femme decroche drapeau confedere etats unis

 

Longtemps, les Nordistes prétendirent qu’ils avaient été les pionniers de « l’émancipation féminine » en tenant la Convention de Seneca Falls, New York, en 1848. Mais, tandis que les femmes nordistes semblaient découvrir le fil à couper le beurre, les femmes sudistes ne les avaient pas attendues pour prendre leur destin en main. Loin des revendications souvent caricaturales de ces dames de la Nouvelle Angleterre, les femmes du Sud s’intéressaient à la chose militaire, s’occupaient de leurs fermes, dirigeaient des plantations et élevaient des familles sans en faire toute une histoire.

 

Sally

 

Un exemple ? Sally Tompkins. En juin 1861, elle est en visite chez des parents à Richmond quand arrive le premier train chargé des blessés de Manassas/Bull Run. Sans hésiter, elle va frapper chez le juge John Robertson et lui demande de mettre à sa disposition un bâtiment vide pour en faire un hôpital. Il accepte, subjugué par cette jeune femme qui n’a d’autres compétences médicales que son énergie et sa compassion. Pendant les quatre années de guerre, Sally soignera des centaines de blessé, ne déplorant « que » 73 morts.

Inutile de dire que cette activité lui vaudra toutes les jalousies des médecins professionnels qui voient d’un mauvais œil ce civil – pire : cette civile – empiéter sur leur pré carré. Un jour qu’ils demanderont la fermeture pure et simple de cette « officine sauvage », Sally ira trouver directement le président Jefferson Davis. Qui la nommera derechef capitaine dans la cavalerie confédérée, la mettant du même coup à l’abri des carabins grincheux. Historiquement, c’est la première intégration officielle d’une femme dans l’armée sur le sol américain.

 

phoebe

 

Autre femme remarquable, l’infirmière Phoebe Yates Pember. En 1861, cette veuve israélite, âgée de 38 ans, s’installe à Richmond et intègre le Chimborazo Hospital où elle se dévouera corps et âme. Après la guerre, elle écrira ses mémoires, A Southern Woman’s Story, document indispensable à qui veut comprendre les terribles réalités de la guerre dans le Sud.

Curieusement, les manuels officiels parlent peu, voire pas du tout, de Sally Tompkins et de Phoebe Yates Pember quand ils ne tarissent pas d’éloges à l’égard de deux infirmières nordistes, Clara Barton et Dorthea Dix, certes admirables, mais impliquées dans le soin des blessés bien après les deux héroïnes sudistes.

Dans The American Civil War. A Military History (publié en 2001 chez Perrin sous le titre La Guerre civile), John Keegan écrit : « Les rangs des armées confédérées étaient constitués d’une grande majorité de jeunes gens issus des campagnes qui avaient laissé les fermes aux mains des hommes âgés, des esclaves quand ils en possédaient, et des femmes. La place des femmes dans la société sudiste a été fortement mythifiée, mais elle n’avait rien de romantique à l’époque. »

Ajoutons que les femmes sudistes – et comment ne pas penser à la mère de Frank et Jesse James et aux épouses de ces deux guérilleros – firent preuve à de nombreuses occasions d’une véritable héroïcité. Pendant les années de guerre, bien sûr, mais pas seulement. Citons encore Keegan (historien yankee, pourtant) : « Réconforter des hommes vaincus, restaurer leur amour-propre, fut une part majeure des femmes après avril 1865. Cette expérience contribua à façonner les particularités des femmes du Sud. »

Pendant les combats, elles défendirent – physiquement – leurs terres, leurs champs, leurs maisons, leurs enfants. Mais elles s’engagèrent aussi, pour certaines, sur les champs de bataille. Comme cantinières, mais aussi comme soldats, s’habillant en hommes pour remplacer un père, un mari, un fils, un frère tombés au champ d’honneur. On retrouva à Gettysburg, par exemple, le corps d’une Sudiste engagée auprès de son mari.

On cite, côté nordiste, Sarah Emma Edmond, alias « Franklin Thomas », engagée dans une compagnie du Michigan. Elle fut des batailles de Blackburn’s Ford, du First Bull Run, de la campagne de la Péninsule, d’Antietam et de Fredericksburg. Et elle servit aussi comme espionne (grimée en colporteur ou en Noir).

 

pauline

 

Côté sudiste, une actrice de New Orleans, Pauline Cushman, infiltrée dans les milieux nordistes, œuvra elle aussi comme espionne pour les Confédérés. Parmi les exemples les plus émouvants, celui de Bettie Van Metre, qui se démena pour arracher son mari à l’enfer yankee. Voici son histoire.

 

betty

 

La lettre que Bettie Van Metre lit ce jour-là, est datée du 14 septembre 1864 : « Chère Bettie, si les Yankees ne le découvrent pas, ce mot te parviendra peut-être… » Cette lettre, qui lui a été remise par un soldat libéré sur parole, a été écrite par son mari, un officier sudiste prisonnier des Yankees.

