Varina Howell Davis, épouse du président de la Confédération sudiste, Jefferson Davis, était ce qu’on appelait – et qu’on appelle encore – a true Southerm Belle. Une vraie Belle du Sud. Façon Scarlett O’Hara.
Sa beauté et sa personnalité aurait pu faire d’elle, en d’autres circonstances, un vrai personnage de roman, toujours à guerroyer pour – ou contre – quelqu’un, emberlificotée dans des amours impossibles. Le destin en a décidé autrement. Quand elle rencontre son futur époux, elle a 17 ans. Lui en a 36. Elle écrit à sa mère (qui n’a que 38 ans) : « Je ne sais pas si M. Jefferson Davis est jeune ou vieux. Il a l’air jeune et vieux à la fois. »
Bien des années plus tard, quand elle écrira ses mémoires, elle racontera sa première rencontre avec Jefferson. C’était l’époque de Noël et elle était l’hôte de The Hurricane, la plantation du frère aîné de Jefferson. Ils partirent faire une promenade à cheval : « Il chevauchait avec plus de grâce que n’importe quel homme de ma connaissance et donnait l’impression qu’il pourrait aller ainsi toujours, sans en être incommodé et épuisé. »
Née dans une famille de notables de Natchez, Mississippi, élevée aux Briers, elle a mené la vie classique d’une jeune Sudiste riche. Avec plein de rêves d’évasion : « Je multipliais les voyages autour de ma chambre (en français dans le texte). »
En 1843, elle est donc invitée à séjourner chez Joseph Davis, un ami de sa famille, dans une plantation située à une cinquantaine de kilomètres de Vicksburg (qui sera l’objet d’un long siège nordiste pendant la guerre de sécession). Peut-être Joseph eut-il l’idée que cette Belle du Sud ferait la conquête de son jeune frère, Jefferson, veuf depuis huit ans de Sarah Knox Taylor (fille du futur président Zachary Taylor), décédée quelques mois après son mariage. À 17 ans, sûre d’elle-même, énergique, un brin insolente, Varina n’est plus une petite fille. On dit qu’elle a « du feu dans les yeux ». Et, à d’autres moments, « du velours dans le regard ». Elle excelle en littérature anglaise et a étudié le latin. Elle lit les journaux politiques (dont le National Intelligences) et n’hésite pas à prendre part – sans rien cacher de ses opinions tranchées – aux débats du temps. La solidité terrienne de Jefferson va séduire Varina. Et Jefferson va tomber amoureux de cette jeune femme qui ne se contente pas de déguster élégamment des mint juleps. Quand elle revient chez elle, en janvier, ils sont fiancés. Mariés, ils ne se quitteront jamais plus.
C’est un beau mariage. Varina a de glorieux ancêtres : son grand-père, Richard Howell, qui a servi sous George Washington, ancien gouverneur du New Jersey ; son père, William Burr Howell qui a servi dans la Navy pendant la guerre de 1812 contre les Anglais. William, qui s’est installé à Natchez, deviendra l’ami de Joseph Davis qui, plus tard, sera son garçon d’honneur avec une autre Belle du Sud, Margaret Louisia Kempe. Cette dernière étant la fille du colonel James Kempe, de Dublin, Irlande, qui a combattu avec Andrew Jackson en Alabama et à New Orleans.
Le mariage de Jefferson et de Varina a lieu le 26 février 1845. Pour leur voyage de noces, les deux tourtereaux font une croisière sur le Mississippi, puis séjournent chez la sœur de Jefferson dans sa plantation de Louisiane et rendent visite à la mère de Jefferson dans la maison familiale de Woodville.
Très engagé politiquement, Jefferson Davis devient sénateur. Il sera réélu en 1848, l’année même de l’élection de Zachary Taylor comme président des Etats-Unis. Le jeune couple s’installe à Washington où le salon de Varina est très vite le plus couru de la ville. Elle se fait beaucoup d’amis. Et autant d’ennemis, notamment parce qu’elle et Jefferson sont devenus des intimes de Zachary Taylor (ils seront à son chevet lors de la mort du Président en 1850). De la même façon, ils seront très proches du successeur de Taylor, Franklin Pierce. C’est un Yankee de Nouvelle-Angleterre. Mais Jefferson Davis sera son secrétaire à la Guerre de 1853 à 1857.
Cette réussite n’empêcha pas Varina d’en sentir le poids et les contraintes : « J’ai commencé à ressentir l’amertume d’être la femme d’un politicien. » Elle en est consolée par la naissance d’un garçon, Samuel, en 1852. Et elle tient néanmoins sa place de « femme de politicien ». Dans ses mémoires, Jefferson Davis : A Memoir By His Wife (1890), elle fait un portrait de son mari proche de la dévotion.
