Mythologie Grecque
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L'ascension d'Héraklès vers l'Olympe dans un char tiré par quatre chevaux symbolise le fait qu'Héraklès était un héros solaire, patron des Jeux olympiques. Chaque cheval représentait une année, tandis que les quatre chevaux ensemble représenteraient les quatre années entre les Jeux olympiques.
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L’Iliade d’Homère est la première œuvre de la littérature occidentale. Cette épopée retrace l’histoire de la Guerre de Troie. Lors de ce conflit, les Grecs partent faire le siège de Troie pour récupérer la belle Hélène, enlevée par Pâris à son mari le roi de Sparte, Ménélas.
Après un siège de dix ans sous les murs de la cité de Troie, la guerre tourne à l'avantage des Grecs grâce au célèbre Achille.
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Dans la mythologie et la religion, et notamment dans la mythologie grecque, le terme chthonique (du grec ancien χθόνιος khthónios, « qui appartient à la terre « , « de la terre ») désigne ou fait référence aux dieux ou esprits des enfers, par opposition aux divinités célestes, notamment Hadès et Perséphone. Toutes ces divinités étaient simultanément liées aux notions de vie et de mort dans la mesure où les végétaux, source et symbole de la vie, plongent leurs racines et puisent leur nourriture dans les profondeurs de la terre.
L'animal chthonique par excellence était le serpent, et en tant que tel, il figurait sur le caducée d'Asclépios, dieu de la médecine. Dans la mythologie grecque, Asclépios ou Asclépios (en grec Ἀσκληπιός), Esculape pour les Romains, était le dieu de la Médecine et de la guérison, vénéré en Grèce dans divers sanctuaires. Asclépios devient le centre du culte populaire. Des temples ont été construits en son honneur dans toutes les villes de Grèce. Des foules de gens passaient la nuit dans des pièces spéciales où ils dormaient. Ils y espéraient que le dieu les guérisse directement par le biais d'une apparition en rêve ou que leurs rêves indiquent une guérison ou des signes que le prêtre du temple pouvait interpréter. Le pouvoir de ressusciter les morts était le motif qui a incité le dieu Zeus à mettre fin à la vie d'Asclépios. Le dieu Zeus n'était pas très heureux de la résurrection des mortels car il craignait que cela ne complique l'ordre du monde. Asclepius est monté dans les cieux et est devenu la constellation Serpentarium.
Il faut noter que le serpent était un animal très accepté dans la Grèce antique. En tant qu'animal de l'âme, le serpent était particulièrement lié à la tombe et notamment à celle du héros, représenté comme un symbole de fertilité et de survie. Cette fonction particulière du serpent s'est développée à partir de sa position d'animal protecteur de la maison, bien que les Grecs eux-mêmes aient parfois suggéré que la moelle des os d'un cadavre devenait un serpent. Le serpent représente également une icône religieuse, un véhicule du sacré à travers lequel la réalité métaphysique et les vérités primordiales se manifestent dans l'imaginaire grec. Il suffit de regarder les principaux mythes grecs : le combat cosmogonique entre Zeus et Typhon, la lutte d'Apollon avec le serpent Python pour la possession du sanctuaire de Delphes, le combat de Cadmos avec le serpent thébain et les voyages initiatiques de Jason en Colchide, d'Héraclès au Jardin des Hespérides, de Méduse et de Persée, entre autres.
Au sein du mythe, le serpent joue un rôle prépondérant avec de multiples significations et interprétations telles que le fait que le serpent est dépouillé de la vieillesse en renaissant, la relation avec la guérison et la capacité de restaurer la vie, sa relation avec le phallus masculin et la fertilité féminine, avec l'éternité et sa configuration tardive comme symbole du temps qui revient à lui-même, son rôle de gardien des sources de vie et de l'immortalité ; les croyances concernant son androgynie, son omniscience, son agressivité, son insomnie, son éveil, ainsi que son union avec les forces obscures et sa considération comme un être qui effectue, facilite ou entrave la transition entre les niveaux, brisant ainsi l'espace même de la réalité actuelle. En bref, la croyance en une force spéciale, résidente, émanée, inhérente ou symbolisée dans le serpent, une force, une énergie alignée du côté du primordial, de la force pure et seule : en somme, la vie, avec tous ses paradoxes et ses complexités.
D'autre part, le thème du serpent compris comme âme des morts n'est pas trop objectif, puisque le terme « âme » est utilisé sans réflexion sur la relation entre la psyché comme âme des morts et le serpent. Hésiode a décrit la mue d'un serpent par les mots « seule la psyché demeure ». Il est possible que l'attribution du psychisme à un serpent soit liée au rare pouvoir de muer la peau que possède cet animal.
L'analyse de ce symbole dans la culture grecque montre que le mythe du serpent n'est jamais vraiment mort, puisque sa morphologie versatile, sa capacité d'adaptation et la longue liste de mythes et de situations religieuses auxquels il était lié, lui ont garanti une longue survie, dont le message est de rapprocher l'homme de l'inintelligible.
Dans la mythologie grecque, nous pouvons citer Typhon, fils de Gaïa, de la terre et du Tartare, l'abîme du sous-sol, c'est-à-dire un monstre d'origine chthonique. Hésiode, dans la Théogonie, écrit :
« De ses épaules naquirent cent têtes de serpents, terribles dragons, piquant de leurs langues sombres. Des yeux de leurs têtes ineffables, sous leurs sourcils, brillait le feu. De toutes leurs têtes, le feu jaillissait quand ils regardaient.
Dans toutes, il y avait des voix qui lançaient une rumeur variée et indicible ; parfois elles émettaient des articulations, comme pour comprendre les dieux ; (...) d'autres, les riguidos d'un lion sans pitié (...) d'autres encore sifflaient et les énormes montagnes lui faisaient écho. » (Théogonie 836-68)
L'écrivain José Carlos Fernandez souligne le symbolisme du serpent sur les points suivants :
- Sagesse, de la perfection et du dynamisme du Réel ; elle représentait aussi la régénération psychique et l'immortalité.
- C'est l'image de l'âme qui se réincarne et "revêt une nouvelle peau". Il fait également référence au premier rayon de lumière émanant du Mystère Divin.
- C'est un symbole de l'Éternité, de ce qui s'est produit sans interruption.
- En outre, pour compléter la signification précédente, il est un symbole du temps et de ses cycles.
- Comme presque tous les premiers symboles, il s'agit d'un double symbole : il est la lumière, à la fois physique et spirituelle, mais aussi le symbole de son ombre, de l'obscurité de la matière, du mal, de la substance spirale qui emprisonne l'âme dans son tourbillon.
- Le serpent est le symbole du Soleil Spirituel (le Soleil Central des traditions occultes) et de son « corps », le Soleil visible ; symbole, donc, du Logos Créateur comme de l'Intelligence glissant dans l'Eternité. Mais aussi, par exemple, en Égypte, il était lié, astronomiquement, aux éclipses, comme un serpent qui veut dévorer le Soleil, par exemple, Apap en Égypte.
- Avec plusieurs têtes en mouvements spasmodiques, il est le symbole des passions humaines, mais aussi des pouvoirs psychiques.
- C'est un symbole de la grande Vie Unique, le Jiva-Prana des hindous, et de son mouvement, qui appelle les mondes à l'existence.
- Mais aussi de la mort et du guide qui accompagne le défunt, dans le royaume invisible.
- Il fait référence aux sages, aux éternels vivants, mais aussi aux âmes désincarnées.
- Le serpent est un symbole de l'énergie sexuelle, des corps qui tentent de perpétuer leurs formes, et des âmes qui tentent de se perpétuer dans leurs essences inaltérables.
- Il est le symbole de la Terre, de ses énergies et de ses potentialités, la « mère de tout ce qui bouge » des textes sacrés hindous.
Bremmer J. N
Bremmer, J. N. "Le concept de l'âme dans la Grèce antique". Ediciones Siruelas.
Ex: https://animasmundi.wordpress.com/2021/07/09/el-simbolismo-serpentino-en-la-mitologia-griega/
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Homère dans la Baltique : essai sur la géographie homérique, un livre de Felice Vinci paru aux Editions Fratelli Palombi à Rome
Pourquoi, Homère dans la Baltique ? Depuis l'Antiquité, tous les chercheurs ont été surpris par les nombreuses et inexplicables contradictions de la géographie de l'Iliade et de l'Odyssée concernant des lieux méditerranéens comme, par exemple, la situation et la topographie d'Ithaque, la configuration de son archipel, l'aspect plat du Péloponnèse, etc. Plutarque est celui qui nous donne la clé pour entrer dans le monde réel des deux poèmes lorsque, dans l'une de ses œuvres, De fade quae in orbe lunae apparet, il affirme une chose étonnante : « Ogygia, l'île de la déesse Calypso, se trouverait dans l'Atlantique Nord à cinq jours de navigation de cette île que nous appelons maintenant la Grande-Bretagne ».
