Jean Haudry
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Le fait indo-européen trouve son origine dans les vagues d’expansion d'un peuple de l'Europe préhistorique qui a porté sa langue, puis les dialectes qui en sont issus, progressivement, de l'Atlantique à l'Inde jusqu'au seuil de l'Antiquité. Ce peuple a également transmis dans son sillage sa tradition poétique et narrative, sa religion et ses conceptions, qui ont perduré dans les branches « dialectales » issues de la souche commune : Anatoliens, Italiques, Celtes, Germains, Baltes, Slaves, Albanais, Grecs, Arméniens, Indo-Iraniens, pour les plus connues d'entre elles, constituant ainsi un immense domaine de recherche.
Ce recueil présente quinze études du professeur Jean Haudry, inédites ou publiées précédemment dans des revues scientifiques et des ouvrages collectifs, études consacrées à divers aspects de la culture indo-européenne, telle que la mettent en évidence les différentes disciplines issues de la linguistique, notamment la reconstruction et le comparatisme, désormais inséparables de l'histoire et de l'archéologie.
Le choix des textes rassemblés ici privilégie l'exploration de notions, de mythes et de traditions significatives. À travers les notions préhistoriques de « ciel-diurne » ou de « feu des Eaux », la doctrine des Âges du monde, le mythe des Argonautes ou la légende fondatrice de Rome, se dessinent, sur une très longue durée, différentes phases d'un univers mental. Le recueil présente ainsi des faits indubitables et la méthode qui les établit.
Il est précédé d'un entretien avec l'auteur et suivi d’une bibliographie de son œuvre scientifique.
Jean HAUDRY est agrégé de grammaire, ancien professeur de sanskrit et grammaire comparée des langues indo-européennes, et ancien directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études.
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Propos recueillis par Frédéric Andreu-Véricel
Cher Monsieur, vous venez de commettre un texte fort savant sur le thème de l'habitat des Indo-Européens. Tiré d'un ensemble de travaux en cours, ce dernier s'inscrit dans une conception nordique de la tradition et des hommes.Sans prétendre faire le tour du sujet, les questions suivantes visent à lever un coin du voile sur ce thème aussi déterminant que controversé (FAV).
Q1 - À l'instar des Inuits de la zone arctique dont le lexique connait de très nombreux termes pour désigner la neige, la glace et, pour se repérer dans l'espace, d'un nombre encore plus grand de termes pour désigner le blanc, le PIE reflète-il le cadre de vie nordique ?
R -Il est probable que les Indo-Européens ont eu plusieurs noms de la neige et du gel quand ils habitaient les régions circumpolaires. Toutefois, avec l’optimum climatique qu’on situe entre 12.700 et 10.700 avant notre ère, ces régions étaient moins enneigées qu’elles ne le sont aujourd’hui. En s’installant dans les régions tempérées, les Indo-Européens ont pu perdre les noms de certaines variantes devenus sans objet. Mais le lexique a conservé un doublet significatif. Au début, le nom de la neige s’identifie à celui de l’hiver. Par la suite, il s’est créé un nouveau nom dérivé de la racine signifiant «coller» typique de la neige des régions tempérées de plaine. Pour la couleur blanche, l’indo-européen distingue entre le blanc brillant et le blanc mat.
Q2 - Votre texte nous apprend par ailleurs qu'une langue agglutinante aurait vraisemblablement précédé la flexion de l'Indo-Européen. Sait-on pourquoi cette mutation s'est opérée en Indo-Européen alors que d'autre langue comme le turc ne l'ont pas connu?
R -Toute langue agglutinante ne devient pas flexionnelle. Les langues flexionnelles sont rares parmi les langues du monde.
Q3 - L'espace circumpolaire (où vous situez la formation de l'ethnie) va du pôle nord au cercle arctique. C'est donc un immense territoire composé d'une calotte glacière, d'îles et de terres. En l'absence de découverte archéologique probante, les spéculations vont bon train quant au lieu de l'habitat. Un espace plutôt qu'un autre a-t-il cependant votre faveur?
R -L’espace circumpolaire n’est pas nécessairement celui de la formation de l’ethnie qui pouvait exister antérieurement, que ce soit indépendamment ou comme partie d’un groupe plus étendu. Mais il est impossible de préciser le lieu correspondant, qui a pu être englouti à la suite du réchauffement.
Q4 - Votre approche chronologique de la reconstruction vous a permis de distinguer plusieurs « périodes ». La première vaut pour la seule formation de l'ethnie. Pouvez-vous nous dire combien d'autres périodes avez-vous circonscrit et par quoi ces dernières se caractérisent?
R -La première période de la tradition indo-européenne se caractérise par un panthéon cosmique (Ciel diurne identifié au Soleil, Ciel nocturne, Aurores, Lune, et à prédominance féminine ; c’est le cas pour le Ciel diurne et les Aurores.
On peut supposer une société archaïque, la bande primitive, dans laquelle les femmes jouissaient d’un statut privilégié et d’une liberté qui s’est conservée partiellement dans le mariage dit «par libre choix» de l’aristocratie.
La deuxième période est celle de la société lignagère, patrilinéaire et patriarcale. Elle s’accompagne de la néolithisation. C’est celle où apparaissent les trois fonctions de Dumézil et où la société s’organise en quatre cercles, la famille, le clan, le lignage, la tribu.
La troisième période est la société héroïque, bien connue des historiens. Elle n’est commune qu’en partie.
Q5 - La thèse récente d'un Ulysse balte défendue par Felice Vinci a étonné le monde scientifique. La localisation dans l'espace baltique de la société de type aristocratique décrite par Homère est-elle selon vous crédible ?
R -L’«Ulysse balte» de Felice Vinci n’est admissible qu’à l’intérieur d’une chronologie où il constitue la strate la plus ancienne. Mais les poèmes homériques doivent beaucoup aussi à la société mycénienne, qui est méridionale : elle se partage entre la Grèce et la Crète.
