Du lobbying pour des avions de combat à la fourniture d’obus à l’uranium appauvri, le Royaume-Uni s’assure que l’escalade soit la seule voie possible.
La semaine dernière, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a fait un voyage inattendu en Grande-Bretagne dans le cadre d’une tournée des capitales européennes, pour obtenir des armes plus puissantes et de plus longue portée pour sa guerre contre la Russie.
Le Royaume-Uni a montré, une fois de plus, le rôle prépondérant qu’il joue en Ukraine.
L’année dernière, peu après le début de la guerre, Boris Johnson, alors Premier ministre, s’est précipité à Kiev – sans doute sur les instructions de Washington – pour persuader Zelensky d’interrompre les pourparlers de paix avec Moscou.
À peu près au même moment, l’administration Biden a clairement indiqué qu’elle était favorable à une escalade des combats, dans le but d’« affaiblir » la Russie, un rival géostratégique au même titre que la Chine.
Depuis lors, le Royaume-Uni a été à l’avant-garde des efforts européens pour aggraver le conflit, en faisant pression pour la fourniture d’armes, d’entraînement et de renseignements militaires aux forces ukrainiennes.
Des chars britanniques et des milliers d’obus de chars – dont certains fabriqués à partir d’uranium appauvri – sont expédiés. La semaine dernière, le Royaume-Uni a aussi envoyé des centaines de drones d’attaque à longue portée.
Un nombre indéterminé de missiles de croisière Storm Shadow, d’une valeur de 2 millions de livres sterling et d’une portée de près de 300 km, ont commencé à arriver. La semaine dernière, Ben Wallace, secrétaire britannique à la défense, a déclaré que les missiles étaient déjà utilisés, ajoutant que Kiev décidait seul des cibles.
Les missiles Storm Shadow permettent à l’armée ukrainienne de frapper en profondeur les régions de l’Ukraine annexées par la Russie et même des villes russes.
Une fuite récente a révélé que le Pentagone avait appris, par le biais d’écoutes électroniques, que Zelensky voulait des missiles à plus longue portée afin que ses forces soient « capables d’atteindre les troupes russes en Russie ».
Des déclarations de pure forme
Les déclarations de la Grande-Bretagne comme quoi l’Occident ne fait qu’aider l’Ukraine à se défendre contre l’agression russe ne trompent plus personne. La fourniture d’armes de plus en plus offensives a transformé l’Ukraine en un champ de bataille par procuration qui permet de raviver la guerre froide.
Lors de la visite de Zelensky au Royaume-Uni la semaine dernière, le successeur de Johnson, Rishi Sunak, a joué le rôle de courtier en armes pour l’Ukraine, en s’accouplant avec les Pays-Bas, dans ce qu’ils ont pompeusement appelé une « coalition internationale », pour faire pression sur l’administration Biden et d’autres États européens afin qu’ils fournissent à Kiev des avions de combat F-16.
Washington n’a pas eu besoin de beaucoup de persuasion. Trois jours plus tard, Biden, lors d’un sommet du G7 au Japon, donnait le feu vert aux alliés des États-Unis pour qu’ils livrent à l’Ukraine non seulement des F-16 fabriqués aux États-Unis, mais aussi des avions de combat similaires de quatrième génération, notamment l’Eurofighter Typhoon du Royaume-Uni et le Mirage 2000 de la France.
Les responsables de l’Administration ont surpris les dirigeants européens en disant que les États-Unis seraient directement impliqués dans la formation des pilotes en dehors de l’Ukraine.
Après une visite « surprise » de Zelensky au sommet le week-end dernier, Biden a déclaré qu’il avait reçu l’assurance que les avions à réaction n’attaqueraient pas le territoire russe.
Les responsables britanniques ont quant à eux indiqué que le Royaume-Uni commencerait à former les pilotes ukrainiens dans les semaines à venir.
Une place au sein de l’OTAN
Le bureau du premier ministre a clairement indiqué que l’objectif de Sunak était de construire « une nouvelle force aérienne ukrainienne avec des avions à réaction F-16 aux normes nationales » et que le premier ministre estimait que « la place légitime de l’Ukraine se trouve au sein de l’OTAN ».
Ces déclarations semblent une fois de plus destinées à bloquer toute possibilité de paix. Le président Vladimir Poutine s’est élevé à plusieurs reprises contre l’implication détournée mais croissante de l’OTAN dans l’Ukraine voisine avant que la Russie ne lance son invasion il y a 15 mois.
Il est difficile d’imaginer que le Royaume-Uni change de trajectoire. Il est plus probable que l’administration Biden utilise la Grande-Bretagne pour faire la course en tête et circonvenir les opinions publiques occidentales, au moment où l’OTAN s’immerge de plus en plus profondément dans les activités militaires du voisin russe.