Le monde d'Homère dans la Baltique et l'Atlantique Nord
Voici le début de nos recherches: en effet, l'archipel des Färöer, où se trouve une île appelée « Mykines », correspond parfaitement aux indications de Plutarque. De plus, sur une des îles du même archipel, appelée Stòra Dimun, face à la mer, se trouve une montagne appelée Högoyggj. D'ici, en suivant toujours les indications détaillées de l'Odyssée sur la route vers l'Est qu'Ulysse a suivie après avoir quitté l'Ogygie, on peut identifier le pays des Phéaciens, « Escheria », sur la côte méridionale de la Norvège: près de Stavanger, on découvre une région très riche en témoignages archéologiques de l'âge du bronze et, de plus, dans l'ancienne langue du Nord « skerja » signifiait « récif ». En suivant ce littoral, un examen comparatif attentif nous permet de découvrir le véritable archipel d'Ithaque parmi les îles du Danemark, car selon l'Odyssée, près d'Ithaque se trouvaient trois îles principales : Dulychius (« la longue » en grec, introuvable en Méditerranée), Same et Zacinthe, qui correspondent respectivement à Langeland (« le long pays » en danois), Aere et Tâsinge, les principales îles de l'archipel danois du « Sud-Fyn ». Et Ithaque, la patrie d'Ulysse, quelle est-elle ? Il s'agit simplement de l'actuelle Lyo, qui lui correspond parfaitement par sa position géographique: en effet, comme l'Odyssée le souligne à plusieurs reprises, elle est située à l'extrémité occidentale de l'archipel et à côté d'Aero; de plus, Homère nous apprend qu'entre Ithaque (Lyo) et Same (Aero) se trouvait une autre petite île, Asteris, qui correspond en fait à l'actuelle Avernako. Or, si l'Ithaque méditerranéenne est très différente de l'Ithaque homérique non seulement par sa situation dans l'archipel mais aussi par sa topographie, Lyo correspond à la patrie d'Ulysse tant dans les détails morphologiques que topographiques. On y trouve par exemple le « Port de Forcis » et le « Rocher du Corbeau » (un dolmen néolithique dans la partie occidentale de l'île). À l'est de Lyo se trouve le « Péloponnèse » homérique - ou « l'île de Pylos » - où régnaient les rois Atreus et Nestor, c'est-à-dire la grande île de Sjaelland (où se trouve aujourd'hui Copenhague, la capitale du Danemark). En effet, cette île est plate et correspond à la description d'Homère. Au contraire, le Péloponnèse grec n'est ni plat ni insulaire, malgré son nom ; il est néanmoins situé au sud-ouest de la mer Égée, c'est-à-dire dans une position correspondant à celle du Sjaelland dans la Baltique : voilà encore un témoignage de la transposition des noms géographiques faite par les Achéens lorsqu'ils descendirent du nord pour atteindre le sud de l'Europe.
Et les voyages d'Ulysse après la guerre de Troie? Alors qu'il était sur le point d'atteindre Ithaque, il fut chassé de sa patrie par une tempête, après quoi il eut de nombreuses aventures dans des lieux fabuleux avant d'atteindre l'île d'Ogygie : aventures dont le cadre, comme nous allons le voir, est certainement celui de l'Atlantique Nord, où Plutarque nous a indiqué la situation d'Ogygie. En effet, l'île Aeolia, où règne le « roi des vents », fils d'Hippocrate, c'est-à-dire « le fils du chevalier », est l'une des îles Shetland (peut-être Yell) où soufflent les vents terribles et où vivent aussi de petits chevaux. Les Cyclopes - qui ressemblent aux Trolls, les géants mythiques du folklore norvégien dont la mère s'appelle « Toosa » - se sont installés sur la côte norvégienne (où il y a un « Tosen-fjorden »). La région des Lestrigones se trouvait également sur la même côte, plus au nord: l'Odyssée nous apprend que les journées y sont très longues. Et où se trouve l'île « Lamoy » (c'est-à-dire le « Lamos » homérique), l'île de la magicienne Circé, où le soleil est visible à minuit et où ont lieu les levers de soleil qui tournent (Homère les appelle « les danses de l'Aurore »), danses qui se retrouvent sous la forme des « danses d'Ushas » de la mythologie védique dont parle Tilak dans son ouvrage Origine polaire de la tradition védique ? Cette île peut être identifiée à Jan Mayen, au nord du cercle polaire. Il convient de noter que jusqu'au début de l'âge du bronze, le climat du Nord était beaucoup plus chaud. Il faut également noter que les « Wandering Rocks » (les rochers mouvants) sont des icebergs et que Charybde correspond sans doute au célèbre tourbillon appelé Maelström, près des îles Lofoten. Après l'épisode de Charybde, Ulysse débarque sur l'île de Trinacria, c'est-à-dire « le Trident » ; or, à côté du Maelström, il existe certainement une île à trois pointes appelée Vaeroy.
Les Sirènes, qu'Ulysse rencontre avant d'atteindre le détroit de Charybde, sont en réalité des récifs très dangereux pour les marins qui sont attirés par le murmure mélancolique du ressac, et qui, s'ils s'en approchent en croyant que la côte est proche, courent le risque de s'échouer. Ainsi, le « chant des sirènes » est une métaphore comparable à celle des kennings de la littérature nordique. Enfin, le « fleuve océan » de la mythologie grecque correspond au Gulf Stream, qui longe les côtes de la Norvège jusqu'à la mer glaciaire arctique.
En un mot, ces aventures, probablement inspirées des récits de marins de l'âge du bronze sur la mer du Nord, datent d'une époque où la navigation était très développée, surtout en Norvège où le climat était plus doux qu'aujourd'hui, et rappellent les routes océaniques des marins de l'époque telles qu'elles ont été revues par l'imagination du poète ; ces aventures deviendraient incompréhensibles si elles étaient transposées dans un tout autre contexte, à savoir la Méditerranée.
Notre enquête porte maintenant sur la situation de Troie : il existe aujourd'hui des chercheurs, comme le célèbre professeur anglais Moses Finley, qui nient que la Troie homérique puisse coïncider avec la ville découverte par Heinrich Schliemann sur la colline de Hissarlik en Anatolie. En effet, la ville chantée par Homère était située au nord-est de la mer, en face du « vaste Hellespontine » (dont on sait qu'il est très différent du détroit des Dardanelles), et l'historien médiéval danois Saxo Grammaticus a plusieurs fois fait mention d'un village des « Hellespontines », ennemis des Danois, dans la Baltique orientale. Or, dans une région du sud de la Finlande, entre les villes d'Helsinki et de Turku, on trouve de nombreux noms de lieux similaires aux noms de lieux et de villages alliés aux Troyens mentionnés dans l'Iliade: Askainen, Reso, Karjaa, Nâsti, Lyökki, Tenala, Killa, Kiikoinen, Aijala, et bien d'autres. De plus, des noms de lieux tels que Tanttala et Sipitä (le roi mythique Tantalus était enterré sur le mont Sipylus) ne rappellent pas seulement la géographie homérique mais évoquent aussi toute la mythologie grecque. Et Troie, où la trouve-t-on ? Au centre de cette région baltique, où se trouvent de nombreux témoignages archéologiques de l'âge du bronze, nous découvrons un lieu dont la morphologie est extraordinairement similaire aux descriptions homériques, c'est-à-dire un territoire vallonné dominant une plaine traversée par deux rivières, c'est-à-dire un territoire qui descend vers la mer avec une zone plus accidentée. Et puis nous découvrons que la cité du roi Priam a survécu aux pillages et aux incendies des Achéens et qu'elle a gardé son nom presque inchangé jusqu'à ce jour: c'est « Toija », comme on l'appelle maintenant. La vraie Troie est un paisible village finlandais qui a oublié son passé glorieux et tragique. Quelques kilomètres plus loin en mer, là où se trouvait l'ancien littoral, le village appelé Aijala rappelle cette plage qu'Homère appelle, en grec, « aigialos » (Iliade XIV, 34), la plage où les Achéens avaient débarqué et établi leur camp retranché.
C'est pourquoi, dans les récits de l'Iliade, un « brouillard épais » s'abat souvent sur les guerriers qui combattent dans la plaine de Troie. Il est maintenant facile de comprendre pourquoi la mer d'Ulysse ne ressemble en rien à la mer brillante de la Grèce, mais est toujours décrite comme « grise » et « brumeuse »: le monde homérique est empreint de la rigueur du climat nordique, dans lequel prédominent le froid, le vent, le brouillard, la pluie, la tempête, la glace et la neige (Iliade XII, 284), et où le soleil et la chaleur sont absents. En effet, les personnages d'Homère sont toujours enveloppés dans de lourds manteaux de laine - des manteaux semblables à ceux que l'on trouve dans les tombes danoises de l'âge du bronze - même pendant la saison la plus propice à la navigation. En bref, ce monde homérique n'a rien à voir avec les plaines torrides d'Anatolie. De plus, les murs de Troie, faits de pierres et de rondins, ressemblent davantage à ceux des anciennes cités du Nord qu'à ceux des puissantes forteresses mycéniennes.
Ainsi, ce qui est étrange dans la longue bataille, dans la partie centrale de l'Iliade, avec deux midi (XI, 86 ; XVI, 777) et une « nuit terrible » (XVI, 567) mais sans aucune interruption des combats pendant la nuit - ce qui est impossible dans le bassin méditerranéen, où toutes les batailles sont interrompues par l'obscurité - est immédiatement expliqué : il s'agit d'une description de la nuit claire du solstice d'été dans les hautes latitudes qui permet aux troupes reposées de Patroclus, qui sont entrées dans le combat le soir, de combattre sans repos jusqu'au lendemain.
