Press TV a rapporté que le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a fait part à son homologue arménien, lors d’un appel téléphonique mercredi, de ses préoccupations concernant la présence de forces militaires américaines dans ce pays du Sud Caucase. 85 soldats américains y effectuent des exercices du 11 au 20 septembre, ce qui coïncide avec une détérioration drastique des relations russo-arméniennes. Voici quelques informations de fond pour ceux qui n’ont pas suivi de près cette situation :
- Il est facile de comprendre pourquoi la Russie est si mécontente de la dernière interview du Premier ministre arménien
- Les trois dernières provocations anti-russes de l’Arménie risquent de déclencher un nouveau conflit au Karabakh
- Les États-Unis seraient ravis si l’Iran était entraîné dans un nouveau conflit au sujet du Karabakh
En bref, le Premier ministre Nikol Pashinyan – qui est arrivé au pouvoir après la « révolution de velours » de 2018 – a capitulé face aux pressions de la diaspora ultranationaliste basée en France et aux États-Unis pour devenir le nouveau proxy de l’Occident pour diviser et mieux régner sur la région en s’accrochant à la croisade irrédentiste ratée de son pays. Les tensions avec l’Azerbaïdjan sont montées en flèche, comme on pouvait s’y attendre, en raison de son incapacité à respecter les termes du cessez-le-feu de novembre 2020 négocié par Moscou, ce qui a récemment suscité des inquiétudes quant à l’éventualité d’une nouvelle guerre.
Des comptes de médias sociaux favorables à la vision du monde de l’Iran ont spéculé à l’envie que la République islamique pourrait intervenir militairement contre l’Azerbaïdjan en soutien à l’Arménie si un nouveau conflit éclatait. Ces bruits de sabre se sont heureusement calmés après que le ministre des affaires étrangères, Abdollahian, se soit entretenu lundi avec son homologue azerbaïdjanais et ait reçu de lui l’assurance que Bakou n’envisageait pas d’attaquer l’Arménie. Deux jours plus tard, il s’est entretenu avec le plus haut diplomate arménien et lui a fait part de son mécontentement à l’égard des exercices conjoints de ce pays avec les États-Unis.
Les chances que l’Iran soit entraîné dans un nouveau conflit à propos du Karabakh ont donc diminué, et cela ne pouvait pas mieux tomber puisque les relations russo-arméniennes continuent de se dégrader. Erevan a confirmé qu’elle ratifierait le Statut de Rome, ce qui obligera légalement les autorités à arrêter le président Poutine s’il se rend sur place, bien que l’Arménie reste nominalement membre de l’OTSC dirigée par la Russie. Pashinyan a ensuite lâché deux bombes dans une interview accordée à Politico et publiée mercredi.
La plupart des titres des médias internationaux se sont concentrés sur son affirmation selon laquelle l’Arménie ne considère plus la Russie comme un garant fiable de sa sécurité, mais ce qu’il a dit sur la façon dont « l’UE et les États-Unis nous soutiennent également en ce qui concerne l’agenda des réformes démocratiques » était tout aussi important. Ces déclarations laissent présager un divorce imminent entre ces deux alliés officiels, puisque l’Arménie s’éloigne ouvertement de la Russie pour se tourner vers l’Occident en matière de sécurité et de gouvernance.
Il n’est donc pas surprenant que la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, ait déclaré lors d’une conférence de presse tenue le jour même de la publication de l’interview que « de plus en plus de questions se posent » au sujet des dernières mesures prises par l’Arménie. Elle répondait spécifiquement aux projets de ratification du Statut de Rome par l’Arménie, mais a ajouté « qu'il ne s’agit pas simplement d’un geste isolé qui, comme la partie arménienne l’a clairement compris, soulèverait des questions de notre part, mais d’une série de gestes liés entre eux ».
Le lendemain, le président de la commission des affaires internationales de la Douma d’État, Leonid Slutsky, déclarait :
« Aujourd’hui, Washington est prêt à “aider” Erevan, rêvant apparemment de créer un nouveau point chaud anti-russe dans le Caucase du Sud. Mais tous ses plans visant à affaiblir la Russie s’effondrent sous nos yeux. Voilà ce qu’il faut retenir ! Le “parrainage” de l’autre côté de l’océan n’a profité à aucun pays dans le monde, n’apportant que misère et chagrin, sang et destruction. Et c’est exactement ce à quoi conduisent le “partenariat” et l'”aide au développement” à l’américaine ».
