13 octobre 2017.

Il y a un genre de peinture de paysages des XVIIe et XVIIIe siècles qui devrait nous faire réfléchir. Peintures de paysages italiens, où on voit des chevriers et leurs troupeaux errer parmi les ruines d’aqueducs, de ponts et de temples romains. Ce qu’ils ont de fascinant, c’est qu’ils dépeignent une société européenne qui, plus de 1200 ans après la chute de l’Empire romain, n’avait toujours pas regagné le niveau de production et d’infrastructure qu’avait eu cet empire à son zénith. Ce n’est pas avant la révolution industrielle du XVIIIe siècle que la production et l’infrastructure, en Europe, ont réussi à surpasser l’Empire romain à l’apogée de sa gloire.

Les peintures de chevriers dans les ruines d’infrastructures et de temples de la Rome antique sont comme des images de gens qui se déplaceraient dans les restes d’une civilisation high-tech à la hauteur de laquelle ils ne pourraient plus être. La ville de Rome, à son apogée, a eu un million d’habitants. Ils avaient besoin d’une infrastructure très développée pour satisfaire leurs besoins en eau, en nourriture, pour le transport et la livraison des marchandises, pour les besoins du commerce, etc. La ville offrait, à l’époque, le principal exemple d’une industrie de matériaux de construction ayant la capacité et le niveau de compétences requis pour fournir l’énorme quantité de ces matériaux qu’exigeait une telle ville.

Quand l’empire s’est effondré, l’infrastructure a cessé d’être entretenue. Les aqueducs se sont peu à peu brisés et les villes petites et grandes ont cessé d’être alimentées en eau. Les routes et les ponts se sont détériorés et n’ont plus été réparés. Le transport des marchandises est passé de l’état de fleuve débordant à celui de paisible ruisseau. 1200 ans après ses jours de gloire, Rome était une ville de province ruinée, avec une population de 10 000 âmes.

Les Étrusques, et plus tard les Romains, avaient asséché les marais pour pouvoir augmenter leur production de denrées alimentaires. Ils avaient par la même occasion éradiquée la malaria. Mais quand l’empire s’est écroulé, les fossés de drainage ont cessé d’être entretenus et la malaria a réapparu. Ce n’est que dans les années 1930, après l’arrivée au pouvoir des fascistes, que les marais ont été ré-asséchés et que la malaria a re-disparu d’Italie.

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L’empire d’aujourd’hui est extrêmement vulnérable

Nous, qui vivons en un temps où un autre empire montre beaucoup des mêmes tendances à la désintégration que l’empire romain connut sur sa fin, avons toutes les raisons d’y réfléchir sérieusement.

À partir d’un certain moment, les empereurs romains se sont mis à mélanger de plus en plus de plomb à leur monnaie d’argent (denarius), au point qu’à la fin, elle ne contenait presque plus d’argent. Ce fut l’hyperinflation de l’époque. Les citoyens romains ne souhaitaient plus se battre dans l’armée, si bien que l’armée ne fut plus composée que de mercenaires. C’est de là que vient le mot soldat : un soldat était quelqu’un qui recevait de l’argent pour se battre (solidus – monnaie d’or). Pour pouvoir payer les soldats, il fallut frapper davantage de monnaie. Les guerres de l’empire coûtaient cher et l’empire était vaste. Le problème fut donc résolu en frappant de plus en plus de monnaie dont la valeur devenait de plus en plus faible.

Le monde est dominé aujourd’hui par l’empire américain. Il influence tout ce qui concerne la production mondiale, le système monétaire, le commerce, l’agriculture, le système énergétique, etc. de la planète.

L’empire américain a atteint son niveau le plus haut vers 1971, quand les USA ont abandonné l’étalon-or. Après cela, la croissance de l’empire a dépendu de l’impression de plus en plus de papier-monnaie, et maintenant, de monnaie digitale. Mais l’empire est aussi tributaire du fait que le reste du monde accepte ces symboles en remplacement de la chose réelle. Les guerres US, au XXIe siècle, sont largement financées par la vente d’obligations du gouvernement US à la Chine. Autrement dit, la Chine prête de l’argent à l’État américain.

Le système mondialisé de la production et du commerce est réglé avec précision pour fournir des marchandises et des éléments composants juste-à-temps. La production de viande norvégienne par exemple, dépend de l’arrivée à Fredrikstad d’un bateau y apportant du soja du Brésil une fois par mois. Si le bateau n’arrivait pas, il y aurait une crise généralisée dans la production de viande norvégienne.

Quand ce qu’on a appelé le scandale de la viande de cheval a éclaté en 2013, le Financial Times a bien montré comment fonctionne le système du commerce et du transport de la viande en Europe.

