Qu’est-ce qu’un chanteur rock ?
Pierre GRIPARI nous l’explique…
Les récentes mésaventures médiatiques du chanteur rock Florent PAGNY nous permettent de situer un peu ce qu’est au fond un chanteur rock. Tout d’abord, rappelons les faits. C’est au micro de Chérie FM, interrogé sur son emménagement à Miami, que la rock star a commis l’ « irréparable », comme dirait certain. Parlant de ses enfants, il déclarait : «Et puis c’est vrai aussi qu’à un moment, ton môme il rentre à la maison et d’un seul coup il se met à parler rebeu ! Tu lui fais "c'est pas possible" ! Tu ne vas pas pouvoir me parler "ça comme" [comme cela, en verlan]». Intéressant… Puis il ajoute, évoquant le quotidien des petits camarades de son fils, scolarisés dans notre belle république : « Donc tu vas passer à autre chose et essayer de rattraper le groupe de tête plutôt que de traîner...parce que d’un seul coup il y a aussi cette histoire de peur et d'ambiance un peu bizarre où finalement les mômes ils raccrochent des codes pour être sûrs de ne pas être emmerdés.» Ah, bon ? De plus en plus intéressant… Le problème de Pagny, c’est sans doute que sa longue villégiature en Argentine l’a un peu trop longtemps coupé des réalités françaises, justement. Il n’a pas bien assimilé les règles de la censure, qui lui ont donc aussitôt rappelées par Patrick Lozès, le président du CRAN (conseil représentatif des institutions noires) : «Non non non ! Ces mots qui blessent, ce sont les mêmes que ceux employés par Jean-Marie Le Pen (…) jusqu’ici, Florent Pagny était un chanteur connu, un chanteur aimé. (…) J’écoutais Florent Pagny avec joie, j’aurais du mal désormais à apprécier ses chansons, ses mots n’ont plus pour moi le même goût.» Et l’association SOS Racisme a demandé au chanteur de «s'excuser publiquement de ces propos blessants et stigmatisants». Troisième étape : la repentance. Invité au Grand Journal de Canal Plus le mardi 9 novembre, Pagny a déclaré : «J’ai fait une réflexion un peu bête apparemment. Je voulais dire que je n’appréciais pas que mon fils rentre le soir à la maison en me disant "ouais zyva Papa qu’est-ce qu’on mange ce soir". Je lui ai dit: "C’est vrai que tu es métis [sa femme est argentine] mais c’est pas ce métissage-là, donc tu ne peux pas tout confondre.» «Mais j’ai utilisé le mot "rebeu" et il paraît que cette façon de parler ce n’est pas "rebeu", alors c’est vrai que je me suis trompé d’expression, et apparemment, ça fait une affaire d’Etat». «C’est pourtant pas péjoratif, moi j’ai des potes "rebeu", j’ai des potes "feuj" et je ne vois pas à quel moment c’est péjoratif». «Attendez, si d’un seul coup tout ce que je raconte c’est aussi important, alors je suis flatté, mais je ne vois pas vraiment où est le problème. (…) D’un seul coup, je me fais traiter de raciste, je trouve ça un peu injuste. (…) C’est pas aussi important, conclut-il, on est des saltimbanques, on est des rigolos». Des rigolos, les rebelles à texte ? Certainement, Florent, ce n’est pas nous qui allons dire le contraire ! Nous savons bien que la « rock attitude », c’est de la rébellion pasteurisée, pour fils de fonctionnaires socialistes. Le grand Pierre GRIPARI l’avait d’ailleurs excellemment exposé dans un de ses « romans martiens », Les derniers jours de l’Eternel, un petit chef d’œuvre, que peut-être nos jeunes lecteurs ne connaissent pas encore. Ecoutons plutôt Oncle Pierre décrire son personnage central, le rocker John Tomes. "J’apprends (…) que ce qu’on appelle les idoles, c'est-à-dire les artistes à succès, se recrutent d’après certains critères, dont le plus important n’est pas la qualité de leur travail. (…) L’enfant chéri des foules pourra se contenter de vagir dans un micro, ou de se rouler par terre en faisant beaucoup de bruit, à la seule condition d’être "représentatif", c'est-à-dire de faire preuve d’une servilité totale, entière, inconditionnelle, vis-à-vis de certains impératifs idéologiques, sentimentaux et commerciaux qui sont, pour une part, ceux des classes dirigeantes de la société d’après-guerre, et pour le reste ceux de la masse ou, comme on a dit, du grand public: goût de l’agitation stérile, de la révolte contrôlée, de la provocation, de la combine, de l’émotion à bon marché, de la niaiserie érotique et humanitaire. Je m’aperçois très vite que la carrière de John Tomes, (…) n’était, d’un bout à l’autre, qu’un tissu de petites lâchetés, de manipulations sordides, de contraintes platement acceptées et subies, exercées, soit d’en haut, soit d’en bas, pour complaire, d’une part aux groupes financiers dont dépendent la presse, la radio, la télévision et la publicité, d’autre part à la très conventionnelle, prévisible et docile stupidité des adolescents et des jeunes. (…) Alors John Tomes a obéi. On lui a imposé un "look", une coupe de cheveux, un costume, une manière de porter ce costume, une façon de bouger, un comportement, une silhouette. Il a dû constituer son répertoire en fonction des contrats passés avec les Etats-Unis d’Amérique et des contraintes du marché français. (…) Un fois, une seule, John Tomes a voulu faire preuve d’une certaine indépendance d’esprit. Dans une chanson écrite un jour sur un coup de tête, (…) il s’est permis de mettre en doute le caractère sacro-saint de la Résistance et l’infamie de la Collaboration. Ces couplets, pourtant bien timides, ont été accueillis par son auditoire avec ni plus ni moins de faveur que le reste du programme. Mais une campagne de presse a aussitôt suivi. Dès le lendemain matin, de grandes consciences journalistiques se sont déclarées profondément déçues, désolées, affectées, navrées, outrées, catastrophées. En même temps, certains accords, pourtant déjà conclus, menaçaient d’être mis en question, certains contrats risquaient d’être dénoncés…Bref, dans la même semaine, l’idole a dû, non seulement purger son tour de chant de cette malencontreuse élucubration, mais encore, par une autre chanson écrite à cet effet, la désavouer solennellement, protester hautement et proclamer bien fort qu’il n’avait jamais rien voulu dire de pareil, qu’on l’avait mal compris, qu’il s’inclinait bien bas devant les martyrs de la cause victorieuse, et que les autres martyrs, ceux qui appartenaient au camp des vaincus, ne lui inspiraient que haine, mépris, exécration et vomissement." Lire et relire Pierre GRIPARI nous permet d’échapper à la mode et à ses médiocrités - de style comme de fond. Il nous transporte dans un imaginaire d’une dimension que les « rock stars » ne peuvent même pas concevoir, dans lequel il nous enseigne avec une tranquille obstination comment désobéir au système. Outre qu’il est un parfait professeur de dissidence, Pierre GRIPARI écrit dans un français exemplaire de simplicité et de précision : lire en silence Oncle Pierre nourrit votre matière grise et ménage vos tympans. Deux bonnes raisons de ne pas vous les briser en écoutant les faux rebelles du rock.
Robert Dragan.
Pierre GRIPARI, Les derniers jours de l’Eternel, édition l’Age d’Homme, 1990. http://www.lagedhomme.com/boutique/recherche_resultats.cfm?code_lg=lg_fr&mot=Pierre+Gripari