu'au jour où un ange lui ordonna d'aller en pèlerinage à Rome. Durant le voyage, l'évêque Lambert de Maëstricht fut assassiné, et Dieu révéla au pape qu'il devait sacrer Hubert pour le remplacer. Celui-là refusa d'abord, par humilité, mais soudain les Anges du Ciel parurent en l'air au milieu de l'église, avec les habits pontificaux de saint Lambert. Hubert se soumit et pendant les cérémonies du sacre un ange apporta du Ciel une très belle étole envoyée par la Vierge et saint Pierre, une clef d'or, pendant qu'il célébrait la messe de son sacre.
Ces trois miracles forment le cadre de la légende de saint Hubert (2).
Celui-ci revint de Rome par son diocèse et transporta le corps de saint Lambert de Maëstricht à Liège, qui devint le siège de l'évêché. Premier évêque de Liège, Hubert mourut en 727, et son corps fut plus tard transporté à l'abbaye d'Andage, aujourd'hui Saint-Hubert d'Ardenne, qui fut jusqu'à nos jours le lieu d'un pèlerinage célèbre où venaient se faire guérir tous ceux qui avaient été mordus par un animal enragé.
Le «chasseur noir» de la forêt d'Ardenne
L'histoire est infiniment plus simple. Des origines princières de saint Hubert elle ne dit rien. Elle nous apprend seulement qu'il a été disciple de saint Lambert, qu'il lui a succédé comme évêque, qu'il a transporté le siège épiscopal de Maëstricht à Liège et qu'il est mort de maladie. Le reste sort de l'imagination du peuple et de celle de ses biographes, mais c'est la légende qui s'est imposée et qui est devenue vraiment la réalité.
Le mythe peut s'expliquer ainsi. A cette époque, les solitudes de la forêt d'Ardenne étaient restées en dehors de l'évangélisation chrétienne, et ce fut d'ailleurs un des mérites du saint de convertir les paysans de cette région. Pendant tout le Moyen Âge, l'Ardenne est décrite par les poètes comme un pays étrange et de traversée redoutable. C'était aussi un pays de grande chasse peuplé par les loups, les cerfs et les sangliers. Diane, déesse de la Chasse, y était particulièrement honorée, ainsi qu'en témoignent plusieurs inscriptions.
Mais, chez les Grecs, Diane était également invoquée contre la rage. Il semble donc que saint Hubert ait pris, avec la bénédiction de l'Église, la place de la Diane païenne, à la fois comme patron des chasseurs et comme guérisseur de la rage.
L'apparition miraculeuse d'un cerf crucifère trouve son origine dans des croyances germaniques, bien antérieures au christianisme, concernant la «chasse sauvage». C'était un tourbillon qui passait à l'horizon au-dessus des têtes, avec des bruits étranges. On l'attribuait à un être surnaturel qui chassait dans les nuées avec sa meute. Les nouvelles croyances chrétiennes firent de cette chasse un rite expiatoire. Un grand de ce monde, ayant gravement péché, aurait été maudit et «ce chasseur noir», en punition de ses crimes, devait chasser jusqu'au Jugement dernier.
Toutes ces légendes, tous ces mythes anciens se transformèrent sous l'influence du clergé chrétien et se cristallisèrent autour de la personne de l'obscur successeur de l'évêque de Maëstricht.
Claude Laforêt
Note :
1) A saint-Hubert d’Ardenne
2) La clef et l’étole étaient également les principaux objets dont on se servait pour guérir les victimes de la rage
Sources : Histoire magazine – N° 10, 1980.