À l’arrivée de James Buchanan au pouvoir, Jefferson Davis perd son poste à la Maison-Blanche, mais reste sénateur du Mississippi. Bientôt, la Caroline du Sud, vite suivie par d’autres Etats sudistes, dont le Mississippi, bien sûr, fait sécession. Les Davis quittent Washington et retrouvent, avec un soulagement non feint, leur plantation. « Ils sont revenus sur leur terre chérie, pour se préparer à ce que Jefferson Davis pressent comme “un long et difficile combat” », écrit Ishbel Ross dans First Lady of the South.
En février 1861, Jefferson Davis reçoit un message qui va bouleverser leur vie. Ce message ? L’annonce qu’il a été désigné comme président des Etats confédérés. Le jour suivant, il part pour Montgomery (Alabama), la première capitale des Etats sécessionnistes. Varina va le rejoindre quelques jours plus tard avec ses enfants (Jeff, 4 ans ; Joseph, 2 ans ; Samuel est mort en 1854) et sa sœur, Maggie. Son arrivée à Montgomery sur le King sera saluée par sept coups de canon. En peu de jours, elle installe à Montgomery une étiquette qui n’a rien à envier à celle de la Maison-Blanche. Ce qui lui vaut le surnom de Queen Varina (« la reine Varina »). C’est injuste. À son amie, Mary Chesnut, elle confie qu’elle n’est pas enchantée de la nomination de son mari au plus haut poste : « Être général en chef des armées lui aurait bien mieux convenu. » Après Montgomery, Alabama, c’est Richmond, Virginie, qui devient la nouvelle capitale de la Confédération. Varina, un peu rétive aux manières très British de la Virginie, fait mauvaise fortune bon cœur. D’autant qu’après de spectaculaires victoires sudistes, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Les forts Henry et Donelson tombent. Shiloh est un désastre. La Caroline du Nord, puis New Orleans sont aux mains des Yankees. La Virginie est menacée. Gettysburg et Vicksburg sonnent le début de la fin.
En 1864, le fils des Davis, Joe, âgé de cinq ans, tombe d’une échelle et se tue. Une mort qui fera taire ses ennemis : « Les gens ne me snobent plus, car c’est seulement quand le lion meurt qu’on lui donne le coup de pied de l’âne. Après, il est au-delà de toute critique. Inutile de dire que je ne mérite pas d’être appelée un lion et que les gens ne sont pas des ânes. » Mais les défaites s’accumulent : le siège de Petersburg, la chute d’Atlanta, les colonnes infernales de Sherman. Le 27 juin 1864, un bonheur : la naissance d’une petite fille, Varina Anne, surnommée « Winnie » (c’est le petit nom que Jefferson a donné à sa femme), mais aussi « la fille de la Confédération ». Mais elle est sans illusions : « Les ténèbres semblent descendre sur le Sud. » Une semaine avant la chute de Richmond, Jefferson lui demande de quitter la ville. Elle le supplie de la garder à ses côtés. En vain. Et elle part « vers l’inconnu » avec ses enfants, dans un train où a notamment pris place le secrétaire de son mari, Burton Harrison. Direction : Danville, Virginie. Et puis Charlotte, Caroline du Nord. Et Chester, Caroline du Sud. Et Abbeville, Géorgie. Pour s’arrêter enfin à Irwinville, dans le sud de la Géorgie.
À Jefferson, en fuite lui aussi après la reddition de Lee, elle écrit : « Vous devez vous souvenir que vous ne m’aviez pas promis d’être l’hôte d’un grand héros, mais celle d’un simple fermier. J’ai partagé tous vos triomphes, étant la seule bénéficiaire de ces triomphes, maintenant je ne réclame rien d’autre que le privilège, pour la première fois, d’être tout pour vous, maintenant que ces plaisirs du passé sont évanouis. » Ayant appris l’assassinat de Lincoln, elle écrit : « Maintenant, nous sommes à la merci des Nordistes. »
Contre toute attente, Jefferson Davis pourra retrouver Varina près de la petite ville de Milledgeville, Géorgie. Les voilà à nouveau réunis. Pas pour longtemps. Alors qu’ils campent dans un bois, les Davis et les soldats qui les accompagnent, sont réveillés un matin par une fusillade. Les Nordistes ? Oui. Mais occupés, à la suite d’une confusion, à s’entretuer ! Le répit est de courte durée. Une partie des cavaliers yankees surgit et capture le président du Dixieland. Nous sommes le 10 mai 1865.
