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Emil Cioran a dit - et si Cioran l'a dit, cela doit être vrai - que les suicides préfigurent les destins lointains de l'humanité. Bien sûr, cet éloignement temporel de la catastrophe a été prédit il y a cinquante ans. Nous avons fait quelques progrès. Comme premier signe annonciateur de la fin - c'est-à-dire de la fin de la démocratie et du bien-être tels que nous les avons connus en Occident - nous voyons le renoncement des gouvernements nationaux à agir comme ce qu'ils sont censés être, c'est-à-dire des gouvernements, et, dans la foulée, pour devenir des employés techniques de l'ordre mondial globalisé. Le principe de la souveraineté nationale, intouchable, intangible jusqu'à il y a quelques décennies, est devenu, au nom du nouveau paradigme autodestructeur -suicidaire- de l'Occident, un détail bureaucratique-administratif qui peut être préservé dans certaines occasions, les moins graves, tandis que dans des scénarios complexes qui exigent des réponses efficaces, ce principe de souveraineté est présenté à la population comme inopérant, inutile pour la défense des intérêts communs et, en bref, comme un obstacle pour affronter les grands défis de notre temps.

De cette façon, les oligarchies mondialistes sont constamment occupées à générer des états d'alerte, d'urgence, de mettre en scène des problèmes qui seraient caractéristiques « d'un monde global » qui exigeraient le renoncement à la souveraineté des États - c'est-à-dire à celle des citoyens - afin de remettre le pouvoir de décision à des organismes supranationaux qui géreront chaque urgence selon des critères fixés par des « experts », par la « science » ou par des politiciens installés au sommet de l'exécutif international, aussi inconscients du bien quotidien de ceux qu'ils administrent que de toute velléité de s'en occuper. Pandémies, guerres, inondations migratoires, catastrophes climatiques, crises financières et énergétiques, pénuries de matières premières, montée du populisme et de l'"extrême droite", terrorisme de tous bords... La nouvelle classe dirigeante mondiale s'est spécialisée dans la création d'un état d'anxiété permanent au sein de la population, un sentiment perpétuel de calamité imminente, de ruine de la civilisation et de la planète, à moins que nous ne les écoutions et suivions aveuglément leurs directives, que nous leur obéissions et que nous normalisions le renoncement à la propriété de notre destin dans l'histoire en échange du sentiment d'être en sécurité, entre leurs mains. C'était le plan il y a longtemps. Petit à petit, sans relâche, ils le réalisent.

Le citoyen ordinaire - je parle toujours de notre environnement civilisationnel et culturel - a été convaincu que les libertés individuelles, le droit à la vie privée, l'équité dans la relation avec l'État et même le droit à son propre corps et à gérer sa santé comme bon lui semble sont de véritables entraves à la bonne administration du bien commun. Qu'un policier local puisse exiger un certificat de vaccination de n'importe quel citoyen pour le laisser entrer dans un bâtiment public est une aberration aussi grande qu'un voisin qui peut tout enregistrer avec son téléphone portable et dénoncer son voisin d'en face pour avoir promené son chien après dix heures du soir. Ces deux cas réels nous paraissent pourtant logiques - d'une logique atroce - dans un monde où la liberté et la dignité, la fierté d'être des citoyens à part entière, ne signifient plus rien, ne sont rien en comparaison des pouvoirs exorbitants que s'attribuent les gouvernants sous prétexte de se soucier du bien de la majorité. De plus, les cas d'ingérence décrits ci-dessus, aussi scandaleux qu'ils puissent paraître, sont insignifiants, presque une anecdote par rapport à l'essentiel de l'interventionnisme despotique à des niveaux supérieurs : l'économie, la géopolitique, l'utilisation stratégique de l'énergie, les politiques de santé mondialisées, les relations interpersonnelles, les adaptations successives des lois au profit criminel des privilégiés impunis, l'éducation...

Dans ces conditions, quel sens y a-t-il à supposer que nous sommes encore des citoyens libres, ayant le droit d'élire nos gouvernants et de leur demander des comptes sur leur gestion ? Non, et en aucun cas : nous n'élisons pas ceux qui nous gouvernent, mais ceux qui doivent gérer l'application impitoyable du plan à long terme défini par les élites et qui préfigure un destin sans visage et sans âme pour le gros de la piétaille humaine.

Dans le temps : nouvelles pandémies, nouveaux cataclysmes éco-environnementaux, nouvelles guerres et migrations sans fin, nouvelles recrudescences du terrorisme islamiste et de toute autre origine, nouvelles prophéties sur l'épuisement des ressources énergétiques, le réchauffement climatique, la fin du monde... Et quand nous irons voter, nous le ferons avec la trépidation de ceux qui cherchent d'urgence non pas ceux qui peuvent nous réveiller du cauchemar mais ceux qui sont capables de négocier une capitulation plus ou moins acceptable avec les monstres. Dans la lutte contre l'adversité, nous n'aspirons plus à gagner mais à mériter une capitulation qui nous fasse souffrir le moins possible. Nous avons normalisé le fait de ne pas joindre les deux bouts, d'avoir froid en hiver ou de payer des factures astronomiques d'électricité/gaz -qui peut encore le faire-, les rayons à moitié vides dans les supermarchés, les pensions de misère et les salaires de misère, les portes fermées des centres de santé, les listes d'attente intolérables pour toute démarche administrative, l'interdiction de circuler en voiture dans les centres villes à moins de payer la redevance « écologique » correspondante... Nous avons normalisé l'acceptation de sociétés déstabilisées, sans fondement dans l'histoire et sans projet commun pour l'avenir, dans lesquelles chaque individu survit comme il peut tandis que le collectif aspire au baume de l'État comme seul remède. Et toutes ces normalités et bien d'autres qui nous conduisent au néant heureux du mendiant reconnaissant sont appelées « progrès » par les élites qui nous commandent et aussi par ceux qui nous gouvernent. Oui, en effet : les suicides préfigurent les destins lointains de l'humanité. Quoique, soyons pour une fois des optimistes avertis : pas si lointain.

José Vicente Pascual

Source: https://posmodernia.com/no-son-gobiernos-son-gestores-de-...

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