Q6 - Georges Dumézil est notamment connu pour sa théorie des « trois fonctions ». Il semble que certains peuples indo-européens ont généré une caste sacerdotale tandis que pour d'autres, c'est la caste guerrière qui domine. Qu'en est-il des Indo-Européens les plus archaïques ?
R -Ayant mis en lumière la triade des fonctions, Dumézil s’est tout naturellement confiné dans ce que je nomme la deuxième période de la tradition. Ce qui l’a conduit notamment à rejeter l’essentiel du panthéon grec, qui est issu de la période précédente, et à ignorer la période héroïque, celle où apparait la guerre qui est un phénomène récent, comme l’ont montré les archéologues. L’entrée des Indo-Européens dans la «Vieille Europe» agricole et pacifique n’a pas été guerrière, faute de résistance des populations.
Q7 - Vous avez fait remarquer que l'expression « idéologie des trois fonctions » chère à Georges Dumézil est peu idoine aux réalités qu'elle désigne puisque l'indo-européen ne connait pas de mot pour dire « fonction ». On peut en dire autant du terme « indo-européen » puisque cet adjectif appartient au métalangage de la linguistique. Sait-on comment les indo-européens se nommaient-ils eux-mêmes ou comment leurs voisins les nommaient-ils?
R -Le terme d’idéologie me semble impropre pour les trois fonctions. C’est une structure naturelle, spontanée et non une création intentionnelle à base idéologique.
Q8 - Bien que le terme « chamanisme » ne semble pas d'origine indo-européenne, a-t-on trouvé trace d'un chamanisme ancien dans la tradition ? Le fameux « vol d'Icare » du mythe grec a été interprété comme un son ancien au « voyage astral » du chamane. Est-ce selon vous crédible ?
R -Il existe des traces indéniables de chamanisme chez plusieurs peuples indo-européens, notamment les Grecs et les Iraniens. Reste à savoir s’il s’agit de conservation ou d’emprunts.
Q9 - Dans votre texte vous estimez que « la tradition est toujours plus ancienne que le peuple qui la porte ». N'est-ce pas une manière de dire que la tradition n'est pas d'origine humaine et que ne l'étant pas, elle ne peut être que « surnaturelle » ?
R -La tradition est toujours antérieure au peuple qui la porte, mais ce n’est pas une raison pour lui attribuer une origine surnaturelle: c’est un héritage ancestral.
Q10 - Pouvez-vous enfin nous dire un mot sur vos recherches actuelles ? Le texte « l'habitat circumpolaire des IE » fait partie d'un corpus plus étendu, n'est-ce pas ?
R -Il m’arrive encore de pratiquer la recherche, à l’occasion, et de proposer des idées nouvelles comme l’identification de Minos à un dieu Lune époux d’une déesse Soleil nommée «Celle qui brille pour tous» (article des Mélanges de Lamberterie) ou de Balder à un jeune Soleil du prochain cycle cosmique (article des Mélanges Dillmann à paraître). Mais pour l’essentiel, je me consacre à la rédaction de Tradition indo-européenne déjà bien avancée, mais qui progresse régulièrement.
L’habitat circumpolaire des Indo-Européens
Comme les Indo-Européens sont les locuteurs de l’indo-européen reconstruit, qui, avant de devenir une langue flexionnelle, comme le latin et les langues romanes, a été une langue agglutinante et peut-être une langue isolante, il ne faut pas craindre d’étendre cette profondeur temporelle à l’étude de leur tradition, et par exemple reconstruire un modèle dans lequel le printemps, succédant à une nuit hivernale, était effectivement le matin de l’année. Le souvenir s’en est conservé en Inde comme l’indique le passage de la Taittirīya saṃhitā 1,5,7,5 « Jadis, les brahmanes craignaient que l’aurore ne revînt pas. »
Si l’on estime que la formule islandaise til árs oc friðar a pour but de pourvoir à la venue d’une année elle exprime une préoccupation similaire : si la nouvelle année risque de ne pas venir, c’est qu’un hiver éternel peut l’en empêcher. Le souvenir s’en est conservé aussi dans l’Avesta, Yašt 6,3 « quand le soleil ne se lève pas, les démons détruisent tout ce qui existe sur les sept continents ». Il s’est aussi conservé dans le « Grand hiver » de la mythologie scandinave. Les passages d’Hérodote sur les populations qui dorment la moitié de l’année, de Stace sur les hommes primitifs qui, à la tombée de la nuit, « désespéraient de revoir le jour » cités montrent que l’Antiquité classique en conserve également des traces sans qu’on sache par quelle voie ce lointain souvenir lui est parvenu.
L’hypothèse présentée ici diffère profondément de celle de Warren (1885), fréquente au XIXe siècle : un refroidissement de la terre qui aurait commencé par les pôles, et les aurait rendus inhabitables pour l’homme. On sait aujourd’hui que la dernière période habitable des pôles se situe au tertiaire, où l’homme n’existait pas encore. Au contraire, survenu après leur refroidissement qui les a rendus inhabitables, un réchauffement limité qui se situe entre le dixième et le huitième millénaire avant notre ère est un phénomène similaire à celui qui, au moyen âge, a valu au Groenland son nom de « pays vert ».
Ce que j’entends par « tradition indo-européenne » n’est donc pas une tradition qui se serait formée pendant la période commune des Indo-Européens qui se situe entre 4500 et 2500, mais une tradition antérieure dont ils ont eux-mêmes hérité et qu’ils ont transmise à leurs descendants. La tradition est toujours plus ancienne que le peuple qui la porte et la transmet.
La notion de tradition indo-européenne et la perspective chronologique qui en est indissociable permettent de résoudre nombre de problèmes que soulèvent les données observées et souvent, comme pour celui de l’habitat originel, de montrer qu’il s’agit de problèmes mal posés. Elle permet par exemple, pour la signification des feux annuels, de sortir du dilemme, déjà évoqué par Frazer dans le Rameau d’or, et toujours actuel, du « feu solaire » et du « feu purificateur » : la théorie solaire vaut pour la période la plus ancienne, où la disparition du soleil dans la nuit hivernale était une réalité vécue, ou une réalité ancienne dont on conservait le souvenir ; celle du feu purificateur vaut pour les périodes ultérieures à partir de l’introduction de l’élevage au Néolithique.