Et maintenant, après avoir découvert le monde d'Ulysse dans les îles danoises et celui de Troie dans le sud de la Finlande, le « Catalogue des navires », tiré du chant II de l'Iliade, nous permet de reconstituer tout l'univers perdu d'Homère et de la mythologie grecque en suivant les côtes de la Baltique dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Un exemple: la région de Stockholm correspond à la Béotie homérique; ici, la baie suédoise de Norrtälje, d'où partent aujourd'hui les ferry-boats pour Helsinki, correspond à l'ancienne Aulide béotienne, où la flotte achéenne se rassemblait avant de partir pour Troie. Autre exemple : dans l'archipel d'Åland, entre la Suède et la Finlande, l'actuelle Lemland est Lemnos, où les Achéens s'arrêtaient pendant la traversée, tandis qu'au retour de la guerre ils passaient devant Chios, qui correspond à Hiiumaa, ou Chiuma, une île estonienne. Notons également que près de Stockholm, Täby est Thèbes, la ville d'Œdipe, Tyresö rappelle le devin thébain Tirésias, et une colline appelée Nysättra est le mythique mont Nyssa, où naquit le thébain Dionysos. L'Athènes d'origine de Thésée se trouvait sur la côte sud de la Suède, près de Kalkskrona: en effet, selon le dialogue de Platon, Critias, elle était située dans une plaine sinueuse avec de nombreux fleuves, très différente de sa morphologie actuelle ; ensuite, le « Catalogue des navires » mentionne les régions du Péloponnèse, de Dulychium et de l'archipel d'Ithaque, selon une séquence impossible en Méditerranée, et confirme son identification avec Sjaeltand, Langeland et Lyo, déjà obtenue par l'Odyssée. La Crète, qu'Homère n'appelle jamais « île » mais « le vaste pays », était située le long de la côte polonaise de la Baltique: c'est pourquoi l'art minoen crétois ne fait aucune allusion à la mythologie grecque (d'ailleurs, le nom de la Pologne, « Polska », rappelle les « Pélasgiens », habitants mythiques de la Crète). De plus, en suivant le mythe de Thésée et Ariane, qui nous dit qu'entre « Crète » et « Athènes » se trouvait l'île de Naxos, nous pouvons voir qu'entre les côtes polonaises et suédoises se trouve une île, Bornholm, avec une ville appelée Nekso. Toujours selon le « Catalogue », le long de la longue côte finlandaise, la ville mythique de Jason, Yolco, correspond à l'actuelle Jolkka, près du golfe de Botnie. Toujours en Finlande, le mont Pallas (Pallastunturi) ressemble à Pallas, c'est-à-dire à Athéna, et la rivière Kyrön (Kyrönjoki) évoque le centaure Chiron, et semble indiquer que les Lapons actuels seraient les descendants des mythiques Lapithes, ennemis des Centaures. Ainsi, dans le monde balte, on trouve aussi d'autres peuples que l'on croyait perdus: les descendants des Danaens et des Curètes homériques seraient respectivement les Danois actuels et les habitants de Curlandia, une région de Lettonie.
Et que dire de l'île de Paros, « à une journée de navigation du fleuve Égypte », et de la ville appelée « Thèbes d'Égypte », qui, selon Homère, était proche de la mer ? C'est l'une des plus célèbres énigmes de la géographie homérique, car l'île égyptienne de Paros se trouve près de la côte, devant le port d'Alexandrie, et la ville de Thèbes est à une centaine de kilomètres à l'intérieur des terres. Or, le fleuve qui, dans la Baltique, se trouve dans une position correspondant à celle du Nil est la Vistule. En effet, devant son embouchure (un delta semblable à celui du fleuve africain), au milieu de la Baltique (c'est-à-dire « à une journée de navigation »), se trouve une île appelée Fårö. C'est donc ici que Ménélas rencontre Protée, le « Vieux de la mer », que l’on retrouve dans la figure du « marmendill », un devin de la mythologie nordique. De plus, à la même bouche du fleuve, la ville polonaise de Tczew rappelle le nom de la Thèbes homérique. Quant à l'Égypte que nous connaissons, son ancien nom était « Kemi », tout comme celui de Thèbes était « Wò'se » : les noms actuels ont été donnés par les Mycéniens qui, après leur descente en Méditerranée, ont voulu reconstituer ici leur monde d'origine.
En somme, la géographie homérique, qui souffre en Méditerranée d'innombrables et irrémédiables contradictions, trouve sa place naturelle dans le monde balto-scandinave: cette localisation nordique dessine un tableau géographique, morphologique, toponymique et climatique totalement cohérent avec le monde des deux poèmes et de la mythologie grecque. De plus, la civilisation chantée par Homère présente des affinités singulières avec celle des Vikings, ainsi qu'avec leur mythologie, malgré l'énorme distance temporelle qui les sépare. Toutefois, les spécialistes ont remarqué que le monde homérique semble nettement plus archaïque que celui des Mycéniens, apparus en Grèce aux alentours du XVIe siècle avant J.-C. De toute évidence, ces derniers, qui étaient de grands navigateurs et commerçants, ont immédiatement établi des contacts avec les civilisations méditerranéennes les plus raffinées après leur arrivée en zone méditerranéenne: c'est la raison de leur évolution rapide.
Pour le reste, en ce qui concerne l'origine nordique de la civilisation mycénienne, tout cela est corroboré par les preuves archéologiques recueillies en Grèce. En effet, l'archéologie l'a constaté (Prof. Martin P. Nilsson, Homère et Mycènes, Londres 1933, pages 71-86) :
- la présence d'une grande quantité d'ambre, probablement balte, dans les tombes mycéniennes les plus anciennes et son absence dans les autres;
- les caractéristiques nordiques de son architecture: le mégaron mycénien « est identique à la salle de réunion des anciens rois scandinaves »;
- « la ressemblance frappante » des dalles de pierre, trouvées dans une chambre funéraire près de Dendra, « avec les menhirs connus de l'âge du bronze en Europe centrale »;
- les crânes de type nordique de la nécropole de Kaîkani, etc.
D'autre part, les chercheurs ont trouvé des similitudes remarquables entre la représentation des figures de l'art minoen (mycénien et crétois) et certaines gravures uniques trouvées sur les dalles de sarcophage appartenant à un énorme monticule de l'âge du bronze (75 mètres de diamètre) à Kivik, dans le sud de la Suède. Et que dire de la présence d'un « graffiti » représentant une dague mycénienne sur un mégalithe à Stonehenge en Angleterre? En outre, on trouve dans cette région d'autres traces (« civilisation du Wessex ») qui rappellent la civilisation mycénienne, mais qui semblent avoir précédé de quelques siècles ses débuts en Grèce. À cet égard, l'Odyssée mentionne un marché de bronze dans une localité étrangère, située outre-mer, appelée « Tamise », jamais identifiée en Méditerranée: en se rappelant que le bronze est un alliage de cuivre et d'étain et que, en Europe du Nord, ce dernier était produit presque exclusivement en Cornouailles, on pourrait en déduire que cette « Tamise » homérique correspondait à l'estuaire de la Tamise (appelé « Thamesis » ou « Tamensîm » dans l'Antiquité).
En bref, le véritable lieu d'origine des poèmes homériques et de la mythologie grecque était le monde balto-scandinave, où l'âge du bronze, favorisé par un climat exceptionnellement doux, s'est épanoui avec des produits splendides semblables à ceux de la Méditerranée. Rappelons que les savants fondent leurs spéculations sur un « optimum climatique », après la dernière glaciation, qui aurait duré jusqu'au début du deuxième millénaire avant J.-C., ce qui confirme également la thèse de l'origine arctique des Aryens soutenue par Tilak en Inde. Notons également que lorsque cette période s'est terminée et que le climat est devenu très rude (plus qu'aujourd'hui), c'est le moment où commencent les migrations des Indo-Européens: ainsi, alors que les Aryens se sont installés en Inde, leurs « cousins » achéens se sont dirigés vers la Méditerranée - en descendant peut-être les grands fleuves russes, comme le Dniepr - et ont donné naissance à la civilisation mycénienne; de sorte qu'ils ont attribué, aux différents lieux où ils se sont installés, des noms identiques à ceux des régions qu'ils avaient quittées dans leur patrie perdue, en se servant d'une certaine similitude entre les deux bassins, la Baltique et la Méditerranée. En outre, les vieilles histoires de leurs ancêtres ont été transmises d'une génération à l'autre, à partir desquelles ont germé les premières graines de l'Iliade et de l'Odyssée, et qui peuvent être considérées comme des « fossiles littéraires » ayant survécu à l'effondrement de l'âge du bronze en Europe du Nord.
C'est pourquoi on ne sait rien de leur(s) auteur(s). Enfin, l'effondrement de la civilisation mycénienne (causé par les Doriens vers le XIIe siècle avant J.-C.) a fait oublier définitivement le souvenir de leur émigration du Nord, pourtant attestée par l'archéologie: ainsi, leurs anciens récits, transmis par les aèdes jusqu'à l'âge classique, ont perdu leur contexte « hyperboréen » originel, bien que celui-ci n'ait jamais été complètement oublié par les Grecs anciens, et ont ensuite été transférés dans le monde méditerranéen, où ils sont restés dans une dimension mythique hors de l'espace et du temps (1).
