Communiqué de Bernard Lugan

 

Côte d’Ivoire : les élections confirment la fracture ethnique.

 

 

Reportées plusieurs fois depuis 2005 et finalement organisées à grands frais par la communauté internationale, les élections ivoiriennes, loin de permettre une sortie de crise, compliquent tout au contraire une situation politique aussi complexe qu’explosive. Avec ce scrutin qui n’a rien résolu, la démonstration vient une fois de plus d’être faite que la démocratie africaine est d’abord une ethno mathématique. Ce sondage ethnique grandeur nature a d’abord confirmé que la Côte d’Ivoire est bien composée de trois blocs ethniques donc politiques.

 

- Pour le président sortant, M. Laurent Gbagbo, un Bété, élu en 2000 à la suite d’un vaste trucage électoral, le résultat de cette consultation est particulièrement cruel. Lui qui affirmait avec assurance qu’il allait triompher dès le premier tour n’a en effet rassemblé sur son nom qu’entre 36 et 37% des suffrages et a été mis en ballottage. La seule bonne nouvelle pour lui est qu’il a rassemblé au-delà de son noyau ethnique (+-12 %). L’analyse du scrutin montre en effet que les sous groupes akan, notamment les petites ethnies dites Lagunaires (+- 10 %) auxquelles appartient son épouse Simone, ont en partie voté pour lui, ainsi que l’électorat détribalisé de la région d’Abidjan qui s’est reconnu dans son discours nationaliste et ses positions anti-françaises. Laurent Gbagbo n’a cependant qu’une faible assise nationale car il n’atteint 50% des suffrages que dans 4 régions sur 19. Il réalise des scores médiocres dans le centre du pays et ses résultats dans les régions administratives du Nord sont dérisoires puisqu’il n’y obtient qu’entre 2 et 9 % des votes.

 

- L’ancien président Henri Konan Bédié, d’ethnie Baoulé (+- 25%), premier successeur de Félix Houphouët-Boigny, et qui occupa le fauteuil présidentiel de 1995 à 1999 est le second perdant de ce premier tour. Lui qui fut jadis le champion de l’ «Akanité », espérait rassembler sur son nom la grande majorité des 40% d’Akan ; or, il n’a recueilli que 25% des suffrages nationaux. Comme il a fait le plein des voix au centre du pays, dans les deux régions baoulé des Lacs et de N’zi-Comoé, ce résultat signifie clairement que les Akan non Baoulé se sont détournés de lui et qu’ils ont voté pour Laurent Gbagbo. Outre les Lagunaires, il a ainsi perdu l’électorat akan de la région du Sud Comoé où il n’obtient que 20% des voix. Dans l’Ouest, en zone Kru, il réalise en revanche des scores honorables là où des planteurs baoulé ont colonisé la terre des indigènes, notamment dans le Bas-Sassandra où il totalise 41% des suffrages. Ses résultats sont en revanche insignifiants dans le Nord avec moins de 5% des voix.

 

- Avec 33% des voix, Alassane Ouattara qui a coagulé sur son nom les votes des ethnies nordistes et musulmanes (Malinké, Dioula, Sénoufo, Kulango ou Lobi etc.,), est le grand vainqueur de ce premier tour puisqu’il met le président sortant en ballottage. Sa domination est écrasante dans 4 régions administratives nordistes où il obtient entre 73 et 93% des suffrages. Dans le Sud, ses résultats qui sont honorables ne sont que le simple décalque des noyaux de peuplement résultant des migrations internes et de l’immigration sahélienne ; dans la région d’Abidjan, il obtient ainsi 33% des voix.

 

En totalisant moins de 3% des suffrages à eux tous, les 11 autres candidats n’ont fait que de la figuration, ce qui signifie que la clé du second tour est détenue par l’électorat baoulé d’Henri Konan Bédié. Comme ce dernier a conclu un accord électoral avec Alassane Ouattara, en pure logique électorale européenne, Laurent Gbagbo qui est en ballottage défavorable devrait donc mathématiquement être battu. Les jeux sont cependant loin d’être faits et cela pour deux grandes raisons :

 

1) La première est le poids du contentieux opposant Henri Konan Bedié et Alassane Ouattara, le premier ayant jadis écarté le second en l’accusant d’être Burkinabé et non Ivoirien.

2) Laurent Gbagbo n’est pas homme à abandonner facilement un pouvoir qu’il a eu tant de mal à conquérir et son clan qui porte la responsabilité de multiples exactions sait qu’il a tout à redouter de l’arrivée au pouvoir de ses anciennes victimes nordistes. Le président sortant dispose de l’appareil de l’Etat, il tient la région d’Abidjan - bien qu’il y soit minoritaire avec 45% des suffrages -, il contrôle les zones cacaoyères de l’Ouest et le littoral riche en hydrocarbures, il est assuré du soutien de l’armée et de la gendarmerie et il a montré qu’il sait tenir la rue grâce à ses milices. Sa position est donc forte mais pour l’emporter au second tour, il doit impérativement séduire l’importante fraction Baoulé qui voit en Alassane Ouattara l’homme qui a provoqué ou inspiré le putsch du général Guei le 24 décembre 1999 et donc le renversement d’Henri Konan Bédié. Il va donc radicaliser la situation pour en revenir, d’une manière ou d’une autre, au concept de l’ «ivoirité » se présentant comme le « candidat des patriotes » contre « le candidat de l’étranger, homme à la nationalité douteuse ». Les passions qui vont être exacerbées vont donc élargir encore davantage la fracture ivoirienne.

 

La cartographie de cette élection est traitée en détail dans le numéro 11 (novembre 2010) de l’Afrique réelle qui sera envoyé par PDF aux abonnés dans les jours prochains. Pour tous renseignements concernant les abonnements :

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Bernard Lugan

Jeudi 4 novembre 2010

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