La fête ionienne-attique des Apatouries fournit aussi un exemple de la pertinence d’une approche chronologique. A en juger par son nom, qui signifie « fête de ceux qui ont le même père », ce devrait être une fête du lignage, se rattachant à la société lignagère de la part centrale de la période commune. Or elle est à la fois plus récente sous la forme dans laquelle elle est attestée, et plus ancienne par ses origines. Plus récente, car c’est en réalité une fête des phratries, placée sous le patronage de Zeus Phratrios et d’Athéna Phratria. Bien qu’elle soit censée regrouper des lignages (génē), la phratrie est une institution d’époque historique qui reflète la solidarité entre voisins, apparentés ou non, comme le mir russe ; un lien avec des compagnonnages guerriers typiques de la société héroïque a également été envisagé. Mais le rituel qui lui correspond, celui du combat de Xánthos « le Blond » contre Mélanthos « le Noir », combat truqué en faveur de Mélanthos par Dionysos à l’égide noire, à l’origine de la réinterprétation du nom de la fête à partir du verbe « tromper », apateîn, n’a aucun lien avec les solidarités sociales, qu’elles soient lignagères, locales ou compagnonniques : il s’agit de la nuit hivernale qui sous-tend nombre de conceptions de la période la plus ancienne de la tradition, et qui a un parallèle dans le combat entre l’Ārya et le Śūdra pour s’emparer d’une image solaire lors du Mahāvrata indien, qui est initialement un « grand tournant », mahāvarta, et non un « grand vœu ». Le nom des Anthestéries qui signifie originellement « traversée des ténèbres » a fait l’objet d’une réinterprétation analogue : il a été réinterprété en « floralies », bien que les fleurs soient totalement absentes des documents correspondants. La situation est similaire à celle de l’expression homérique en nuktòs amolgôi « dans le lait de la nuit » = « dans la lueur tremblante de la nuit » image inconnue en grec alors qu’en védique la nuit et le crépuscule sont souvent figurés par le lait.
La reconnaissance de l’existence de la tradition conduit aussi à distinguer l’âge d’un texte de l’âge de son contenu. C’est ce qu’a montré Filliozat (1962 : 340) à propos des Pléiades dont le Śatapatha brāhmaṇa 2,1,2,2-3 affirme qu’elles ne se départent pas de la direction de l’est. « La position vraie de l’équinoxe vernal dans les Pléiades a eu lieu à haute date, au milieu du IVe millénaire, et il faut, pour qu’elle ait assuré aux Pléiades dans les traditions les plus répandues la première place d’entre les constellations, qu’elle ait été notée comme une découverte capitale en un temps où on ne connaissait pas encore la précession des équinoxes. » Filliozat note que ce fait confirme la datation de Dikshit et de Tilak [1979 (1903) : 17], contestée à tort par Thibaut, Whitney et Kaye. Il serait naturellement absurde de faire remonter au IVe millénaire la rédaction du Śatapatha brāhmaṇa, qui est considéré comme le texte le plus récent de sa catégorie. Il est vrai toutefois que Tilak a eu des formulations malencontreuses comme (1979 (1903) : 122) : « La Taittirīya saṃhitā doit être attribuée à la période des Pléiades (…) vers - 2.500. » Il s’agit naturellement de l’origine d’une petite part du contenu et non de la rédaction de l’ensemble du texte. Tilak n’est pas isolé dans ses conclusions : il a été précédé par Krause (1891 ; 1893 a-b), qui opérait sur de tout autres bases. Quand Kuiper (1960 : 222) suppose que les hymnes à Agni et à Uṣas du R̥gveda célèbrent « la réapparition de la lumière solaire après une période de ténèbres hivernales », il se rallie manifestement à leur hypothèse sans les citer, mais en la formulant explicitement. Bongard-Levin et Grantovskij (1981), qui citent abondamment Tilak, mais ignorent Krause, concluent (115-116) : « Il y a toute raison de soutenir que chez les ancêtres des peuples indo-européens, le cercle complet des représentations « nordiques » que nous avons examiné a pu se former seulement par des contacts directs avec des tribus du Nord, qui habitaient tout près des régions arctiques. » Leurs conclusions ne contredisent pas la théorie des Kourganes qu’ils adoptent explicitement pour des temps ultérieurs. Mais comme ils n’opèrent pas avec la notion de tradition, ils s’en tiennent à des contacts. Or que de tels contacts aient abouti à des anecdotes, comme on en trouve chez Hérodote, chez Lucrèce, chez Pline et bien d’autres, surtout après le voyage de Pytheas (fin du IVe siècle avant notre ère), est naturel. Mais comment imaginer qu’ils aient pu pénétrer aussi profondément dans la pensée des Indo-Européens et plus particulièrement des Indo-Iraniens, des Germains et des Celtes ? Leurs informateurs, qui auraient dû parcourir plus de deux mille kilomètres, ne parlaient pas l’indo-européen, ce qui rendait improbables des contacts culturels et surtout une influence de ces populations que les Indo-Européens, dont les auteurs rappellent à juste titre le développement, devaient considérer comme arriérées. Un peuple ne fonde pas sa vision du monde sur des récits de voyageurs étrangers, surtout s’il s’agit de sauvages. L’accord entre l’origine circumpolaire des Indo-Européens et la théorie des kourganes est en effet possible. Mais il faut opérer avec les notions de tradition et de chronologie de la tradition.
J. Haudry
BIBLIOGRAPHIE
BONGARD-LEVIN G.M., GRANTOVSIJ E.A. 1981 : De la Scythie à l’Inde. Enigmes de l’histoire des anciens Aryens, traduit du russe par Philippe GIGNOUX, Paris : Institut d’études iraniennes de l’Université de la Sorbonne Nouvelle.
