Les religions anciennes des Germains et des Scandinaves recelaient une contradiction singulière issue de la psychologie des peuples auxquelles elles étaient liées.
On y trouvait le culte de la force, une mentalité agressive, le désir exacerbé des aventures et de la gloire, ainsi qu'une acceptation orgueilleuse et joyeuse des épreuves inhérentes à cette conception belliqueuse.
Et pourtant, sur le plan métaphysique, cet optimisme dans l'action faisait place à un pessimisme étonnant.
L'Univers matériel était né du corps dépecé du géant Ymir (ou Ymer) qui avait été tué par Odin et ses frères, considérés comme une trinité créatrice. Ymir était une créature mauvaise, de même que tous les géants dont il fut le père, les Rimtussar, qui périrent tous, à l'exception d'un seul qui se sauva dans une barque avec sa femme et qui propagea leur race, après la période de la création originelle par Odin.
Avant cette création, il n'y avait qu'un gouffre primordial où régnaient le froid et la glace, et dont l'antithèse était l'empire de Surtur où se déployaient la lumière et le feu. C'était la rencontre des vapeurs, issues du royaume du froid, avec les rayons lumineux de Surtur qui avait engendré Ymir, la première structure du Monde de la matière.
Si la trinité créatrice (Odin, Vé et Vili) avait réussi à organiser un monde acceptable grâce à la mort d'Ymir, ces dieux recommandaient eux-mêmes et sans cesse la lutte ; la violence et la ruse n'étaient pas le moindre aspect de leur comportement, malgré la sagesse qu'on leur attribuait.
Le seul dieu vraiment bon et pacifique était Baldr (ou Balder) ; mais il disparut dans le royaume de Héla, la déesse des morts sans gloire et du gouffre du froid, ayant été tué par Loki, un dieu issu des géants, et l'un des moins recommandables.
Les hommes ne possédaient donc point un véritable protecteur de la paix, non plus qu'un inspirateur d'une morale de compassion. Sur tous les plans, ici-bas comme dans le monde des dieux, tout n'était qu'un perpétuel compromis entre le bien et le mal ; la guerre était l'état normal et c'était d'elle seule que naissait une sorte d'ordre universel.
Les grands dieux (les Ases, c'est-à-dire les Seigneurs) paraissaient trouver leur création fort acceptable telle qu'elle était. Eux-mêmes, d'ailleurs, savaient qu'à la fin des temps leur œuvre s'écroulerait. Odin avait jadis enchaîné le grand loup Fenrir, symbole du chaos et du mal ; mais Fenrir retrouvera la liberté et l'ouvrage d'Odin disparaîtra après un combat effrayant où les dieux et les hommes seront engloutis. Qu'adviendra-t-il après ce gigantesque «Crépuscule des dieux»? Peut-être une nouvelle création ?
De toute façon, il est visible que, pour les Germains et les Vikings, le bien ne régnait en aucun lieu, et que les dieux créateurs n'y pouvaient rien.
Il est rare qu'une religion affirme un tel pessimisme dans tous ses traits essentiels, tandis qu'elle glorifie paradoxalement la vitalité humaine, l'esprit de conquête, le mépris de la mort et l'absence d'altruisme.
Si l'on regarde bien ces originales et dramatiques conceptions du monde, il devient frappant de constater à quel point elles éclairent la psychologie d'une certaine Allemagne quasi contemporaine : celle de Bismarck et celle de Hitler...
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Aux XVIIIe et XIXe siècles, la civilisation allemande donna le jour à une longue série de cerveaux extraordinaires : littérateurs, savants, philosophes, musiciens prodiges se succédèrent en un carrousel étincelant.
Je ne retiendrai pourtant dans cette liste que trois noms : Schopenhauer, Nietzsche et Wagner. Trois sommets qui illustrent parfaitement divers aspects du génie germanique. Schopenhauer en révèle le côté le plus pessimiste et il en délimite la voie par une analyse intellectuelle impitoyable. Pour lui, l'effort est douleur, et la volonté de vivre, un mal. On sait que la philosophie de Schopenhauer n'est pas sans affinités avec certaines conceptions du Bouddhisme.
