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« Le pire quand on cherche la vérité, c’est qu’on la trouve » (Remy de Gourmont)

Nihil sine ratione, rien n’est sans raison. Ainsi des évènements politiques et religieux qui se perdent pour beaucoup dans la nuit des temps, déterminent aujourd’hui non seulement la politique israélienne et la tragédie palestinienne, mais concernent le cœur de la politique mondiale.

En effet, les gouvernements occidentaux ignorants de l’histoire des religions et ne tenant pas compte des couches sédimentaires déposées dans les esprits au cours des siècles par les mythes, négligent leur l’influence sur les mentalités des nations. Ils s’imaginent, par exemple, qu’Israël est un État qui fonctionne comme tous les autres États rationnels de la planète, à une petite différence près – il est à la fois récent et monstrueusement armé.

Certes, il s’agit, en apparence, d’un État moderne, et même qualifié de « seule démocratie du Moyen-Orient », puisqu’on y vote, et même beaucoup. Mais l’intérieur des têtes des habitants est demeuré celui des Judéens du temps des rois Ezéchias et Josias huit siècles avant notre ère, lesquels fantasmaient déjà sur les royaumes mythiques de David et de Salomon.

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Les fantômes sont increvables.

Et aujourd’hui, ils frétillent de plus belle à l’intérieur des crânes. Ils ont même si bien pris le commandement des cervelles qu’ils dirigent en maîtres la politique du nouvel État qui s’est propulsé en Palestine. De la Babylonie de Nabuchodonosor à l’Iran il n’existe, pour ces dirigeants-là, qu’une insignifiante virgule de temps, un simple clin d’œil de l’éternité. C’est pourquoi il est si important d’essayer de remonter au plus près de la naissance des mythes afin de tenter de suivre leur trajectoire et de comprendre par quels chemins tortueux la Palestine originelle est devenue aujourd’hui un gigantesque Archipel du Goulag.

Les dieux naissent, vivent et meurent. Il arrive même qu’ils ressuscitent.

Depuis la nuit des temps, l’histoire de la planète est scandée par le rythme des apparitions et des disparitions des dieux. Les jours succèdent aux nuits, les saisons se suivent en une ronde immuable et toujours des dieux par dizaines ont peuplé les continents. Tous ont connu des cortèges d’orants et de sacrificateurs. Telle est la dure loi par laquelle un dieu prouve qu’il est vivant.

 

Sans fidèles, pas de dieu vivant.

Mardouk, Jupiter, Junon, Athéna, Aphrodite, Isis, Osiris, Amon Râ, Odin, Wotan, Frija et combien d’autres, autant de contemporains de Jahvé ! Camos, ou Kemosh, était le dieu personnel des Moabites ; Melqart était la divinité tutélaire de la cité de Tyr. Dieu des richesses, de l’industrie et de la navigation, adoré, non seulement à Tyr, mais dans toutes les colonies phéniciennes, à Gadès, à Malte, à Carthage ; Adad ou Adda était la divinité de l’Orage et de la Fertilité de la Mésopotamie et de la Syrie ; Ba’al, connu dans la Bible sous le nom de Bel était un dieu cananéen.

Tous ces collègues et contemporains de Jahvé ont disparu dans les oubliettes de l’histoire.

Ailleurs sur la planète, Quetzalcoatl, le puissant roi des dieux aztèques, n’avait pas su se défendre contre le dieu conquérant des barbares colons ibériques. Les divinités incas ou mayas avaient sombré avec la disparition des empires dont elles soutenaient la gloire. Qui connaît le Panthéon des divinités océaniennes, aussi nombreuses et variées que le Panthéon des Grecs ?

L’histoire des dieux est parallèle à celle des hommes dont ils ont habité les têtes. Toutes ces divinités ont disparu de la mémoire des hommes comme ont disparu les royaumes dont ils assuraient la « protection ».

Toutes, sauf une.

Seul, parmi tous ses anciens collègues, contre lesquels il avait souvent bataillé ferme, Jahvé est toujours là.

Toujours vivant.

Seul il continue de jouir du bonheur de n’avoir pas été abandonné par ses fidèles.

Jahvé est un vestige des temps préhistoriques, une sorte de fossile psychologique sorti du permafrost des mentalités religieuses qui ont existé en des temps lointains durant lesquelles chaque écharpe de terre possédait sa divinité tutélaire.

 

I – Le mythe ou la légende dorée du jahvisme  

Un petit groupe de nomades belliqueux, pérégrinant à la recherche d’un lieu où déposer ses pénates, prétendit un beau jour qu’un extraterrestre chu de la galaxie guidait leur destin et qu’ils étaient ses précieux chouchous. De plus, ce notaire intersidéral leur aurait accordé le privilège de s’installer sur une petite langue de terre, pourtant particulièrement ingrate, déjà occupée et coincée entre deux grands empires, l’Égyptien et l’Assyrien.