FILLIOZAT Jean, 1962: Notes d’astronomie ancienne de l’Iran et de l’Inde, J. as., 250 : 325-350.
KRAUSE Ernst, 1891 : Tuisko-Land der arischen Stämme und Götter Urheimat, Glogau : Carl Fleming.
TILAK Lokamanya B.G., 1903 : The Arctic Home in the Vedas, Poona : The Managar. Traduction française par Jean et Claire RÉMY, Origine polaire de la tradition védique, 1979, Milano : Archè.
WARREN William F., 1885: Paradise Found. The Cradle of the Human Race at the North Pole6 Boston: Houghton, Miffling and Co; Cambridge University Press.
Sources: Euro-Synergies
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Un hommage est une révérence d'âme ou il n'est rien. Celui que je rends ici publique est d'autant plus spirituel que je n'ai rencontré le professeur Haudry qu'à deux ou trois reprises. Je me souviens notamment d'une randonnée pédestre dans le sud de la France organisée par l'association Terre et Peuple. Tout en arpentant les sentes de l'arrière-pays provençal, de jeunes gens phosphoraient avec le professeur sur les Indo-Européens. J'en étais. Un paysage sec et aride nous entourait, contrastant avec la forêt des livres dans lequel je me perdais souvent !
Depuis, mon chemin, devenu plus littéraire que scientifique, se ponctue de poèmes et de romans, mais à cette époque, le Samkhya de l'Inde - une des productions les plus lumineuses des Indo-Européens - occupait l'essentiel de mon temps libre. J'avais donc adressé quelques questions par courrier au professeur. Ce dernier eut la courtoisie de me répondre. Ma gratitude à son égard - qui motive aujourd'hui cet hommage - est d'autant plus grande que son courrier eut un impact décisif sur la suite de mes recherches. Il faut dire qu'il apportait un débouché inattendu à un questionnement ancien et tenace, l'origine des trois couleurs traditionnelles - le blanc, le rouge et le noir - que l'on retrouve dans le Samkhya.
Les faits remontent aux années 2000, et si ma mémoire en trahit la lettre, elle n'en trahit pas l'esprit. C'est là un trait du professeur Haudry, où la rigueur de la démonstration linguistique n'a d'égal que la courtoisie des échanges.
Bref, le courrier-réponse du professeur impulsa en moi une nouvelle phase de recherche. Esseulé dans le labyrinthe inextricable de textes anciens et de rapports archéologiques, je tenais maintenant un fil d'Ariane. En Inde, il y a pléthore de correspondances ; leur exploration fut longue et laborieuse. Certaines Upanishads intègrent les trois couleurs à des conceptions plus ou moins ésotériques des feux sacrés, de l'eau et de la nourriture ; certaines écoles de yoga distinguent un karma blanc, celui des bonnes actions, un rouge et un noir. Mais l'application aux "gunas" du Samkhya m'a paru la plus solide.
En Europe, le symbolisme des couleurs se limite aux structures sociales. Le blanc codifie la fonction sacerdotale ; le rouge, la fonction guerrière et le noir, toutes les autres activités qui ne sont ni religieuse ni guerrière.
Selon Jean Haudry, ces couleurs proviennent d'une réalité céleste bien antérieure à leur application. La cosmogonie des Indo-Européens se compose non pas d'un ciel mais de trois ! curieuse conception que celle-là ! Elle implique une révolution des repères habituels rendue possible en se plaçant sous les latitudes nordiques marquées par de longues nuits hivernales. Les cieux y sont perçus comme « tournants » et non fixes. L'un est blanc, c'est le grand jour de l'année qui succède à la longue nuit cosmique (le ciel noir) ; le troisième ciel correspond à la suite d'aurores identifiée à un « ciel rouge ».
Le rapprochement entre les ciels et des gunas se justifie en vertu des couleurs et du nombre. Mais il fallait surtout retenir que sous ces latitudes nordiques, les réalités cosmiques prédisposent à un découpage binaire, voire ternaire du monde. Un long jour succède à une longue nuit.
Nous savons que Georges Dumézil a observé l'existence de « trois fonctions » dans la structure sociale, mais avait-il en tête cette réalité cosmique ? Je l'ignore. Ses écrits desservis par une plume allègre, lesquels ne font pas allusion clairement à ma cosmogonie hypernordique et très peu aux couleurs, allaient me renvoyer une nouvelle fois, à l'instar d'un élastique, au Samkhya de l'Inde !
Il faut dire que ce système indien qui envisage l'énumération systématique des éléments constitutifs de l'univers (c'est le sens même du mot « Samkhya ») ne pouvait pas échapper à la perspicacité du maître. Au fil du temps, ma méditation sur le Samkhya ne cessa de résonner (et raisonner) avec certains mythes de la tradition. J'ai même osé un comparatif entre le Samkhya et l'Odyssée d'Homère ! Cette comparaison inhabituelle, et peut être inédite, m'a permis d'observer des parallèles troublants. Dans l'Odyssée, la reine Pénélope tisse un linceul dans l'attente éplorée d'Ulysse, parti à la guerre. J'ai proposé d'y voir une allégorie de la prakriti du Samkhya car Pénélope tisse un linceul en attendant Ulysse tout comme la Mula-Prakriti produit la substance du monde ; la déesse-mère non manifestée rend possible toutes les manifestations, physiques et psychiques, qui nous entourent. Le Samkhya est un système de résolution et la Manifestation implique un « spectateur » nommé Purusha pour ainsi prendre conscience d'elle-même.
Le comparatiste trouve dans Ulysse richesse à comparaison. Ulysse ressemble symboliquement à Purusha : plus il parcourt le monde au gré d'aventures multiples, et plus il ressent la nostalgie du retour.
Il quitte Calypso et d'autres créatures aimantes, autant d'étapes du processus libérateur, autant de fausses identifications de l'Esprit avec la Matière. Quant au massacre des prétendants, j'y ai vu une épreuve qualifiante de deuxième fonction. Cependant, en l'absence des deux autres fonctions de la triade, impossible de vérifier le schéma dumézilien !