Ces mots forts montrent à quel point la Russie est contrariée par le virage pro-occidental de l’Arménie.
Dans ce contexte, les liens russo-iraniens auraient pu se distendre si Téhéran n’avait pas réprimandé Erevan plus tôt, raison pour laquelle il a été estimé que l’appel du ministre des affaires étrangères Abdollahian avec son homologue arménien et son contenu rendu public n’auraient pas pu arriver à un meilleur moment. La République islamique a sobrement évalué la situation stratégique émergente dans le Caucase du Sud et a conclu qu’il ne valait pas la peine de risquer une guerre contre l’Azerbaïdjan et, dans une certaine mesure, contre la Turquie, pour le bien du dernier proxy étasunien.
Les responsables politiques iraniens ont le mérite d’avoir repoussé la pression publique exercée récemment sur eux par les comptes de médias sociaux favorables à leur vision du monde, qui ont agité le pays pour qu’il intervienne militairement aux côtés de l’Arménie contre l’Azerbaïdjan en cas de reprise des hostilités régionales. Ces personnes avaient peut-être l’intention d’exprimer leur soutien à ce qu’elles croyaient sincèrement être les intérêts nationaux de l’Iran, mais elles n’avaient vraiment pas une bonne compréhension de ce qui précède, comme l’ont prouvé les développements ultérieurs.
L’un des arguments les plus populaires avancés par ces personnes influentes pour justifier le scénario d’une guerre de l’Iran contre l’Azerbaïdjan était la nécessité supposée d’empêcher Bakou de couper son corridor commercial avec l’Arménie. Ils ont fait croire que cela écraserait l’économie iranienne, mais le commerce entre l’Iran et l’Arménie n’a représenté que 711 millions de dollars l’année dernière. Par rapport au PIB de l’Iran, estimé à 388 milliards de dollars en 2022, cela représente une part statistiquement insignifiante de l’économie, qui ne vaut pas la peine de mener une grande guerre.
L’autre argument avancé par nombre de ces mêmes personnes est que l’Azerbaïdjan est censé être un « faux pays » en raison des liens civilisationnels multimillénaires que son peuple entretient avec l’Iran et qui n’ont été rompus qu’à la suite de l’expansion impériale de la Russie au 19e siècle. Ils affirment donc que ce pays « ne mérite pas d’exister » et qu’il devrait donc être absorbé de force par l’Iran en dépit de la volonté du peuple azerbaïdjanais. Ceux qui partagent ces opinions feraient bien de lire ce que le président Poutine a écrit au sujet de l’Ukraine en 2021 :
« Les choses changent : les pays et les communautés ne font pas exception. Bien sûr, une partie d’un peuple en cours de développement, influencée par un certain nombre de raisons et de circonstances historiques, peut, à un moment donné, prendre conscience qu’elle est une nation distincte. Comment devons-nous traiter cette situation ? Il n’y a qu’une seule réponse : avec respect ! Vous voulez créer votre propre État : vous êtes les bienvenus ! »
Tout comme la Russie accepte l’indépendance de l’Ukraine en dépit de leurs liens civilisationnels millénaires, les comptes de médias sociaux favorables à la vision du monde de la République islamique devraient également accepter l’indépendance de l’Azerbaïdjan en dépit de ses liens civilisationnels multimillénaires avec l’Iran. Pour être clair, ni l’Ukraine ni l’Azerbaïdjan ne devraient exploiter leur statut d’État indépendant pour menacer d’autres pays, mais l’Occident n’a pas transformé l’Azerbaïdjan en anti-Iran comme l’Ukraine l’a été en anti-Russie.
Les dirigeants iraniens ne partagent pas les opinions économiques mal informées de certains de leurs partisans en ligne, ni leurs opinions ultranationalistes. C’est pourquoi le ministre des affaires étrangères Abdollahian a simplement réprimandé l’Arménie pour ses exercices conjoints avec les États-Unis, au lieu de manifester son intérêt pour une intervention militaire dans le soutien de ce pays à l’Azerbaïdjan. Sa déclaration renforce la confiance avec la Russie, protège l’intégrité de la politique étrangère anti-impérialiste de l’Iran en montrant qu’il ne se laissera pas duper en soutenant un proxy américain, et stabilise donc la région.
Andrew Korybko
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.