Les abattoirs exigent beaucoup de capitaux et d’énergie, et c’est pourquoi il y a de moins en moins d’abattoirs pour alimenter un marché de plus en plus globalisé. Leurs marges bénéficiaires sont d’une minceur extrême, raison pour laquelle ils rognent sur les coûts partout où ils le peuvent.

De leur côté, les grandes chaînes de supermarchés veulent à tout moment pouvoir acheter les produits de base alimentaires aux prix les plus justes. Leurs courtiers passent les journées pendus au téléphone pour faire leurs achats en gros aux meilleures conditions possibles. Le Financial Times cite le professeur Karel Williams, de la Manchester Business School, qui explique comment les camions réfrigérés font la queue devant les abattoirs de Hollande à la fin de chaque semaine, les conducteurs n’ayant, jusqu’à la dernière minute, aucune idée de l’endroit où ils devront livrer. Dès que les marchés sont conclus, le conducteur reçoit son ordre de mission et il se met en route pour l’endroit désigné. « Le commerce européen est une noria qui fait continuellement circuler des parties d’animaux dans des camions de 40 tonnes ».

La FAO (Food and Agriculture Organization = ONU) dit qu’il y a quelque chose comme un quart de million de plantes comestibles qui pourraient être cultivées. Mais l’humanité s’est rendue dépendante de 3% seulement d’entre elles.

L’approvisionnement en nourriture du monde dépend de 150 espèces de plantes. Les ¾ de toute l’énergie que nous recevons sous forme d’aliments végétaux proviennent de seulement 12 d’entre elles. La concurrence et le besoin d’augmenter la production ont eu pour résultat une réduction drastique de la diversité génétique. Le système exige de plus en plus d’énergie, de minéraux et de matières premières rares, à un taux de croissance exponentiel.

Cela rend l’empire d’aujourd’hui extrêmement vulnérable. L’agriculture pourrait très bien se retrouver face à une expérience similaire à la crise de la pomme de terre, qui a frappé l’Irlande en 1847, causant la mort par famine d’un million de personnes. Il est facile d’imaginer combien elle sera dévastatrice et dramatique. [L’auteur emploie bien le futur, pas le conditionnel. ndt].

En bref, quand le système s’effondrera, ce sera exactement comme dans l’Empire romain : par l’effondrement de l’infrastructure critique. Il ne sera tout simplement plus possible de nourrir autant de monde qu’avant. Cela pourra se traduire par des famines à grande échelle plus ou moins généralisées, à un degré que l’humanité n’a jamais connu. Il y a aujourd’hui 37 méga-cités dans le monde, et les plus grandes ont plus de 30 millions d’habitants. S’il y a rupture dans l’approvisionnement en eau, en énergie ou en nourriture, ces villes deviendront inhabitables.

La nourriture et l’eau sont essentielles. Sans nourriture et sans eau, nous ne pouvons pas vivre. Mais beaucoup de nos systèmes sont aussi extrêmement dépendants du pétrole et de rares minéraux terrestres, qui se raréfient chaque jour davantage. Quand ce système s’effondrera, cela pourrait avoir des conséquences très dramatiques. L’exemple de l’empire romain montre qu’il pourrait se passer vraiment beaucoup de temps avant que quoi que ce soit d’autre prenne sa place.

Il n’est pas difficile de montrer que le capitalisme d’aujourd’hui, basé sur la croissance, est en sursis. Car il est loin d’être robuste et durable. Il est, au contraire, très vulnérable et instable. C’est une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de travailler à remplacer ce système aussitôt que possible par autre chose et d’apprendre comment on organise une société d’une façon plus saine et plus durable.

Les mondialistes de droite et de gauche déplorent le fait que les peuples tournent le dos à cette mondialisation qu’ils prêchent, eux, depuis des décennies. Les peuples, en effet, se tournent de plus en plus vers des politiques populistes et sont devenus si « réactionnaires » qu’ils entendent préserver leurs états nationaux, leurs productions locales et pire encore. Mais ce sont les mondialistes, pas les peuples, qui jouent à la roulette russe. C’est leur système qui nous a rendus si totalement vulnérables. Assurer la sécurité alimentaire et des communautés locales/nationales viables, restaurer le métabolisme détruit entre société et nature, c’est cela qui est véritablement progressiste. C’est cela qui est l’avenir, et nous avons grand besoin de nous débarrasser d’urgence de l’empire et de son économie de parasites et de profiteurs.

Si nous ne le faisons pas, il se pourrait que les peintres de paysages, dans quelques centaines d’années, peignent des chevriers en train de faire paître leurs troupeaux dans les restes déglingués de gratte-ciels et de ponts d’autoroutes.

Pål Steigan – Information Clearing House

Source : http://www.informationclearinghouse.info/47972.htm

Traduction : c.l.

Photo: La chute de Rome

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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