Ils clamèrent alors urbi et orbi qu’ils en étaient les propriétaires. En application de l’inversion accusatoire qu’ils surent exploiter efficacement à maintes reprises, ils qualifièrent les premiers occupants de squatters de leur bien foncier. Ils jouèrent vigoureusement des coudes afin d’expulser les bipèdes qui vivaient pourtant sur cette terre depuis des siècles – huit siècles pour la ville Jéricho, au point que ses murailles étaient déjà en ruines et que le son des trompettes n’y était pour rien.

Réussite sur toute la ligne : en application des conseils de leur protecteur scrupuleusement consignées dans leurs archives, les nouveaux venus s’approprièrent des maisons déjà construites et utilisèrent l’eau de puits déjà creusés. Une occupation mouvementée s’ensuivit, émaillée de guerres permanentes avec les voisins.

Bouffis d’orgueil d’avoir un protecteur galactique, les fidèles du dieu Jahvé se crurent capables de résister à l’empire romain en train de conquérir la province de Judée et rejetèrent avec mépris les injonctions fiscales et religieuses des vainqueurs. Les dieux de l’empire romain venaient, en effet, de triompher d’un Jahvé défait à Massada. Dans la foulée, les Judéens faillirent disparaître corps et biens de la surface de la terre – le mot « juifs » n’existait pas à l’époque.

Des convois remplis des richesses du temple, prirent la route de Rome accompagnés des notables enchaînés et des artisans jugés aptes à une servitude efficace. Tous connurent l’opprobre de défiler derrière le char du vainqueur lors de la cérémonie du « Triomphe » de l’empereur Titus célébrant dans la capitale la victoire de Rome sur les Judéens.

La maison de Jahvé fut rasée jusqu’au sol, seule une partie du mur de soutènement de l’esplanade du temple, connue de nos jours sous le nom de « mur des lamentations », a échappé à l’acharnement des démolisseurs. Deux mille ans d’errances et de persécutions attendaient le peuple de Jahvé.

Lourde est la poigne des empires sur l’échine des vaincus.

Pendant ce temps, le dieu Jahvé avait été submergé par un confrère et rival né en son sein et sur ses propres terres. Après des débuts difficiles dus à l’hostilité féroce des dieux romains, le nouveau dieu sut capter les faveurs de millions de partisans enthousiastes. Sa forme olympique et l’attrait de ses exploits séduisirent rapidement de plus en plus de fidèles. Capable de marcher sur l’eau sans se noyer, de ressusciter des morts et même de se ressusciter lui-même, la comparaison était cruelle entre une jeune divinité vigoureuse et un éclopé de l’histoire, un infirme couturé de cicatrices et objet de dérision.

Les fidèles du nouveau dieu prirent leurs aises sur d’immenses territoires qu’ils se conquirent progressivement et, durant une vingtaine de siècles, méprisèrent le dieu clopinant et devenu errant.

Ils s’imaginèrent même qu’ils l’avaient définitivement vaincu.

Ils avaient tort.

La résurrection d’un dieu est un phénomène aussi miraculeux que celui de son apparition. Jahvé n’était pas mort.

Jahvé dormait d’un œil, mais l’autre veillait.

Et le miracle se produisit.

Dans les plaines d’Ukraine, Jahvé contemplait maintenant avec dilection les rudes guerriers khazars qui s’étaient ralliés à son panache blanc : une garde rapprochée musclée, nombreuse et enthousiaste sans laquelle il savait de science certaine que son règne se serait étiolé. Sa maigre petite troupe judéenne, effilochée au gré de ses haltes dans une multitude de territoires au gré de ses errances, n’aurait jamais eu la force suffisante de le maintenir en vie.

En effet, disséminés dans les plaines d’Ukraine, de Russie et de Pologne, les vigoureux et nombreux catéchumènes du Talmud jouissaient de l’enthousiasme des nouveaux convertis. Ils se languissaient d’une terre qu’aucun de leurs ancêtres n’avait connue. Une armée ardente de Chevaliers à la Triste Figure tendait des mains suppliantes en direction de sa Dulcinée, en direction de son rêve, en direction de Sion. Vers la terre rêvée se tournaient les âmes sionistes des marches de l’Est européen et de l’Asie centrale.

Jahvé reprenait des forces dans les souterrains de l’histoire et dans les vastes plaines de l’Europe centrale.

« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ». (Karl Marx).

