La French Tech n’est pas à l’abri de la guerre économique. Les PME et les start-up sont aussi la cible de certaines prédations. Charles Degand, président d’Angelsquare, analyse la récente création de fonds dirigés par la CIA et l’OTAN.
Charles Degand, business angel et président d’Angelsquare (plus grande communauté de Business Angels de France) réagit à deux annonces majeures dont la presse internationale s’est faite l’écho la semaine dernière : l’entrée du fonds In-Q-Tel, géré par la Central Intelligence Agency (CIA), au capital de la startup française Prophesee et la création par l’OTAN d’un fonds d’1 Md $ destiné à financer les innovations de rupture des membres de l’Alliance atlantique.
La saga des harponnages d’entreprises françaises à haute valeur ajoutée comme Alstom, Technip ou Alcatel est-elle en train de se poursuivre dans la French Tech ? Mercredi 20 octobre 2021, l’on a appris que In-Q-Tel, le fonds de la CIA qui est présent dans des entreprises d’influence mondiale comme Google Earth ou Paypal, était rentré en 2016 au capital de la startup française Prophesee. La technologie de vision artificielle de la pépite tricolore est donc sous le scanner des activités de surveillance de la fameuse agence de renseignement américain.
Il est heureux que bon nombre de startups françaises rayonnent au-delà de nos frontières et attirent des capitaux étrangers pour financer leur développement. À ce titre, le rapport Avolta indiquait qu’en 2021, 35% des levées de fonds en France étaient composées d’au moins un investisseur étranger, un pourcentage qui a été multiplié par 7 en 7 ans. Mais l’attractivité mondiale de la French Tech ne doit pas pour autant conduire nos fleurons technologiques à se transformer en proies, comme l’ont été nombre de nos fleurons industriels au cours de la dernière décennie.
La CIA et son bras financier
Il est en effet problématique qu’une technologie de rupture développée en France soit préemptée par le bras financier de la CIA. Car il ne s’agit pas ici d’une prise de participation anodine de la part d’un fonds étranger : c’est une opération d’État. Que les pépites développées en France attirent des capitaux de partout dans le monde souligne leur qualité. Mais que la crème de la crème des entreprises technologiques françaises finisse par servir les stratégies de puissance d’États étrangers met en lumière la fragilité de notre écosystème.
En 2020, le ministère de la Défense avait mis son veto au rachat de la startup française Photonis par le fonds américain Teledyne. La société spécialisée dans les équipements de visée nocturne des soldats français avait finalement été acquise par une holding française, HLD Europe. Cette affaire avait conduit le gouvernement à créer un nouveau dispositif de financement de l’innovation stratégique destiné à devenir un « In-Q-Tel à la française » avec le Fonds Innovation Défense. Doté de 200 M€, il venait compléter le fonds DefInvest, le French Tech Seed et le Fonds pour l’Innovation et l’Industrie, trois structures visant à garantir la souveraineté technologique française à différents stades du développement de nos PME. Mais ces dispositifs, aussi utiles soient-ils pour notre tissu d’entreprises numériques, pourront-ils rivaliser avec le nouveau fonds lancé vendredi dernier par le secrétaire général de l’OTAN, de concert avec 17 pays membres, pour financer les innovations de rupture développées dans les États de l’alliance atlantique ? Doté d’un 1 Md $, ce dernier vise à « protéger l’innovation transatlantique », une définition large qui comprend la French Tech, nonobstant l’absence de souscription du gouvernement français à cette initiative.
Ces événements interrogent la profondeur du marché français du numérique. Tant que la French tech sera court-circuitée par les razzias des bras financiers de superpuissances étrangères, elle restera limitée dans son expansion et servira de support au développement de marchés concurrents.
Source : Site revue Conflits