Plus que les mythes du corpus IE, toujours sujets à interprétations contradictoires, le Samkhya m'est apparu proche de la conception ancienne d'un univers « image de la vérité » chère à Jean Haudry.
En effet, le Samkhya est perçu comme un système dont la clé de résolution n'est autre que dans l'observation elle-même. J'ai été amené à penser que cette conception prévalait pour la première période, pré-sacerdotale, et qu'elle fut recouverte ensuite par une conception imposée par les castes dominantes contemporaines aux périodes plus tardives.
Une communauté « primitive », telle qu'on peut en observer encore dans quelques contrées reculées du monde, n'a pas de clergé et les chefferies, lorsqu'elles existent, sont tournantes. Ce ne sont pas des castes. Le clergé constitué modifie toujours la religion primitive à son avantage et cela pour une raison simple : il faut que cette caste s'impose comme intermédiaire indispensable entre la divinité et le peuple.
À un moment ou à un autre, tous les peuples ont connus ce désencastrement de la première fonction magico-religieuse et les pathologies sociales consécutives. Le conflit entre le pharaon Akhenaton et les prêtes d'Ammon en est un exemple emblématique. Dans l'Histoire, on ne connait qu'un seul peuple auto-proclamé « clergé international », celui qui inventa le Dieu unique.
Bref, les anciens mythes et légendes me sont apparus comme une sorte d'allégorie cryptée du processus auto-libérateur du monde, pré-cléricale. Ils sont la source vivante de la tradition. Insistons sur le point suivant : la rationalité du Samkhya n'est pas un argument contraire à son archaïque. C'est le contraire qui est vrai : les ethnologues ont montré que les tribus primitives ont une représentation extrêmement rationnelle du monde où les proportions mathématiques, les philosophies ne sont pas rares. Contrairement au mythe du bon sauvage, les « primitifs » produisent des modèles scientifiques mais sans y croire, au rebours de nos sociétés développées.
Par la suite, j'ai essayé d'élargir mon comparatisme à d'autres mythes et thèmes mythiques du corpus IE. Le thème du labyrinthe m'est apparu comme chargé d'une autre allégorie d'un monde « image de la vérité ». L'inspiration y est elle aussi d'ordre cosmique : Thésée, vainqueur du Minotaure, peut symboliser le soleil dans sa quête ; Ariane, peut personnifier la déesse aurore.
J'ai donc proposé de voir dans le labyrinthe une occurrence symbolique de la « traversée de la ténèbre hivernale », thème du formulaire reconstruit par Jean Haudry. En ouvrant à nouveau Homère, il m'est apparu que la ville de Troie pouvait être perçue comme un labyrinthe symbolique, et la Belle Hélène comme l'aurore qui attend d'être libérée...
Dans la vision Samkhya où sa version cryptée, je retenais que chez les IE, l'univers est perçu comme une « image de la vérité ». Les cycles cosmiques révèlent le mécanisme dynamique du monde que l'on retrouve dans les gunas. J'ai fait litière de cette idée que le Ur-Volk concevait le monde comme une sorte de « samkhya cosmique » dont la clé de résolution n'est autre que dans l'observation.
Dans le Samkhya, la trame substantielle du monde, sans cesse en mouvement, tisse toute réalité à partir de trois fils, un blanc, un rouge et un noir. Ces couleurs sont celles des ciels de la tradition nordico-primordiale.
Le Samkhya contient un processus auto-libérateur. Il n'implique pas donc aucun clergé. Une conception du monde proche du Samkhya prévalait peut-être dans la première période indo-européenne, pré-sacerdotale. Fut-elle recouverte ensuite par une autre religion sacerdotale teintée de superstitions ? Je l'ignore.
Je sais en revanche qu'une communauté primitive - telle que celle que l'on peut observer dans certaines contrées reculées du monde - n'a pas de clergé et les chefferies, lorsqu'elles existent, sont tournantes. Ce ne sont pas des castes. Le clergé modifie toujours la religion primitive en privatisant l'accès au sacré à son avantage et cela pour une raison simple : il faut que le clergé justifie sa place, ses privilèges.
Les anciens mythes et légendes me sont apparus comme une sorte d'allégorie cryptée de cette « image de la vérité » de la première période pré-cléricale. Ils sont la source vivante de la tradition que l'on appelle « héroïque ». Même si cette tradition héroïque est aujourd'hui en dormition dans nos sociétés modernes, il est remarquable d'en observer les traces dans les sagas projetées sur écran, comme les Seigneurs des Anneaux !
Les comparaisons que j'observais entre mythes et système, couronnées de succès ou non, ne visaient qu'un but : reconstruire la vision que les Indo-Européens posaient sur le monde. Sans la prise en compte du milieu circumpolaire, mes travaux de l'époque seraient restés de simples conjectures.
Caractérisé par la longue nuit cosmique, l'habitat nordique explique bien des choses, les calendiers anciens, les rites et les fêtes. Sous des latitudes plus australes, à Rome ou à Athènes, où les rites ne se justifient plus, ces derniers continuent à être observés par tradition.
À la conception d'Indo-Européens nordiques de Jean Haudry, j'apportais par la suite un bémol. L’« origine » n'implique pas forcément un équivalent dans la réalité historique. Le grand Nord arctique est-il le berceau du Ur-Volk ou celui du mythe ? Je pense plutôt pour la seconde proposition.
Pour moi, la question centrale n'est pas dans la localisation réelle de l'habitat (lequel n'est d'ailleurs pas confirmée par l'archéologie) mais dans le lieu où la tradition identifie cette origine.