Les principales étapes de la résurrection du dieu Jahvé sont connues.

Un premier roulement de tambour avait retenti en 1791 avec le Décret d’émancipation des juifs voté par l’Assemblée Constituante française. Le dieu Jahvé avait alors entr’ouvert un œil. Les révolutionnaires optimistes et enthousiastes invitaient les fidèles du dieu à se détourner des ratiocinations des vieilles barbes rabbiniques, les tenaces jardiniers d’une « haie de lois talmudiques » qui interdisaient à leurs ouailles toute intégration à la nation sur la terre de France.

Comme rien n’advenait, un roitelet qui se prenait pour un empereur tout-puissant se crut assez convaincant pour réussir ce que la Révolution n’avait pu réaliser : fondre le peuple de Jahvé dans le peuple de France et lui faire oublier les préceptes ségrégationnistes qui lui enjoignaient, menaces féroces à l’appui, de refuser toute intégration à la nation dans laquelle ils s’étaient établis. Finalement le Talmud triompha des illusions de l’empereur des Français et Jahvé maintint ses fidèles derrière la clôture de la loi talmudique.

Le 29 août 1897 lors du premier congrès sioniste qui se tint dans la bonne ville de Bâle, le dieu Jahvé bondit officiellement hors du cercueil dans lequel ses rivaux croyaient l’avoir enfermé. Alors qu’ils se préparaient à planter le dernier clou dans le couvercle, il leur fit un pied de nez cosmique et un grand rire zébra la nue. Jahvé se préparait à déployer la grande aile du sionisme politique sur le globe terrestre.

La bombe atomique éclata le 27 novembre 1917 sous la forme de la Déclaration Balfour, prélude à la loi qui, aujourd’hui, définit officiellement Israël comme « l’État-nation du peuple juif ». La cloche des victoires à venir se mit à sonner à toute volée.

Le calvaire des résidus du peuple de Jahvé, menu fretin demeuré sur place dont les Romains n’avaient pas jugé digne de s’encombrer, pouvait donc commencer dans l’indifférence universelle. Rebaptisés Palestiniens, du nom ancien de la province et de la toponymie romaine, ce calvaire semble n’avoir pas de fin.

Le XXe siècle semblait prêt pour accueillir l’épopée de la résurrection du dieu Jahvé et son retour en majesté sur la terre de ses rêves. Mais un épisode de durs tourments sembla en perturber le déroulement au milieu du XXe siècle. Il en fit douter plus d’un. Jahvé aurait-il abandonné son peuple à la barbarie teutonne ? Certains crurent même, une fois de plus, qu’il était mort.

Mais le dieu Jahvé, en position de survie, veillait, le dieu Jahvé attendait secrètement son heure. Il attendait le moment propice de revenir en boomerang dans l’histoire. Il savait que plus l’épreuve est cruelle, plus éclatante sera la résurrection.

C’est ainsi que le dieu sortit renforcé d’un temps de chagrins et de douleurs.

Sur le trampoline de sa mémoire il bondit hors du tombeau psychique dans lequel l’histoire l’avait enfermé. Il bondit plus haut, de plus en plus haut et jusqu’à occuper la place dont il rêvait depuis trois millénaires – la première.

Plus personne n’ose s’opposer à sa puissance. Les temps heureux de Esdras et de Néhémie sont revenus. Comme lors du retour des exilés de Babylonie, une féroce purification ethnique est en marche. Haro sur la souillure indélébile provoquée par les traces dans les têtes d’un dieu du désert né dans la lointaine Arabie. Dehors les impurs !

Depuis lors, confortablement installé sur un cumulus, le dieu Jahvé observe les succès de ses troupes à l’Est, à l’Ouest, au Nord et au Sud.

Il médite sur sa force et se frotte les mains en riant dans sa barbe.

À ceux qu’ils jugeaient injustement trop heureux, les collègues romains de Jahvé rappelaient que la roche tarpéienne est proche du Capitole.

 

II – Une déconstruction du mythe

Les fondations mythiques de l’imaginaire religieux juif

Atterrissage dans le réel sur la terre ferme. Après des efforts acharnés de la philologie moderne et des progrès de l’archéologie biblique, les exégètes modernes sont arrivés à séparer à peu près le vrai du mythe.

En effet, les croyants de cette religion raisonnent sur Moïse, David, Salomon, Josué, comme si les descriptions des expéditions guerrières de ces personnages cités dans la Bible étaient à prendre au pied de la lettre et représentaient le fruit d’articles de journalistes « embedded » dans leurs guerres. N’ayant aucune notion de chronologie historique, ils oublient – ou n’ont jamais su – que les récits concernant ces hommes ont flotté durant des siècles dans les brumes des traditions orales.