Bettie Van Metre habite Berryville, Virginie, dans la vallée de la Shenandoah martyrisée par les envahisseurs nordistes. Elle vit là, seule, avec deux Noirs libres, Oncle Dick et Jennie. Un de ses frères a été tué à Gettysburg et, depuis trois ans, James, son mari, croupit dans les terribles geôles yankees. Elle participe à l’effort de guerre au sein du corps des infirmières et des couturières de la ville.

Fin septembre, un hôpital de campagne nordiste fait halte à quelques encablures de la maison de Bettie. D’une ambulance hippomobile, on a descendu un officier en piteux état. Il s’appelle Henry Bedell. Trois jours plus tôt, lors d’un accrochage préludant à la bataille d’Opequon Creek, il a été touché par des éclats d’obus. Il est lieutenant à la compagnie D du 11e régiment de volontaires du Vermont. Un des éclats lui a déchiqueté la jambe et on a dû l’amputer.

Décision sera prise d’évacuer les blessés à Harpers Ferry à quelque trente kilomètres de Berryville. Mais Bedell n’est pas transportable et on décide de le laisser dans une ferme abandonnée, avec un soldat pour veiller sur lui. Bedell est un homme courageux. Il n’a pas protesté contre la décision de ne pas l’évacuer avec les autres blessés. Il a juste demandé qu’on lui laisse une arme, un fusil à répétition. Au cas où… Au bout de deux jours, l’ordonnance supposé protéger Bedell abandonne son poste.

Oncle Dick le découvrira dans la ferme vide et se dépêchera d’aller prévenir Bettie :

– C’était comme un cauchemar. Ces pansements horribles et cette odeur effroyable. Voilà la guerre, sans clairons ni étendards. Seulement la saleté, la souffrance et la mort…

Prévenir les autorités confédérées ? L’amour de son mari la retient de le faire :

– Je me disais qu’il devait y avoir une femme, quelque part, qui, tout comme moi, devait attendre son mari, qui espérait, qui ne savait plus rien de lui. Il me semblait que tout ce qui comptait, c’était de rendre son mari à cette femme.

Elle va donc s’occuper de lui. Le soigner avec les moyens du bord. Le nourrir. Lui parler. L’empêcher de commettre un acte irréparable : se suicider ou aller à la rencontre des Sudistes, ce qui équivaudrait aussi à se suicider.

En octobre, le froid s’installe dans la vallée de la Shenandoah. Alors, avec l’aide de l’Oncle Dick et de son épouse, Jennie, Bettie décide de transporter le blessé chez elle. Mais l’état de Bedell s’aggrave vite. Alors, une fois encore, Bettie n’hésite pas. Elle envoie un mot au docteur Graham Osborne, le médecin de la famille, en lui demandant de passer la voir.

Le diagnostic du docteur Osborne est rapide :

– S’il n’est pas soigné radicalement, il va mourir…

– Alors, soignez-le, docteur.

– Je le voudrais que je ne le pourrais pas. Les médicaments dont j’aurais besoin sont introuvables dans notre pauvre Virginie…

– Eh bien, ces médicaments, je vais aller les chercher chez les Yankees à Harpers Ferry !

– C’est de la folie ! Trente kilomètres dans ce froid, avec ces hommes qui rôdent. Et puis les Yankees ne vous croiront pas

– Alors, j’apporterai une preuve.

Dans les affaires de Bedell, elle a découvert un document portant le sceau du ministère de la Guerre.

– C’est l’avis de sa dernière promotion. Quand je le produirai, on sera bien obligé de me croire.

À l’aube, avec dans sa poche la liste des médicaments dont le docteur Osborne a besoin, elle prend la route en voiture à cheval. Au bout de cinq heures, elle est attaquée par un déserteur, sudiste ou nordiste, qu’importe. Elle le chasse à coups de fouet et s’enfuit au grand galop.

À la nuit tombante, elle arrive à Harpers Ferry. On la conduit au général John Stevenson. Il écoute son histoire, sceptique, puis :

– Madame, l’ordonnance du lieutenant Bedell nous a dit qu’il était mort.

– Eh bien, il a menti ! Bedell est vivant. Mais pas pour longtemps si je ne rapporte pas ces médicaments. En voici la liste.

Le général Stevenson se laisse convaincre :

– Pas question de risquer une patrouille pour voir si vous ne mentez pas. Je vais demander que l’on vous donne des médicaments. Laissez-moi vous dire, même si vous mentez, que vous êtes une femme courageuse.

Soigné par le docteur Osborne, le lieutenant Bedell est rétabli en une quinzaine de jours. Oncle Dick lui ayant fabriqué des béquilles, il se risque autour de la maison, se signalant du même coup à l’attention des voisins. Un matin, le docteur Osborne vient prévenir Bettie :

– Bettie, on parle beaucoup. Votre affaire se présente mal…

– Je m’en doute. Et je ne veux pas vous mettre en danger, docteur… J’ai une idée.

