Mars 1871, Paris en fête appartient aux travailleurs en armes. Ceux-ci, après avoir enduré les rigueurs d'un siège et vingt ans de dictature impériale, se libèrent.

Ils ont collé au mur les généraux Lecomte et Clément-Thomas qui, sur ordre de Thiers, voulaient s'emparer des canons du peuple, et aussitôt de nombreux bourgeois s'enfuient ventre à terre à Versailles.

Le sieur Rampont, directeur général des Postes, pense d'abord pouvoir ruser, et demande à la Commune d'envoyer deux délé­gués pour « contrôler sa gestion ». Mais le contrôle s'avérant efficace, Rampont change de tactique et prépare pour les derniers jours de mars le sabotage systématique de son minis­tère. Au dernier moment, son plan prêt, il fait afficher un ordre dans la cour de l'Hôtel des Postes : tous les employés doivent quitter rapidement leur poste, sous peine de révocation immé­diate. Avec ses complices, il gagne clandestinement Versailles, après avoir détruit au maximum les installations, brûlant même une partie du matériel intransportable.

Ainsi, ie 31 mars, Paris se trouve privé de toutes communi­cations avec la province, et le nouveau responsable des Postes, nommé par la Commune, Theisz, doit tout reprendre en main. Militant de l'Internationale, âgé de 32 ans, l'ancien ciseleur sur bronze doit faire face à une situation très grave : les bureaux divisionnaires sont fermés, les timbres cachés ou emportés, les voitures et les cachets en grande partie dispersés. Surtout la caisse est vide. Lorsque les employés arrivent pour prendre leur service, Theisz est sur place et organise la discussion. Rapidement, la majorité du petit personnel se rallie à la Commune et c'est en s'appuyant sur elle que Theisz va remettre en marche le lourd appareil, en moins de 48 heures. Des employés compétents, militants socialistes pour la plupart, reçoivent la direction des différents bureaux divisionnaires et les réorganisent si bien que, dès le 3 avril, « le service pour la levée et la distribution des lettres dans Paris » est totalement rétabli.

Pour combler les vides, le « Conseil des Postes » embauche des travailleurs. Presque tous membres de la Garde Nationale, ils assurent leurs fonctions sans quitter fusil et cartouches l

Une école de télégraphie est ouverte par Pauvert dans laquelle les nouveaux employés apprennent en quelques semaines le métier auprès des anciens. Parallèlement à son travail de réor­ganisation, le « Conseil des Postes » prend des mesures en faveur des employés : le traitement des facteurs, des gardiens de bureaux et des chargeurs est augmenté, le statut des surnu­méraires amélioré et leur stage abrégé. Enfin, on décide que les fonctions seront attribuées à chacun suivant ses capacités, véri­fiées par des examens et des épreuves. On accorde des avances sur le salaire aux employés les plus démunis.

Le service des Postes fournit aussi, à plusieurs reprises, des « ballons montés » au moyen desquels plusieurs milliers de tracts, destinés aux paysans, seront largués en Ile-de-France.

Dans Paris et la proche banlieue, le courrier circule parfaite­ment bien et, à partir du 4 mai, on trouve à nouveau des timbres dans tous les bureaux de tabac. Pour les communications avec la province, le fonctionnement repose sur une équivoque qu'aucun des deux camps en présence ne supprime avant la « Semaine Sanglante » : Fédérés et Versaillais utilisent les mêmes timbres. En effet, Camélinat, ancien monteur en bronze, dirige l'Hôtel de la Monnaie et fait feu de tout bois : il frappe de nombreuses pièces et médailles en utilisant l'argenterie de l'hôtel de ville et du palais impérial. Pour les timbres-poste, il a remis les machines en marche et sort les anciens sans même les surcharger. Cela permet aux Communards de communiquer très facilement avec n'importe quel point du territoire, en utili­sant la poste versaillaise ! Il suffit de déposer les lettres norma­lement affranchies dans une boîte relevée par les adversaires. Pour cela, chaque jour, des dizaines de courriers courageux (plusieurs seront fusillés) franchissent les lignes versaillaises avec des musettes bourrées de lettres, à la recherche d'une boîte peu surveillée. Les Versaillais font de même dans une moindre mesure, mais les Fédérés, qui sont les premiers à mettre au point ce système, en sont les grands bénéficiaires, étant donné l'étendue des deux réseaux.

Toutefois, le « Père Duchesne », et avec lui bon nombre de Parisiens, réclament à Caméiinat de nouveaux timbres à l'effigie de la « Commune », « belle femme coiffée d'un bonnet phry­gien... », mais la Commune sera écrasée avant qu'ils ne sortent des presses. Une partie du courrier est interceptée et détruite par Versailles.

Pendant toute la Commune, Theisz équilibre son budget et fait fonctionner Postes et Télégraphes sans aide extérieure.

Ainsi, comptant sur leurs propres forces, des travailleurs, des militants révolutionnaires, des ouvriers ont réussi à faire fonc­tionner un service aussi complexe que celui des Postes, permet­tant aux dépêches et aux idées de la Commune de circuler aux quatre coins d'un territoire contrôlé par l'adversaire.

Gilles RAGACHE

 

Documentation :

Bibliothèque du Vieux Paris ;

     Archives Nationales.

Sources : Le Peuple Français - Revue d’Histoire Populaire - 07 09/1971

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