Par une réaction brutale, Nietzsche élabora une œuvre qui prit systématiquement le contre-pied du pessimisme de Schopenhauer. — Le monde humain n'est ni bon ni moral, mais il peut être beau et dramatique, terrible et passionné, et il peut donner naissance à des « Surhommes » agissant ici-bas «par-delà le bien et le mal». Les œuvres des héros de cette sorte suffisent à justifier et à glorifier la Vie. C'était le vieil idéal de « l'Ondinisme » qui renaissait sous l'aspect d'une doctrine philosophique.
Quant à Wagner, n'étant point philosophe mais poète et musicien, il ne se lia à aucun système rigoureux. Son esprit flotta du pessimisme à la joie créatrice de l'art. Il chanta les héros des légendes germaniques, il célébra longuement les beautés violentes des vieilles mythologies, mais il ne dédaigna point les aspects inédits d'un certain ésotérisme chrétien.
De celui-ci, c'est surtout le Catharisme (regardant plus ou moins la vie d'ici-bas comme un mal) qui paraît l'avoir séduit ; sans doute voyait-il dans cette doctrine un reflet christianisé et lointain du pessimisme nordique ?
Le christianisme «classique», avec son optimisme rédempteur et l'idée d'un monde «sauvé» par un dieu juste et bon, semble n'avoir que peu de prise sur les génies typiquement germaniques. Il leur faut du drame, de l'action violente, qu'ils mêlent de temps à autre au désespoir, car ils ne peuvent imaginer que l'Univers soit l'ouvrage d'une divinité réellement bienfaisante.
Ecoutons Wagner se confesser. Atteint par moments d'une profonde mélancolie, voici ce qu'il écrivait à Liszt en 1853: «Je ne vis guère qu'auprès de toi et loin du lieu que j'habite. Ma vie n'est qu'un rêve, et quand je me réveille c'est pour souffrir. Rien ne me tente ni ne m'attache. »
Et un peu plus tard il écrivait au même personnage: «Aucune des dernières années n’a passé sur ma tête sans que je me sois vu plus d'une fois face à face avec la résolution suprême d'en finir. Tout dans mon existence n'est qu'effondrement et ruine... Je n'ai plus la foi, et quant à l'espérance il ne m'en reste qu'une: celle de dormir d'un sommeil si profond, si profond, que tout sentiment de la misère humaine soit anéanti en moi. Ce sommeil, je devrais bien pouvoir me le procurer: cela n'est pas bien difficile. On ne peut considérer le monde qu'avec mépris; il ne mérite que cela. Gardons-nous de fonder sur lui aucun espoir, de lui demander aucune illusion pour notre cœur. Il est mauvais, mauvais, foncièrement mauvais... »
Après les opéras éclatants qui glorifiaient l'œuvre et les combats des dieux et des héros, ne retrouvons-nous pas là l'écho du pessimisme d'un disciple de Schopenhauer ?
Lorsqu'il eut d'ailleurs connaissance de l'œuvre de ce philosophe, Wagner en fit le plus grand éloge. Il écrivit (à Liszt toujours) :
«Je suis pour l'instant exclusivement occupé d'un homme qui m'est apparu dans ma solitude comme un envoyé du Ciel: c'est Arthur Schopenhauer, notre plus grand philosophe depuis Kant, dont il a le premier, selon son expression, développé la pensée jusqu'au bout. A côté de lui quels charlatans que les Hegel et consorts. Sa pensée maîtresse, la négation finale du vouloir vivre, est d'un sérieux terrible; mais c'est l'unique voie du salut. »
«Naturellement cette pensée n'a pas été nouvelle pour moi, et, en général, on ne saurait la concevoir si on ne l'a déjà portée en soi-même. Mais c'est ce philosophe qui me l'a révélée avec une entière clarté. Quand je me reporte aux orages qui m'ont secoué, aux efforts convulsifs avec lesquels je me cramponnais malgré moi à l'espérance de vivre, quand aujourd'hui encore la tempête se déchaîne dans mon sein, j'ai pourtant un «quiétif» qui, dans mes nuits d'insomnie, m'aide à trouver le repos: «c'est l'aspiration sincère et profonde vers la mort, vers la pleine inconscience, le non-être absolu, l'évanouissement de tous les rêves, l'unique et suprême délivrance. »
C'est d'ailleurs sous l'influence de Schopenhauer, en 1854, que Wagner conçut le drame de Tristan et Iseult; il voulut y montrer que l'amour, loin d'être une expression de l'énergie volontaire, pouvait mener à la négation du «vouloir vivre».
