« Je travaille à la trame des temps et je tisse la robe vivante des dieux ». Goethe.
Il fut un temps où les oiseaux du ciel étaient les messagers des dieux, un temps mythique où le langage des Hommes était encore amarré aux rivages de la poésie, et où la mort n'était qu'un rêve. Gravées au burin d'une mystérieuse rhétorique, les estampes d'Aude de Kerros gardent peut-être quelque chose de ce temps hors du temps qui persiste confusément dans le matin profond de notre mémoire. On se souvient de ce mot de Goethe : « je travaille à la trame du temps et je tisse la robe vivante des dieux », mais aussi et surtout de cet autre mot, de Charles Maurras : « Il n'y a que le vers pour tenir dans ses griffes d'or l'appareil éboulé de la connaissance », l'un comme l'autre deviennent viatiques en des temps que nous traversons, obombrés par la « haine du secret ».
Une audace certaine est requise pour exposer un art de « l'apparaître » en ces temps du « paraître », un art du pays réel quand règnent concept et propagande sociétale du « pays légal ». Nous savons depuis Charles Maurras que le second n'a pour but que de détruire le premier, mais sans toujours prendre la pleine mesure de cette lutte à mort.
Miroir et réplique - au sens sismique du terme - des tréfonds de la société, le théâtre de l'art rend visible cette lutte à mort. L'art conceptuel (dit aussi « AC ») projette dans le champs du visible dans nos places et musées publics, les images spectrales du « pays légal ». A l'autre extrémité, les gravures réalisées par Aude de Kerros, disent lorsqu'on les écoute avec les yeux, quelque chose des héritages buissonniers et des orées tremblantes du « pays réel ». Saluons donc cette initiative non conformiste de Rosie Barbanegra.
Entreprendre la critique de l'œuvre de Aude de Kerros est une démarche non moins audacieuse. Dans un passé récent, je m'y suis pourtant risqué, mais sans grandes percées heuristiques. Mon œil, exercé aux arts figuratifs, trouve peu d'ancrage aux arts qui le sont moins. Pour être tout à fait honnête, l'œuvre « kerrosien » me laisse le plus souvent sans voix - mais non sans voie. Ces estampes nées des amours du métal et de l'âme, qui ont la faveur d'une exposition parisienne, semblent se suffire à elles-mêmes.
« On circonscrit, on ne définit pas », ce mot de Dominique le Roux nous indique sans doute une balise sur cette autre voie dégagée des tentations livresques et présomptueuses, à laquelle l'art singulier de Aude de Kerros nous appelle.
Écoutons les ressacs de sens qui en jaillissent, mais aussi l'art et la manière de voir du prêtre romain face à son « templum », découpe sacrée du ciel, en quête de signatures divines. Oui, contemplons les estampes de Aude de Kerros en augure !
Les estampes où apparaissent feuillage doré sur fond de ciel bleu qui n'est pas sans évoquer ce « bleu préféré des abeilles » cher à Dominique de Roux. Et que lit-on d'autre ? Le nom d'une artiste, Aude de Kerros, celui d'une galiériste, Rosie Barbanegra, et quoi d'autre ? Le nom d'un hôtel parisien, et une adresse postale : le 13 rue « Payenne ».
Curieux nom de rue ! homonymie où passe plus d'une épiphanie « païenne », plus d'un dieu « païen » au-devant de notre espérance chrétienne. Quant aux jours de l'événement - mercredi 28 et jeudi 29 juin 2023 - ne sont-ils pas jour de Mercure, dieu du commerce et jour de Jupiter, dieu suprême des Romains ?
Sous cette double égide, souhaitons de fastes heures à cette exposition qui honore l'art comme il se doit, pour le seul bien de nos âmes, ressourcées à leurs légendes natives.
« Je me réchauffe au feu d'une estampe. Crépitement de parole et de pitance. J'ai prié le Très Haut pour qu'il me donne le "pain de ce jour" ; il m'envoie le jour de ce pain en échange, miettes de silence tombées dans le cœur ».
Contact :
Frédéric Andreu