Que saurait-on des croisades, par exemple, si ces expéditions ne nous avaient été transmises que par ouï-dire après un millénaire et plus ? Quand on voit qu’il est impossible, soixante-dix ans après les faits, de savoir ce qui s’est réellement passé tant sur les champs de bataille européens que dans les camps de concentration durant la Seconde Guerre Mondiale, alors que nous disposons de millions de documents dans toutes les langues de la terre, on comprend mieux le peu de crédit historique qu’il est légitime d’accorder à des récits portant sur des évènements survenus dans une société qui à cette époque ne connaissait pas l’écriture et qui ont cheminé durant mille ans dans les souterrains de mémoires anonymes, fragments divers compilés en un ensemble par d’habiles littérateurs.

Un exemple spectaculaire, celui de Jacques Attali. Il n’échappe pas à cette naïveté lorsque dans son ouvrage Les juifs, le monde et l’argent, il parle du type d’économie régnant du temps des Juges et des Rois ou de l’économie des Israélites au moment de la sortie d’Égypte uniquement à partir des renseignements fournis par les textes bibliques, parce que cela ne fait aucun doute dans son esprit qu’une « sortie d’Égypte » a bien eu lieu et qu’une économie organisée « du temps des Juges » a existé. C’est pourquoi cet ouvrage sous-titré Histoire économique du peuple juif est à l’histoire et à l’économie ce que Alice au pays des merveilles est à une étude scientifique des mœurs des chats et des lapins.

 

Les archéologues au travail

Durant des siècles, et même jusqu’aux années 1980, les textes bibliques ont été considérés comme le récit historique du passé du « peuple élu » et des armées d’archéologues, tels des termites, ont creusé tous les lieux cités dans les textes et exploré mètre après mètre le désert du Sinaï, surtout depuis la création de l’actuel État d’Israël, afin de mettre en évidence la vérité historique des récits bibliques et de justifier le « retour des juifs » sur leur terre. Mais rien n’est venu récompenser les efforts des terrassiers, qui n’en continuent pas moins de transformer, en ce moment, le sous-sol de la grande mosquée Al Aqsa de Jérusalem en gruyère, dans l’espoir de trouver les mythiques fondations du Temple au risque de provoquer des dommages irréparables à cet antique lieu de culte musulman.

À la suite des recherches des archéologues américains Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, et de l’anthropologue italien Mario Liverani, ce fut un tsunami, une tabula rasa. Pas la moindre trace de grandeur mythique du temps des patriarches ou des rois n’émerge de leurs recherches.

Du coup, les archéologues se sont résolus à utiliser la méthode inverse. Ils essaient de reconstituer le passé à partir des observations archéologiques et de tous les documents à leur disposition, mais en les soumettant à une rigoureuse et impartiale critique. La vérité historique n’est pas la vérité biblique.

Loin de prendre au pied de la lettre les récits bibliques, les « nouveaux historiens » comparent les découvertes archéologiques réalisées en Palestine aux documents issus des fouilles en Égypte et en Mésopotamie en passant outre au prétendu « particularisme » du récit biblique. Ils ont ainsi mis en évidence les innombrables similitudes sociologiques qui existaient entre l’Israël ancien et les grands pays limitrophes.

Le récit biblique est truffé d’emprunts aux civilisations voisines.

 

Quelques célèbres inventions bibliques : Abraham, et Moïse, Josué etc.

Le Pentateuque (les cinq livres de Moïse), appelé Torah dans le judaïsme (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome), fut le plus gravement ébranlé. Les Prophètes (Josué, Juges, Samuel, Rois, Chroniques, Esdras et Néhémie) subirent également un rude décapage.

Seuls les textes plus récents contenus dans les Livres prophétiques (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel), les Psaumes, les Proverbes, le sublime poème érotique appelé Cantique des cantiques – qui a résisté durant des siècles aux indigestes commentaires métaphorico-théologiques – ainsi que les préceptes moraux de l’Ecclésiaste sortent à peu près indemnes de cette rude cure de vérité historique.

Les grands mythes comme la Création ou le Déluge sont admis depuis des dizaines d’années. Les Patriarches et les péripéties de l’Exode sont d’autant plus délicats à démythifier que c’est dans la Torah – le livre le plus vénéré du judaïsme – que figure le fameux concept d’élection. Une proportion importante d’israélites l’interprète comme l’expression d’une supériorité qui légitime un impérialisme culturel et politique ainsi qu’un ethnocentrisme raciste.