De tous les peuples que j'ai pu visiter, aucun d'eux ne place son « origine » dans l'endroit où il réside. Le « paradis » est toujours « nostalgique », il provient d'un lieu fantasmé et qui métaphorise un ailleurs spirituel. À mon avis, les Indo-Européens ne font pas exception. Cependant, il se trouve que la tradition affectionne le « nord » et que les princesses de nos contes sont souvent blondes. Devrait-on nier ces faits, récurrents et nombreux, ou au contraire en faire une religion de la preuve ? Pour ma part, je pense que la question est résolue sans preuve archéologique.
La Weltanschauung des IE affectionne le nord et c'est là l'essentiel. La cosmogonie d'une grande nuit cosmique suivie d'un jour est une des pièces qui manquaient au puzzle. Quant à la religion des IE, je n'ai cessé d'interroger les mythes dont la vision dynamique du Samkhya m'a paru donner une sorte de « décryptage ».
Le Samkhya de maître Kapila reste en effet le seul système indo-européen, connu de moi, où l'observation directe est la clé de résolution. Aucun clergé n'y est nécessaire. À mon avis, le Bouddhisme en est le prolongement historique. L'Occident ne connait point de système comparable sauf à voir dans l'Odyssée une sorte de « Samkhya crypté »...
Après tout, pourquoi pas ? On a prétendu que la bibliothèque d'Alexandrie était remplie d'études et commentaires de l'Iliade et de l'Odyssée !
En dépit de mes comparaisons, Je n'ai jamais pu déterminer la nature du type d'analogie qui unit l'Odyssée et le système Samkhya. Sont-ils reliés par une origine commune ou par des invariants anthropologiques observables partout ?
L'idée d'une tradition commune penche pour la première solution ; la théorie du « monomythe », chère à Joseph Campbell, pour la seconde.
Si les trois couleurs pouvaient être observées chez Homère comme dans le Samkhya, cela changerait tout ! Mais avec des « sis », on mettrait Pâris en bouteille !
Que dire de plus de ces vastes chantiers de recherche sinon qu'ils ressemblaient parfois à de longues traversées maritimes. Le comparatiste aperçoit des îles à l'horizon de sa pensée qui ne sont bien souvent que des mirages ! Heureusement, les hérauts de la tradition, Benveniste et sa théorie des « quatre cercles » ; Dumézil et ses « trois fonctions », et J. Haudry et l'origine circumpolaire, nous permettent aujourd'hui de reconstituer l'essentiel de la tradition. Sans doute peut-on rêver de la découverte d'autres aspects de la tradition ? Un linguiste montrera-t-il un jour que le système flexionnel de la langue indo-européenne a partie liée avec la cosmogonie circumpolaire ?
Les discussions buissonnières échangées avec le troisième et ma lecture de sa « Religion Cosmique » ont projeté une lumière nouvelle dans le filigrane de ma recherche. Cette « vision du monde » qui s'est fait jour, je la résumerais en ces termes: « Le regard que pose les IE sur le monde est celui d'un système à résoudre dont la résolution n'est rien d'autre que dans l'observation elle-même. Le monde est perçu comme « image de la vérité ». Le mundus indoeuropeanus est en effet construit pour correspondre aux formes questionneuses de l'individu. La trame sans couture que les cinq sens tissent avec le monde présuppose un rapport d'harmonie préétablie dont le Samkhya nous donne la clé. Mais le Samkhya est aussi et surtout une voie de libération. Entrer dans cette vision sans visée libératrice n'a pas de sens. Pour se faire, le « cogito » (le « je pense ») des Modernes doit laisser place au « video » (le « je vois », j'observe) de l'homme traditionnel.
"Video versus Cogito" ou "Video, ergo cogito", voici des formules que je mettais souvent en exergue de mes textes !
Dans son article sur le paganisme, Alain de Benoist écrit : « pour moi, le sens premier, c'est la vue ». C'est dans ce sens-là qu'il faut entendre ma devise. La religion IE est une religion du « voir » et c'est pourquoi le terme « vedas », par lequel on désigne en Inde les quatre livres du savoir, est construit sur la racine vid- qui signifie « voir ».
Le primas du voir n'est pas universel. Par exemple, le Judaïsme s'inscrit autour d'un tropisme tout autre où l'ouïe est au-dessus du voir.
Quant à l'homme moderne, je dirais qu'il entend mais n'écoute pas, il regarde le monde mais ne le voit pas. Son monde est encombré physiquement par la technoscience et mentalement par des idéologies de seconde main. Son cosmos ne s'apparente plus à cette « image de la vérité » des Anciens IE mais à un désert spirituel. Il nous reste à scruter les traces laissées par les dieux disparus. Pour se faire, la tradition est essentielle !
Mon étude « hors les murs » sur le Samkhya n'a finalement pas suscité de publication, mais plutôt amusements polis ou sourires moqueurs. Je pense que le parallèle que j'ai tenté d'établir entre Samkhya et Odyssée a été jugé trop baroque. Et sans doute est-ce le cas ! Quant aux références à la « Religion Cosmique des IE » qui émaillent mon étude, elles n'ont pas joué en ma faveur. J'ai par la suite aggravé mon cas en dédiant à Jean Haudry mon récit de voyage à bicyclette. Cette Vélodyssée en terres nordiques a été présenté dans une émission de TV liberté.
Il faut dire que mes recherches sur les Indo-Européens étaient arrivées « après la bataille », celle qui avait eu raison de l'Institut des Études Indo-Européennes. Et sans institut, sans bibliothèque spécialisée, il est difficile de dépasser le stade du tâtonnement.
Je ne connais pas les tenants de la bataille idéologique à l'origine de cette regrettable disparition, mais seulement les aboutissants.
On a invoqué un manque de rigueur scientifique à l'encontre de cet institut cofondé à Lyon par Jean Haudry, mais je n'en crois rien. Ses opinions politiques ont dû jouer un rôle. Pour ma part, les opinions politiques n'ont jamais constitué un pôle de répulsion comme c'est le cas chez les détracteurs du professeur ; elles n'ont pas représenté non plus un pôle d'attraction. Il m'arrive de converser en bonne intelligence avec des gens de droite ou de gauche, communistes ou fascistes, musulmans, juifs ou chrétiens. Je rappelle au passage que Emile Benvéniste, un des hérauts de la tradition indo-européenne, était juif.