Pourtant, malgré tous ces accès démesurés de pessimisme, on aurait tort de s'imaginer Wagner vivant indéfiniment dans un horizon aussi noir.
L'homme était sensible et complexe, et toute une large partie de son œuvre est empreinte du plus pur « Odinisme » ; on y trouve alors l'exaltation de l'action, et l'amour de la vie y éclate intensément, en contraste surprenant et combien révélateur du génie germanique.
Les sentiments chrétiens transparaissaient parfois en filigrane dans certaines compositions, comme dans Parsifal, le dernier ouvrage du poète. Il ne faut donc vraisemblablement point chercher dans les créations wagnériennes une unité doctrinale réelle. Wagner est l'artiste par excellence. Emotif, imaginatif, lyrique, il traduit les influences qui se succèdent et se mêlent en lui, et celles-ci sont nées de courants divers.
Au surplus, son siècle et ses origines facilitèrent cette rencontre entre les tendances multiples dont il sut faire un amalgame unique et prodigieux.
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L'œuvre de Wagner n'a pas épuisé les ressources de tous les récits épiques de l'Allemagne et des pays du Nord ; ce sont souvent des légendes rhénanes qui ont tenté son imagination, or il faut remonter plus loin dans le temps pour retrouver certaines bases traditionnelles de l'Europe gothique. C'est pourquoi il nous paraît intéressant de décrire rapidement quelques aspects d'une vaste migration antique, qui donna naissance à l'un des cycles fondamentaux de la littérature septentrionale.
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Pour mieux situer l'ensemble des légendes nordiques, il est utile de rappeler d'abord que, durant les périodes qui ont avoisiné et suivi le début de l’ère chrétienne, tout le sud de l'actuelle Russie était encore l'habitat d'une série de tribus germaniques.
Les limites des territoires gothiques se situaient approximativement vers le fleuve qui débouche dans la mer d'Azov et qui, dès cette époque, s'appela précisément le Don, alors que les Grecs le connaissaient auparavant sous le nom de Tanaïs.
Ceci nous remet en mémoire que les Allemands désignent le Danube par le terme Donau, ce qui montre la persistance d'une certaine étymologie germanique à l'égard des fleuves.
Du peuplement gothique des terres touchant la Crimée et une grande partie de la mer Noire, il reste non seulement des témoignages historiques (grecs et latins), mais aussi des récits Scandinaves.
Il existe particulièrement une épopée, peu connue en France, qui raconte comment une race conquérante, partie de la Russie méridionale, vint submerger les régions du Nord de l'Europe. Cette épopée s'appelle la Heimskringla, elle-même liée à la Ynglinga-Saga (1).
Ces documents, s'inspirant de traditions orales, ne furent probablement couchés par écrit que vers le Xe ou le XIIe siècle de notre ère, ce qui explique que des erreurs de date aient pu s'y glisser.
Voici le thème de ce récit extraordinaire :
II y avait autrefois un roi d'origine gothique qui habitait les contrées situées à l'est du Don (c'est-à-dire les vastes régions du nord du Caucase, entre la Caspienne et la mer Noire).
Ce roi vivait dans une cité-château, «As-Gardhr», ainsi nommée parce qu'elle était la capitale de l'Asaland (pays des Ases) (2).
A l'ouest de l'Asaland, s'étendait la terre des Vanes, peuple probablement de race analogue à celle des Ases.
Le roi d'As-Gardhr s'appelait Odhinn (Odin) et c'était à la fois un magicien puissant, un guerrier redoutable et un voyant plein de sagesse.
Une guerre éclata entre les Ases et les Vanes. Après des alternatives diverses, aucune armée ne put vaincre l'autre et les chefs conclurent la paix en échangeant des otages. Ceci se passait au premier siècle avant Jésus-Christ. A cette époque, Mithridate, roi du Pont, soutenait une lutte acharnée contre Rome. Il trouva des alliés chez les Sarmates et les Goths, et peut-être Odhinn vint-il plus ou moins en aide à Mithridate.
Pourtant, la domination romaine s'affirmait et les légions s'emparaient graduellement de l'Asie Mineure (3).
Mithridate disparu, le roi Odhinn confia le pays des Ases à ses frères, Vé et Vili, et il partit vers le Centre et le Nord de l'Europe, accompagné de ses fils et d'une puissante armée. Comme magicien et comme voyant, il savait en effet que sa descendance devait régner sur les parties septentrionales de l'Occident (4).
