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Terre & Peuple : Comment avez-vous rencontré Jean Haudry et découvert son oeuvre?

Alain de Benoist : Jean Haudry était pour moi un ami de plus d’un demi-siècle. Nos relations, déjà constantes auparavant, se sont accélérées à partir du début des années 1990. Les 8 et 9 février 1992, par exemple, nous avons l’un et l’autre participé au 2e colloque de l’association Europa Sacra, à Crêt-Bérard (Suisse), en compagnie de Démètre Théraios, Jean-Marie Paupert et Jean-Louis Voisin.

Le 3 septembre 1999, nous nous nous étions vus à Paris, pour déjeuner avec le patron des éditions Klinckieck. Nous nous sommes retrouvés le 28 octobre 20008, à l’occasion du colloque sur « Le héros et l’identité européenne » à la Bibliothèque Nucera de Nice, avec également Bernard Asso, Gérard-François Dumont et Yvan Blot. Le 9 février 2018, il participait avec Xavier Delamarre à l’enregistrement d’une émission sur Georges Dumézil, que j’avais réalisée pour TV-Libertés dans la série « Les idées à l’endroit ». Quelques mois plus tard, le 26 mai, nous dînions ensemble avec Jean-David Malnati pour jeter les bases d’une nouvelle Société d’études indo-européennes – un projet malheureusement resté sans suites, en raison du suicide totalement inattendu de notre ami Malnati.

 

T&P : Quel souvenir gardez-vous de l'homme ?

A de B : Le souvenir que je garde de lui est particulièrement vif. Ce qui frappait le plus chez Jean Haudry, c’était à la fois sa gentillesse, sa disponibilité et son extrême modestie, qui est la marque des vrais savants. Je ne me souviens pas d’une seule fois où, ayant fait appel à lui, en particulier pour lui demander des articles pour les revues que je dirige, Nouvelle Ecole et Krisis, il ne m’ait pas donné immédiatement une réponse positive. Avec ceux qui l’approchaient, il était d’une bienveillance qui confinait parfois à une indulgence excessive ! Durant toute sa vie, il n’a jamais répondu une seule fois aux attaques dont il a pu faire l’objet, de la part d’adversaires incultes ou de mauvaise foi. Il se contentait, à très juste raison, de les mépriser.

 

T&P : Quel jugement peut-on porter sur son parcours et sur son œuvre ?

A de B : Il a sans conteste été l’un des grands indo-européanistes de son temps. En témoignent l’originalité et le haut niveau de ses articles et des ouvrages, mais aussi les initiatives qu’il a prises au fil des années. On se souvient bien sûr de la revue Etudes indo-européennes, qu’il avait fondée en 1982 à l’Université de Lyon III (Université Jean Moulin), et de la Société internationale d’études indo-européennes qu’il avait fondée en 1999 en compagnie de Jean-Paul Allard, aujourd’hui hélas décédé lui aussi.

 

T&P : Quels sont les acquis principaux des recherches de Jean Haudry ?

A de B : Outre quantité d’études spécialisées, notamment dans le domaine védique, ses deux contributions personnelles les plus originales sont celles qui ont porté sur la notion de « tradition indo-européenne », une forme de reconstruction que l’on peut qualifier de métalinguistique, car elle prolonge celle de la langue pour s’étendre d’abord au discours, puis à la vision du monde, qu’il a cernée avec une grande précision en s’appuyant notamment sur les concordances formulaires et qu’il a ensuite déclinée chez les Grecs et les Romains, les Celtes, les Germains, etc. – et surtout celles qu’il a consacrées à ce qu’il appelait la « religion cosmique » des premiers Indo-Européens. Georges Dumézil, dont il fut l’élève, avait longuement travaillé sur l’idéologie tripartie des Indo-Européennes, mais sans guère se soucier de placer son élaboration dans une perspective historique. Haudry a comblé ce manque en mettant au jour diverses strates de religiosité chez les Indo-Européens, en montrant notamment que la strate correspondant à l’idéologie des trois fonctions (et des quatre cercles d’appartenance), suivie de celle de la « société héroïque », avait été précédée d’une autre, où la tripartition ne jouait pas encore de rôle, mais où la religion était essentiellement fondée sur des considérations cosmiques. D’où ses passionnantes études sur les « trois cieux et les trois couleurs », l’homologie des cycles saisonniers et des périodes de la journée, le mariage du Ciel diurne et de la « belle saison », le drame cosmique annuel de l’alternance entre le long jour et la longue nuit séparés par des périodes aurorales, des thèmes comme le « feu dans l’eau » ou la « traversée de l’eau hivernale », etc. Tous ces travaux ont véritablement renouvelé le champ des études indo-européennes.

Jean Haudry a également soutenu la thèse de l’origine circumpolaire des Proto-Indo-Européens, en s’appuyant sur des travaux antérieurs qui n’avaient pas été correctement interprétées ou des sources injustement mésestimées (Ernst Krause, Lokamana Bâl Gangadhar Tilak). Cette thèse, qui conduit à ne voir dans la culture steppique des kourganes que le dernier habitat commun des Indo-Européens, ne fait pas aujourd’hui l’unanimité, mais je suis convaincu qu’elle s’imposera avec le temps.

 

T&P : De quel article, de quel livre de Jean Haudry recommanderiez-vous tout particulièrement la lecture ? et pourquoi ?

A de B : Il faut évidemment commencer avec les deux petits livres les plus accessibles au grand public, parus l’un et l’autre dans la collection « Que sais-je ? » aux Presses universitaires de France : L’indo-européen (1979) et Les Indo-Européens (1981). Ce dernier titre, qui a été traduit en allemand, en anglais, en serbo-croate, en portugais, en italien, en espagnol, en roumain et en grec, a été réédité en 2010 aux éditions de la Forêt. On pourra ensuite se lancer dans des ouvrages plus pointus, les principaux étant à mon avis La religion cosmique des Indo-Européens (Archè et Belles lettres, 1987), ainsi que deux recueils plus récents : Sur les pas des Indo-Européens. Religion, mythologie, linguistique (Yoran 2022) et le Lexique de la tradition indo-européenne (Yoran, 2023).

Alain de Benoist

Il est l'un des fondateurs de la Nouvelle Droite, le directeur des revues Eléments, Krisis et Nouvelle Ecole. Il est l'auteur d'un très grand nombre d'ouvrages et d'articles touchant à la philosophie, l'ethnographie et les idées politiques.

Source : Terre & Peuple Magazine N°97 – septembre 2023.

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