Son idée, c’est d’aller voir son voisin, le vieux Sam, un fermier à qui les Yankees ont volé toutes ses mules. Sauf une qu’il a pu cacher. Elle lui met le marché en main :

– On pourrait échanger le Nordiste contre vos mules. À condition que vous acceptiez de transporter le blessé jusqu’à Harpers Ferry…

– Je n’ai plus grand-chose à perdre… J’accepte.

Dans un chariot auquel on a attelé la jument de Bettie et la mule de Sam, on charge Bedell. Et on se met en route. À une heure des lignes yankees, c’est la catastrophe. Deux cavaliers, des déserteurs encore, surgissent, réclament de l’argent et jettent Sam à bas du chariot. Tout est perdu… Deux coups de feu. Un cavalier s’écroule. Puis l’autre. C’est Bedell qui s’est servi de son fusil caché dans le foin.

Une heure plus tard, l’équipage arrive dans les lignes yankees. Bedell est sauvé. Mais l’histoire ne dit pas si le vieux Sam récupéra ses mules. Ramené vers Washington, le lieutenant Bedell va raconter son épopée au ministre de la Guerre, Edwin Stanton. Sans hésiter, il va envoyer une lettre de remerciement à Bettie Van Metre. Mais, surtout, il va signer l’ordre de libérer immédiatement son mari.

Encore fallait-il savoir où il était emprisonné. Selon les services administratifs nordistes, un certain James Van Metre avait été envoyé dans un camp de prisonniers de l’Ohio. Accompagné par Bedell, Bettie s’y rend. On fait défiler devant elle des dizaines de malheureux, affamés par leurs geôliers. Mais pas de James Van Metre parmi eux. Pour la première fois, Bettie perd courage. Et si James était mort dans un de ces camps de la mort où les Sudistes décèdent par centaines…

– Il faut chercher encore, lui dit Bedell. Gardez espoir.

Il a raison. Un jour, à Fort Delaware, dans le Maryland, un homme – un squelette presque – vient vers elle. C’est son mari. Via Washington, ils vont passer quelques jours dans la maison des Bedell dans le Vermont. Ce sera le début d’une amitié durable entre les deux couples. Les Bedell donneront à leurs deux enfants les prénoms de Bettie et de James. Cinquante ans plus tard, l’État du Vermont votera une motion de remerciement à Bettie. En 1915, à l’occasion de l’anniversaire de Lincoln, le gouverneur du Vermont, Charles Winslow Gates présidera un banquet en l’honneur de Bettie et lui remettra un parchemin relatant son aventure.

 

Drapeau USA ETATS UNIS SUDISTE Étendard Sudiste 150 X

 

Pour avoir une idée du courage de ces femmes, il faut aussi se replacer dans le contexte de l’époque, la société américaine du XIXe siècle en général et la société sudiste en particulier. Elles n’avaient bien souvent, jusqu’au début de la guerre, eu d’autres choix que d’être des « spectatrices ». Des épouses, des mères, des compagnes. Quand la guerre éclata, la société patriarcale se délita et les « patriarches » vinrent à manquer. Elles saisirent alors l’opportunité qui leur était offerte de devenir des « actrices » du destin de leur patrie. Volontairement ou contraintes par les faits, elles comblèrent les vides et remplirent tous les rôles jusqu’alors tenus par les hommes.

Elles venaient de milieux différents. Pour une minorité d’entre elles, des riches plantations, mais pour la majorité de fermes où les petits Blancs s’échinaient à survivre. Elles n’étaient jusque-là que d’aimables ornements de salons ou des paysannes brisées par les travaux des champs. Elles se hissèrent aux premiers rangs, rivalisèrent de courage avec les hommes et, bien souvent, les surpassèrent de courage dans l’adversité.

Ainsi la Sudiste Mary Terry endurera-t-elle les horreurs d’une prison yankee sans jamais rien renier de ses convictions. Et Charlotte S. Branch, Loreta Janeta Velasquez (alias « lieutenant Harry T. Buford »), Susan Tarleton, Ella K. Newson Trader (la « Forence Nightingale du Sud »), Mary M. Stockton Terry, Margaret Junkin Preston, Mary Amarinthia Yates Snowden, etc.

Dans de nombreux États du Sud, des monuments ont été élevés à la mémoire de ces femmes, ces steel magnolias, qui furent de fer et d’acier en effet. Dans un poème intitulé Women of the South (« Femmes du Sud »), l’écrivain Albert Sidney Morton les a ainsi célébrées :

« Qui nous a vus partir en souriant dans les larmes ?

« Qui a méprisé les renégats ?

« Qui, faisant taire ses craintes,

« A regardé, applaudi, puis pleuré et prié ?

« Qui a soigné nos blessures avec tendresse

« Et qui, lorsque tout a été perdu,

« Nous a relevés de notre désespoir

« Quel que soit le coût du malheur ?

« Les femmes du Sud. »

A. Sanders

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