L'armée fut accompagnée d'une partie du peuple des Ases et des Vanes. Cette multitude soumit les tribus rencontrées en chemin et Odhinn établissait ses fils comme rois.
C'est ainsi que les chefs saxons qui conquirent plus tard la Grande-Bretagne, Hengist et Horsa, comptaient Odhinn parmi leurs ancêtres. Il en était de même de beaucoup de princes anglo-saxons.
Arrivé dans le Funen (Danemark), Odhinn y séjourna longtemps ; il y bâtit la cité d'Odense, qui existe encore aujourd'hui dans l'île de Fionie. Il plaça son fils Skjöld à la tête de Funen, et ce fut là l'origine des Skjöldungs. Il partit ensuite vers la Suède où le roi du pays ne fit aucune résistance et l'accueillit au contraire comme un envoyé du ciel.
A la longue, Odhinn établit en Suède son fils Yngve qui devint le fondateur de la dynastie des Ynglings. Ce nom servit longtemps à désigner les monarques suédois. Notons qu'un texte de l'Ynglinga-Saga donne comme successeur d'Odhinne en Suède le roi-dieu Njördhr, considéré ici comme un personnage historique (5).
En Norvège, enfin, ce fut encore Saeming, un fils d'Odhinn, qui devint le monarque de cette contrée.
Lorsque l'ancêtre magicien qui avait modifié l'histoire de tous les peuples du Nord sentit l'âge venir, il se tua suivant un rituel mystique. Et c'est ainsi que le puissant Odhinn se donna dans la poitrine neuf coups de lance disposés en forme de cercle.
Il avait auparavant institué un culte nouveau, où les dieux Ases et Vanes jouaient des rôles complémentaires, et il fut lui-même regardé comme le roi des divinités nordiques.
Il faut préciser ici que d'autres textes présentent Odin et les dieux Scandinaves comme des personnages exclusivement mythologiques.
C'est en s'appuyant sur ces documents que certains auteurs font des réserves sur l'aspect historique du récit que nous venons de présenter. Celui-ci contient néanmoins des éléments intéressants car il est aujourd'hui bien établi que maintes tribus gothiques habitèrent jadis près de la mer Noire : la légende de la Ynglinga-Saga confirme les données de l'histoire.
Quant au fait que des peuples eurent à l'origine des rois divins, on le retrouve dans beaucoup de croyances anciennes. Les héros et les princes de la Grèce archaïque sont souvent désignés comme des descendants de Gaïa et d'Ouranos, voire de Thétis ou d'Hélios. En Egypte, les premiers monarques furent Osiris, Seth, Horus, ou encore Ré ou Ptah, tous considérés comme des dieux. L'épopée nordique s'inscrit dans les normes les plus classiques des vieilles civilisations.
On peut croire pourtant qu'elle contredit un aspect de l'histoire qui attribue à Dan le Magnifique le titre de premier roi du Danemark.
Mais la difficulté est plus apparente que réelle car le fils d'Odin, Skjöld, ne régna pas sur le Danemark (désignation alors inconnue) mais sur une terre portant un autre nom : le Funen.
Il n'est pas davantage certain que son domaine ait eu la configuration ni l'étendue des possessions des rois danois. Le Danemark prit naissance postérieurement au royaume des descendants d'Odin et sa création fut l'œuvre d'une nouvelle dynastie.
Pour être honnête, il faut souligner les obscurités de la « Saga » qui considère Odin comme un personnage historique. Tardivement compilée par des auteurs chrétiens, cette « Saga » a peut-être confondu des périodes extrêmement différentes dans le temps.
Il paraît peu croyable que le début du culte d'Odin soit quasi contemporain dans les pays du Nord des premières années de l'ère chrétienne méditerranéenne.
D'autre part, les recherches archéologiques ont montré un peuplement de races blanches de grande taille dans les régions Scandinaves dès le début de l'âge du bronze: vers le XVIIe siècle avant notre ère. Cette époque lointaine voit se généraliser l'usage des objets de métal : épées, couteaux, pointes de flèches, haches, boucliers, trompettes, bijoux ; ils voisinent avec des charrues à bœufs, des embarcations, des vêtements de laine. Les corps, incinérés ou non, sont disposés sous des tumulus artificiels. L'âge de fer commençant à son tour plus tardivement, quels auraient pu être les cultes nordiques de ces diverses périodes alors que les corps sont physiquement très proches des populations actuelles ?
