L’accord pourrait avoir des conséquences majeures sur la guerre par procuration que l’Arabie saoudite mène actuellement au Yémen, avec le soutien des États-Unis.

 

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À Téhéran, le 11 mars 2023, un homme tient un journal local sur lequel figure en première page le texte de l’accord conclu, et signé à Pékin la veille, entre l’Iran et l’Arabie saoudite sous l’égide de la Chine pour rétablir leurs liens. ATTA KENARE / AFP VIA GETTY IMAGES

 

Alors que les partisans de la paix et d’un ordre mondial multipolaire se sont félicités de l’accord conclu vendredi sous l’égide de la Chine, accord qui rétablit les relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la presse, les experts et les politiques américains ont exprimé ce qu’un observateur a appelé des « inquiétudes impériales » à propos de l’accord et de l’influence croissante de la Chine dans une région dominée par les États-Unis depuis des décennies.

L’accord conclu entre les deux pays – qui se livrent une guerre par procuration au Yémen – qui vise à normaliser leurs relations après sept ans de rupture a été salué par Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise, comme « une victoire du dialogue et de la paix ».

Les trois pays ont déclaré dans un communiqué commun que l’accord est une « affirmation du respect de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans les affaires intérieures ».

L’Iran et l’Arabie saoudite « ont également exprimé leur satisfaction et leur gratitude auprès des dirigeants et envers le gouvernement de la République populaire de Chine pour avoir accueilli et organisé les pourparlers, ainsi que pour les efforts qu’ils ont déployés afin d’en assurer le succès », indique le communiqué.

Le porte-parole des Nations unies, Stéphane Dujarric, a remercié la Chine pour son rôle dans l’accord, affirmant dans un communiqué que « les relations de bon voisinage entre l’Iran et l’Arabie saoudite sont essentielles pour la stabilité de la région du Golfe ».

Amy Hawthorne, directrice adjointe de recherche au sein du Project on Middle East Democracy, une ONG à but non lucratif située à Washington, a déclaré au New York Times : « La remarquable réussite de la Chine la fait entrer dans une nouvelle dimension diplomatique et éclipse tout ce que les États-Unis ont pu accomplir dans la région depuis l’entrée en fonction du président Joe Biden. »

Yun Sun, directeur du programme sur la Chine au Stimson Center, un groupe de réflexion situé à Washington, a qualifié l’accord de signe d’une « confrontation de conceptions concernant l’avenir de l’ordre international ».

Tamara Qiblawi, de CNN, a qualifié l’accord de « début d’une nouvelle ère, avec la Chine au premier plan ».

Par ailleurs, Ahmed Aboudouh, chercheur non résident à l’Atlantic Council, un autre groupe de réflexion de Washington, a écrit que « la Chine vient de faire un sacré pied de nez aux États-Unis dans le Golfe ».

Au Carnegie Endowment, un autre groupe de réflexion situé dans la capitale du pays, Aaron David Miller, agrégé de recherche, a tweeté que l’accord « renforce Pékin et légitime Téhéran. C’est un doigt d’honneur à Biden et un véritable exercice tactique en faveur des intérêts de l’Arabie saoudite ».

Certains observateurs ont établi une comparaison entre les politiques et comportements des États-Unis au Moyen Orient et ceux de la Chine.

« Les États-Unis soutiennent une des parties et répriment l’autre, tandis que la Chine tente de rapprocher les deux parties », a déclaré Wu Xinbo, doyen des études internationales à l’université Fudan de Shanghai, au Times. « Il s’agit tout simplement d’un paradigme diplomatique différent. »

Murtaza Hussein, journaliste à The Intercept, a déclaré dans un tweet que le fait que l’accord « ait été négocié par la Chine, partie tierce indépendante, de confiance, met en évidence les failles de l’approche belliciste des États-Unis dans la région ».

Tout en se félicitant avec circonspection de l’accord, les officiels de l’administration Biden ont exprimé leur scepticisme quant à la capacité de l’Iran à respecter sa part du contrat.

« Ce régime n’est pas réputé pour la façon dont il honore généralement sa parole, alors nous espérons sincèrement que cette fois-ci il le fera », a déclaré vendredi aux journalistes le coordinateur stratégique du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby, sans apparemment manifester un quelconque soupçon d’ironie alors que ce sont les États-Unis qui ont unilatéralement interrompu l’accord sur le nucléaire iranien du temps de l’administration Trump.

Kirby a ajouté que l’administration Biden « aimerait voir la guerre au Yémen prendre fin », mais sans pour autant reconnaître le soutien des États-Unis à l’intervention menée par l’Arabie saoudite dans une guerre civile qui, selon les responsables humanitaires des Nations unies, a tué directement ou indirectement près de 400 000 personnes depuis 2014.

Les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sont très tendues depuis le début du mandat du président Joe Biden. Alors que ce dernier, qui avait juré de faire du royaume répressif un « paria » suite au meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, était toutefois disposé à tolérer les violations des droits humains et les crimes de guerre commis par l’Arabie saoudite, le président a exprimé sa colère et sa contrariété quant à la décision de la monarchie de diminuer sa production de pétrole, dans un contexte de flambée des prix de l’essence aux États-Unis et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le gouvernement Biden tente néanmoins de négocier un accord de paix entre l’Arabie saoudite et Israël suite à la médiation de l’administration Trump dans le cadre des accords d’Abraham, une série d’accords de normalisation diplomatique entre Israël et ses anciens ennemis, les Émirats arabes unis et le Bahreïn.