Felice Vinci est Italien, né à Rome, spécialisé dans l'ingénierie nucléaire ; cependant, son penchant pour la Grèce antique l'a fait travailler pendant des années avec érudition sur l'approche inédite de la géographie des œuvres d'Homère.
Note :
(1) En avril 2017, une conférence internationale sur « Homère dans la Baltique » a été organisée dans un institut académique grec à Athènes. Un résumé actualisé de cet article a été publié par le Athens Journal of Mediterranean Studies. Pour accéder au contenu, rendez-vous sur le site :
https://www.athensjournals.gr/mediterranean/2017-3-2-4-Vinci.pdf
Par ailleurs, une critique de l'article, signée par Arduino Maiuri, philologue à l'Université de Rome, vient d'être publiée dans l'American Journal et peut être consultée sur le site :
Http://www.davidpublisher.com/Home/Journal/SS
ou également à :
Http://www.davidpublisher.org/index.php/Home/Article/index?id=31714.html
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Si de longues stations, des rêveries plus longues, et surtout la langueur et la plénitude voluptueuse du beau corps étendu de la dernière Parque ne m'ont pas fait perdre l'esprit, on voit que les Athéniens du IVe siècle d'avant notre ère avaient peut-être dédié à la déesse poliade une manière de noël rationaliste et païen. Fille de la plus haute puissance élémentaire, Pallas d'Athènes se fait homme toutes les fois que l'homme fait usage de la raison.
Sans se piquer d'allégorie, Athènes avait un sens trop délicat pour se méprendre sur un épisode central de sa religion politique. Elle se reconnaissait dans cette déesse et patronne, image vive de ses forces élevées à leur type héroïque et abstrait. Je ne sais si les hommes d'aujourd’hui saisiraient cette opération très fine de l'esprit religieux. Ce n'était pas un simple culte rendu par la ville d'Athènes au moi athénien. L'adoration un peu brutale des Romains pour la déesse Rome eut peut-être ce caractère d'égoïsme : hommes d'État par-dessus tout, ils mettaient sur l'autel leur œuvre envisagée comme volonté créatrice et comme objet créé. Athènes ne s'adorait point sans la mâle pudeur et l'humilité que prescrit une intelligence profonde.
La piété d'Athènes apportait le tempérament naturel à cet orgueil humain, qui est la dernière folie. Morale, religion ou politique, ce qui ne fonde que sur la volonté des mortels n'est guère plus certain que ce que l’on construit sur leurs bons sentiments. La piété des Attiques a été plus parfaite, parce qu'elle repose sur un fondement moins fragile : elle prend conscience des auxiliaires secrets qui, en nombre infini, fertilisent notre labeur ; elle conçoit que la part de notre mérite, dans nos victoires les plus belles, est presque nulle, que tout, en dernière analyse, dépend d'une faveur anonyme des circonstances et, si l'on aime mieux, d'une grâce mystérieuse. Ainsi les Athéniens, quand ils priaient Pallas, invoquaient le meilleur d'eux-mêmes et en même temps ils invoquaient autre chose qu'eux. La déesse à laquelle ils faisaient abandon, honneur et hommage d'Athènes était bien leur propre sagesse, mais fécondée et couronnée des approbations du destin.
Qu'un tel peuple, le plus sensible, le plus léger, le plus inquiet, le plus vivant, le plus misérable de tous les peuples, ait été justement celui qui vit naître Pallas et opéra l'antique découverte de la Raison, cela est naturel, mais n'en est pas moins admirable. On comprend comme, à force d'éprouver toute vie et toute passion, les Athéniens ont dû en chercher la mesure autre part que dans la vie et dans la passion. Le sentiment agitait toute leur conduite, et c'est la raison qu'ils mirent sur leur autel. L'événement est le plus grand de l'histoire du monde.
Son heure doit être fixée sans doute bien avant l'apparition d'Homère dans les colonies athéniennes, avant même que ces colonies fussent sorties de la ville-mère, avant que le vieil Erechthée eût reçu le plant d'olivier. D'alors date le changement. L'esprit de la Grèce naquit en même temps que sa déesse. Tout ce qui s'agitait dans l'homme acquit une humaine valeur. Par exemple un savant cessa d'imaginer que le savoir consiste en un amas de connaissances ; il chercha l'ordre qui les fixe et qui leur donne tout leur prix; où le roi Salomon faisait des catalogues et des nomenclatures, les prédécesseurs d'Aristote essayaient cette liaison, cette suite auxquelles on affecta le nom sacré de Théories. Le même renouvellement se produisit en art ; on sentit qu'il ne suffit pas de copier des formes, ni de les agrandir, ni de les abréger, et que le plaisir véritable naît d'un rapport de convenance et d'harmonie. La même règle fut étendue à la philosophie de la vie. On vit que le bonheur ne tient pas à la foule des objets étrangers dont la commune cupidité s'embarrasse, ni à l'avare sécheresse d'une âme qui se retranche et veut s'isoler. S'il importe que l'âme soit maîtresse chez elle, il faut aussi qu'elle sache trouver son bien et le cueillir en s'y élevant d'un heureux effort. Ni relâchement, ni rudesse, aucune vertu sans plaisir, ni aucun plaisir sans vertu, voilà le conseil athénien. Il n'en est pas qu'on ait dénaturé davantage, le genre humain n'en a pas reçu de plus pénétrant.
L'influence de la raison athénienne créa et peut sans doute recréer l'ordre de la civilisation véritable partout où l'on voudra comprendre que la quantité des choses produites et la force des activités productrices s'accroîtraient jusqu'à l'infini sans rien nous procurer qui fût vraiment nouveau pour nous. L'âme chagrine et mécontente qui fit de l'homme l'inventif et industrieux animal qui change la face du monde, cette âme de désir, cette âme de labeur ne sera jamais satisfaite par un nombre quelconque d'œuvres ou de travaux, tout nombre pouvant être accru : c'est la qualité et la perfection de son œuvre, qui lui donnera le repos, car toute perfection se limite aux points précis qui la définissent et s'évanouit au-delà. Le propre de cette sagesse est de mettre d'accord l'homme avec la nature, sans tarir la nature et sans accabler l'homme. Elle nous enseigne à chercher hors de nous les équivalents d'un rapport qui est en nous, mais qui n'est pas notre simple chimère. Elle excite, mais elle arrête; elle stimule, mais elle tient en suspens. Source d'exaltation et d'inhibition successive, elle trace aux endroits où l'homme aborde l'univers ces figures fermes et souples qui sont mères communes de la beauté et du bonheur.
Tout le progrès de notre espèce ne consisterait qu'à transmettre et à développer ce bien sans prix, une fois que les parties détruites en auraient été recouvrées. La mémorable impulsion donnée par Athènes ne s'est communiquée jusqu'à nous qu'assez faiblement. Elle s'est beaucoup altérée. Il ne nous reste pas grand-chose de la haute et délicate sagesse pratique qui maîtrisa et qui consola un Ulysse à travers ses épreuves en l'empêchant de croire stupidement que les voluptés sont sans borne ou qu'on ne puisse composer avec les dieux. Le rythme exquis d'un Phidias anime bien quelques poètes, mais ils sont clairsemés, dans l'histoire moderne; et, encore que notre France, favorisée d'un Racine et d'un La Fontaine, en ait la meilleure part, les survivants sont peu en comparaison de ce qui a péri. Seul, à travers la méconnaissance et l'insulte, Aristote, « l'incomparable Aristote », comme dit Comte, est continué dignement; barbares de goût et de mœurs, nos modernes tiennent du moins à l'enchaînement du savoir, mais on s'occupe beaucoup plus d'en accroître la somme que de l'ordonner et de la distribuer à propos.
Charles Maurras
Sources : Ch. Maurras – Le voyage d’Athènes – Plon 1939.
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L'orphisme
L'orphisme, qui fut le principal agent de la décomposition de l'Hellénisme, n'était pas un sacerdoce, mais un thiase, c'est-à-dire une congrégation religieuse qui s'était formée, ou du moins recrutée avec les débris de l'institution pythagorique. Les Orphiques avaient, comme les Pythagoriciens, une discipline ascétique et des formules de purification qui s'alliaient à un système de métempsycose peut-être emprunté aux Égyptiens (ou à l'Inde). De plus, ils composaient des poésies religieuses et sous prétexte de réformer le culte national, ils embrouillaient toutes les légendes et les compliquaient d'une foule de rêveries philosophiques et de superstitions étrangères qui en changeaient le caractère primitif. Ils altérèrent surtout les cultes mystiques, dont ils rattachaient l'origine à leur prétendu initiateur, Orphée, et sur lesquels ils greffaient toujours le culte de leur patron Dionysos.
Il faut remonter assez haut pour saisir le point de départ des idées orphiques. Jusqu'à Onomacrite, par exemple, contemporain de Pisistrate, qui fabriqua sous le nom d'Orphée un poème dionysiaque sur la passion de Zagreus, sa mort et sa résurrection. Quoique ce poème soit perdu, on sait, par de nombreuses indications, quel était le sens général de cette légende qui venait probablement de la Phrygie et qui se retrouve dans la plupart des religions de l'Asie et de l'Égypte.