On peut ainsi penser que les traducteurs chrétiens des sagas, imprégnés d'une culture qui ramène tout à l'histoire romaine, n'ayant d'autre part aucune des notions dues à l'archéologie moderne sur le temps, ont confondu de très anciens mouvements migratoires avec des invasions plus récentes.
Dès le IVe siècle avant notre ère, le célèbre récit du voyageur grec Pythéas, concernant les pays septentrionaux, mentionnait la présence d'éléments gothiques et teutons sur les bords de la Baltique.
Vers le IIe siècle avant Jésus-Christ, divers peuples gothiques s'agitèrent en des sens difficiles à déterminer. Selon quelques archéologues, ils auraient émigré vers le Jutland danois, chassés des bords du Dniester par les Scythes. Pour d'autres, ils se seraient au contraire dirigés de la Baltique vers le centre et l'est de la mer Noire...
Ce qui demeure visible c'est que les territoires entre la Baltique et le sud de la Russie, sur de vastes étendues, restèrent longtemps une aire de dispersion germanique ; et cela devait durer jusqu'à l'arrivée des Huns, vers le IVe ou Ve siècle après Jésus-Christ.
Ces flux et reflux successifs, et mal connus, ont nécessairement amené plus tard des confusions entre diverses migrations, sans parler des mouvements de peuples plus anciens encore que ceux précédemment signalés. C'est donc à l'un de ces déplacements que se rattache la légende d'Odin, et celle-ci reste vraisemblablement liée à des faits réels mais impossibles à situer dans une période historiquement déterminée.
Ce qui nous semble utile de souligner maintenant c'est que le souvenir de la grande épopée que nous venons de relater explique certains motifs de la gigantesque guerre russo-allemande, de 1941 à 1945.
C'est en songeant aux légendes d'Odin, l'ancien Seigneur des territoires du Don et de la Russie du sud, que Hitler écrivait que les Germains devaient reprendre la «poussée vers l'Est» (Drang nach Osten), c'est-à-dire vers le Caucase et la mer Noire. Mais, prodigieusement ignorants du passé germanique, les Français n'y virent qu'un impérialisme gratuit. Qui semble soupçonner, dans notre pays, que la guerre contre les Russes fut inspirée (en partie du moins), à l'ancien maître de l'Allemagne par le désir de reprendre des terres qui furent originellement des possessions gothiques chantées par les mythologies du Nord ?
Le fait est attesté puisqu'il existait une publication allemande qui portait le nom de As-Gardhr: c'est-à-dire le nom même de la cité-forte qui fut la capitale d'Odin avant son départ vers l'Europe septentrionale.
Ainsi une donnée mi-historique et mi-religieuse, et puissamment enracinée dans la culture d'un peuple, a pu servir de tremplin psychologique à l'un des plus grands drames guerriers de l'histoire contemporaine. Qui oserait dire que les traditions (bien ou mal interprétées) sont sans effet sur la marche du monde ?
François DUPUY-PACHERAND
Notes :
(1) Les saga sont des récits légendaires de l'Europe du Nord concernant tour à tour
l'histoire et la mythologie.
(2) Gardhr signifie château, en donnant à ce mot le sens d'endroit fortifié. As gardhr est
donc le château des Ases.
(3) Le royaume de Pont se trouvait au nord-est de l'Asie Mineure. Mithridate se suicida
après des dissensions avec son fils Pharnace, qui fut vaincu par Jules César en 47 avant
Jésus-Christ.
(4) Plus simplement, on peut penser que l'ambitieux Odhinn savait que la puissance
romaine le menaçait, et surtout ne lui permettrait pas de faire dans le Proche-Orient les
grandes conquêtes dont il rêvait.
(5) Le texte qui fait régner Njördhr en Suède fut rédigé par Snorre Sturleson. Snorre (ou
Snorri) compte parmi les principaux écrivains Scandinaves et chrétiens qui recueillirent
autrefois les légendes du paganisme nordique. Il vécut en Islande (1178-1241 de notre ère).
Source: ATLANTIS – NOVEMBRE, DECEMBRE 1985