L'anniversaire de l'Armistice du 11 novembre 1918 a marqué profondément la mémoire collective du peuple français entre les deux guerres mondiales. Les anciens combattants étaient alors des hommes dans la force de l'âge.

Beaucoup de survivants de la Marne, de la Somme, de Verdun ou des Vosges ont ensuite parti­cipé aux combats de 39-40, aux luttes de la Résis­tance et de la Libération, à la grande marche victorieuse du Rhin au Danube.

Pourtant, le 8 mai 1945 n'a jamais possédé le pouvoir émotionnel du 11 novembre 1918. Sans doute parce que les Français ont gardé de la Pre­mière Guerre mondiale le souvenir qu'on vit alors se dresser une nation toute entière, unanime et réconciliée. Le second conflit, marqué par le heurt de grandes idéologies internationales, devait fata­lement prendre par certains aspects le caractère d'une guerre civile où les frères se déchirèrent entre clans rivaux ou ennemis. Joffre, Pétain et Foch, ce fut l'unité de la Patrie. De Gaulle, Pétain et Giraud, ce fut sa division.

Peu à peu, les anciens combattants de la Grande Guerre sont devenus des vieillards, pauvres survi­vants d'un ouragan de fer et de feu, où ils ont laissé le meilleur d'eux-mêmes : leur jeunesse et le sou­venir de leurs camarades disparus.

Par une étrange rencontre, le jour de l'Armistice de 1918 se situe au plus gris de l'automne et les commémorations s'accompagnent souvent de pluie, de brouillard et de vent, comme si la nature participait à la tristesse du souvenir.

Ne nous y trompons pas, cette journée de gloire est aussi et d'abord une journée de deuil. Ce n'est pas tant le succès de nos armes que nous cé­lébrons le 11 novembre que la mémoire des quinze-cent-mille Français qui ne devaient jamais plus revoir leur village. Sans compter les blessés, les malades, les gazés, les captifs, tous les hommes touchés dans leur chair et dans leur âme, marqués à jamais au fer rouge de l'épreuve et qui font aujourd'hui partie de cette grande armée invisible qui veille aux côtés de leur pauvre camarade inconnu de l'Arc de Triomphe.

Les survivants sont peu nombreux, avec leurs corps meurtris, leurs médailles, leurs souvenirs et ce mur de silence qui si souvent les sépare des autres générations. Quand nous voyons l'un deux, répétons toujours, à voix basse, ce mot inoublia­ble : « il a des droits sur nous ».

 

 Jean MABIRE

 

 

Sources : Hommes de Guerre - Novembre 1988.

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