Quand vous êtes arrivé à Brownsville, dans l’extrême sud du Texas, sur les bords du golfe du Mexique, vous ne pouvez aller plus loin. À moins de passer la frontière et de vous retrouver au Mexique dans une ville au nom très politiquement incorrect de nos jours : Matamoros (« tueur de Maures »).
Et c’est à 12 miles à l’est de Brownsville, dans un désert de cactus, de sable, de petites lagunes, que s’est déroulée la dernière bataille de la guerre entre les États. Cette rencontre pas vraiment amicale entre les Yankees et les Sudistes a eu lieu à Palmito Ranch. Les 12 et 13 mai 1865. Si vous êtes un peu versé dans la connaissance de ce conflit, la première vraie guerre moderne en fait, vous direz peut-être : « Mai 1865 ? Mais la guerre était finie alors… » Oui. Depuis trente-quatre jours exactement. Après la reddition du général Lee à Appomattox.
Il reste que la nouvelle de la fin du conflit n’était pas parvenue jusqu’à Brownsville où, des années durant, les Sudistes avaient pu déjouer le blocus nordiste et exporter, notamment, des chargements entiers de coton. Pour les soldats en bleu et les soldats en gris, la guerre continuait. Le 12 mai, les Confédérés du colonel John S. Ford attaquèrent les Nordistes dans un décor qui ajoutait encore au surréalisme de ce combat plus d’un mois après la fin des hostilités.
Un combat ? Plus que ça : une véritable déroute pour les Nordistes qui laissèrent sur le terrain quatre officiers et cent onze morts alors que les Sudistes n’eurent que quelques blessés légers. Quand la nouvelle de la fin du conflit parvint enfin à Brownsville, les Sudistes, qui passèrent du statut de vainqueurs à celui de vaincus, n’eurent que ce commentaire : « Lee s’est rendu ? Ah bon… Nous n’étions pas au courant… » Ce qui rappelle l’attitude du général sudiste cherokee, Stand Watie, qui continua de se battre plusieurs semaines après Appomattox : « Lee s’est rendu. Pas nous… »
Il faut se rendre à Palmito Ranch un matin de mai, comme je l’ai fait, alors qu’il ne fait encore « que » 35° et que le silence vous prend tout entier. Le moule dans lequel ont été fabriqués de tels hommes, soldats en bleu ou soldats en gris, est cassé depuis longtemps…
Après ce « pèlerinage », on remontera plus au nord, à l’est de Waco, entre Groesbeck et Mexia, au lieu-dit Confederate Reunion Grounds (« le rendez-vous confédéré »). Là, sur les rives de la Navasota, les vétérans sudistes se réunirent chaque année de 1889 à 1946. Les familles campaient sous les chaînes, chantaient, dansaient, festoyaient, mais rendaient aussi hommage aux Confédérés tombés au champ d’honneur. Aujourd’hui, le vieux dance hall de 1893 où l’on communiait entre frères d’armes porte encore dans ses murs le souvenir du Dixieland et des rebelles qui galopent à jamais dans nos cœurs.
Alain Sanders