Et dire que pendant des décennies ils se sont plaints – à juste titre – du blackface, quand un acteur blanc se peignait le visage pour interpréter un personnage noir ! Pour en arriver aujourd’hui à imiter ceux qu’ils vilipendaient, employant des acteurs afro-américains pour personnifier des héros à la peau blanche. Si cette pratique absurde trouve ses partisans aux États-Unis et en Europe, elle passe très mal au Maghreb.
En avril dernier, l’Égypte portait plainte contre Netflix pour avoir mis en scène une Cléopâtre à la peau noire dans la docu-série « Queen Cleopatra », que les historiens et l’opinion publique égyptiens jugeaient hautement offensive. La série était interdite de diffusion dans le pays, cela pour « préserver l’identité nationale et culturelle égyptienne ». Zahi Hawass, considéré comme le plus grand égyptologue au monde, rappelait que «Cléopâtre était beaucoup de choses et méritait que son histoire soit racontée au public moderne, mais il y a une chose qu’elle n’était absolument pas : elle n’était pas noire. »
Mais il en fallait plus pour freiner les ardeurs du géant du streaming ! Netflix, qui entend raciser l’histoire coûte que coûte, vient en effet d’annoncer la production d’un nouveau film où le général carthaginois Hannibal Barca sera incarné à l’écran par l’acteur afro-américain Denzel Washington. Ce qui a immédiatement soulevé une vague de polémiques en Tunisie, où l’hérédité de Carthage, une très puissante cité-état située dans la périphérie l’actuelle capitale, est très vivace. C’est encore une fois la falsification de la réalité historique à des fins de propagande qui est mis en cause.
Car, s’il est évidemment impossible d’admirer un portrait du général né en 247 avant notre ère, les sources le concernant sont légion. Normal, il était considéré comme le plus grand génie militaire de son temps et a été toute sa vie en conflit avec les Grecs et les Romains, véritables puits d’écriture. Tite Live, Polybe et Salluste ont longuement écrit sur lui et il jouissait d’un biographe contemporain, Silénos de Calé-Acté, dont on ne conserve actuellement que des fragments, mais dont l’oeuvre a servi de support aux grands historiens successifs. Le teint d’Hannibal n’est pas clairement évoqué, et c’est justement ce qui laisse supposer qu’il était fidèle à sa race phénicienne, un des nombreux peuples sémitiques comme les Arabes, les Assyriens ou les Hébreux. Jamais il n’est décrit comme un Éthiopien ou un Nubien qui eux, étaient caractérisés par leur peau noire.
La polémique a donc atterri sur les bancs de l’assemblée nationale tunisienne où des députés ont critiqué « un projet de la part des Afrocentristes qui veulent attribuer un rôle central dans l’histoire aux cultures noires au détriment des autres cultures. » Une vague d’afrocentrisme tellement délirante qu’elle fait de Stonehenge une construction…. subsaharienne !
Et c’est ce qui est vraiment regrettable. Car il y a probablement un richissime patrimoine africain à découvrir et à mettre en scène. Ce que nous ne saurons jamais si les enfants du pays se contentent, tel Antoine Fuqua, le réalisateur du prochain Hannibal produit par Netflix, lui-même d’ascendance africaine, de faire dans l’appropriation culturelle. Parce oui, elle marche dans les deux sens. Dommage.
Audrey D’Aguanno
Source : Breizh-info.com - 14 décembre 2023