Je suis frappé par le "groupisme" de mon époque. Le microcosme universitaire français n'y échappe pas, bien au contraire. Et beaucoup d'enseignants confondent transmission d'un savoir et propagande politique. Ce n'est pas le cas de Jean Haudry qui sépare science et politique.
Par ailleurs, le comparatiste que je suis a pu observer que les universalistes ne sont pas les premiers à répondre au courrier.
Lorsque Jean Haudry prend des positions publiques contre le mondialisme et l'immigration cela ne me semble pas particulièrement condamnable car un professeur est aussi quelqu'un qui - au sens premier du terme – « dit les choses devant ».
Lorsqu'il nous assure que l’ « Euro-mondialisme n'a pas d'avenir », il nous faut le croire. Il nous faut croire que le progressisme sans limite laisse un jour place à la tradition, possible que l'idéologie des Droits de l'Homme Étranger s’efface devant le droit de tous les peuples à coexister.
Si la tradition est derrière nous, elle est aussi devant. On peut même rêver d'une alliance entre la tradition la plus archaïque et la technoscience la plus futuriste. Cette fusion produirait une esthétique nouvelle, un rapport à la fois nouveau et ancien au monde déjà préfigurée par dans certaines œuvres de Science-Fiction.
Et cela tombe bien car l'« archéofuturisme » a connu son prophète, Guillaume Faye. Quant aux travaux de Jean Haudry, tout laisse à penser qu'ils en seront un jour la source !
Frédéric Andreu-Véricel
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Dans son ouvrage fondamental « Les Indo-Européens », qui est la mise à jour de son célèbre « Que sais-je ? », notre maître et ami Jean Haudry nous découvre la conception qu’avaient de l’univers les plus anciens des Européens et les représentations qu’ils s’en faisaient. Il a divisé la matière en cinq sections : leur conception des lois de l’univers (la cosmologie) et du temps, leur théorie de la formation de l’univers (la cosmogonie), leur histoire de l’humanité et leur pensée quant à leurs fins dernières (l’eschatologie).
Dans notre numéro précédent, nous avons vu que l’idée d’une décadence à la fois morale et vitale a pour contrepartie un progrès matériel, considéré comme bénéfique et attribué à diverses divinités, en particulier à des représentants du Feu divin comme Prométhée. Ce processus aboutit à une catastrophe cosmique. Le tableau de cette catastrophe varie autant que celui du commencement du monde : tous les cataclysmes connus ou imaginables y ont leur part, déluge, embrasement universel, chute des astres, etc. Mais partout elle est conçue comme la victoire des forces du mal liée dans l’univers au triomphe de la subversion dans la société humaine. Alors seulement pourra naître un monde nouveau : « Sur les champs non ensemencés croîtront les récoltes. Tous les maux seront réparés. Baldr va revenir. », Vision de la Voyante, 62 (trad. Boyer : 548). La transposition épique de ce mythe eschatologique dans le Mahabhârata a été mentionnées plus haut. L’épopée populaire arménienne conserve elle aussi la trace d’un retour de la justice incarnée par Mher (reflet du Mithra iranien) enfermé avec son cheval dans une caverne : retour consécutif à une catastrophe cosmique : « Quand le monde aura été détruit et qu’il aura été refait… alors seulement nous aurons la permission de sortir d’ici » David de Sassoun, (trad. Feydt 1964 ; 397). Ce retour de Mher fait écho à celui d’Astrée ou Dikè, la Justice, chanté par Virgile « Voici que revient la Vierge, que revient le règne de Saturne. Voici qu’une race nouvelle est envoyée du haut du ciel », Bucoliques, 4,6 et suiv. Il semble qu’Hésiode ait partagé cette espérance, sinon, comme l’observe Vernant (1988 : 23), pourquoi exprime-t-il le regret (Travaux, Vv. 175) de n’être pas mort plus tôt ou né plus tard ? Cet âge d’or sera-t-il stable, comme l’assure la tradition mazdéenne ou, comme dans la conception brahmanique, le monde entrera-t-il une fois de plus dans le cycle de la décadence, jusqu’à une nouvelle catastrophe ? C’est ici que divergent les traditions, car ce n’est pas l’essentiel : peu importe pour l’homme d’aujourd’hui et pour son action dans le monde. Qu’il s’agisse de l’espace ou du temps, de l’histoire de l’univers ou de celle de l’humanité, tout revient invariablement à la question des rapports entre les parties constitutives de la communauté : tout ordre est le reflet de l’ordre social, toute évolution a pour modèle celle que présente la vie de la société. C’est en cela que la conception de l’univers, comme celle de l’individu, peut être politique.
Mais, à l’inverse, l’ordre social est homologue de l’ordre cosmique : les castes, qui réalisent les trois fonctions dans le monde indo-iranien, y sont dites « couleurs », en vieil indien varna, en avestique pistra, et ces couleurs sont celles des trois ciels : le blanc du ciel diurne, le rouge du ciel auroral et crépusculaire et le noir du ciel nocturne. De plus, ces couleurs symbolisent également les divisions de sociétés dont la tripartition n’est pas fonctionnelle : ainsi la société germanique. L’homologie peut donc se lire dans les deux sens. Qu’il s’agisse du formulaire ou des schèmes notionnels, la tradition privilégie le politique : elle est tournée vers l’action, ayant pour objet principal de guider la conduite des chefs. Mais les réalités politiques et sociales changent et les institutions, quoique censées éternelles, évoluent : la structure trifonctionnelle n’est pas commune à toutes les sociétés indo-européennes et les sociétés organisées sur un autre modèle peuvent connaître la tripartition des couleurs symboliques. Il y a donc, sous-jacente à la forme explicite de la tradition centrée sur l’action des hommes dans la société, une vision du monde informulée selon laquelle les trois ciels et leurs couleurs, les principaux cycles temporels et en particulier le cycle annuel, tiennent une place centrale. Ici encore le caractère cumulatif de la tradition est manifeste. L’eschatologie se fonde sur l’homologie des cycles temporels, qui remonte à la période la plus ancienne. Mais la partie descendante du cycle, seule prise en considération pour l’histoire de l’humanité, a été mise en relation avec la hiérarchie des fonctions et des castes ou classes qui leur correspondent dans la société des quatre cercles. De plus, avant de s’exprimer dans les textes dont nous disposons, les conceptions eschatologiques ont traversé la société héroïque et les phases initiales des sociétés d’époque historique qui leur ont imprimé leur marque. Le combat eschatologique est attribuable au caractère guerrier de la société héroïque, la divergence des traditions signalée ci-dessus aux différences entre les sociétés qui les ont véhiculées aux temps historiques.