Toujours le principe actif de la vie est représenté par un jeune dieu qui meurt à l'automne et qui ressuscite au printemps et la nature, par une déesse qui s'afflige de sa mort et se réjouit de son retour. Tel est le sens des mythes de Zagreus déchirée par les Titans, du troisième Cabire tué par ses frères, d'Osiris mutilé par son frère Typhon. La même idée se reproduit dans la fable de la mutilation d'Attys et dans celle de la mort d'Adonis. La seule différence entre tous ces symboles, c'est que la nature est tantôt la mère, tantôt la soeur ou l'épouse du dieu mort et ressuscité.
L'analogie de ces légendes avec celle de Déméter et de Coré est évidente, et on comprend que des emprunts réciproques aient été faciles. Les Orphiques se firent les colporteurs de ces échanges que favorisait d'ailleurs le goût naturel des Grecs pour les importations étrangères. Malheureusement, le caractère chaste et sévère de la religion grecque eut souvent à souffrir de ces emprunts. Les mythes phrygiens et syriens ont presque toujours un caractère obscène. Les processions phalliques, le culte de Priape, viennent de cette source. En confondant toutes les déesses dans la nature, tous les dieux dans un principe créateur, les Orphiques avaient conservé des distinctions de rôles. C'était un dieu sous plusieurs noms, un dieu en plusieurs personnes, qui s'engendrait lui-même en s'incarnant dans le sein de sa mère. De là, dans la forme des mythes, des accouplements monstrueux et bizarres dont l'expression, notamment dans les mystères de Sabazios, peut expliquer les accusations des Pères de l'Église. Il est vrai que ces accusations étaient réciproques, car, dans ce conflit de doctrines qui signale la décadence du vieux monde, on voit poindre les querelles religieuses qui remplissent si tristement l'histoire du monde moderne. Les coups les plus violents ne partent pas toujours des camps opposés. Les gnostiques et les manichéens sont fort maltraités par d'autres sectes chrétiennes. Apulée ne ménage pas davantage les prêtres mendiants de la déesse de Syrie. Il est difficile de prendre parti dans ces querelles, surtout après que les derniers vainqueurs ont étouffé la voix des vaincus. Mais on peut remarquer du moins que la plupart des attaques des chrétiens contre l'immoralité des mystères s'adressent à des dogmes orphiques. Et pourtant, l'orphisme fut le véritable précurseur du christianisme. Il substitua au principe de la pluralité des causes celui de l'unité divine, au culte de la vie le culte de la mort, à la morale active et politique de la Grèce républicaine la morale passive et ascétique de l'Orient.
Les endormeurs de remords
La doctrine de la métempsycose et de la palingénésie tendait à représenter le corps comme une prison de l'âme et la vie terrestre comme l'expiation de quelque crime antérieur. Pour éviter un sort pareil ou pire, encore dans une autre vie, il fallait se purifier de toutes les souillures. Le dieu des mystères était appelé le libérateur, le rédempteur des âmes, le choeur des astres, conduit par Dionysos, représentait dans son évolution circulaire la descente et l'ascension des âmes, tour à tour entraînées vers la Terre par l'ivresse de la vie et ramenées vers le ciel par l'ivresse de l'extase. Le Soleil de nuit, le chorège des étoiles, était le dieu de la mort et de la résurrection, de là tant de représentations de bacchanales sur les sarcophages. Depuis que l'activité politique était morte, l'esprit cherchait un aliment dans la vie religieuse mais la religion républicaine, le culte national des héros protecteurs, avait disparu avec la liberté et la patrie. Dans les âmes repliées sur elles-mêmes, il n'y avait place que pour la religion de la crainte. Chacun songeait à son salut, chacun tremblait à l'idée de la mort prochaine et des expiations à venir, chacun sacrifiait aux dieux de la mort.
On courait chez les endormeurs de remords, on allait des Orphéotélestes aux Métragyrtes, des mystères d'Isis à ceux de Mithra, on demandait le baptême par l'eau ou le baptême par le sang, appelé taurobole ou criobole : le myste descendait dans une fosse au-dessus de laquelle on immolait un taureau ou un bélier, et le sang tombait sur lui goutte à goutte. Dans les mystères de Samothrace, les purifications étant proportionnelles aux fautes, il fallait se confesser au prêtre des Cabires, appelé Koiès. On dit que Lysandre, invité à déclarer quel était son plus grand crime, avait répondu :
« Est-ce toi ou les dieux qui l'exigent? - Ce sont les dieux, dit le prêtre. - Eh bien retire-toi, reprit Lysandre; s'ils m'interrogent, je leur répondrai. »
La même question fut faite à Antalcidas, qui répondit seulement :
« Les dieux le savent. »
Il paraît d'ailleurs qu'il y avait des crimes inexpiables, car on dit que Néron n'osa pas s'approcher d'Athènes à cause des imprécations qui éloignaient les parricides des mystères d'Eleusis. Selon Zosime, Constantin ayant voulu se faire purifier du meurtre de son fils, les prêtres lui diront qu'il n'y avait pas d'expiation pour un pareil crime; ce fut alors qu'il embrassa le christianisme, sur l'assurance qui lui fut donnée que les chrétiens savaient effacer toute espèce de péché. Ces purifications n'étaient pas nouvelles en Grèce, on en voit de nombreux exemples dans les légendes héroïques. A la vérité, Homère n'en parle pas, mais il en est déjà, question dans les Cycliques; on se purifiait pour les meurtres involontaires. Ces cérémonies n'étaient, dans l'origine, que le signe visible du repentir, qui réconcilie l'âme avec les dieux et avec elle-même mais, comme il arrive souvent en pareil cas, on finit, quelquefois par attribuer une vertu expiatoire aux formules elles-mêmes, et par s'imaginer que les eaux lustrales suffisaient pour laver les souillures.
Les cultes mystiques furent la dernière forme de la pensée religieuse de la Grèce. La religion et la philosophie se réconcilièrent dans l'orphisme. On trouve la formule philosophique du panthéisme dans quelques fragments de l'école orphique qui nous sont parvenus; en voici un que Stobée cite sous le nom de Linos :
« L'univers règle toutes choses selon les différences. Tout sort de l'univers et l'univers sort de tout. L'unité est tout, chaque être est une part de l'unité, tout est dans l'unité. Car, de ce qui était un, sont sorties toutes choses et de toutes choses sortira de nouveau l'unité par la loi du temps. Toujours un est multiple, l'illimité se limite sans cesse et persiste sous tous les changements. La mort, immortelle et mortelle à la loi, enveloppe tout l'univers se détruit et meurt, et sous les apparences mobiles et les formes passagères qui voilent à tous les regards ses métamorphoses, il demeure incorruptible dans son éternelle immobilité. »
De ces dogmes devait sortir une résignation austère qui convenait à la fatigue universelle des âmes :
« Ô univers, s'écrie Marc-Aurèle, tout ce qui te convient me convient. Rien n'est prématuré ni tardif pour moi dans tout ce qu'amènent tes heures. Tous tes fruits me sont bons, ô nature! Tout sort de toi, tout est dans toi, tout rentre en toi! »
A mesure que les ombres du soir s'étendaient dans le ciel du vieux monde, la vue des choses divines devenait moins distincte. Tous les types divins semblaient se confondre dans une puissance unique et sans bornes, adorée sous mille noms.
« J'ai entendu tes prières, dit-elle dans Apulée, moi, la Nature, mère des choses, la maîtresse de tous les éléments, née au commencement des siècles, la somme de tous les Dieux, la reine des Mânes, la première des vertus célestes, la face uniforme des dieux et des déesses. J'équilibre par mes mouvements les hauteurs lumineuses du ciel, les souffles salutaires de la mer, le silence lugubre des enfers; divinité unique, qu'adore l'univers entier sous des aspects multiples, par des rites variés, sous des noms divers. Les Phrygiens premiers-nés m'appellent la Mère de Pessinonte, les autochtones de l'Attique, Athéna Cécropienne, les Chypriotes entourés par les flots, Aphrodite de Paphos, les Crétois armés de flèches, Artémis Dictynne, les Siciliens aux trois langages, Perséphone Stygienne, les Éleusiniens, la nourrice Déméter. Les uns me nomment Héra, les autres Enyo, ceux-ci Hécate, ceux-là Rhamnusia. Mais chez les Éthiopiens qu'éclairaient les premiers rayons du dieu Soleil, chez les Aryâs, chez les Égyptiens, instruits des sciences antiques, on m'honore par les rites qui me sont propres et on me donne mon vrai nom, la reine Isis. »
Aux approches de la nuit, le monde tendait les bras vers cette mère antique des choses, qui tire tout de son sein et y fait tout rentrer. Absorbé comme un vieillard dans la pensée de la mort, il essayait de se résigner à ce long sommeil et passait des terreurs superstitieuses aux extases de l'espérance. Et revenant pour mourir dans cette vieille Égypte qui avait été son berceau et qui allait être sa nécropole, il se coucha en silence dans le tombeau du passé, et sa dernière adoration fut pour Sarapis, le dieu de la mort.