La transformation progressive de l’Ukraine en base avancée de l’OTAN a provoqué l’invasion russe.
La guerre en Ukraine sert aussi de vitrine à l’armement britannique. Après les États-Unis, elle est le plus grand fournisseur d’équipements militaires à l’Ukraine.
On a appris cette semaine que les exportations d’armes britanniques ont atteint le chiffre record de 8,5 milliards de livres sterling, soit plus du double de l’année dernière. La dernière fois que la Grande-Bretagne a réussi à vendre autant d’armes, c’était en 2015, au plus fort de la guerre en Syrie.
Un danger pour la santé
On nous dit que sans les largesses de l’Europe en matière d’armement, l’Ukraine serait dans l’incapacité de lancer sa contre-offensive si attendue pour reprendre les territoires dont la Russie s’est emparée dans l’est et le sud de l’Ukraine.
Ce mois-ci, à Florence, Josep Borrell, le plus haut diplomate de l’Union européenne, a clairement exclu tout pourparlers de paix. L’Ukraine a besoin de livraisons massives d’armes, faute de quoi « l’Ukraine tombera en quelques jours », a-t-il déclaré.
Borrell laisse entendre que la situation de l’Ukraine est si difficile que, par désespoir, ses dirigeants pourraient être tentés de se lancer dans des opérations de combat de plus en plus risquées.
Et, à cause de l’ingérence britannique, cette guerre sanglante qui fait d’innombrables victimes parmi la population ukrainienne et les soldats russes, mais aussi potentiellement à l’intérieur des frontières de la Russie, pourrait durer non seulement des mois, mais des décennies.
En mars, Declassified a révélé que certains des milliers d’obus de chars fournis par la Grande-Bretagne à Kiev étaient fabriqués à partir d’uranium appauvri, un métal lourd radioactif produit par les centrales nucléaires.
Le parti travailliste de Keir Starmer, dans l’opposition, a déclaré qu’il « soutenait pleinement » la fourniture par le gouvernement britannique de ces obus perforants à l’Ukraine, malgré le risque à long terme de contamination radioactive qu’ils représentent.
Les obus à l’uranium appauvri se fragmentent et brûlent lorsqu’ils touchent une cible. Un analyste, Doug Weir, de l’Observatoire des conflits et de l’environnement, a déclaré à Declassified que ces munitions produisaient des « particules [microscopiques] d’uranium appauvri, chimiquement toxiques et radioactives qui peuvent être inhalées par des personnes ».
Néanmoins, les ministres britanniques prétendent que la menace pour la santé humaine est faible et que risque en vaut la peine, car ça permet à l’Ukraine de détruire les chars d’assaut russes.
Morts du cancer
Toutefois, comme l’a souligné Declassified, un nombre croissant de preuves de l’utilisation de ces obus par les États-Unis dans l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 et par la Grande-Bretagne et les États-Unis en Irak dix ans plus tard contredisent ces affirmations.
Les tribunaux italiens ont fait droit à des demandes d’indemnisation contre l’armée du pays dans plus de 300 cas où des Italiens ayant servi dans la police ou comme soldats en Bosnie et au Kosovo sont morts d’un cancer après avoir été exposés à l’uranium appauvri.
Plusieurs milliers d’autres anciens militaires italiens auraient développé des cancers.
En 2001, le gouvernement de Tony Blair a minimisé le rôle de l’uranium appauvri dans les décès survenus en Italie afin de ne pas contrarier la nouvelle administration de George W. Bush. Les deux dirigeants ont ensuite approuvé l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri en Irak, même si le Royaume-Uni a admis par la suite qu’il avait l’ « obligation morale » d’aider à nettoyer une partie de la contamination.
L’Occident s’est peu intéressé aux effets causés par les armes à l’uranium appauvri en Irak, bien que les populations civiles locales aient été les plus exposées à la contamination. Les obus à l’uranium appauvri ont été largement utilisés pendant la guerre du Golfe de 1991 et, plus d’une décennie plus tard, pendant l’occupation de l’Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni.
Les statistiques du gouvernement irakien indiquent que les taux de cancers ont été multipliés par 40 entre la période précédant immédiatement la guerre du Golfe et 2005.
La ville de Falloujah, que les États-Unis ont dévastée après l’invasion de 2003, connaîtrait « le taux le plus élevé de dommages génétiques de toutes les populations jamais étudiées ». Les malformations congénitales seraient environ 14 fois plus nombreuses que dans les régions d’Hiroshima et de Nagasaki au Japon, où les États-Unis ont largué des bombes atomiques.