Sources : RENAISSANCE EUROPEENNE - Secrétariat : Molenstraat 83, 2018 Anvers. Belgique et pour tous contacts :
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Cette semaine, Méridien Zéro vous propose une émission préparée par nos camarades alsaciens de Vent d'Est sur un thème toujours aussi polémique : les Indo-Européens. L'automne 2014 a en effet vu la parution d'un nouvel essai de Jean-Paul Demoule, archéologue selon ses titres universitaires, qui prétend régler son compte à ce qui ne serait tout au plus, selon ses propres termes, qu'un "mythe". Si la revue Eléments a eu l'occasion de lui répondre longuement, MZ n'avait fait qu'effleurer cette question à l'occasion du passage de Pascal Eysseric sur notre antenne. Cette situation est réparée grâce à Eric Sanglier, Pierre Brader, Henri Levavasseur et Karl Hauffen qui reçoivent Jean Haudry, immense spécialiste de cette question.
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Notre origine européenne commune fait peur.
Jean-Paul Demoule, archéologue et professeur de protohistoire européenne récidive dans la propagande anti-européenne avec son dernier pavé (plus de 700 pages !)Mais où sont passés les Indo-Européens ? Quand on met autant d’énergie à vouloir démonter le mythe des Indo-Européens, on peut penser que le sujet dérange… Nous avons interrogé à ce sujet, l’éminent Jean Haudry, ancien professeur de linguistique et de sanskrit à l'université Lyon III.
Bonjour Professeur. Dans son dernier livre, Jean-Paul Demoule s'acharne à vouloir démythifier les Indo-Européens. Ne pensez-vous pas qu'il a pour but de nier notre origine commune afin de conforter l’idée que nous venons tous d’Afrique ?
1- Quand J.P. Demoule parle de démythifier les Indo-Européens, il met complètement à côté de la plaque. La quatrième de couverture de son livre pose effectivement la question en ces termes : « Mais les Indo-Européens ont-il vraiment existé ? Est-ce une vérité scientifique, ou au contraire un mythe d’origine, celui les Européens, qui les dispenserait de devoir emprunter le leur aux Juifs, à la Bible ? » En réalité, le passage de la conception biblique des trois fils de Noé à celle d’un « peuple indo-européen », corollaire de celle de l’indo-européen reconstruit, est celui du mythe à la science. Il est vrai que certains de nos amis, vers la fin des années soixante, ont souhaité ajouter une dimension mythique à cet acquis scientifique. A en juger par la méconnaissance générale du fait indo-européen, y compris dans nos milieux, ils ne semblent pas avoir beaucoup progressé dans ce sens. Le livre de Demoule peut les aider, car il a rencontré un large écho, généralement dithyrambique, dans la presse du Système. Mais y arrive en un temps où, sur des points considérés comme essentiels et intangibles, l’opinion se retourne.
2- Il n’y a pas de rapport entre l’hypothèse d’un « peuple indo-européen » (les locuteurs de l’indo-européen reconstruit) qui se situe entre le paléolithique supérieur (pour les origines les plus lointaines qui nous soient accessibles) et le néolithique européen et celle d’une origine africaine de l’homme, qui se situe dans des temps beaucoup plus anciens.
Que pouvez-vous nous dire au sujet de Jean-Paul Demoule ?
Je ne connais pas personnellement J.-P. Demoule qui se consacre à une autre spécialité et a enseigné dans d’autres établissements. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, à l’occasion d’un colloque évoqué dans le prochain numéro de Terre & Peuple.
A part votre livre « les Indo-Européens » paru aux Editions de la forêt, quels ouvrages conseillez-vous pour améliorer nos connaissances sur ce sujet ?
L’ouvrage de base est celui de J.-P. Mallory et D.Q. Adams, The Oxford Introduction to Proto-Indo-European and the Proto-Indo-European World, Oxford University Press, 2006. Ces mêmes auteurs ont publié l’Encyclopedia of Indo-European Culture, Fitzeroy Dearborn Publishers, London and Chicago, 1997, qui complète, mais ne remplace pas le Reallexikon der indogermanischen Altertumskunde d’O. Schrader et A. Nehring, W. de Gruyter, 2 Bde, Berlin und Leipzig, 1917-1929. Pour la question fondamentale de la race, on dispose désormais de J. V. Day, Indo-European Origins, the anthropological evidence, Washington D.C.: The Institute for the Study of Man, 2001.Il y a aussi l’oeuvre de G. Dumézil, pour laquelle il n’existe pas de synthèse, mais seulement un “catalogue raisonné” dû au regretté H. Coutau-Bégarie, L’œuvre de Georges Dumézil, Economica, Paris, 1998. Une traduction espagnole mise à jour de mes Indo-Européens est en cours ; une traduction allemande doit suivre.
Merci Professeur !"
Propos recueillis par Yann.
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Jean Haudry était l’invité de Méridien Zéro…
1 h 30 avec Jean Haudry et les Indo Européens
Pour écouter l’émission N° 39 datée du 6 Mars, cliquez sur le lien ci-dessous…
http://meridienzero.hautetfort.com/
Pour l’enregistrer, cliquez sur le lien ci-dessous