Sources : Louis Ménard, Le polythéisme hellénique, 1863
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Les Grecs désignaient sous le nom de Mystères, du mot muein; fermer la bouche, resté muet, certaines cérémonies religieuses qui s'accomplissaient dans la nuit, et en silence. Un mystère n'était pas, pour eux un dogme incompréhensible pour la raison et imposé par l'autorité ou accepté par la foi. Cette idée est tout à fait étrangère au polythéisme. C'était seulement un secret qu'on ne devait pas révéler, aporrhton, une chose ineffable. On appelait teleth accomplissement des cérémonies qui composaient les mystères. Ce mot, qui signifie aussi perfectionnement, exprimait à la fois la consécration des signes visibles du mystère et la purification de ceux qui y participaient. C'est ce que nous traduisons par Initiation. Le nom d'Orgie était souvent confondu avec celui de mystères, mais en général, on l'appliquait surtout aux fêtes Dionysiaques, soit parce qu'elles se célébraient dans les champs, en orgasin, soit à cause de leur caractère enthousiaste et extatique, orgh. On finit par donner le nom d'orgies, à toutes les fêtes bruyantes et désordonnées. Le nom de mystères, réservé d'abord aux fêtes des déesses de l'agriculture, fut étendu de bonne heure aux fêtes de Dionysos, par suite de l'association des trois grandes divinités de la production et de la mort. Le culte de Dionysos sert de passage entre l'ancienne religion hellénique et les religions barbares qui l'altérèrent progressivement. Tous les dogmes nouveaux empruntés à la Phrygie, à la Perse, à la Syrie et à l'Égypte, s'introduisirent en Grèce sous la forme de mystères et on finit par chercher hors de la Grèce et surtout en Égypte, l'origine des initiations, comme on y avait cherché celle de toutes les autres formes de la religion grecque.
On peut expliquer le caractère secret des mystères par des raisons théologiques qui tiennent aux rapports intimes du dogme et du culte dans l'Antiquité. Toutes les fois que l'homme cherche à traduire sa pensée, soit par des gestes, soit par des mots, soit par des formes plastiques, il faut que le signe qu'il emploie soit la représentation aussi exacte que possible de la chose signifiée. Au début de toutes les langues on trouve l'harmonie imitative dans les religions, que j'ai souvent comparées à des langues. Les cérémonies extérieures sont toujours l'expression sensible des croyances populaires et comme il faut un mot pour rendre, chaque idée, à chaque symbole religieux correspond une forme particulière du culte. Plus un peuple a d'idées, plus sa langue est riche. Le polythéisme est la synthèse la plus large de toutes les idées religieuses, sa langue religieuse doit donc être la plus riche et la plus variée. Chacune de ses conceptions a une expression propre, une cérémonie spéciale qui en est le signe extérieur.
Les dieux du ciel sont invoqués à ciel ouvert. Leur culte est public parce que leur action est visible au grand jour, leurs temples sont ouverts par en haut et on ne les prend pas à témoin dans un endroit fermé. Le dieu de la lumière et de l'harmonie, le dieu prophète, n'a pas de mystères. Son temple est toujours ouvert et chacun peut l'interroger. Le dieu des transitions et des échanges, le dieu commun à tous, n'a pas de temple mais sa statue est dans tous les carrefours, et son culte est mêlé à celui de tous les autres dieux, comme celui de la vierge Hestia, la pierre du foyer. La déesse politique de la civilisation, la vierge active, au génie pratique, règne sur les acropoles, d'où elle protège les cités. Le dompteur des monstres, le héros divin qui a conquis le ciel par son courage est honoré par les luttes viriles et les jeux sacrés. Mais les déesses souterraines, dont l'action est cachée, ne peuvent être invoquées que dans un endroit fermé, megaron. Elles font germer les plantes et les font rentrer sous terre, elles tiennent les clefs de la vie et de la mort, et comme elles gardent leur secret dans un silence éternel, les cérémonies symboliques qui représentent leur action mystérieuse doivent s'envelopper aussi d'ombre et de silence.
Depuis que Prométhée a ravi le feu du ciel, les dieux ont caché les sources de la vie:
« L'homme est devenu semblable à l'un de nous, disent les Elohim de Chaldée, prenons garde qu'il ne mange de l'arbre de vie et qu'il ne meure point. »
La vie nous est prêtée mais en deçà comme au delà règne la nuit impénétrable. Les passages sont gardés, la naissance et la mort sont le secret des dieux. Il y a certainement quelque chose de sacré dans les contradictions qui planent autour des deux portes de la vie, on se découvre devant un cercueil et on fait le contact d'un cadavre, mélange de respect et de dégoût, représenté par le Styx, redoutable témoin des serments des dieux. Si la mort est enveloppée d'une horreur mystérieuse, l'acte non moins mystérieux de la génération se couvre chez tous les peuples des voiles instinctifs de la pudeur. Pourquoi ces rougeurs involontaires s'il y a là une loi divine? Elle est la base de la famille, le chaîne sainte de la communion des êtres et on n'ose pas en parler. C'est que la pudeur est la couronne des chastes déesses, l'auréole de la vierge mère. Il faut laisser à chaque dieu son empire : la lumière souillerait ce qui appartient à la nuit.
Les mystères semblent s'être développés plus tard que les autres formes de la religion grecque. Déméter et Perséphone sont quelquefois nommées dans l'Iliade et dans l'Odyssée, mais sans qu'il y soit question du caractère secret de leur culte. Le silence d'Hésiode étonne encore davantage, puisqu'un de ses poèmes a pour sujet l'agriculture, et que le pays où il vivait, la Béotie était le séjour de ces populations thraces d'où les légendes font sortir Eumolpe et Orphée. Il est vrai, qu'il y a vers la fin des Travaux un vers où on peut voir unes allusion aux mystères :
« Si tu te trouves au milieu des sacrifices allumés, ne te moque pas des choses secrètes, car le dieu s'offense de cela. »
Mais le sens de ce passage dépend du mot aidhla, dont les scholiastes donnent plusieurs explications différentes. L'allusion est donc fort incertaine. L'hymne à Déméter est le plus ancien monument de la religion d'Eleusis, et quoiqu'il appartienne bien à l'école des Homérides, on s'accorde à le regarder comme une des dernières productions de cette école. On trouve le culte de Déméter sous sa forme probablement la plus ancienne chez les Arcadiens, dont les traditions remontent aux premiers âges de la Grèce. Ils adoraient la Terre sous le nom de Déméter la noire. De son union avec Poséidon naissaient le cheval Arion, qui semble comme Pégase une personnification des sources et une déesse dont Pausanias n'ose pas dire le nom et qu'il appelle seulement Notre-Dame, Despoina. Je suppose que ce devait être une déesse lunaire, Artémis ou Hécate, car on a toujours attribué à la Lune une action sur la végétation, sur la vie et sur la mort et de là ses rapports avec la Terre. Comme elle paraît sortir des flots, on peut lui donner pour père Poséidon. On sait qu'Eschyle avait fait Artémis fille de Déméter et non de Léto. C'est peut-être pour cela qu'il fut accusé d'avoir vidé le secret des mystères. Il paraît qu'il n'était pas initié mais il aimait à ressusciter les traditions pélasgiques. Parmi les temples d'Eleusis, il y en avait un consacré à Artémis qui garde l'entrée, fonction qui la rapproche d'Hécate ou d'Eileithuia et un autre au père Poséidon. Peut être était-ce en souvenir d'une religion antérieure à la colonie thrace des Eumolpides. Mais cette vieille religion eut elle dès l'origine un caractère secret? Il me semble qu'on pourrait, expliquer le silence d'Homère à cet égard, en se rappelant qu'à cette époque, primitive, où il n'y a pas encore de nations, mais seulement des familles, à peine groupées en tribus, où la distinction des cultes privés et des cultes publics n'existe pas encore, les cérémonies sont extrêmement simples et n'attirent pas d'étrangers. On n'a donc pas à recommander le silence. Si dans ces fêtes champêtres la génération des plantes et des fruits est exprimée naïvement par des symboles empruntés à la génération humaine, personne ne songe à s'en offenser, ni à en rire. L'enfant ne sait pas qu'il est nu, son innocence lui tient lieu de pudeur; c'est aux approches de la puberté de la Grèce qu'ont dû commencer les mystères.
Pour conserver au culte de Déméter son caractère chaste et féminin, on n'employa pas partout les mêmes moyens. A Hermione, personne ne pouvait voir ce qu'on gardait dans l'intérieur du sanctuaire de Déméter Chtonia (la terrestre), excepté les quatre vieilles femmes chargées d'offrir les sacrifices à la déesse. Les Athéniens, qui plus que tous les autres Grecs donnaient à la religion un caractère politique et qui adoraient Déméter comme principe du travail civilisateur, sous le nom de Thesmophore (législatrice), réservaient cependant aux femmes seules l'entrée du Thesmophorion. De même à Mégalopolis, il n'était permis qu'aux femmes d'entrer dans le temple et le bois sacré de Déméter. Mais le plus souvent, comme à Éleusis, on admettait des personnes des deux sexes, en imposant seulement le secret aux initiés.