 

Abraham

On situe l’existence d’Abraham au XVIIIe siècle avant notre ère. Né à Ur il se serait rendu à Haran en Turquie du Sud, jusqu’au jour où Jahvé lui aurait ordonné de se rendre à Canaan en Palestine. Sa tombe se trouverait, selon la Genèse, à Hébron, en Palestine occupée. La Bible indique avec précision les détails de ce voyage, elle mentionne les villes et les bourgades traversées, les caravanes de chameaux rencontrées. Un vrai reportage journalistique.

Or, l’archéologie dévoile qu’à l’époque citée, la plupart des villes et bourgades énumérées n’existaient pas encore et que dans la région, le dromadaire n’a été domestiqué qu’au VIIe siècle av. Jésus-Christ. « L’archéologie prouve de façon indubitable qu’aucun mouvement subit et massif de population ne s’est produit à cette époque », écrivent les archéologues Finkelstein et Silberman.

En conclusion, pas de patriarche fondateur politique de la nation, donc pas de Isaac en chair et en os, pas de descendance, pas de douze tribus d’Israël.

En revanche le récit symbolique est fondateur d’un important progrès religieux : à partir du VIIe siècle avant notre ère, date de la compilation des textes les plus anciens, un animal est substitué aux sacrifices humains, notamment des enfants premiers-nés, couramment pratiqués à l’époque supposée d’Abraham.

 

Moïse

Les plus anciennes légendes sur Moïse datent du XVe siècle avant notre ère. Les scribes tardifs ont compilé des légendes mésopotamiennes durant le premier exil à Babylone. Il s’agit d’une reprise à peine modifiée de la légende du roi mésopotamien Sargon 1er qui fonda le royaume d’Akkad et fut retrouvé à sa naissance abandonné dans un panier flottant sur l’Euphrate. Le récit mésopotamien est vieux de 24 siècles avant notre ère, soit dix siècles avant l’apparition des légendes sur Moïse.

Si un nourrisson avait été placé dans un panier d’osier sur le Nil, avant d’être croqué par les crocodiles qui grouillaient dans le fleuve, le berceau et son nouveau-né censé avoir été découvert par une princesse égyptienne, auraient coulé, car il n’y a pas en Égypte de bitume qui aurait permis de calfater un panier en osier.

 

La fuite d’Égypte

Il n’existe pas non plus la moindre trace de ce que 600 000 familles israélites, ou même un groupe moins important, aient été maintenues en esclavage dans le royaume égyptien, ni évidemment de leur fuite, ce qui n’aurait pas été un événement mineur et passé inaperçu, alors que tous les pharaons veillaient à ce que les évènements notables de leur règne fussent consignés par les scribes. « Nous n’avons pas la moindre trace, pas un seul mot, mentionnant la présence d’Israélites en Égypte : pas une seule inscription monumentale sur les murs des temples, pas une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus. L’absence d’Israël est totale – que ce soit comme ennemi potentiel de l’Égypte, comme ami, ou comme peuple asservi. » (Mario Liverani, La Bible dévoilée)

D’ailleurs la fuite pédestre de 600 000 familles d’esclaves hors d’Egypte sous la conduite de leur chef – soit plus d’un million de personnes – ce chiffre représente presque le double de l’armée rouge commandée par le Maréchal Boudienny face aux nazis en 1941 ou les deux tiers de la population de l’Égypte de l’époque. Ce gigantesque déplacement de population est évidemment inconnu de l’histoire de l’Égypte ancienne. Et pourtant l’Égypte du temps de Ramsès II – date à laquelle cet événement est censé s’être produit – était dotée d’une administration puissamment organisée et des armées de scribes méticuleux notaient tout ce qui se passait dans le royaume: on possède d’ailleurs la trace écrite de ce que deux esclaves qui s’étaient enfuis furent activement recherchés …

Il est naturellement inutile de réfuter les miracles de la mer qui s’ouvre, les « plaies d’Égypte » qui frappèrent le royaume, etc. Or, la pérégrination d’une telle horde de déguenillés – sur le trajet de laquelle, comme dans le cas de Abraham, la Bible n’est pas avare de précisions – le déplacement d’une telle foule errante durant quarante ans, dis-je, n’aurait pas manqué de laisser d’innombrables traces. Or, de nombreuses campagnes de fouilles, anciennes et récentes à la recherche du moindre vestige dans le Sinaï sont restées vaines. Le désert a été fouillé et ratissé dans tous ses recoins. Rien. Pas le moindre tesson, pas le moindre squelette corroborant le récit biblique ou signalant le séjour d’un groupe humain.

