A DRESDE, en février 1945, des prisonniers de guerre anglais, qui côtoyaient des prisonniers d'autres nationalités, dont des Russes, constataient avec satisfaction qu'ils n'étaient pas à plaindre car fort bien traités. L'un d'eux écrivait : « Nous disposons d'une extraordinaire liberté dans la ville. Le Feldwebel m'a déjà emmené visiter le centre de la ville. Indéniablement', Dresde est magnifique ».
La capitale de la Saxe, surnommée « la Florence de l'Elbe », était en effet considérée, à juste titre, comme un joyau culturel, dont le patrimoine artistique était un héritage de la Renaissance, de l'âge baroque et du classicisme. Ce cadre somptueux abritait un grand nombre de réfugiés de l'Est, ayant fui l'avance de l'armée rouge, qui semait la terreur, mais aussi beaucoup de travailleurs du STO, tandis que s'entassaient les blessés dans les hôpitaux.
C'est cette cible, sans aucun intérêt stratégique, que décidèrent d'anéantir les états-majors anglais et américain. Pour appliquer la méthode déjà mise en œuvre contre d'autres villes allemandes : terroriser la population civile pour qu'elle abandonne tout esprit de résistance. C'était un « bombardement moral », selon l'expression d'Arthur Travers Harris, commandant des forces de bombardement de la RAF, surnommé Bomber Harris (« Harris le bombardier ») mais aussi, par ses propres subordonnés, Butcher (« le boucher »). Il ment, donc, lorsqu'il prétend dans ses mémoires que « l'attaque de Dresde fut à ce moment-là considérée comme une nécessité militaire par beaucoup de gens plus importants que moi-même ». Norman Bottomley, chef adjoint de l'état-major, ne s'était pas embarrassé de subtilités de vocabulaire en ordonnant, le 27 janvier, que Dresde fût l'objet d'une « destruction sévère », sans donner de justification militaire — et pour cause. Tout fut donc préparé pour que s'abattît sur la ville « une tempête de feu », selon l'expression qui devait rester marquée dans les mémoires.
L'historien britannique David Irving résume la tragédie du 13 février : « Dans la ville, c'est la fin du carnaval et beaucoup d'enfants, à qui l'on veut cacher l'horreur de la guerre, sont costumés. Les vieux sont à l'Opéra : salle comble. On se presse aussi au cirque Sarasanni : grande nuit de gala, avec une immense foule enfantine dont les rires flottent sur la ville qui ne veut pas s'endormir. A l'instant même où le spectacle se termine, les Mosquitos W lâchent les premières fusées éclairantes, suspendues aux parachutes. Dans la rue, ravis, les enfants battent des mains. Alors commence l'apocalypse. Il est 22 heures : 245 bombardiers Lancaster bourrés à 75 % de bombes incendiaires, à 25 % de bombes explosives arrivent en vue de leur objectif. Le dosage savant des deux types de bombes provoque un véritable typhon de feu par appel d'air. Ceux qui ne sont pas brûlés vifs sont asphyxiés.
Ih45 : 529 bombardiers surgissent. Mille hectares sont ravagés par les explosions. 10 h du matin : 450 forteresses volantes américaines mettent le point final au carnage, tandis qu'une centaines de chasseurs Mustang mitraillent au sol tout ce qui a encore l'apparence de la vie ».
Un mécanicien embarqué dans l'un des bombardiers nota : « J'eus sous les yeux le spectacle atroce d'une ville en feu d'un bout à l'autre ». La ville brûla pendant trois jours. Les cadavres non entièrement consumés, pour la plupart non identifiés, furent entassés et détruits, pour éviter les épidémies.
Le martyre de Dresde suscita nombre de questions, gênées, dans le camp anglo-américain. Du coup Churchill adressa une note hypocrite à ses chefs d'état-major le 28 mars 1945 : « II me semble que le moment est venu de remettre en question le bombardement des villes allemandes fondé sur la simple intention de répandre la terreur, quoique sous d'autres prétextes apparents ».
Aujourd'hui de jeunes Allemands organisent chaque 13 février une Gedenkmarsch Dresden (« marche du souvenir pour Dresde »). Qui est, bien sûr, l'objet d'une répression de la part des autorités. Lesquelles, pour complaire aux Anglo-Saxons, ont décidé de diviser par dix le chiffre officiel des victimes des 13 et 14 février 1945... Mais ceux qui refusent de s'aplatir ainsi allument chaque 13 février, chez eux, une bougie. Au nom de la mémoire. Et pas seulement en Allemagne... Qu'on se le dise : nous n'oublions pas. Et nous ne pardonnons pas. Jamais.
Pierre VIAL
Sources : Rivarol 01/03/2013