une carte medievale revele que les routes romaines n ont jamais disparu en grande bretagne

 

Elles ont vu passer les légions romaines, puis les chevaliers médiévaux. En Grande-Bretagne, certaines routes vieilles de 2 000 ans ont, malgré les bouleversements sociaux et politiques entre l'Antiquité et le Moyen Âge, survécu aux siècles… et révèlent aujourd'hui leurs secrets grâce à la carte de Gough.

80 000. C'est le nombre de kilomètres de routes créées par les Romains en 200 apr. J.-C. à travers leur zone d'influence, s'étendant des Indes jusqu'à la Grande-Bretagne. Sur cette dernière île, conquise en 43 apr. J.-C., a ainsi été déployé un réseau routier dense afin de permettre un déplacement efficace des troupes et des marchandises. Or, au Moyen Âge, ces voies romaines ont continué d'être utilisées. Et ce, pendant plus de mille ans après la chute de l'Empire romain, révèle une étude publiée dans le Journal of Archaeological Science de juillet 2025, repérée par nos confrères de La Brújula Verde.

 

Des artères antiques aux réseaux médiévaux

Pour parvenir à ces conclusions, ses auteurs se sont appuyés sur la carte de Gough (Gough Map), l'une des plus anciennes représentations cartographiques de la Grande-Bretagne, conservée à la bibliothèque Bodléienne d'Oxford (Angleterre). Dessinée sur un parchemin au XVe siècle, elle relie par des lignes rouges de nombreuses villes et rivières du royaume.

Les historiens estimaient jusqu'à présent qu'elles indiquaient des distances entre les lieux. Mais les archéologues Eljas Oksanen (professeur à l'université d'Helsinki, Finlande) et Stuart Brookes (chercheur associé à l'Institut d'archéologie de la London's Global University, Angleterre) y ont vu autre chose : un réseau réel d'axes de circulation. Ils ont donc créé un système d'information géographique (SIG) croisant de multiples données : vestiges archéologiques, toponymes anciens, chartes foncières, cartes anciennes, monnaies…

L'équipe a pu faire correspondre 99 % des tracés figurant sur la carte de Gough avec des routes historiques avérées. Mieux encore : environ un tiers (36 %) des itinéraires correspond aux voies romaines, datant de plus d'un millénaire auparavant ; un autre tiers, à des routes spécifiquement médiévales ; le reste, à des périodes plus tardives. Si certaines routes ont bel et bien abandonné après le départ des légions au début du Ve siècle, les grands axes comme la Watling Street (reliant Dubris à Viroconium) ou la Great North Road (de Londinium à LindumEboracum, le mur d'Hadrien et au-delà) ont perduré.

L'un facteur déterminant dans la survie des voies romaines a été la nature des sols, estiment les chercheurs. Les routes bâties sur des terrains bien drainés (la craie, par exemple) ont mieux résisté au temps, contrairement à celles traversant des terrains argileux et humides. De même, celles qui reliaient des villes prospères ou des ports importants ont plus de chances d'être maintenues en usage. Enfin, les régions disposant de gouvernements stables ont davantage entretenu leurs infrastructures que les zones frontalières ou conflictuelles, comme les forêts de Selwood et du Weald.

 

Un héritage en pierre et en habitudes

Les anciens chemins romains n'ont pas seulement été réutilisés. Ils ont également influencé durablement les habitudes de déplacement des populations médiévales. L'étude, qui a également porté sur la répartition de milliers de pièces romaines et médiévales découvertes par des amateurs dans les champs anglais, montre que celles du Moyen Âge se concentrent souvent près des tracés de la carte de Gough. Une corrélation qui devient plus évidente à partir du XIe siècle, avec la fondation de nouveaux marchés et la construction de ponts. Même les grands bouleversements démographiques comme la peste noire n'auraient pas remis en question ce maillage structuré par les artères commerciales médiévales.

Tous les itinéraires antiques n'ont en revanche pas survécu. Certains, comme ceux menant à la cité oubliée de Sorviodunum (Old Sarum), ont disparu avec les villes qu'ils desservaient. D'autres, le long du corridor Tamise, ont souffert du basculement vers le transport fluvial et des bouleversements politiques du début du Moyen Âge ; la vallée formait une frontière entre les royaumes anglo-saxons du Wessex et de Mercie. Malgré cela, dans les basses terres crayeuses bordant la rivière, de rares segments de routes romaines ont persisté.

Ce que révèle finalement la carte de Gough, c'est que les routes ne sont pas seulement des lignes sur une carte, mais des traces profondes de l'organisation des sociétés. Elles incarnent à la fois les contraintes du terrain, les logiques politiques, les nécessités économiques et les pratiques quotidiennes anciennes. Cette permanence dans le paysage rappelle également (à nouveau) la qualité exceptionnelle des infrastructures antiques. Notamment, le légendaire béton romain, dont la robustesse fascine encore de nos jours.

Mathilde Ragot - Journaliste rédactrice web Histoire GEO.fr - 22/05/2025

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