 

Josué

De même, les nombreuses archives égyptiennes ne relèvent aucune trace d’une conquête de la province de Canaan qui dépendait de leur souveraineté – qui plus est, à la suite d’un rezzou effectué par des esclaves fugitifs. Le Pharaon le plus distrait se serait probablement aperçu qu’il venait de perdre une province de son empire et ne serait pas resté les bras croisés devant un pareil désastre. De plus, si un Josué, à la tête d’une bande de pillards avait existé, il n’aurait pas pu faire écrouler les murailles de la ville de Jéricho, dont les 10 000 habitants vivaient paisiblement depuis huit millénaires dans une ville sans murailles à l’époque où il est censé avoir sévi. Des traces de fortifications plus récentes n’ont pas eu besoin du secours d’anges joueurs de trompettes pour s’écrouler. Seule la vétusté et le manque d’entretien en sont la cause.

Les rapports des mythes à la chronologie sont élastiques. L’abbé Barthémy raconte en 1792, dans un livre délicieux – Voyage du jeune Anacharsis en Grèce – la découverte de l’Hellade par un jeune étudiant, ses monuments, son histoire, ses légendes et fait comprendre avec la légèreté ironique des auteurs de l’époque, les relations élastiques que les traditions populaires entretiennent avec le temps et l’histoire: Voici sa version de la légende de la fuite d’Enée de la ville de Troie en flammes : « Dans ce temps-là vivait un homme qui s’appelait Enée ; il était bâtard, dévot et poltron. (…) Son histoire commence la nuit de la prise de Troie. Il sortit de la ville, perdit sa femme en chemin, s’embarqua, eut une galanterie avec Didon, reine de Carthage, qui vivait quatre siècles après lui… ».

Mais pour notre bonheur, les amours de Didon et Enée nous ont valu le magnifique opéra de Henry Purcell.

 

Les rois légendaires David et Salomon

Quant aux rois David et Salomon dont le règne se situerait autour du Xe siècle avant notre ère, leur portrait parfois peu flatteur dans le récit biblique accréditait l’idée qu’il était véridique. La foi des savants dans le texte reposait surtout sur sa richesse foisonnante de détails. (…) Le souverain David ne nous est pas dépeint à l’image d’un royal demi-dieu égyptien ou assyrien, distant, parfait, au-dessus de l’humanité ordinaire. David nous est, au contraire, présenté comme un impulsif, un passionné, souffrant de faiblesses criantes que le texte ne tente nullement à dissimuler. Il profite de l’exécution de ses rivaux, il s’empare de l’épouse d’un autre homme dont il organise la mise à mort… » (Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, in « Les rois sacrés de la Bible », p.115)

Cependant, malgré les efforts titanesques de l’actuel État, qui creuse partout où il espère trouver une trace du passé mythique d’Israël pour tenter de donner une crédibilité historique aux récits bibliques, il est avéré que ces deux rois, sont largement légendaires. Ils ont, certes, existé, mais plutôt comme chefs de bande ou chefs de villages, car « à l’évidence, la Jérusalem du Xe siècle avant notre ère était un petit village de montagne qui dominait un arrière-pays à l’habitat dispersé » (Ibid.p.118), écrivent nos archéologues. D’ailleurs la totalité de l’Israël de l’époque (environ 1000 ans avant notre ère) ne comptait que quelques milliers de fermiers et d’éleveurs.

Quant au somptueux temple du roi Salomon « les fouilles entreprises à Jérusalem n’ont apporté aucune preuve de la grandeur de la cité à l’époque de David et de Salomon ». Les auteurs insistent et enfoncent le clou : « Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour et sur la colline du Temple, au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, n’ont pas permis d’identifier ne serait-ce qu’une trace du Temple de Salomon et de son Palais », écrivent nos deux archéologues.

Mario Liverani, l’auteur de « La Bible dévoilée » conclut que « l’image que l’on se fait de Jérusalem à l’époque de David, et davantage encore sous le règne de son fils, Salomon, relève, depuis des siècles, du mythe et de l’imaginaire romanesque. » (p.208) « Il s’agit de la peinture d’un passé idéalisé, d’une sorte d’âge d’or nimbé de gloire. » (p.201)

À partir du moment où il est établi que les tablettes de pierre ramenée par le Moïse imaginaire sont une copie d’un épisode semblable emprunté à un dieu babylonien et où les dix commandements sont une reprise du Code babylonien de Hammourabi, le Pentateuque ou Torah ainsi que les Livres des Rois deviennent des chapitres d’une vaste épopée imaginaire racontant sur le mode héroïque l’histoire rêvée d’une petite peuplade sans histoire glorieuse, coincée entre deux fastueux empires – l’Égypte des Pharaons et les empires assyro-babyloniens – il n’existe, évidemment pas la moindre ombre de raison de lire ces textes autrement que d’un point de vue symbolique. « L’erreur ne devient pas vérité parce qu’elle se propage et se multiple ; la vérité ne devient pas erreur parce que nul ne la voit », écrivait le Mahatma Gandhi.

