Le géopoliticien est bien placé pour constater que ceux qui cherchent le plus bruyamment à éviter le déclin de l'Occident contribuent à le précipiter par leur tiédeur envers les problèmes frontaliers. Au contraire, ceux qui, souvent contre leur désir, ont le plus travaillé à construire un avenir durable par la juste rectification des frontières, sont ceux que l’on soupçonne du radicalisme le plus farouche, les soi-disant briseurs de Tables, tels les chefs spirituels du sud-chinois, les combattants frontaliers décidés, les partisans d'opinions tranchées, ceux qui combattent les tendances à supprimer les races et les frontières.
Or, il est des époques lâches et fatiguées qui imposent à des pays forts, à des peuples courageux leur influence soporifique et anesthésique et les amènent à négliger, avec leur héritage spatial, l'avenir de leurs enfants. Celui qui en de telles époques laisse sombrer dans l'hypnose son peuple et son pays pèche contre leurs meilleures forces vitales. C'est alors un devoir de les appeler inlassablement ainsi que des somnambules, jusqu'à ce qu'ils entendent et se réveillent pour défendre et élargir leurs frontières.
On a le droit de lancer un tel appel lorsqu'on ne s'est pas borné à un travail purement scientifique sur les problèmes frontaliers, lorsqu'on a combattu sincèrement toute une vie pour les frontières jadis si fières et larges de sa communauté nationale, combattu non seulement dans la paix mais aussi dans la guerre, non seulement avec la plume et le crayon, mais aussi avec l'arme à la main, à l'est et à l'ouest, et qu'on s'est jeté soi-même comme une petite pierre dans la masse des bornes de son peuple. Si ce peuple demandait à tous ceux qui lui donnent des conseils en matière de problèmes frontaliers où ils étaient lorsque ces frontières furent en jeu, peut-être serait-il mieux conseillé, et ses frontières géographiques et politiques mieux gardées.
Karl Haushofer
Les Frontières (1927). (Grenzen) - (WOWINCKEL, Berlin, 1927).