La religion d'Eleusis
J'ai rapporté d'après Pausanias les traditions qui faisait du sacerdoce d'Éleusis une propriété des Eumolpides. Les Athéniens avaient les Thesmophories, qui étaient chez eux une fête nationale, mais les Éleusinies étaient le patrimoine des Éleusiniens, le souvenir de leur ancienne indépendance. Le culte de Déméter était célébré par eux sous une forme spéciale qui en faisait un culte privé, quiconque demandait à assister à leurs cérémonies, était dans la situation d'un étranger admis à une fête de famille, sous la condition toute naturelle de respecter le foyer de ses hôtes et de ne pas divulguer les secrets qu'ils lui confient. Violer ces secrets, c'était attenter à une propriété garantie par les lois et c'était en même temps commettre un parjure, car ceux qui demandaient l'initiation s'engageaient par serment à un silence absolu. Toute profanation était poursuivie par les Eumolpides devant les tribunaux d'Athènes. L'histoire a gardé le souvenir de quelques procès de ce genre. Le plus célèbre est celui d'Alcibiade, accusé, avec Andocide et quelques autres, d'avoir parodié les mystères au milieu d'une orgie, à la suite de laquelle ils auraient en outre mutilé les statues d'Hermès. Les Eumolpides, secouant vers le couchant leurs robes de pourpre, prononcèrent leurs terribles imprécations. Seule, l'hiérophantide Théano, refusa de s'y associer, disant quelle était chargée de faire des voeux pour ses concitoyens, non de les maudire. Les accusations aussi graves ne pouvaient être intentées légèrement. La loi athénienne punissait très sévèrement les dénonciateurs qui n'obtenaient pas le cinquième des suffrages. Mais en donnant des garanties aux accusés, les Athéniens devaient aussi préserver de toute atteinte cette religion des mystères, qui n'était pas seulement une propriété privée, mais qui était devenue, par l'admission des Éleusiniens dans la république d'Athènes, une propriété nationale. L'initiation, considérée comme un privilège des citoyens d'Athènes, avait, pour eux toute l'importance d'un droit politique. Elle devait être entourée d'autant de restrictions que le droit de cité et protégée par autant de garanties. La violation du secret des mystères était donc une sorte de crime d'État, ce qui d'ailleurs est conforme aux habitudes des Grecs, chez qui les institutions religieuses étaient en même temps des institutions nationales.
Ainsi, aux raisons théologiques qui partout enveloppaient de silence et d'ombre le culte des puissances chthoniennes, se joignaient, à Eleusis en particulier, des raisons historiques et politiques plus que suffisantes pour expliquer le secret des mystères, sans qu'il soit besoin d'imaginer une opposition quelconque entre les cultes mystiques et les formes publiques de la religion. Le mystère Eleusinien n'était qu'un des symboles de la religion populaire. Comme tous les autres, il a sa source dans les traditions de l'époque pélasgique et il a reçu sa forme de l'épopée. C'est ce qui résulte des diverses légendes rapportées sur Eumolpe, l'ancêtre vrai ou supposé des Eumolpides. Selon lstros, il était petit-fils de Triptolème. Selon Akésodore, il était chef d'une tribu de Thraces venue au secours des Éleusiniens autochtones dans la guerre contre Erechtheus. Androtion rapporte l'établissement des mystères, non pas à cet ancien Eumolpe, mais à son cinquième descendant, du même nom que lui, et fils de Musée. Les Eumolpides appartenaient à cette famille à la fois poétique et religieuse a laquelle les Grecs rapportaient le culte des Muses et d'où étaient sortis ces aèdes qui avaient civilisé la Grèce par la poésie. Le nom même d'Eumolpide signifie habile chanteur, comme Homéride signifie rassembleur, de chants. Après la réunion des poèmes homérique et hésiodiques, on fit circuler des poésies religieuses sous les noms d'Eumolpe, d'Orphée, de Musée, de Pamphôs. Diodore de Sicile parle d'un poème dionysiaque attribué à Eumolpe. Les hymnes orphiques avaient été composés, selon Pausanias, pour les Lycomèdes, une autre famille sacerdotale d'Eleusis et Pomphôs, d'après le même auteur, aurait fait le premier un hymne en l'honneur de Déméter. Enfin un hymne homérique, retrouvé en Russie vers la fin du XVIIIe siècle, expose en détail toute la légende des grandes déesses d'Eleusis. Il n'y a donc aucune distinction a faire sous le rapport du dogme entre la religion d'Éleusis, et les autres mythes de l'hellénisme; c'est toujours une tradition populaire développée par la poésie.
Les phases de la végétation, confondues dans un même symbole avec la destinée humaine, les alternatives de la vie, de la mort et de la renaissance sont exposées dans l'hymne homérique à Déméter sous les formes vives, précises et colorées qui sont propres à la mythologie grecque. La nature est représentée sous les traits d'une mère, la vie, sous ceux d'une jeune plante, d'une jeune fille. Pendant qu'elle cueillait, le narcisse, la plante narcotique et mortelle, dans les champs de Nysa, au milieu des Océanides, le sol s'entrouvre, et elle est enlevée par le roi des profondeurs souterraines, Hadès. Cependant, Hécate a entendu ses cris et le Soleil, qui voit tout, dénonce à Déméter le ravisseur de Coré. La déesse, irritée contre Zeus qui a donné sa fille pour épouse au roi des morts, s'éloigne de l'assemblée des dieux. Vêtue de noir, cachée sous les traits d'une vieille femme, elle est accueillie à Éleusis par les filles de Céléos, qui la conduisent à leur mère Métanire. Mais rien ne peut distraire sa
douleur, elle refuse toute nourriture jusqu'au moment où une vieille servante, lambé, par ses propos joyeux parvient à la faire sourire. Alors la déesse accepte le hykéon, le breuvage sacré des mystères, dont elle-même enseigne la préparation. Cependant elle ne découvre pas encore sa divinité, car elle est irritée contre les dieux qui ont permis le rapt de sa fille. Elle dit qu'elle s'appelle Dèô, qu'elle vient de Crète et qu'elle a été enlevée par des pirates. Elle demande à élever Démophon, l'enfant de Métanire qui lui a donné l'hospitalité et entre ses mains l'enfant grandit d'une manière merveilleuse. La divine nourrice ne lui donnait pas de nourriture, mais elle le frottait d'ambroisie et pour le rendre immortel, elle le purifiait chaque nuit par le feu. Malheureusement, Métanire qui la surprend, pousse un cri d'épouvante, alors la déesse, troublée dans son opération magique, se fait connaître, ordonne aux Éleusiniens de lui élever un temple et institue les orgies. Cependant les champs étaient toujours frappés de stérilité, la famine allait détruire l'humanité et les dieux ne recevaient plus d'offrandes. Zeus envoie Iris à Déméter. La déesse refuse de se laisser fléchir et redemande sa fille. Hermès va chercher Coré et la ramène à la lumière mais elle a goûté de la grenade, son mariage est consommé, elle doit passer un tiers de l'année auprès de son époux, le reste avec sa mère et les autres immortels. Rhéa vient de la part de Zeus chercher les deux déesses et les ramène dans l'Olympe, les champs se couvrent de nouveau de moissons abondantes et les hommes célèbrent à Éleusis les mystères des grandes déesses.
On voit par cette analyse que l'institution des mystères est directement rattachée à la légende religieuse dont ils devaient perpétuer le souvenir. Le culte, qui n'était là comme ailleurs que l'expression extérieure du dogme, reproduisait toutes les phases de cette légende, dont les personnages divins étaient représentés par des prêtres. L'enlèvement de Coré, le grand deuil de la nature, de la Mère des douleurs, puis l'allégresse du ciel et de la terre à la résurrection du printemps, formaient un véritable drame sacré, avec des alternatives de tristesse et de joie, de terreur et d'espérance. Toute proportion gardée entre les spectacles grossiers d'une époque barbare et les magnificences de l'art athénien, c'était quelque chose d'analogue aux mystères du Moyen âge, qui représentaient aussi la mort et la résurrection d'un dieu.
Il y avait comme dans les drames ordinaires, qui en Grèce se rattachaient aussi à la religion, des hymnes, des chants, des processions symboliques figurant les courses de Déméter et d'Hécate, et des effets de théâtre auxquels la perfection de la scénographie grecque donnait un caractère imposant et grandiose. Des clartés splendides succédant tout à coup aux ténèbres faisaient passer les âmes d'une religieuse horreur aux consolations du réveil. L'idée de la vie éternelle jaillissait spontanément de cet enseignement muet qui pénétrait dans l'âme par les sens et la persuadait bien mieux qu'une démonstration métaphysique.