Le Vatican, directement branché sur l’au-delà, comme chacun sait, a reconnu en 2002 que les règles morales prétendument attribuées à Moïse n’ont pas été dictées par Dieu et le professeur Yaïr Zakovitch, spécialiste de littérature biblique à l’université hébraïque de Jérusalem explique que « même la sortie Égypte, sous la conduite de Moïse, ne doit plus être envisagée sous l’angle historique, mais comme une fiction littéraire constitutive d’une idéologie politique et religieuse… »

Les fouilles archéologiques sont cruelles car la vérité est cruelle : rien de la grandeur mythique d’Israël n’est confirmé. Il faudra donc finir par accepter que Abraham, Moïse, Josué, Samuel, les Juges sont des personnages mythiques : mythiques également la sortie d’Égypte, la conquête de Canaan et la chute de Jéricho, mythique le fastueux royaume unifié du roi David, mythiques les splendeurs du palais du roi Salomon, l’homme aux 700 épouses et aux 300 concubines … « L’objectif des auteurs est d’exprimer des aspirations théologiques et non de brosser d’authentiques portraits historiques » écrivent les auteurs de « La Bible dévoilée », p.225

Les Hébreux n’ont pas eu besoin d’envahir la région à partir de l’Égypte ou d’ailleurs, puisque, depuis la nuit des temps, ils composaient l’une des petites tribus semi-nomades en voie de sédentarisation, parmi des dizaines d’autres, qui se déplaçaient dans la région, comme le prouve le type d’habitat rudimentaire disposé en ovale, copié sur les campements des tribus nomades et dont on a retrouvé la trace.

La ville de Jérusalem, dix siècles avant notre ère, n’était pas l’épicentre du judaïsme et la capitale d’un éclatant royaume uni, mais une modeste bourgade dans un « Royaume de Juda » pauvre et très peu peuplé, jaloux des prospères provinces du nord – la Galilée et la Samarie. L’ensemble n’a composé l’Israël ancien que tardivement – environ deux siècles après l’époque supposée des roitelets David et Salomon.

Ces deux petites principautés, sans lien organique entre elles, ressemblaient aux nombreux autres petits royaumes palestiniens qui s’étaient constitués à l’époque, à Tyr, à Damas, à Karkémish ou à Gaza et dont la population totale ne dépassait pas quelques milliers d’habitants. Ce n’est que plus d’un demi millénaire plus tard, et à la suite d’innombrables guerres dont le récit biblique a conservé la trace en les gonflant exagérément, que le rôle de la ville de Jérusalem est devenu important.

 

Question

Comment et pourquoi un petit peuple de pasteurs, semblable aux innombrables tribus dont la principale activité était pastorale, s’est-il placé à l’écart des autres peuples de la région ? La seule différence fournie par l’archéologie semble, a priori, dérisoire : on n’a trouvé aucun ossement de porc sur les sites qui auraient été occupés par des groupes Hébreux !

Les origines des phobies alimentaires sont imprévisibles et impossibles à déterminer. Tout le monde connaît aujourd’hui les prescriptions culinaires qui permettent de consommer une viande de porc saine. Mais à l’époque, les maladies provoquées par une cuisson insuffisante de la viande de cet animal, notamment dans les régions humides, terrifiaient les populations. De même, les Romains construisaient de gigantesques volières dans lesquels ils élevaient des loirs dont on sait qu’ils ne se nourrissent que de fruits et dont la viande était considérée par Lucullus comme un des mets les plus raffinés. Qui aujourd’hui accepterait de manger ces petites bêtes à longue queue faussement assimilées à des rats ? Petite cause, grands effets.

Le monothéisme est lui aussi une invention tardive. Toutes ces petites cités avaient leur propre roi et honoraient leur propre dieu. Chez les Israélites, comme chez les autres peuples, il était associé à d’autres divinités. Le peuple hésitait à oublier les idoles qui avaient rendu de bons et loyaux services dans le passé, comme le prouvent les innombrables restes archéologiques et statuettes découverts auprès des villages antiques et près des points élevés – de même que les médailles et autres amulettes subsistent dans le christianisme.