En 2018, le gouvernement britannique a reclassé un rapport de 1981 sur les dangers des armes à l’uranium appauvri rédigé par l’Atomic Weapons Research Establishment du ministère de la défense, qu’il avait rendu public trois ans plus tôt.
Entre-temps, James Heappey, le ministre des forces armées, a osé affirmer que des organismes internationaux tels que l’Organisation mondiale de la santé et les Nations unies n’avaient trouvé aucun risque sanitaire ou environnemental à long terme lié aux armes à l’uranium appauvri.
Mais comme Weir l’a déclaré à Declassified en mars : « Aucune des entités citées par le ministère de la défense n’a entrepris d’études environnementales ou sanitaires à long terme dans les zones de conflit où des armes à l’uranium appauvri ont été utilisées ».
En d’autres termes, ils ne savent tout simplement pas – et ne cherchent peut-être pas à savoir.
Weir a ajouté que l’OMS, les Nations unies et l’Agence internationale de l’énergie atomique avaient toutes demandé que les zones contaminées soient clairement signalées et que leur accès soit limité, tout en recommandant que des campagnes de sensibilisation aux risques soient organisées à l’intention des communautés avoisinantes.
Les responsables britanniques ont également recruté la Royal Society pour affirmer que l’uranium appauvri est sans danger, comme l’avaient fait les États-Unis avant l’invasion de l’Irak en 2003, en citant deux de ses rapports publiés en 2001 et 2002.
Mais la Royal Society a pris ses distances avec ces affirmations. Un porte-parole a déclaré à Declassified que, malgré les affirmations du gouvernement britannique, l’uranium appauvri n’était plus un « domaine actif de recherche ».
En 2003, la Royal Society a contredit Washington, en déclarant au Guardian que les soldats et les civils en Irak « étaient en danger à court et à long terme. Les enfants jouant sur des sites contaminés étaient particulièrement exposés ».
À la même époque, le président du groupe de travail de la Royal Society sur l’uranium appauvri, le professeur Brian Spratt, mettait en garde contre la corrosion des obus, qui pouvait entraîner la contamination des réserves d’eau par l’uranium appauvri. Il a recommandé de procéder à des tests réguliers des réserves d’eau.
Des voix réduites au silence
En faisant pression en faveur d’armes plus ouvertement offensives et en introduisant des obus à l’uranium appauvri dans la guerre, la Grande-Bretagne a fait monter les enchères de deux manières dangereuses.
Premièrement, elle pousse à un enchaînement fatidique d’escalades toujours plus fortes, y compris une escalade nucléaire.
La Russie possède aussi des armes à l’uranium appauvri, mais elle ne voulait pas les utiliser. Pour Moscou, l’uranium appauvri rentre dans la catégorie du nucléaire, c’est l’équivalent d’une « bombe sale ».
Mais en réaction à la décision du Royaume-Uni de fournir des obus de chars à l’uranium appauvri, Poutine a décidé en mars, de transférer des armes nucléaires « tactiques » au Belarus voisin. Son ministre de la défense, Sergei Shoigu, a déclaré que tout cela « rapprochait de plus en plus » le monde d’une « collision nucléaire ».
Deuxièmement, la Grande-Bretagne provoque également une situation où une décision catastrophique, ou une simple erreur de calcul, de la Russie ou de l’Ukraine devient de plus en plus probable, comme les événements de la semaine dernière l’ont montré.
La Russie a frappé un dépôt de munitions militaires dans l’ouest de l’Ukraine, provoquant une gigantesque boule de feu. Des rumeurs ont couru que le site avait pu contenir des obus britanniques à l’uranium appauvri.
Que cela soit vrai ou non, cela nous rappelle que Moscou pourrait frapper un tel site de stockage, intentionnellement ou accidentellement, répandant ainsi la contamination dans une zone urbanisée.
Alors que l’Ukraine sera bientôt en possession d’une panoplie complète d’armes offensives, en grande partie grâce au Royaume-Uni – non seulement des drones à longue portée, des missiles de croisière et des chars, mais aussi des avions de chasse – il n’est pas difficile d’imaginer des scénarios terrifiants qui pourraient rapidement amener l’Europe au bord d’un conflit nucléaire.
Moscou frappe un dépôt de munitions à l’uranium appauvri, exposant une large population civile à une contamination toxique. L’Ukraine riposte par des frappes aériennes à l’intérieur de la Russie. Un échange nucléaire en Europe n’a jamais semblé aussi proche.
Ceux qui ont dit et disent qu’il est urgent d’entamer des pourparlers de paix plutôt que de se lancer dans une course aux armements en Ukraine semblent chaque jour avoir un peu plus raison. Pendant combien de temps encore les dirigeants et les médias occidentaux réussiront-ils à étouffer leur voix ?
Jonathan Cook - 27 mai 2023
Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel ad the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.