Transportés dans des chariots jusqu’à Macon, Géorgie, les captifs sont transférés sur un radeau jusqu’à Savannah. Embarqués sur le steamer William P. Clyde, on les débarque à Hampton Roads, Virginie. C’est là que le couple sera séparé. Avant d’être emmené vers sa prison à Fort Monroe, Jefferson aura le temps de murmurer à Varina : « Essaie de ne pas pleurer, ils se réjouiraient de ton chagrin. » À Fort Monroe, rien ne sera épargné au président aux liens. On le jette, les fers aux pieds, dans une cellule froide et humide. Varina dira tout cela : « Les murs détrempés, la nourriture, trop mauvaise pour être mangée, le manque de sommeil dû aux rondes incessantes des sentinelles autour de la cage de fer, la lumière jamais éteinte, les appels bruyants dès qu’un petit peu de répit s’installait, les portes que l’on ouvrait (...), tout cela rendit mon mari brûlant de fièvre et épuisa rapidement ses forces. » On interdira même à Jefferson Davis de recevoir des vêtements de rechange.
Quant à Varina et à ses enfants, ils furent placés sous bonne garde dans les locaux de l’Hotel Pulaski à Savannah, leur peine n’étant soulagée que par les marques d’affection prodiguées, malgré les Yankees, par les habitants de la ville. Mais c’est là que Varina montrera sa force de Magnolia Steel, ces « magnolias d’acier » comme on appelle les femmes du Sud. Jour après jour, sans nouvelle aucune, elle écrit pour réclamer que son mari soit, sinon libéré, au, moins décemment traité. Toutes ses lettres resteront sans réponses. Jusqu’au jour où elle va contacter un journaliste new-yorkais alors célèbre, Horace Greeley. C’est un Nordiste, mais il s’est toujours consacré aux causes perdues. Il va se consacrer à celle de Jefferson Davis. Multipliant les documents prouvant que Jefferson Davis n’est impliqué en rien dans le complot de l’assassinat de Lincoln, il obtiendra une victoire sur ce point. Mais Jefferson Davis restera dans son enfer. En désespoir de cause, Varina décide d’écrire au président Andrew Johnson. En mai 1866, elle se rend à Washington. Reçue amicalement par le Président à la Maison-Blanche, elle va obtenir dans un premier temps que les conditions de détention de son mari soient allégées. Et, dans un second, l’autorisation de partager son sort en prison. Deux ans passeront ainsi avant que Davis soit libéré et autorisé à s’installer, sous haute surveillance, à Richmond. Dans l’ex-capitale sudiste, installé au Spotswood Hotel, les Davis recevront la visite de centaines de gens pressés de les assurer de leur amitié et de leur admiration. Bientôt, ils recevront l’autorisation de partir s’installer au Canada, à Lennoxville. « Un roi et une reine en exil », écriront les journaux.
Libres de leurs déplacements, ils voyageront à Cuba, puis à New Orleans où on les reçoit avec tous les honneurs. Ils iront aussi dans leur ancienne plantation du Mississippi. Il n’en reste rien : les Yankees ont tout pillé, retourné les champs, brûlé les bâtiments. Malgré leurs faibles ressources, ils entameront, via l’Angleterre, un voyage en Europe. Bientôt sans le sou, Jefferson Davis va accepter un poste de président d’une compagnie d’assurance à Memphis, Tennessee. Ce n’est pas la panacée.
Et puis le sort tournera. Les Davis rencontrent la veuve d’un riche planteur, Sarah Dorsey, qui vient d’acheter le domaine de Beauvoir sur les bords du Mississippi. Elles les invitent à venir vivre chez elle. C’est là que Jefferson Davis écrira les deux tomes de son livre, The Rise and the Fall of the Confederate Government, bientôt rejoint par Varina, restée jusque-là en Angleterre à cause de sa santé déclinante. Ensemble, pendant trois longues années, ils vont se consacrer à l’écriture des mémoires de Davis. Le livre terminé, Varina dira qu’il rétablit « la vérité sur les légitimes motifs du Sud aux yeux du monde ».
Avant sa mort, Sarah Dorsey vend Beauvoir à Davis dont elle a fait son exécuteur testamentaire.
Jusqu’à son décès, Jefferson Davis refusera de prêter serment au gouvernement fédéral et ne tentera jamais de récupérer sa citoyenneté américaine (1). Davis mourra en 1889. Varina lui survivra jusqu’en 1906 à New York où elle s’était installée après le succès des deux tomes de ses propres mémoires.
Son corps sera ramené – « Burry me in Dixie » – dans son Sud natal. Elle est enterrée, aux côtés de son mari, à Beauvoir, Mississippi.
Alain Sanders
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(1) Il la récupérera, à titre posthume, sous la présidence de Jimmy Carter.