Lorsque, après le règne de Salomon, au -IXe siècle, les tribus du nord se séparèrent de celles du sud pour créer le royaume d’Israël avec Sichem pour capitale alors que celles du sud avec Jérusalem pour capitale devenaient le royaume de Juda, il se créa une tradition jahviste et une autre élohiste, « la pluralité des noms étant la trace de ce qu’il existait une pluralité des dieux » et que « Jahvé et Elohim (pluriel de Eloh, esprit ou souffle) étaient deux dieux différents, adorés par deux peuples différents », écrivent certains exégètes.

 

Une histoire normale et une histoire rêvée

Malgré leur immense intérêt scientifique, les ouvrages d’Israël Finkelstein et de Neil Asher Silberman sont parfois déroutants et laissent une impression de malaise. En raison de l’appartenance de ces archéologues à la communauté juive, ils n’ont pas toujours le détachement intérieur qui leur aurait permis d’établir une claire distinction entre « l’histoire normale » de cette région et « l’histoire rêvée » de ses habitants.

En effet, les auteurs sont si respectueux des écrits et si imbibés des récits présentés depuis deux millénaires et demi comme historiques qu’ils les énoncent avec une sorte de vénération palpable, en parallèle à leurs découvertes drastiques sur le terrain. Les chapitres s’ouvrent d’ailleurs sur de longues descriptions de ces légendes, si bien qu’il faut une lecture patiente pour enfin arriver à l’énoncé de la réalité historique … laquelle contredit le début de l’ouvrage, mais la synthèse n’est pas toujours clairement opérée. On les sent gênés d’être contraints, par leur conscience professionnelle de scientifiques, d’avoir à démontrer la fausseté factuelle de récits bibliques dans la mesure où ils font partie de leur identité psychique.

De plus, ces auteurs se contentent de constater des faits et n’expliquent ni quand, ni comment, ni dans quelles circonstances est né le récit mythique. Ils ne cherchent pas non plus à analyser le sens symbolique sous-jacent à ces « pieux mensonges », ne serait-ce qu’en les situant dans le continuum politico-social de l’époque : « Suggérer que les évènements bibliques les plus célèbres ne se sont pas déroulés exactement comme les rapporte la Bible, ne prive nullement l’ancien Israël de son histoire », écrivent-ils.

Voilà une bien étrange affirmation et un exemple frappant de la tentative des auteurs de préserver la chèvre et le chou, si je puis dire. En effet, le fait d’avoir cru et de continuer à croire faussement à un certain récit des événements ne légitime nullement ce dernier. Un récit historique faux prive évidemment l’ancien et le nouvel Israël de son histoire au sens de l’historiographie moderne et surtout, il prive l’actuelle politique de l’État d’Israël de son principal argument.

Brusquement, l’histoire et le mythe, la vérité scientifique et le récit imaginaire deviendraient une soupe unique légitimée par la durée. Or, la durée ne transforme pas un récit imaginaire, inventé en vérité historique. Le faux reste faux et aucune hasbara ne viendra à bout de cette évidence.

Des générations de Grecs ont considéré que « L’Iliade » et « L’Odyssée » racontaient la véritable histoire des cités du Péloponnèse et des générations de juifs et de chrétiens ont lu la Bible comme LE livre de l’histoire de l’humanité et ont compté les années qui nous séparent de la création du monde par le dieu biblique.

De même, l’humanité a également cru pendant des millénaires que le soleil tournait autour de la terre. Elle a aujourd’hui accepté de changer le contenu de sa tête et il n’y a pas de raison que seuls les occupants récents de la terre palestinienne soient légitimés à remplir leur cerveau de mythes et de légendes destinés à justifier leur colonisation d’une terre ainsi que les innombrables exactions et les crimes qu’ils commettent jour après jour sur la population autochtone au nom de falsifications de la réalité historique.

La croyance au surnaturel, aux miracles et à la magie étant la chose au monde la plus universellement partagée, – « quand la tradition populaire ne sait rien, elle continue de parler toujours ; elle prend alors des ombres pour des géants, des mots pour des hommes » –  écrivait déjà Ernest Renan à la fin du XIXe siècle, dans la préface à son Histoire du peuple d’Israël.

Or le fait que la Bible ait, durant un temps si long, « façonné le visage de la société occidentale » ne justifie en rien qu’elle continue à prendre « des ombres pour des géants » et des mythes religieux pour des faits historiques.

 

Conclusion

En conclusion, un autre jugement de Ernest Renan me semble prémonitoire : « Une nation qui a une terre à conquérir ou à défendre est toujours plus cruelle que la tribu qui n’est pas encore attachée au sol et c’est ainsi que parfois des gens excellents pendant qu’ils vivaient en famille deviennent très méchants dès qu’ils forment un peuple. » (Ernest Renan, op.cit., t.1, p.235)

 

Aline de Diéguez

 

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