L'hellénisme enveloppe toujours dans les mêmes symboles l'homme et la nature. L'enlèvement de Coré et son retour, ce n'est pas seulement la graine qu'on jette en terre et qui renaît dans la plante, c'est le réveil de l'âme au delà du tombeau. La destinée humaine n'est qu'une forme particulière de ce dualisme éternel, de cette grande loi d'oscillations et d'alternatives qui fait partout succéder la mort à la vie et la vie à la mort. Au dernier acte de l'initiation, le grand, l'admirable, le plus parfait objet de contemplation mystique était l'épi de blé moissonné en silence, germe sacré de la moisson nouvelle, gage certain des promesses divines, symbole rassurant de renaissance et d'immortalité. Ces rapprochements qui se présentent si naturellement à l'esprit, les Grecs les retrouvaient dans les mots même de leur langue :
« Mourir, dit Plutarque, c'est être initié aux grands mystères, et le rapport existe entre les mots comme entre les choses (Teleuth), l'accomplissement de la vie, la mort, tel est le perfectionnement de la vie, l'initiation. D'abord des circuits, des courses et des fatigues et dans les ténèbres, des marches incertaines et sans issue. Puis, en approchant du terme, le frisson et l'horreur, et la sueur et l'épouvante. Mais après tout cela une merveilleuse lumière, et dans de fraîches prairies la musique et les choeurs de danse, et les discours sacrés et les visions saintes, parfait maintenant et délivré, maître de lui-même et couronné de myrte, l'initié célèbre les orgies en compagnie des saints et des purs et regarde d'en haut la foule non purifiée, non initiée des vivants qui s'agite et se presse dans la fange et le brouillard, attachée à ses maux par le crainte de la mort et l'ignorance du bonheur qui est au delà. »
Ce passage, conservé par Stobée, me semble un de ceux qui peuvent le mieux donner une idée de l'ensemble des mystères. Quant au sens de quelques formules, comme Konx Ompax, à la nature des objets sacrés conservés dans la corbeille mystique et à tout le détail liturgique des cérémonies, il faut nous résigner à l'ignorer. C'était en cela principalement que consistait le secret de l'initiation. Il fallait que ce secret fût bien peu de chose pour avoir été gardé par tant de gens. Les Éleusinies, réservées d'abord aux citoyens d'Athènes, devinrent peu à peu accessibles à tout le monde. Il suffisait d'être présenté par un Athénien. Les esclaves, exclus d'abord comme les bâtards et les étrangers, finiront par y être admis. Dans une comédie de Théophile, un domestique disait en parlant de son maître :
« C'est lui qui m'a fait connaître les lois grecques, qui m'a enseigné les lettres, qui m'a initié aux mystères divins. »
Les initiés ne formaient pas une aristocratie intellectuelle. Rien, absolument rien ne justifie l'opinion qui les représente comme une classe de mandarins lettrés, méprisant les croyances du peuple. S'il y a eu en Grèce des philosophes qui ont méconnu la profondeur et la haute portée morale de la religion de leur patrie, cela tenait à la tournure particulière de leur esprit, à leurs tendances théocratiques et monarchiques et nullement à l'enseignement des mystères. Non seulement cet enseignement n'était pas en opposition avec le reste de la mythologie mais il était lui-même entièrement symbolique, sans aucune espèce de démonstration ni d'explications. Chacun le comprenait à sa manière. Dans les histoires de dieux morts et ressuscités qui faisaient le fond de tous les cultes mystiques, les Evhéméristes croyaient voir une preuve que les dieux n'étaient que des mortels divinisés. Pour d'autres, comme Cicéron, ces symboles empruntés à la vie de la nature semblaient éclairer plutôt la nature des choses que celle des dieux mais la plupart étaient surtout frappés, comme Plutarque, des allusions à la vie morale de l'âme.
« L'opinion d'Aristote, dit Synésios, est que les initiés n'apprennent rien mais qu'ils reçoivent des impressions, qu'ils sont mis dans une certaine disposition à laquelle ils ont été préparés. »
Telle est, en effet, la nature de l'enseignement religieux. Il ne s'adresse pas à la raison comme l'enseignement philosophique, mais à toutes les facultés de l'homme à la fois. Il agit par les sens sur l'imagination, sur le coeur et sur l'intelligence. Les grands mystères de la nature, la lumière, le mouvement, la vie ne se prouvent pas, ils s'affirment. De même les symboles, qui sont l'expression humaine des lois divines, ne se démontrent pas, ils s'exposent et la conviction descend d'elle-même dans les âmes préparées à la recevoir. Ce caractère se retrouve même dans les religions modernes : Jésus-Christ ne parle qu'en paraboles.
Les initiés n'étaient pas seulement spectateurs dans le drame d'Eleusis, ils y jouaient un rôle comme le chœur dans les tragédies. C’est du moins ce que semble indiquer le choeur des mystes dans les Grenouilles d'Aristophane. C'est, ainsi que dans les mystères du Moyen âge, le peuple chantait des psaumes. De même aussi, pendant la messe, les assistants mêlent leurs chants aux cérémonies symboliques du drame de la Passion. Quelques usages qui se conservent dans l'Église grecque, par exemple celui de fermer les portes pendant certains actes du saints sacrifice rappellent le caractère secret des mystères de l'Antiquité. Ce n'est pas sans raison que les Grecs donnent le nom de mystères aux sacrements et en particulier à l'Eucharistie. Le Kykéon, ce pain sacré de la communion primitive, était comme le saint sacrement des chrétiens, un signe sensible destiné à sanctifier l'homme. Les meurtriers et les impies étaient exclus de l'initiation. On s'y préparait par le jeûne, en souvenir du deuil de Déméter, par une continence rigoureuse pendant la neuvaine sacrée, par une sorte de baptême dans la mer et par tout un ensemble de purifications, que figuraient dans la légende ces charbons ardents sur lesquels la déesse plaçait son nourrisson, le fils de Métanire.
Quand les mystes avaient reçu la nourriture divine qui les unissait aux dieux, quand ils avaient traversé toutes les épreuves, tous les degrés de l'initiation, jusqu'à l'Epoptie, c'est-à-dire à la contemplation des saints mystères, leur bonheur était assuré même dans la mort, car ils connaissaient les secrets de la vie éternelle.
« Heureux, dit Pindare, celui qui, après avoir vu ces choses, descend sous la terre! Il connaît la fin de la vie, il connaît la loi divine. »
ll semblait que la sanctification conférée par ce sacrement devait s'étendre jusque sur l'autre vie :
« Le sort des initiés et celui des profanes sont différents même dans la mort », dit l'hymne homérique.
Cette différence supposait implicitement que les mystes avaient rempli les conditions de pureté qui leur étaient imposées, autrement on aurait pu demander, comme Diogène, si un brigand initié serait plus heureux qu'Epaminondas qui ne l'était pas. Les actes extérieurs de piété ne suppléaient pas plus aux bonnes œuvres dans l'Antiquité qu'aujourd'hui. Mais l'influence, morale des mystères n'en était pas moins généralement reconnue. Selon Diodore de Sicile, ceux qui avaient participé aux mystères passaient pour devenir plus pieux, plus justes et meilleurs en toute chose.
« Vous avez été initiés, disait le rhéteur Andocide aux Athéniens et vous avez contemplé les rites sacrés des deux déesses, afin de punir les criminels et de sauver ceux qui sont purs d'injustice. »
Les symboles mystiques se transformèrent comme tous les autres dans le cours des âges. Triptolème, qui est seulement nommé dans l'hymne homérique parmi les rois d'Eleusis, paraît avoir joué plus tard un rôle plus important. On le voit souvent représenté dans les monuments, et surtout sur les vases, assis sur le char ailé de Déméter, traîné par des serpents : les deux déesses sont à ses côtés. Il fut même substitué à Minos, comme juge des morts, au moins dans les légendes athéniennes. Un autre personnage dont l'importance devint encore bien plus considérable, Iacchos, n'est pas nommé dans l'hymne homérique : son association avec les grandes déesses est donc postérieure à la rédaction de ce poème.
C'est probablement à l'époque où le culte d'lacchos s'introduisit dans la religion d'Eleusis que furent établis les petits mystères ou mystères d'Agra, qui correspondaient aux Anthestéries ou fêtes de Dionysos, comme les grands mystères étaient en rapport avec les Thesmophories. Car lacchos, le médiateur, l'initiateur mystique, n'est, comme Zagreus, qu'une forme de Dionysos. Monsieur Alf. Maury le rapproche avec assez de vraisemblance, de lasios ou lasion, personnage associé à Déméter dans les légendes épiques. Rien n'est plus naturel que d'unir dans un même culte les principales divinités de l'agriculture, de la production et de la mort. L'idée du grain de blé qui meurt pour ressusciter en épi se représente sous une autre forme dans la pluie divine tombant sur la terre pour renaître dans la liqueur sacrée des libations. Le vin pouvait être pris comme le pain pour symbole de la communion des êtres. Cependant il est très difficile de savoir exactement quel était le rôle de Dionysos dans les mystères. Remplaçait-il Démophon comme nourrisson de Déméter? Était-il substitué à Hadès comme époux de Perséphone, où était-il le fils d'une des grandes déesses? Dès qu'il est question de Dionysos, toute la mythologie devient obscure et indécise. Les distinctions des types disparaissent et s'effacent, Rhéa est identifiée avec Déméter, Coré (Perséphone), sous le nom de Brimô, avec Hécate, qui elle-même n'est pas distincte d'Artémis. Bientôt Rhéa, Déméter et Coré semblent se confondre et toutes puissances multiples de la nature sont absorbées dans la vague unité du panthéisme. Si on possédait encore les anciens poèmes dionysiaques, on pourrait suivre dans ses transformations ce culte étrange qui sert de passage entre le polythéisme grec et les religions unitaires de l'Orient mais les poésies orphiques que nous possédons appartiennent à une époque où déjà la confusion est complète. Le dieu qui frappe ses ennemis de vertige semble avoir traité de même ses adorateurs. L'orphisme est le délire de l'ivresse et de l'extase. La pensée humaine est entraînée comme la nature entière dans la grande orgie.
Sources : Louis Ménard, Le polythéisme hellénique, 1863
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