Les États-Unis, qui ont joué un rôle clé dans le renversement du gouvernement progressiste iranien lors du coup d’État de 1953, n’ont plus de relations diplomatiques avec Téhéran depuis que le régime islamiste actuel a renversé la monarchie qui, soutenue par les États-Unis, avait régné d’une main de fer pendant les 25 années ayant suivi le coup d’État de 1953.

Jonathan Panikoff, directeur de la Scowcroft Middle East Security Initiative au sein des Middle East Programs de l’Atlantic Council, a exhorté les États-Unis à entretenir des relations amicales avec les dictatures brutales de la région afin que la Chine ne puisse y exercer son hégémonie.

Dans une analyse du Conseil de l’Atlantique, Panikoff a écrit :

Nous assistons peut-être aujourd’hui à l’émergence du rôle politique de la Chine dans la région, ce qui devrait servir d’avertissement aux décideurs politiques américains : quittez le Moyen-Orient et rompez vos liens avec des alliés de longue date, parfois exaspérants, voire même barbares, et le seul résultat est que vous laisserez un vide que la Chine viendra combler. Et ne vous y trompez pas, un Moyen-Orient sous domination de la Chine compromettrait fondamentalement la sécurité commerciale, énergétique et nationale des États-Unis.

D’autres observateurs se sont également inquiétés de la montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient et au-delà.

Le correspondant du New York Times China, David Pierson, a écrit samedi que le rôle de la Chine dans le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite montre bien « l’ambition du président chinois Xi Jinping de proposer une alternative à l’ordre mondial dirigé par les États-Unis ».

Selon Pierson :

La stratégie proposée par Xi consiste à priver Washington de son pouvoir et y substituer le multilatéralisme et la « non-ingérence », un terme par lequel la Chine affirme que les nations ne doivent pas s’immiscer dans les affaires intérieures des autres, en critiquant par exemple les violations des droits humains.

L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran reflète cette vision. Depuis des années, l’engagement de la Chine dans la région repose sur l’apport d’avantages économiques mutuels et sur le rejet des idéaux occidentaux du libéralisme ce qui complique la stratégie de Washington d’expansion dans le Golfe.

Pierson a souligné l’initiative du président Xi en matière de sécurité mondiale, celle-ci entend promouvoir la « coexistence pacifique » dans un monde multipolaire excluant « l’unilatéralisme, la confrontation des blocs et l’hégémonie », à l’instar des invasions américaines et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.

« Certains analystes estiment que cette initiative vise essentiellement à promouvoir les intérêts chinois en évinçant Washington dans son rôle de gendarme du monde, écrit Pierson. Selon ce projet, il faut respecter la sécurité indivisible des pays, un terme soviétique utilisé pour s’opposer aux alliances menées par les États-Unis dans les pays limitrophes de la Chine. »

Les États-Unis ont attaqué, envahi ou occupé plus de 20 pays depuis 1950. Au cours de la même période, la Chine a envahi deux pays : l’Inde et le Viêt Nam.

Le correspondant en chef du New York Times à la Maison Blanche, Peter Baker, a également publié un article samedi sur la façon dont « l’accord conclu par la Chine vient chambouler la diplomatie au Moyen-Orient et constitue un défi lancé [aux] États-Unis ».

« Les Américains, qui depuis les trois quarts de siècle qui viennent de s’écouler, ont été les acteurs centraux du Moyen-Orient, quasiment toujours présents là où tout se passait, se retrouvent maintenant sur la touche au moment où se produisent des changements majeurs, déplore Baker. Les Chinois, qui pendant des années n’ont tenu qu’un rôle secondaire dans la région, sont tout à coup devenus de nouveaux acteurs de poids. »

Certains experts ont affirmé que le renforcement de la paix au Moyen-Orient ne pouvait qu’être bénéfique, quel que soit l’artisan de cette paix.

« Alors que nombreux sont ceux qui, à Washington, considèrent le rôle émergent de la Chine en tant que médiateur au Moyen-Orient comme une menace, la réalité est qu’un Moyen-Orient plus stable où les Iraniens et les Saoudiens ne sont pas à couteaux tirés profite également aux États-Unis », a tweeté Trita Parsi, vice-président exécutif du Quincy Institute for Responsible Statecraft (Institut Quincy pour une gestion responsable des affaires publiques), situé à Washington.

« Malheureusement, dans la région, les États-Unis ont opté pour une approche qui les a rendus inaptes à devenir des médiateurs crédibles, a-t-il regretté. Trop souvent, Washington prend parti dans les conflits et devient un co-belligérant – comme au Yémen – ce qui réduit sa capacité à jouer le rôle d’artisan de la paix. »

« Washington devrait éviter un scénario qui verrait les acteurs régionaux considérer l’Amérique comme un faiseur de guerre invétéré et la Chine comme un artisan de la paix efficace », a prévenu Parsi.

 

BRETT WILKINS

Brett Wilkins est journaliste à Common Dreams.

Source : Truthout, Brett Wilkins, 12-03-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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